REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 1 – Chambre 10
ARRÊT DU 17 MAI 2023
(n° , 7 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général :
N° RG 22/08462 – N° Portalis 35L7-V-B7G-CFXOD
Décision déférée à la cour :
Jugement du 01 avril 2022-Juge de l’exécution de CRÉTEIL-RG n° 21/07399
APPELANTE
Madame [T] [P]
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentée par Me Ondine SORIA de la SELARL IKOS AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : PC 243
INTIMÉ
Monsieur [S] [O]
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représenté par Me Danièle GUEHENNEUC, avocat au barreau de PARIS, toque : B0571
COMPOSITION DE LA COUR
L’affaire a été débattue le 6 avril 2023, en audience publique, devant la cour composée de :
Madame Bénédicte PRUVOST, président de chambre
Madame Catherine LEFORT, conseiller
Monsieur Raphaël TRARIEUX, conseiller
qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l’audience par Madame Catherine LEFORT, conseiller, dans les conditions prévues par l’article 804 du code de procédure civile.
GREFFIER lors des débats : Monsieur Grégoire GROSPELLIER
ARRÊT
-contradictoire
-par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
-signé par Madame Bénédicte PRUVOST, président de chambre et par Monsieur Grégoire GROSPELLIER, greffier présent lors de la mise à disposition.
PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Par jugement du 10 mai 2006, le tribunal de grande instance de Créteil a prononcé aux torts partagés le divorce de Mme [T] [P] et M. [S] [O] et a fixé à 200 euros par enfant, soit 400 euros, le montant mensuel de la part contributive à l’entretien et à l’éducation des enfants due par le père.
Le 15 février 2013, Mme [P] a mis en place une procédure de paiement direct.
Par jugement du 22 juin 2016, le juge aux affaires familiales de Pontoise a supprimé la contribution du père à l’entretien et à l’éducation de [L] à compter du 1er janvier 2013 et de [J] à compter du 15 avril 2015 et a condamné Mme [P] à restituer à M. [O] les sommes indûment perçues à ce titre ainsi qu’au paiement d’une contribution mensuelle pour l’éducation et l’entretien de [J] de 220 euros pour la période du 1er juin 2015 au 31 octobre 2015 et de 400 euros pour la période du 1er novembre 2015 au 30 juin 2016.
Par arrêt du 2 novembre 2017, dont le pourvoi a été rejeté par la Cour de cassation le 21 novembre 2018, la cour d’appel de Versailles a infirmé partiellement le jugement du 22 juin 2016, a condamné Mme [P] à restituer à M. [O] les sommes indûment perçues pour [J] à compter du 1er juillet 2015 et a fixé à 300 euros la contribution mensuelle à l’entretien et l’éducation de [J] de la mère à compter du 1er juillet 2015.
Par acte d’huissier du 15 octobre 2021, M. [O] a fait délivrer à Mme [P] un commandement aux fins de saisie-vente, en exécution de ces trois décisions.
Par acte d’huissier du 2 novembre 2021, M. [O] a fait pratiquer une saisie-attribution sur les comptes de Mme [P] détenus auprès de la Caisse d’Epargne pour avoir paiement de la somme totale de 24.890,87 euros. Cette saisie a été dénoncée à Mme [P] le 5 novembre 2021.
Par acte d’huissier du 9 novembre 2021, Mme [P] a saisi le juge de l’exécution du tribunal judiciaire de Créteil aux fins de nullité du commandement de payer du 15 octobre 2021 et de la saisie-attribution du 2 novembre 2021.
Par jugement du 1er avril 2022, le juge de l’exécution a :
rejeté la note en délibéré adressée le 15 mars 2022 par Mme [P] ;
déclaré irrecevable la contestation formée par Mme [P] de la saisie-attribution du 2 novembre 2021 ;
prononcé la nullité du commandement de payer du 15 octobre 2021 ;
débouté les parties de leur demande formée au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
condamné M. [O] aux dépens de l’instance.
Pour statuer ainsi, le juge de l’exécution a retenu que :
sur la recevabilité de la contestation de la saisie-attribution, Mme [P] ne produisait pas la preuve de la date de dépôt de la lettre, sa réception cinq jours après la date mentionnée sur le courrier ne permettant pas de s’assurer que la contestation de la saisie-attribution avait bien été dénoncée conformément aux dispositions de l’article R.211-11 du code des procédures civiles d’exécution ;
sur la demande de nullité du commandement de payer du 15 octobre 2021, M. [O] ne démontrait pas avoir régulièrement signifié l’arrêt de la cour d’appel du 2 novembre 2017 sur lequel le commandement de payer se fonde, d’autant plus que l’arrêt de la cour de cassation du 21 novembre 2018, qui lui a été signifié, n’en reprend pas le dispositif, peu important que Mme [P] en ait eu connaissance.
