RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 1 – Chambre 10
ARRÊT DU 17 MAI 2023
(n° , 7 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général :
N° RG 22/11816 – N° Portalis 35L7-V-B7G-CGAWG
Décision déférée à la cour :
Jugement du 16 juin 2022-Juge de l’exécution de Paris-RG n° 22/80230
APPELANTE
ALBANIA BEG AMBIENT SHPK
[Adresse 5]
[Localité 6] (ALBANIE)
Représentée par Me Benjamin MOISAN de la SELARL BAECHLIN MOISAN Associés, avocat au barreau de PARIS, toque : L34
Plaidant par Me Clément WIERRE de la SELAS PELTIER JUVIGNY MARPEAU & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS
INTIMÉES
ENEL S.P.A, société de droit italien
[Adresse 1]
[Localité 4] (ITALIE)
Représentée par Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477
Plaidant par Me Jean-Pierre MARTEL du PARTNERSHIPS ORRICK HERRINGTON & SUTCLIFFE (Europe) LLP, avocat au barreau de PARIS et Me Grégoire PIAT, avocat au barreau de PARIS
S.A.S. PRIMEO ENERGIE GRANDS COMPTES
[Adresse 3]
[Localité 2]
Représentée par Me Audrey SCHWAB de la SELARL SELARL 2H Avocats à la cour, avocat au barreau de PARIS, toque : L0056
Plaidant par Me Paul RAVETTO de l’AARPI RAVETTO ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS
COMPOSITION DE LA COUR
L’affaire a été débattue le 29 mars 2023, en audience publique, devant la cour composée de :
Mme Bénédicte PRUVOST, président
Madame Catherine LEFORT, conseiller
Monsieur Raphaël TRARIEUX, conseiller
qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l’audience par Madame Bénédicte PRUVOST, président dans les conditions prévues par l’article 804 du code de procédure civile.
GREFFIER lors des débats : Monsieur Grégoire GROSPELLIER
ARRÊT
– contradictoire
– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Madame Bénédicte PRUVOST, président et par Monsieur Grégoire GROSPELLIER, greffier présent lors de la mise à disposition.
Par jugement du 24 mars 2009, confirmé par arrêt de la cour d’appel de Tirana (Albanie) du 28 avril 2010, le tribunal du district judiciaire de Tirana (Albanie) a condamné les sociétés de droit italien Enel SPA (ci-après société Enel) et Enelpower à payer à la société de droit albanais Albania Beg Ambient Shpk (ci-après société ABA) la somme de 25.188.500 euros à titre de dommages-intérêts extra-contractuels pour l’année 2004, ainsi qu’une somme avoisinant 400 millions d’euros, telle que résultant du calcul du préjudice extra-contractuel pour les années 2005 à 2011, au titre de ce préjudice.
Agissant sur le fondement de ces deux décisions, par procès-verbaux des 19 juin 2012, 19 décembre 2012 et 11 décembre 2013, la société ABA a fait pratiquer trois saisies conservatoires des avoirs de la société Enel entre les mains de sa filiale, la société Enel France devenue la SAS Primeo Énergie Grands Comptes (ci-après société PEGC), toutes trois pour garantie d’une somme de 25.188.500 euros en principal, au titre de son préjudice extra-contractuel pour l’année 2004. Ces saisies ont été dénoncées à la société Enel les 22 juin 2012, 19 décembre 2012 et 19 décembre 2013.
Par jugement du 29 janvier 2018, confirmé par arrêt de la cour d’appel de Paris du 4 mai 2021, le tribunal de grande instance de Paris a rejeté la demande d’exequatur des décisions albanaises, formée par la société ABA.
Par déclaration du 21 juin 2021, la société ABA a formé un pourvoi en cassation à l’encontre de l’arrêt susvisé.
Par actes d’huissier du 7 février 2022, la société Enel a assigné devant le juge de l’exécution du tribunal judiciaire de Paris la société ABA et la société PEGC aux fins de mainlevée des saisies conservatoires et de condamnation de la société ABA à lui verser, en réparation de son préjudice, les intérêts au taux légal sur la somme de 1.732.073,40 euros à compter du 11 décembre 2013 jusqu’à la décision à intervenir, une somme de 100.000 euros au titre des travaux qu’elle a dû déployer pour obtenir la mainlevée et une somme de 10.000 euros au titre de son préjudice d’image. A l’encontre de la société PEGC, elle demandait à voir dire et juger que ce tiers saisi se libère valablement entre ses mains des sommes saisies et à lui voir déclarer opposable la décision à intervenir.
