N° RG 22/06759 – N° Portalis DBVX-V-B7G-ORSD
Décision du Juge de l’exécution du TJ de LYON
du 27 septembre 2022
RG : 22/04463
S.A.S. AUXEY
C/
S.A.S. EHG
S.E.L.A.R.L. AJ MEYNET & ASSOCIÉS
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE LYON
6ème Chambre
ARRET DU 17 Mai 2023
APPELANTE :
S.A.S. AUXEY
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représentée par Me Caroline CERVEAU-COLLIARD de la SELARL C3LEX, avocat au barreau de LYON, toque : 205
assistée de Me Juliette BARRE, avocat au barreau de PARIS
INTIMEES :
S.A.S. EHG
[Adresse 3]
[Localité 6]
Représentée par Me Baptiste BERARD de la SELARL BERARD – CALLIES ET ASSOCIES, avocat au barreau de LYON, toque : 428
assité de Me Renaud THOMINETTE de RENAULT THOMINETTE VIGNAUD & REEVE (AARPI), avocat au barreau de PARIS
S.E.L.A.R.L. AJ MEYNET & ASSOCIÉS, en qualité de commissaire à l’exécution du plan de la S.A.S. EHG
[Adresse 1]
[Localité 5]
défaillante
* * * * * *
Date de clôture de l’instruction : 28 Mars 2023
Date des plaidoiries tenues en audience publique : 04 Avril 2023
Date de mise à disposition : 17 Mai 2023
Composition de la Cour lors des débats et du délibéré :
– Dominique BOISSELET, président
– Evelyne ALLAIS, conseiller
– Stéphanie ROBIN, conseiller
assistés pendant les débats de Fabienne BEZAULT-CACAUT, greffier
A l’audience, un membre de la cour a fait le rapport, conformément à l’article 804 du code de procédure civile.
Arrêt réputé contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d’appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile.
Signé par Dominique BOISSELET, président, et par Fabienne BEZAULT-CACAUT, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
* * * *
Faits, procédure et demandes des parties
Par contrat conclu le 28 mars 2020, la société Auxey a vendu à la société BIFP 4 000 000 de masques de type 2 R pour un montant de 1.520.000 euros, payable d’avance et en deux fractions.
Seule la première fraction a été réglée.
Par jugement du 13 avril 2021 du tribunal de commerce de Lyon, la société BIFP a notamment été condamnée à payer la seconde fraction du prix, soit la somme de 1.064.000 euros, avec exécution provisoire.
Ce jugement a été signifié le 21 avril 2021 à la BIFP.
Cette dernière a interjeté appel du jugement précité et l’audience est fixée pour plaidoiries devant la 3ème chambre de la cour d’appel de Lyon le 4 septembre 2024.
La société BIFP a parallèlement saisi le juge de l’exécution du tribunal judiciaire d’Albertville d’une demande principale de délai de paiement de 24 mois, et subsidiairement d’un échelonnement de sa dette sur 24 mois, précisant qu’elle devait percevoir des sommes de la société EHG et plus particulièrement :
– au titre de l’exercice 2020 la somme de 2.190.394 euros,
– au titre de l’exercice 2021 la somme de 2.391.414,20 euros, en règlement du prix de vente de marchandises dont le règlement devait intervenir, nonobstant le plan de continuation au bénéfice de la société EHG, cette dette ayant été conclue dans le cadre du plan de continuation de la société EHG.
Par jugement du 16 novembre 2021, le juge de l’exécution du tribunal d’Albertville a débouté la société BIFP de l’ensemble de ses demandes.
Par acte d’huissier du 12 octobre 2021, la société Auxey a fait pratiquer une saisie attribution à exécution successive entre les mains de la société EHG, tiers débiteur, à hauteur de 1.082.577,37 euros.
Cette saisie attribution a été dénoncée à la société BIFP le 20 octobre 2021.
Après une mise en demeure de régler les sommes dues en application de l’article R 211-9 du code des procédures civiles d’exécution, le conseil de la société EHG a indiqué, par courrier du 11 janvier 2022 à l’huissier, que le règlement des sommes dues à la société BIFP dépendait de la perception par la société EHG des fonds alloués par l’Etat dans le cadre de l’attribution de l’aide ‘coûts fixes’ et ce, compte tenu des difficultés de commercialisation des produits cédés à EHG par BIFP.
Or, cette condition n’étant pas réalisée, la dette envers la société BIFP n’était pas encore exigible.