Par déclaration du 26 avril 2022, Mme [P] a formé appel de ce jugement.
Par jugement du 24 novembre 2022, le juge aux affaires familiales de Pontoise a supprimé la contribution à l’entretien et à l’éducation de [J] de la mère à compter du 19 juin 2018. Mme [P] a formé appel de ce jugement. L’affaire est actuellement pendante devant la cour d’appel de Versailles.
Par dernières conclusions du 9 mars 2023, Mme [P] demande à la cour de :
infirmer le jugement du 1er avril 2022 en ce qu’il a déclaré irrecevable sa contestation de la saisie-attribution du 2 novembre 2021 et débouté les parties de leurs demandes formées au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
Statuant à nouveau,
déclarer recevable et fondée sa contestation ;
constater l’absence de signification préalable des titres exécutoires mentionnés ;
constater que les créances, objet de la saisie-attribution, ne sont ni liquides, ni certaines, ni exigibles ;
déclarer nulle la saisie-attribution du 2 novembre 2021 ;
Subsidiairement,
surseoir à statuer dans l’attente de la décision du juge aux affaires familiales de Pontoise ;
En tout état de cause,
débouter M. [O] de toutes ses demandes, plus amples ou contraires ;
condamner M. [O] au paiement d’une somme de 3.200 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens ;
confirmer le jugement du 1er avril 2022, pour le surplus.
L’appelante soutient que :
la contestation de saisie-attribution par assignation du 9 novembre 2021 est recevable puisqu’elle en a effectué la dénonciation le 10 novembre 2021, ce dont attestent la lettre recommandée avec accusé de réception adressée par l’huissier ayant procédé à la signification de l’assignation à l’huissier instrumentaire, l’attestation de la Poste communiquée par note en délibéré indiquant que le recommandé a été présenté et distribué le 12 novembre 2021, l’avis de dépôt de la lettre recommandée tamponné du 10 novembre 2021 et la facture de l’huissier du 10 novembre 2021 relative à l’envoi de l’acte de dénonciation ;
le commandement de payer et la saisie-attribution sont nuls d’une part, en raison de l’absence de signification préalable de l’arrêt du 2 novembre 2017, en vertu duquel ces actes ont été délivrés, en application de l’article 503 du code de procédure civile, peu important qu’elle ait eu connaissance ou non de l’arrêt, d’autre part, d’erreurs sur le décompte des sommes réclamées qui ne correspondent pas aux sommes fixées par l’arrêt du 2 novembre 2017 et rendent la créance de M. [O] non liquide ;
subsidiairement, il doit être sursis à statuer dans l’attente de la décision de la cour d’appel de Versailles sur l’appel du jugement du juge aux affaires familiales du tribunal judiciaire de Pontoise qu’elle a saisi après avoir appris que [J] avait quitté l’école australienne qu’elle fréquentait et alors que M. [O] ne lui fournissait aucune information quant à une éventuelle poursuite d’études afin de voir supprimer rétroactivement au 1er juillet 2015 la contribution à son entretien et à son éducation, cette procédure ne se heurtant pas à l’autorité de la chose jugée, puisque des évènements postérieurs ont modifié la situation antérieurement reconnue en justice, ni au principe de l’estoppel.