Par jugement du 16 juin 2022, le juge de l’exécution a :
dit n’y avoir lieu de surseoir à statuer ;
donné mainlevée des saisies conservatoires des 19 juin 2012, 19 décembre 2012 et 11 décembre 2013 ;
condamné la société ABA à verser à la société Enel les sommes de 114.400,85 euros et 25.000 euros à titre de dommages-intérêts ;
condamné la société ABA à verser à la société Enel la somme de 7.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux dépens ;
condamné la société Enel à verser à la société PEGC la somme de 3.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Pour statuer ainsi, le juge de l’exécution a retenu :
sur les demandes formulées contre la société PEGC, que le jugement lui serait opposable car elle était dans la cause et que la demande de libération des fonds saisis formulée par la société Enel, si elle ne constituait pas une prétention au sens de l’article 4 du code de procédure civile, était le corollaire d’une décision de mainlevée ;
sur la demande de sursis à statuer, que, bien que recevable, le sursis à statuer serait contraire à l’intérêt d’une bonne administration de la justice comme portant une atteinte disproportionnée au droit effectif de la société Enel de contester les saisies conservatoires qui affectent ses biens depuis près de dix ans ;
sur la demande de mainlevée, que la saisie conservatoire avait été pratiquée sans autorisation judiciaire préalable, que le refus de l’exequatur des décisions albanaises limitait en droit son pouvoir souverain dans l’appréciation d’une créance paraissant fondée en son principe ; qu’il n’existait aucune menace sur le recouvrement de la créance prétendue de la société ABA puisque la société Enel était le principal producteur d’électricité italien et que son résultat d’exploitation avait été supérieur à 8 milliards d’euros en 2020 ;
sur les demandes de dommages-intérêts, que les saisies conservatoires avaient causé à la société Enel un déficit de trésorerie, lui avaient occasionné des frais de gestion administrative, juridique et comptable, enfin avaient altéré son image.
Par déclaration du 22 juin 2022, la société ABA a formé appel de ce jugement, intimant la société Enel et la société PEGC.
Par dernières conclusions du 8 mars 2023, la société ABA demande à la cour de :
infirmer le jugement du 16 juin 2022 en toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau,
surseoir à statuer jusqu’au prononcé d’une décision judiciaire définitive et irrévocable à intervenir au titre du pourvoi qu’elle a formé à l’encontre de l’arrêt du 4 mai 2021 ;
débouter les sociétés Enel et PEGC de l’ensemble de leurs demandes ;
condamner la société Enel à lui payer la somme de 20.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens.
L’appelante soutient que :
l’intérêt d’une bonne administration de la justice commande de prononcer un sursis à statuer jusqu’à ce que la Cour de cassation rende sa décision sur le pourvoi (l’audience étant prévue le 28 mars 2023) qu’elle a formé à l’encontre de l’arrêt du 4 mai 2021 qui a confirmé le refus de délivrance de l’exequatur aux décisions albanaises ;
l’apparence de sa créance fondée en son principe est établie par les décisions albanaises, et n’est pas utilement contredite par les décisions françaises de refus d’exequatur qui ne sont pas encore irrévocables en raison de son pourvoi en cassation ;
le recouvrement de sa créance est menacé par le refus de la société Enel d’exécuter les décisions albanaises, ce qu’illustre le montant très insuffisant de la provision pour risques incluse dans son rapport annuel ;
sa condamnation à des dommages-intérêts est infondée, car elle a fait procéder à des saisies conservatoires régulières, d’un montant correspondant à moins de 0,5% de la créance reconnue comme due par les décisions albanaises, et disproportionnée au regard de sa situation financière.
Par conclusions du 28 février 2023, la société Enel demande à la cour de :
confirmer le jugement du 16 juin 2022 en toutes ses dispositions ;
y ajoutant,
condamner la société ABA à lui payer la somme de 5.659,38 euros à titre de dommages intérêts ;
condamner la société ABA à lui payer la somme de 20.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens d’appel.