Par acte d’huissier du 3 mai 2022, la société Auxey a fait assigner la société EHG, aux fins de délivrance d’un titre exécutoire à l’encontre de la société EHG, tiers saisi.
La société EHG a demandé un sursis à statuer, dans l’attente de la décision de la cour d’appel de Lyon, et à titre subsidiaire a contesté le caractère immédiatement exigible de ses dettes à l’égard de la société BIFP.
Par jugement du 27 septembre 2022, le juge de l’exécution du tribunal judiciaire de Lyon a :
– débouté les parties de leurs demandes,
– condamné la SAS Auxey à payer à la SAS EHG la somme de 1.200 euros, au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamné la SAS Auxey aux dépens de l’instance,
– rappelé que la présente décision est exécutoire de droit par provision.
Par déclaration du 10 octobre 2022 la SAS Auxey a interjeté appel du jugement précité.
Par des dernières conclusions régulièrement notifiées par voie électronique le 16 janvier 2023, elle demande à la Cour :
– d’infirmer le jugement du juge de l’exécution du tribunal judiciaire de Lyon du 27 septembre 2022, en ce qu’il l’a débouté de ses demandes,
et statuant à nouveau,
– de juger que la société EHG est débitrice de la société Auxey
– de condamner la société EHG à payer la somme de 1.064.000 euros en principal à la société Auxey,
– de condamner la société EHG à verser à la société Auxey la somme de 5.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner la société EHG aux dépens.
Elle fait valoir que :
– le premier juge n’a pas tiré les conséquences de ses constatations,
– la créance de l’exercice 2021, étant postérieure à l’ouverture du plan de redressement, les dispositions du plan ne s’appliquent pas. La dette de la société EHG résulte ainsi du contrat de vente signé le 31 mai 2021 entre BIFP et EHG, qui prévoit le règlement de la somme au plus tard le 31 décembre 2021, de sorte que la créance est certaine, liquide, exigible mais également échue,
Ainsi, la société EHG ne justifie pas de l’état des stocks vendus, alors qu’une justification mensuelle est prévue dans le contrat, de sorte que les conditions du report de la dette ne sont pas remplies.
En outre, la société EHG a reconnu avoir vendu une partie du stock et le contrat prévoyait que le paiement du prix devait s’effectuer au fur et à mesure de la revente de ces stocks, dès lors EHG a forcément payé une partie du prix à la société BIFP à hauteur des stocks vendus.
La société a également perçu une partie des aides étatiques pour un montant total de 600.000 euros, de sorte que la créance au titre de l’année 2021 est exigible.
– la société EHG ne respecte pas son obligation légale d’information, en qualité de tiers saisi et elle doit être condamnée à lui payer la somme de 1.064.000 euros.
Par des conclusions régulièrement notifiées par voie électronique le 8 décembre 2022, la société EHG demande à la cour de :
à titre principal
– confirmer le jugement du juge de l’exécution du tribunal judiciaire de Lyon rendu le 27 septembre 2022,
à titre subsidiaire,
– juger que la société EHG se libèrera entre les mains de la société Auxey à concurrence des sommes dues envers la société BIFP conformément aux termes du contrat de partenariat du 31 mai 2021, et ce dans la limite de la somme totale de 1.081.409,06 euros,
et en tout état de cause,
– condamner la société Auxey à verser à la société EHG la somme de 5.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens de la procédure.
A l’appui de ses demandes, elle soutient que :
– la créance invoquée n’est pas susceptible de donner lieu à un paiement immédiat et intégral au bénéfice de la société Auxey, et ce en application de l’article 2 du contrat de partenariat.
En effet, la dette n’est pas immédiatement payable à BIFP et donc à Auxey par le biais de la saisie attribution, puisqu’elle n’a pas vendu l’ensemble des stocks Covid et n’a pas obtenu l’ensemble des aides Covid demandées, un recours gracieux étant en cours à ce titre devant le tribunal administratif.
– l’argumentation de la société Auxey, relative à l’absence de justificatifs des stocks vendus et à la perception d’aides sur une période, est inopérante.
MOTIFS DE LA DECISION
– Sur la demande de condamnation de la société EHG aux causes de la saisie
En application de l’article L 211-3 du code des procédures civiles d’exécution, le tiers saisi est tenu de déclarer au créancier l’étendue de ses obligations à l’égard du débiteur, ainsi que les modalités qui pourraient les affecter et s’il y a lieu, les cessions de créances, délégations ou saisies antérieures.