Par dernières conclusions du 10 mars 2023, M. [O] demande à la cour de :
débouter Mme [P] de l’ensemble de ses demandes ;
infirmer le jugement du 1er avril 2022 en ce qu’il a prononcé la nullité du commandement de payer du 15 octobre 2021, l’a débouté de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile et l’a condamné aux dépens de l’instance ;
Statuant à nouveau,
déclarer le commandement du 15 octobre 2021 régulier et parfaitement valable ;
dans l’hypothèse où la cour déclarerait recevable la contestation par Mme [P] de la saisie-attribution, déclarer régulière et parfaitement valable la saisie-attribution du 2 novembre 2021 ;
débouter Mme [P] de sa demande tendant à voir constater que les créances, objet du commandement et de la saisie-attribution, ne seraient ni liquides, ni certaines, ni exigibles ;
déclarer ses créances, objet du commandement et de la saisie-attribution, certaines, liquides et exigibles ;
ajouter la somme de 107,60 euros à sa créance, correspondant au coût de la signification de l’arrêt de la Cour de cassation du 28 novembre 2020, omise par l’huissier dans le décompte des sommes dues ;
fixer la somme qui lui est due au 2 novembre 2021 en principal, intérêts et frais à 24.890,87 – 2.673,72 – 557,05 + 107,60 = 21.767,70 euros ;
déclarer le commandement et la saisie-attribution du 2 novembre 2021 réguliers et parfaitement valables à hauteur de la somme de 21.767,70 euros ;
condamner Mme [P] à lui payer, en application de l’article 700 du code de procédure civile, 3.000 euros pour la procédure devant le juge de l’exécution et 3.000 euros pour la procédure devant la cour d’appel et aux entiers dépens des deux procédures ;
débouter Mme [P] de toutes demandes, fins et conclusions contraires aux présentes ;
confirmer le jugement sur le surplus ;
débouter Mme [P] de sa demande de sursis à statuer dans l’attente de la décision du juge aux affaires familiales de Pontoise saisi en avril 2022, la décision ayant été rendue le 24 novembre 2022 ;
Subsidiairement, pour le cas où la cour estimerait devoir surseoir à statuer,
limiter le sursis aux seules sommes figurant au titre de la contribution à l’entretien de [J] entre le 1er novembre 2017 et le 18 juin 2018, soit 2.320,08 euros (302,95 x 7 = 2.120,65 + 302,39/30 x 18 jours = 181,43 euros) ou, si la cour prend comme point de départ le 1er octobre 2017, entre le 1er octobre 2017 et le 18 juin 2018, 2 623,03 euros (2.320,08 + 302,95) ;
valider sa créance et le commandement ainsi que la saisie-attribution pour le surplus, soit la somme de 19.447,62 euros (21.767,70 ‘ 2.320,08) ou, si la cour considère la date du 1er octobre 2017, la somme de 19.144,67 euros (19.447,62 ‘ 302,95) ;
condamner Mme [P] à lui payer, en application de l’article 700 du code de procédure civile, 3.000 euros pour la procédure devant le juge de l’exécution et 3.000 euros pour la procédure devant la cour d’appel et aux entiers dépens des deux procédures ;
débouter Mme [P] de toutes demandes fins et conclusions contraires aux présentes.
L’intimé fait valoir que :
la contestation de saisie-attribution est irrecevable puisque Mme [P] n’apporte pas la preuve de ce qu’elle en a effectué la dénonciation le 10 novembre 2021, la note en délibéré étant irrecevable et violant le principe du contradictoire et la copie de la lettre destinée à l’huissier instrumentaire étant insuffisante pour justifier de la date de la dénonciation ;
la saisie-attribution et le commandement de payer sont réguliers puisque le jugement du juge aux affaires familiales du 22 juin 2016 et l’arrêt de la Cour de cassation du 21 novembre 2018, qui a validé l’arrêt de la cour d’appel de Versailles du 2 novembre 2017, ont été signifiés à Mme [P], que l’article 503 du code de procédure civile n’exige pas que les actes indiquent les dates de signification, que Mme [P], qui connaît ces décisions, ne justifie d’aucun grief, et que la nullité du commandement de payer ne saurait entraîner celle de la saisie-attribution ;
le décompte de l’huissier comporte une erreur relative au point de départ de la restitution du trop-versé pour [J], à savoir le 1er juillet 2015 et non le 15 avril 2015, qui ne saurait entraîner la nullité du commandement de payer et de la saisie-attribution (-557,05 euros), ne prend pas en compte un versement de Mme [P] (-2.673,72 euros) et omet le coût de la signification de l’arrêt de la Cour de cassation du 28 novembre 2020 (+107,60 euros), mais les autres contestations de Mme [P] sur les montants sont injustifiés ;
la nouvelle procédure initiée par Mme [P] devant le juge aux affaires familiales est irrecevable comme se heurtant à l’autorité de la chose jugée et au principe de l’estoppel tandis que sa demande de sursis à statuer est dilatoire puisque la fin de la scolarité de [J] est connue de Mme [P] depuis 2017 et doit, en tout état de cause, être limitée aux seules sommes contestées.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la recevabilité de la contestation de la saisie-attribution
Il résulte de l’article R.211-11 du code des procédures civiles d’exécution que les contestations relatives à la saisie-attribution sont, à peine d’irrecevabilité, dénoncées le jour même de l’assignation, ou, au plus tard, le premier jour ouvrable suivant, par lettre recommandée avec accusé de réception, à l’huissier de justice qui a procédé à la saisie.