L’intimée fait valoir que :
surseoir à statuer dans l’attente d’une décision définitive et irrévocable sur l’exequatur des décisions albanaises serait contraire à l’intérêt d’une bonne administration de la justice puisque l’arrêt du 4 mai 2021 est passé en force de chose jugée et exécutoire, porterait une atteinte disproportionnée à son droit effectif de contester les saisies conservatoires qui affectent ses biens depuis près de dix ans et serait contradictoire avec l’office du juge de l’exécution qui se prononce sur le fondement de l’apparence ;
l’apparence d’une créance fondée en son principe n’est pas démontrée dès lors que la demande d’exequatur de la société ABA a été rejetée en première instance et en appel ;
il n’existe aucun risque de non-recouvrement de la prétendue créance, étant donné qu’elle est une société notoirement solvable, ce dont attestent ses comptes consolidés 2020 et 2021 ;
la société ABA a pratiqué des saisies conservatoires préjudiciables, peu important, au regard de la jurisprudence constante, qu’elle n’ait commis aucune faute, et a refusé d’en donner mainlevée de manière abusive.
Par conclusions du 23 décembre 2022, la société PGEC demande à la cour de :
juger qu’elle a été inutilement attraite à la procédure ;
confirmer le jugement du 16 juin 2022 en ce qu’il a rejeté les demandes formulées à son encontre et condamné la société Enel à lui verser la somme de 3.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
condamner la société ABA à lui payer la somme de 3.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens dont distraction, pour ceux la concernant, au profit de son avocat conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
A cet effet, elle fait valoir que :
les conclusions de la société ABA ne comportent aucune demande formulée à son encontre ;
elle n’a pas contesté la demande de mainlevée formée par la société Enel devant le juge de l’exécution mais seulement les demandes tendant à ce qu’elle se libère valablement et sans délai des sommes saisies et à ce que le jugement lui soit déclaré opposable ;
les décisions françaises rejetant les demandes d’exequatur ne la concernent pas, de sorte qu’elle ne saurait être partie au litige.
MOTIFS
Sur la demande de sursis à statuer
La recevabilité de la demande de sursis à statuer n’est plus contestée à hauteur d’appel.
Sur son bien fondé, il est constant que la demande d’exequatur des décisions de justice albanaises, en vertu desquelles la société ABA a fait pratiquer les saisies conservatoires litigieuses, a été rejetée par jugement du tribunal de grande instance de Paris du 29 janvier 2018, confirmé par arrêt de la cour d’appel de Paris du 4 mai 2021, lequel a été frappé de pourvoi le 21 juin 2021 et que l’arrêt de la Cour de cassation devrait intervenir au cours du présent mois.
Cependant, l’issue définitive de la procédure d’exequatur est sans incidence sur la demande de mainlevée des saisies conservatoires litigieuses, parce que, contrairement à ce qu’a retenu le premier juge et à ce que soutient l’intimée, la caractérisation d’une créance paraissant fondée en son principe, condition nécessaire au bien fondé d’une mesure conservatoire, est sans lien avec la force exécutoire des décisions de justice en vertu desquelles les saisies conservatoires ont été pratiquées.
Il y a donc lieu de confirmer le jugement entrepris, par substitution de motifs, en ce qu’il a dit n’y avoir lieu de surseoir à statuer dans l’attente de l’issue du pourvoi en cassation frappant l’arrêt confirmant le jugement déboutant la société ABA de sa demande d’exequatur.
Sur la demande de mainlevée des saisies conservatoires
Aux termes de l’article L. 511-1 du code des procédures civiles d’exécution, toute personne dont la créance paraît fondée en son principe peut solliciter du juge l’autorisation de pratiquer une mesure conservatoire sur les biens de son débiteur, sans commandement préalable, si elle justifie de circonstances susceptibles d’en menacer le recouvrement. La mesure conservatoire prend la forme d’une saisie conservatoire ou d’une sûreté judiciaire.
– Sur l’existence d’une créance paraissant fondée en son principe
Il résulte de ces dispositions que le juge de l’exécution apprécie souverainement si la créance invoquée paraît fondée en son principe, sans avoir à rechercher l’existence d’un principe certain de créance et encore moins à établir la preuve d’une créance existante.
Certes, la société ABA a fait pratiquer les saisies conservatoires litigieuses en vertu d’un jugement du tribunal du district judiciaire de Tirana du 24 mars 2009, confirmé par arrêt rendu par la cour d’appel de Tirana le 28 avril 2010, dont la demande d’exequatur a été rejetée par le jugement du tribunal de grande instance de Paris du 29 janvier 2018, lui-même confirmé par l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 4 mai 2021.
Cependant, selon les dispositions de l’article L. 511-2 du même code, une autorisation préalable du juge n’est pas nécessaire lorsque le créancier se prévaut d’un titre exécutoire ou d’une décision de justice qui n’a pas encore force exécutoire, de sorte qu’il n’était pas nécessaire à la société ABA d’obtenir l’exequatur des décisions albanaises pour pratiquer les saisies conservatoires litigieuses sans autorisation préalable du juge de l’exécution.
