16/05/2023
ARRÊT N°312/2023
N° RG 22/02471 – N° Portalis DBVI-V-B7G-O3YB
EV/IA
Décision déférée du 11 Mai 2022 – Juge de l’exécution de TOULOUSE ( 22/00977)
S.SELOSSE
[B] [M], VEUVE [E]
C/
S.A. PATRIMOINE LANGUEDOCIENNE D’HLM
CONFIRMATION
Grosse délivrée
le
à
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
***
COUR D’APPEL DE TOULOUSE
3ème chambre
***
ARRÊT DU SEIZE MAI DEUX MILLE VINGT TROIS
***
APPELANTE
Madame [B] [M], veuve [E]
[Adresse 4]
[Localité 2]
Représentée par Me Doro GUEYE, avocat au barreau de TOULOUSE
(bénéficie d’une aide juridictionnelle Totale numéro 31555.2022.010303 du 11/07/2022 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de TOULOUSE)
INTIMÉE
S.A. PATRIMOINE LANGUEDOCIENNE D’HLM agissant poursuites et diligences en la personne de son président directeur général domicilié en cette qualité au siège social de la société.
[Adresse 3]
[Localité 1]
Représentée par Me Nicolas LARRAT de la SCP LARRAT, avocat au barreau de TOULOUSE
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 805 et 907 du Code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 03 Avril 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant E.VET, Conseiller, chargé du rapport. Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
C. BENEIX-BACHER, président
E.VET, conseiller
A. MAFFRE, conseiller
Greffier, lors des débats : I. ANGER
ARRET :
– CONTRADICTOIRE
– prononcé publiquement par mise à disposition au greffe après avis aux parties
– signé par C. BENEIX-BACHER, président, et par I. ANGER, greffier de chambre
Par acte du 26 février 2017, la SA Patrimoine Languedocienne a donné à bail à Mme [B] [E] un appartement situé [Adresse 4].
Par ordonnance du 26 novembre 2019, le juge des référés de Toulouse a :
‘ constaté le jeu de la clause résolutoire à compter du 27 juin 2019,
‘ condamné Mme [E] à payer à la SA Patrimoine Languedocienne la somme de 912,68 € à titre provisionnel,
‘ autorisé Mme [E] à payer la somme de 912,68 € par mensualités de 20 € à compter du 15 du mois suivant la signification de l’ordonnance en plus du loyer et des charges,
‘ dit que les effets de la clause résolutoire seraient suspendus pendant ce délai et que le bail ne sera pas résilié si Mme [E] respectait les modalités de paiement.
Le 1er février 2022, la SA Patrimoine Languedocienne a fait signifier un commandement de quitter les lieux à Mme [E].
Par acte du 23 février 2022, Mme [E] a fait assigner la SA Patrimoine Languedocienne devant le juge de l’exécution de Toulouse aux fins de voir prononcer la nullité du commandement signifié le 1er février 2022 et subsidiairement de lui accorder un délai pour régulariser sa dette.
Par jugement du 11 mai 2022, le juge de l’exécution de Toulouse a :
‘ déclaré le commandement de quitter les lieux régulier,
‘ débouté Mme [E] de l’ensemble de ses demandes,
‘ débouté les parties de leurs demandes de dommages-intérêts,
‘ dit n’y avoir lieu à condamnation en application de l’article 700 du code de procédure civile,
‘ condamné Mme [E] aux dépens,
‘ rappelé que la décision est exécutoire de droit.
Par déclaration du 30 juin 2022, Mme [E] a formé appel de la décision en toutes ces dispositions, exceptée celle relative à l’exécution provisoire.