L’article R 211-4 du code des procédures civiles d’exécution prévoit que le tiers saisi est tenu de fournir sur le champ à l’huissier de justice les renseignements prévus à l’article L 211-3 et de lui communiquer les pièces justificatives.
L’article R 211-5 du code des procédures civiles d’exécution dispose que le tiers saisi qui, sans motif légitime, ne fournit pas les renseignements prévus est condamné à la demande du créancier à payer les sommes dues à ce dernier, sans préjudice de son recours contre le débiteur et qu’il peut être condamné à des dommages et intérêts, en cas de négligence fautive ou de déclaration inexacte ou mensongère.
En l’espèce, si les fondements juridiques des demandes ne sont pas précisés dans les conclusions de la société Auxey, il est cependant expressément évoqué le non respect de l’obligation légale d’information du tiers saisi, ce qui fait référence à l’article R 211-5 du code des procédures civiles d’exécution.
Il convient donc de déterminer si la société EHG a manqué à son obligation de déclaration de l’étendue de ses obligations, et si tel est le cas, elle ne peut cependant être tenue au paiement des causes de la saisie, que s’il est démontré qu’elle avait, lors de la saisie, une dette à l’égard de la société BIFP, et par là même que cette dernière était donc créancière à son égard.
Il appartient au créancier, qui a fait pratiquer une saisie attribution d’établir que le débiteur est créancier du tiers saisi, comme l’a rappelé la deuxième chambre civile de la Cour de Cassation dans un arrêt du 10 février 2011.
En l’espèce, il convient de relever préalablement qu’aux termes de ses dernières conclusions, la société Auxey n’invoque désormais plus que la créance de la société BIFP au titre de l’exercice 2021.
Il ne fait pas débat que celle-ci est postérieure au plan de redressement et que les dispositions du contrat ont vocation à s’appliquer.
– Sur l’obligation d’information :
En application des articles L 211-3 et R 211-4 du code des procédures civiles d’exécution précités, le tiers saisi est tenu de déclarer au créancier l’étendue de ses obligations à l’égard du débiteur, ainsi que les modalités qui pourraient les affecter et s’il y a lieu, les cessions de créances, délégations ou saisies antérieures. Le tiers saisi est tenu de fournir sur le champ à l’huissier de justice les renseignements prévus à l’article L 211-3 et de lui communiquer les pièces justificatives.
En l’espèce, la société EHG a, lors de la saisie attribution à exécution successive du 12 octobre 2021 répondu à l’huissier de justice qu’elle prenait acte de la saisie attribution, ne pouvait en l’état répondre et donnerait une réponse dans les 48 heures, ce qu’elle n’a pas fait.
Le courrier de l’avocat de la société EHG du 11 janvier 2022 mentionne que ‘le règlement des sommes dues à la société BIFP dépend de la perception par la société EHG des fonds alloués par l’Etat dans le cadre de l’attribution de l’aide ‘coûts fixes’ et ce, compte tenu des difficultés de commercialisation des produits cédés à EHG par BIFP. Cette aide n’ayant pas encore été perçue, la condition n’est pas réalisée et sa dette envers la société BIFP n’est pas encore exigible’.
Il ressort tout d’abord de ces éléments que cette information, en tout état de cause, trois mois après la saisie attribution à exécution successive, est tardive et n’a pas été effectuée sur le champ, contrairement à l’exigence prévue par les textes.
En outre, aucun justificatif n’est transmis, de sorte que l’obligation d’information du tiers saisi n’a pas été respectée, aucun motif légitime à ce défaut d’information n’étant démontré.
– Sur l’existence d’une dette
Si l’article R 211-5 du code des procédures civiles d’exécution prévoit que le tiers saisi, qui sans motif légitime ne fournit pas les renseignements prévus peut être condamné à payer les sommes dues à ce dernier sans préjudice de son recours contre le débiteur, la condamnation aux causes de la saisie n’est cependant pas encourue, si le tiers n’est tenu à aucune obligation envers le débiteur au jour de la saisie.
L’article R 211-9 du même code dispose quant à lui qu’en cas de refus de paiement par le tiers saisi des sommes qu’il a reconnues devoir ou dont il a été jugé débiteur, la contestation est portée devant le juge de l’exécution qui peut délivrer un titre exécutoire contre le tiers saisi.
Il est en effet fait référence au défaut de paiement de la société EHG et à la demande de la juger débitrice de la société Auxey, ces demandes relevant donc de l’article R 211-9 précité.