Dès lors que la cour d’appel de Tirana a, par un arrêt passé en force de chose jugée pour n’avoir pas été frappé d’un recours, confirmé un jugement du tribunal de district judiciaire de Tirana condamnant notamment la société Enel à payer à la société ABA un certain nombre de sommes, dont celle de 25.188.500 euros, à titre de dommages-intérêts, en garantie de laquelle les saisies conservatoires ont été pratiquées, l’appelante est bien fondée à se prévaloir de cette créance comme paraissant fondée en son principe. Le refus de délivrance de l’exequatur du jugement du 24 mars 2009 et de l’arrêt de la cour d’appel du 28 avril 2010 n’affecte en effet que le caractère exécutoire en France de ces décisions, non pas l’existence d’une créance paraissant fondée en son principe.
– Sur les circonstances susceptibles de menacer le recouvrement de la créance alléguée
S’agissant du péril sur le recouvrement de la créance, il convient de déterminer si les craintes que l’appelante entretient à ce sujet sont légitimes, sans qu’il soit besoin de démontrer que la société Enel se trouve dans une situation financière irrémédiablement compromise.
En l’espèce, la solvabilité de la société Enel, principal producteur d’électricité italien, n’est guère contestée par l’appelante et est en outre suffisamment établie par les rapports annuels (comptes consolidés) des exercices 2020 et 2021 produits, faisant apparaître des bénéfices respectifs de 8,368 et 7,680 milliards d’euros.
Cependant, la menace pesant sur le recouvrement de la créance ne s’apprécie pas seulement au regard de l’insolvabilité du débiteur ou de l’absence de patrimoine, mais de toutes les difficultés que le créancier peut rencontrer pour recouvrer sa créance, et notamment de la résistance délibérée du débiteur, soit à reconnaître sa dette soit à mettre des obstacles à son recouvrement.
A cet égard, la société ABA fait valoir le refus de la société Enel d’exécuter les décisions albanaises, qui la contraint à agir depuis plusieurs années devant de nombreuses juridictions afin d’essayer de recouvrer sa créance, ainsi que l’insuffisance de la provision pour risques prévue au rapport annuel de la société Enel.
En réplique, la société Enel fait grief à la société ABA de n’avoir pas même tenté d’exécuter le jugement albanais du 24 mars 2009 en Italie, et rappelle que l’exercice légitime des voies de droit pour résister aux actions de l’appelante ne saurait constituer une menace sur le recouvrement de la prétendue créance dont se prévaut celle-ci.
Certes la seule contestation en justice par le débiteur de la créance litigieuse ne suffit pas à caractériser une menace sur le recouvrement de celle-ci.
C’est à tort que la société ABA se prévaut, à cet égard, de l’arrêt rendu par la cour d’appel de Rome le 7 mars 2022 (produit par l’appelante en pièce n°12) pour prétendre que cet arrêt aurait reconnu le bien fondé de sa créance et de ses demandes. En effet, cet arrêt se borne en réalité à rejeter l’appel de la société Enel contre le jugement du tribunal de Rome qui l’avait déboutée de sa demande de dommages-intérêts à l’encontre de la société ABA pour responsabilité contractuelle et/ou délictuelle.
En revanche, c’est à juste titre que la société ABA fait valoir qu’elle n’a pas tenté de recouvrer sa créance en Italie, dès lors qu’elle se serait heurtée à la sentence arbitrale de la chambre de commerce de Rome en date du 6 décembre 2000, dont elle a contesté le traitement équitable, en vain, devant les juridictions italiennes, jusqu’à ce que la Cour européenne des droits de l’homme, par arrêt du 20 mai 2021, constate le défaut d’impartialité de l’un des membres du collège arbitral, qui avait siégé au conseil d’administration de la société Enel et travaillé comme conseil pour cette société, et condamne l’Italie à son égard pour violation de l’article 6§1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme consacrant le droit à un procès équitable.
Même si l’appelante n’invoque pas cette décision de la CEDH à titre de circonstance susceptible de menacer le recouvrement de la créance retenue ci-dessus comme paraissant fondée en son principe, la cour la retient, en application des dispositions de l’article 7 alinéa 2 du code de procédure civile, comme compromettant sérieusement le recouvrement de la créance paraissant fondée en son principe résultant des décisions albanaises précitées, à tout le moins en Italie.