Par dernières conclusions du 23 août 2022, Mme [E] demande à la cour de:
‘ infirmer le jugement dans toutes ses dispositions,
‘ débouter la SA HLM Patrimoine Languedocienne de l’intégralité de ses demandes et prétentions,
‘ faire droit à toutes les demandes de Mme [E], notamment la demande de délai pour régler les dettes locatives,
‘ constater que le commandement de quitter les lieux, est abusif et sans objet,
‘ constater que Mme [E] n’aucun loyer de retard,
‘ dire que le contrat de bail de Mme [E] est toujours valable ,
‘ mettre fin à la procédure d’expulsion et que Mme [E] continuera d’occuper le logement loué,
‘ accorder un délai de 36 mois à Mme [E], pour quitter les lieux au cas échéant,
‘ condamner la société Patrimoine Languedocienne d’HLM à régler la somme de :
– 5 000 € pour préjudice de jouissance ,
– 8 000 € à Mme [E] pour procédure d’expulsion abusive et préjudice moral,
– 2.500 € au profit de l’avocat susvisé sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile, combiné avec l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991,
‘ constater l’état d’impécuniosité de Mme [M] veuve [E] et que les dépens de la présente instance, resteront à la charge de la SA Patrimoine Languedocienne.
Par dernières conclusions du 21 mars 2023, la SA Patrimoine Languedocienne demande à la cour de :
‘ confirmer le jugement rendu par le juge de l’exécution du Tribunal judiciaire de Toulouse ;
‘ débouter en conséquence Mme [B] [E] de l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions ;
‘ condamner Mme [B] [E] au paiement d’une somme de 700 € au titre des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile ainsi qu’à l’intégralité des dépens de la présente procédure.
La clôture de l’instruction est intervenue le 27 mars 2023.
La cour, pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des demandes et moyens des parties, fera expressément référence au jugement entrepris ainsi qu’aux dernières conclusions déposées.
MOTIFS
Sur le commandement de quitter les lieux :
Mme [E] affirme avoir toujours respecté le règlement de la dette locative et que la CAF a versé au bailleur une somme couvrant sa dette. Elle explique avoir décidé de ne pas payer la somme réclamée, pensant que le versement de la CAF avait apuré le solde. Elle considère que le montant de 316,21 € n’est pas justifié en ce qu’il correspond à des frais d’huissier alors que l’affaire concernant l’expulsion locative est toujours en cours.
De plus, s’agissant d’un logement social elle rappelle qu’il peut être recouru au protocole de cohésion sociale pour une durée de trois ans alors que le bailleur ne lui a pas proposé de relogement correspondant à ses besoins et à ses possibilités.
La bailleresse soutient que Mme [E] a, à plusieurs reprises, manqué aux obligations découlant de l’ordonnance de référé et que la retenue des aides versées par la CAF résulte de sa propre défaillance puisque le versement de l’aide est subordonné à l’exécution par le locataire de son obligation de paiement. Elle relève qu’au 1er février 2022 le compte de la locataire était débiteur d’une somme supérieure à 1000 € et que ce n’est qu’après avoir été destinataire du commandement de quitter les lieux qu’elle a régularisé sa situation ce qui établit sa mauvaise foi puisqu’elle aurait pu régler avant. Elle souligne que la dette de la locataire s’est reconstituée à hauteur de 316,21 € postérieurement, montant ne correspondant pas à des frais de procédure et que la locataire n’a pas effectué le moindre versement depuis avril 2022 portant la dette à 6446,95 € selon décompte arrêté au 28 février 2023.
L’article L 411-1 du code des procédures civiles d’exécution dispose : «Sauf disposition spéciale, l’expulsion d’un immeuble ou d’un lieu habité ne peut être poursuivie qu’en vertu d’une décision de justice ou d’un procès-verbal de conciliation exécutoire et après signification d’un commandement d’avoir à libérer les locaux.».
L’article L 412-1 du même code précise : «Si l’expulsion porte sur un lieu habité par la personne expulsée ou par tout occupant de son chef, elle ne peut avoir lieu qu’à l’expiration d’un délai de deux mois qui suit le commandement, sans préjudice des dispositions des articles L. 412-3 à L. 412-7.».