En l’espèce, il ressort du jugement du juge de l’exécution que Mme [P] avait communiqué la lettre recommandée de son huissier de justice, datée du 10 novembre 2021, dénonçant l’assignation devant le juge de l’exécution à l’huissier instrumentaire, ainsi que l’accusé de réception tamponné du 15 novembre 2021.
Le premier juge a estimé qu’en l’absence de production de l’avis de dépôt, Mme [P] n’apportait pas la preuve de la date du dépôt de la lettre. Il a retenu à juste titre que la réception de cette lettre cinq jours après la date du courrier ne permettait pas de s’assurer que la contestation de la saisie-attribution avait bien été dénoncée le jour même ou, au plus tard, le premier jour ouvrable suivant, à l’huissier instrumentaire.
Toutefois, à hauteur d’appel, Mme [P] produit la preuve de dépôt tamponnée par les services de la Poste le 10 novembre 2021, soit le même jour que la délivrance de l’assignation.
Mme [P] apportant la preuve, devant la cour, que sa contestation de la saisie-attribution a bien été dénoncée à l’huissier instrumentaire dans les délais prescrits par l’article R.211-11 du code des procédures civiles d’exécution, il convient d’infirmer le jugement en ce qu’il a déclaré irrecevable la contestation de la saisie-attribution et de la déclarer recevable.
Sur la nullité du commandement et de la saisie-attribution
Aux termes de l’article 503 alinéa 1er du code de procédure civile, les jugements ne peuvent être exécutés contre ceux auxquels ils sont opposés qu’après leur avoir été notifiés, à moins que l’exécution n’en soit volontaire.
La preuve de cette notification appartient au créancier, peu important que le débiteur ne conteste pas avoir eu connaissance du jugement mis à exécution, prononcé contradictoirement, et dont il avait interjeté appel (2e civ., 20 mai 2021, pourvoi n°19-21.994), ou que le débiteur ait lui-même fait procéder à la signification de cette décision au créancier (2e civ., 4 juin 2020, pourvoi n°18-18.385). En outre, l’exécution forcée des condamnations résultant d’un jugement, confirmées en appel, est subordonnée à la signification de l’arrêt et du jugement (Cass, 2e civ, 30 juin 2022, n°21-10.229).
En l’espèce, il est constant que le jugement du 22 juin 2016 et l’arrêt de la Cour de cassation en date du 21 novembre 2018, rejetant le pourvoi formé contre l’arrêt du 2 novembre 2017, ont été signifiés à Mme [P] par M. [O] préalablement à la délivrance du commandement de payer aux fins de saisie-vente du 15 octobre 2021 et à la saisie-attribution du 2 novembre 2021. En revanche, il n’est pas contesté que l’arrêt de la cour d’appel de Versailles du 2 novembre 2017, qui a infirmé partiellement le jugement du 22 juin 2016 et dont le pourvoi a été rejeté par la Cour de cassation, n’a été signifié à Mme [P] que le 4 juillet 2022, soit postérieurement aux actes d’exécution contestés, et même postérieurement au jugement du juge de l’exécution.
A défaut de justifier d’une signification de cette décision préalablement à toute mise à exécution, M. [O] encourt la nullité du commandement et de la saisie-attribution litigieux en application de l’article 503 alinéa 1er du code de procédure civile, sans que Mme [P] n’ait à justifier d’un grief.
Il convient dès lors de confirmer le jugement en ce qu’il a annulé le commandement de payer aux fins de saisie-vente et d’annuler la saisie-attribution du 2 novembre 2021.
Sur les demandes accessoires
Au vu de la présente décision, il convient de confirmer la condamnation de M. [O] aux dépens, et de le condamner aux dépens d’appel.
L’équité commande de laisser à chaque partie la charge de ses frais irrépétibles. La demande de Mme [P] fondée sur l’article 700 du code de procédure civile sera donc rejetée.
PAR CES MOTIFS,
La Cour,
INFIRME le jugement rendu le 1er avril 2022 par le juge de l’exécution du tribunal judiciaire de Créteil en ce qu’il a déclaré irrecevable la contestation formée par Mme [T] [P] contre la saisie-attribution du 2 novembre 2021,
Statuant à nouveau sur ce seul chef,
DÉCLARE recevable la contestation de la saisie-attribution formée par Mme [T] [P],
CONFIRME le jugement pour le surplus,
Y ajoutant,
ANNULE la saisie-attribution pratiquée le 2 novembre 2021 entre les mains de la Caisse d’Epargne par M. [S] [O] à l’encontre de Mme [T] [P],
DÉBOUTE Mme [T] [P] de sa demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE M. [S] [O] aux entiers dépens d’appel.
Le greffier, Le président,