A cet arrêt, s’ajoute la circonstance que la provision pour risques prévue au rapport annuel de la société Enel pour l’exercice 2020 est limitée à la somme de 1.057.000 euros, alors que le jugement du 24 mars 2009 rendu par le tribunal de Tirana, confirmé par arrêt du 28 avril 2010, condamne les sociétés Enel à payer à la société ABA les sommes de 25.188.500 euros et 400 millions d’euros environ (par application du calcul du préjudice extra-contractuel pour les années 2005 à 2011), et que les saisies conservatoires présentement contestées ont été pratiquées en garantie de la somme de 25.188.500 euros. Le montant insuffisant de la provision prévue au bilan de la société Enel est significatif d’une résistance qu’opposerait manifestement celle-ci au recouvrement de la créance de la société ABA pour le cas où, à l’avenir, l’exequatur serait prononcée.
Par suite, les saisies conservatoires litigieuses constituent le seul moyen de nature à rassurer l’appelante sur la possibilité de recouvrer sa créance au cas où elle serait constatée par un titre ayant force exécutoire.
En conséquence, il y a lieu d’infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a ordonné la mainlevée des saisies conservatoires litigieuses.
Sur les demandes de dommages-intérêts
L’issue de l’appel emporte nécessairement l’infirmation du jugement entrepris en ce qu’il a condamné la société ABA à payer à la société Enel des dommages-intérêts en réparation des préjudices occasionnés par les saisies conservatoires et le débouté de la demande en dommages-intérêts complémentaires formée par la société Enel devant la cour.
Sur l’appel en tant que dirigé contre la société PEGC
Dans sa déclaration d’appel, la société ABA a intimé à la fois la société Enel et la société PEGC, alors que le premier juge avait d’ores et déjà relevé que la société PEGC, tiers saisi, avait été inutilement attraite à la procédure par la société Enel, aucune demande n’étant formulée contre elle, les demandes de « dire et juger » ne constituant pas des prétentions au sens de l’article 4 du code de procédure civile.
Dans ses conclusions récapitulatives à hauteur d’appel, l’appelante demande d’infirmer le jugement en ce qu’il l’a condamnée au paiement d’une indemnité à la société PEGC par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, alors que c’est la société Enel que le premier juge a condamné sur ce fondement à l’égard de la société PEGC, et de débouter cette dernière de sa demande, mais sans motiver aucunement pourquoi elle l’a attraite, à son tour, à hauteur de cour.
La cour constate donc que la société PEGC a été attraite inutilement à hauteur de cour, ce d’autant plus que l’appelante, qui n’avait pas été condamnée à l’indemniser de ses frais irrépétibles en première instance, n’avait aucun intérêt à le faire.
Sur les demandes accessoires
Par suite, la société ABA sera condamnée à payer à la société PEGC une indemnité de 1500 euros en compensation des frais irrépétibles d’appel, tandis que la disposition du jugement, condamnant la société Enel à payer à la société PEGC une indemnité de 3000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile, sera confirmée.
L’issue du litige commande d’infirmer le jugement entrepris quant aux dépens et à l’application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile entre la société Enel et la société ABA, de condamner la société Enel aux dépens de première instance et d’appel, ainsi qu’au paiement à la société ABA d’une indemnité de 5000 euros en compensation de l’ensemble des frais irrépétibles de première instance et d’appel.
PAR CES MOTIFS
Confirme le jugement en ce qu’il a dit n’y avoir lieu de surseoir à statuer et a condamné la société de droit italien Enel SPA à payer à la SAS Primeo Énergie Grands Comptes la somme de 3000 euros en compensation de ses frais irrépétibles de première instance ;
Infirme le jugement entrepris pour le surplus ;
Statuant à nouveau dans cette limite et y ajoutant,
Déboute la société de droit italien Enel SPA de sa demande de mainlevée des saisies conservatoires pratiquées les 19 juin 2012, 19 décembre 2012 et 11 décembre 2013 ;
Déboute la société de droit italien Enel SPA de ses demandes en dommages-intérêts ;
Condamne la société de droit italien Enel SPA à payer à la société de droit albanais Albania Beg Ambient Shpk la somme de 5000 euros en compensation de ses frais irrépétibles de première instance et d’appel, en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la société de droit albanais Albania Beg Ambient Shpk à payer à la SAS Primeo Énergie Grands Comptes la somme de 1500 euros en compensation de ses frais irrépétibles d’appel ;
Condamne la société de droit italien Enel SPA aux dépens de première instance et d’appel, qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
Le greffier, Le président,