L’ordonnance de référé du 26 novembre 2019 a constaté l’acquisition de la clause résolutoire, a condamné Mme [E] à verser à la SA Patrimoine Languedocienne 912,68 € au titre de son arriéré au 30 septembre 2019 et l’a autorisée à apurer son retard par mensualités de 20 € en plus du loyer courant, le jeu de la clause résolutoire étant suspendu sous réserve du respect par Mme [E] des modalités de paiement de sa dette.
Or, il résulte de l’historique de compte produit par la bailleresse que Mme [E], qui ne justifie pas que des versements qu’elle aurait effectués n’ont pas été pris en considération par la bailleresse, n’a pas respecté les modalités de paiement prévues par l’ordonnance.
En effet, il résulte des avis d’échéance produits par la locataire que le solde restant dû au titre du loyer s’élevait mensuellement à 228 €. Or, l’historique de compte fait apparaître un solde de 1046,28 € en avril 2021 (alors que l’APL était versée) pour monter jusqu’à 2093,79 € en septembre 2021. Le jeu de la clause résolutoire a donc repris son plein effet pendant le délai qui avait été octroyé à la locataire pour apurer sa dette.
Le 1er février 2022, lorsque le commandement contesté a été délivré, le solde dû s’élevait à 1092,75 €. Dès lors, Mme [E] ne peut prétendre qu’elle n’était pas redevable des sommes réclamées alors qu’au surplus ce manquement à son obligation de paiement du solde restant dû entraînait l’arrêt du versement de l’APL. Enfin, il ne peut être reproché à la bailleresse d’avoir inclus les frais d’huissier afférents à la procédure de référé alors qu’elle avait été condamnée aux dépens en ce compris le coût du commandement de payer, et qu’elle ne bénéficiait pas de l’aide juridictionnelle totale. En tout état de cause, le débit figurant à l’historique de compte est très largement supérieur au montant imputé au titre des frais.
Enfin, Mme [E] invoque les dispositions de l’article L 442-4-1 du code de la construction et de l’habitation pour faire valoir que la bailleresse a manqué à son obligation de relogement.
Cependant, outre que l’offre de relogement prévue par ce texte tel que repris dans les conclusions de la locataire, ne constitue nullement une obligation pour le bailleur elle concerne la situation du locataire qui ne respecte pas son obligation d’user paisiblement des locaux loués suivant la destination alors qu’en l’espèce il est reproché à la locataire de ne pas régler son loyer.
Au regard de l’ensemble de ces éléments, les demandes de voir déclarer le commandement de quitter les lieux abusif et sans objet et de dire que le contrat de bail est toujours valable doivent être rejetées.
Sur la demande de délai à la mesure d’expulsion et de paiement:
L’article L. 412-3 du code des procédures civiles d’exécution dispose : « Le juge peut accorder des délais renouvelables aux occupants de lieux habités ou de locaux à usage professionnel, dont l’expulsion a été ordonnée judiciairement, chaque fois que le relogement des intéressés ne peut avoir lieu dans des conditions normales, sans que ces occupants aient à justifier d’un titre à l’origine de l’occupation.
Le juge qui ordonne l’expulsion peut accorder les mêmes délais, dans les mêmes conditions.».
L. 412-4 du même code dispose : « La durée des délais prévus à l’article L. 412-3 ne peut, en aucun cas, être inférieure à trois mois ni supérieure à trois ans. Pour la fixation de ces délais, il est tenu compte de la bonne ou mauvaise volonté manifestée par l’occupant dans l’exécution de ses obligations, des situations respectives du propriétaire et de l’occupant, notamment en ce qui concerne l’âge, l’état de santé, la qualité de sinistré par faits de guerre, la situation de famille ou de fortune de chacun d’eux, les circonstances atmosphériques, ainsi que des diligences que l’occupant justifie avoir faites en vue de son relogement. Il est également tenu compte du droit à un logement décent et indépendant, des délais liés aux recours engagés selon les modalités prévues aux articles L. 441-2-3 et L. 441-2-3-1 du code de la construction et de l’habitation et du délai prévisible de relogement des intéressés. ».