Cet article impose que le tiers saisi soit reconnu débiteur, ou que la dette ne soit pas contestable et qu’il soit jugé comme débiteur.
En l’espèce, la société EHG oppose comme moyen de défense qu’elle n’était pas débitrice au jour de la saisie, puisque la dette n’était pas exigible, soulignant que les conditions du contrat relatives au paiement ne sont pas réunies.
Il convient donc de se référer aux dispositions du contrat liant cette dernière et la société BIFP.
En effet, si une procédure de redressement judiciaire a été ordonnée le 29 septembre 2020 au profit de la société BIFP, la créance de cette dernière invoquée est datée de 2021, soit postérieurement au jugement prononçant l’ouverture de la procédure de redressement judiciaire.
L’article 2 du contrat de partenariat du 31 mai 2021, aux termes duquel la société EHG s’engage à acquérir l’ensemble du stock des produits Covid listés en annexe, pour la somme de 2.391.414,20 euros hors taxes, prévoit que le règlement du prix s’effectuera au fur et à mesure de la revente de ces stocks. A ce titre, le partenaire adressera tous les mois une situation des stocks vendus et règlera à 60 jours le montant correspondant à la société.
Le règlement du solde dû au titre de la facture Covid annexée au présent contrat devra intervenir au plus tard le 31 décembre 2021.
Toutefois, si le partenaire ne parvient pas à vendre le ‘stock covid’ avant le 31 décembre 2021, la société s’engage à ne pas entamer de procédure juridique et ne pas facturer des pénalités ou intérêts de retard, avant l’obtention par le partenaire de l’ensemble des aides COVID demandées (coûts fixes et EBE sur la période de janvier 2021 à juin 2021).
En l’espèce, il convient tout d’abord de relever que la saisie attribution entre les mains du tiers est datée du 12 octobre 2021. Ensuite, la société EHG n’a pas vendu l’intégralité des stocks Covid au 31 décembre 2021, et il importe peu qu’elle ne justifie pas de la situation des stocks vendus mensuellement, cet élément ne constituant pas une cause de déchéance du terme de la créance et étant donc sans incidence, dans la mesure où l’intégralité du stock n’a pas été vendue, ce qui conditionne l’application du dernier paragraphe de l’article 2 du contrat.
Ainsi, le contrat prévoit que la somme ne peut être réclamée par BIFP, avant l’obtention par la société EHG de l’ensemble des aides COVID demandées (coûts fixes et EBE sur la période de janvier à juin 2021). A cet égard, la période retenue est de cinq mois, et la société Auxey ne peut valablement prétendre que la créance serait échue et exigible, puisque des aides importantes ont été obtenues en décembre 2020, janvier et février 2021, les aides visées ne correspondant pas à l’intégralité des aides prévues par l’article 2 du contrat précité.
En outre, la société EHG justifie être éligible au fonds de solidarité institué par l’ordonnance n°2020-317 du 25 mars 2020 et par le décret n°2020-371 du 30 mars 2020 et avoir sollicité l’allocation de l’aide EBE Coûts fixes’
Elle a en outre formé un recours pour excès de pouvoir devant le tribunal administratif de Grenoble des décisions de refus de l’administration fiscale pour les mois de mars, avril et mai 2021, recours pendant devant la juridiction administrative.
Dès lors, compte tenu de cette procédure encore en cours, la société EHG n’a pas obtenu l’ensemble des aides COVID demandées sur la période prévue par l’article 2 du contrat précité.
Ce faisant, la dette de la société EHG auprès de BIFP n’est pas exigible par cette dernière et EHG n’est donc en conséquence pas tenue à une obligation de paiement à l’égard de la SAS Auxey. Elle ne peut donc être tenue aux causes de la saisie ou au paiement de la créance.
C’est ainsi à bon droit que le juge de l’exécution a rejeté la demande de la SAS Auxey, le jugement attaqué étant confirmé sur ce point.
II/ Sur les demandes accessoires
Il convient de confirmer les dispositions relatives aux dépens et à l’article 700 du code de procédure civile, le premier juge ayant fait une juste appréciation.
La SAS Auxey succombant en appel, elle supportera les dépens d’appel.
Enfin, l’équité commande de condamner la SAS Auxey à payer à la SAS EHG la somme de 2.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions soumises à la cour,
Y ajoutant,
Condamne la SAS Auxey aux dépens de la procédure d’appel,
Condamne la SAS Auxey à payer à la SAS EHG la somme de 2.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
LE GREFFIER LE PRESIDENT