Lorsque l’expulsion est la seule mesure de nature à permettre au propriétaire de recouvrer la plénitude de son droit sur le bien occupé illicitement, l’ingérence qui en résulte dans le droit au respect du domicile de l’occupant, protégé par l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ne saurait être disproportionnée eu égard à la gravité de l’atteinte portée au droit de propriété.
Et pour octroyer des délais, il appartient au juge de respecter un juste équilibre en veillant à ce que l’atteinte au droit du propriétaire soit proportionnée et justifiée par la sauvegarde des droits de l’occupant, dès lors que ces derniers apparaissent légitimes.
En l’espèce, il résulte de l’historique de compte que Mme [E] n’a pas respecté les délais qui lui ont été octroyés par l’ordonnance de référé et que la clause résolutoire a donc joué.
S’il n’est pas contesté que la dette locative a été réglée suite au commandement de quitter les lieux du 1er février 2022, l’historique complet produit par la bailleresse révèle que les loyers n’étaient pas régulièrement payés depuis de très nombreux mois et que l’arriéré s’élevait à 2398,41 € au 31 octobre 2021 c’est-à-dire un montant plus de deux fois supérieur à ce qu’il était lorsque l’ordonnance de référé a été rendue.
Or, Mme [E] n’explique pas les circonstances l’ayant amenée à ne pas respecter les termes de l’ordonnance de référé alors qu’elle avait signé un engagement d’apurer son passif par versements de 20 € en plus du loyer courant selon un document qu’elle produit daté du 11 avril 2019 et alors qu’elle a soudain pu régler le solde dû lorsque le commandement de quitter les lieux lui a été délivré.
De plus, force est de constater qu’il résulte de l’historique que Mme [E] n’a effectué aucun versement depuis avril 2022 et que son solde locatif s’élevait à 6446,95 € au 28 février 2023.
Enfin, Mme [E] ne justifie pas avoir cherché à se reloger.
Au regard de ces éléments, il convient de confirmer le jugement déféré en ce qu’il a rejeté la demande de sursis à exécution de la mesure.
L’article 1343-5 du Code civil dispose : «Le juge peut, compte tenu de la situation du débiteur et en considération des besoins du créancier, reporter ou échelonner, dans la limite de deux années, le paiement des sommes dues.
Par décision spéciale et motivée, il peut ordonner que les sommes correspondant aux échéances reportées porteront intérêt à un taux réduit au moins égal au taux légal, ou que les paiements s’imputeront d’abord sur le capital.
Il peut subordonner ces mesures à l’accomplissement par le débiteur d’actes propres à faciliter ou à garantir le paiement de la dette.
La décision du juge suspend les procédures d’exécution qui auraient été engagées par le créancier. Les majorations d’intérêts ou les pénalités prévues en cas de retard ne sont pas encourues pendant le délai fixé par le juge. ».
En l’espèce, ainsi qu’il a été dit Mme [E] n’a pas respecté l’échéancier prévu à l’ordonnance de référé du 26 novembre 2019 et n’a effectué aucun versement depuis avril 2022 portant sa dette à plus de 6000 €. Elle ne fait aucune proposition permettant de penser qu’elle pourrait respecter un échéancier lui permettant d’apurer le solde dû dans le délai légalement prévu et il convient de rejeter sa demande à ce titre.
Sur les demandes de dommages-intérêts présentées par Mme [E]:
Mme [E] réclame 5000 € pour préjudice de jouissance résultant de l’insalubrité du logement.
Si, aux termes des dispositions de l’article L 213-6 du code de l’organisation judiciaire, sur la compétence matérielle du juge de l’exécution, ce magistrat connaît de manière exclusive, des difficultés relatives aux titres exécutoires et des contestations qui s’élèvent à l’occasion de l’exécution forcée, même si elles portent sur le fond du droit, ce juge, lorsqu’il est saisi d’une demande relative à une mesure d’exécution, n’est pas compétent pour se prononcer sur une action en responsabilité qui n’est pas fondée sur l’exécution ou l’inexécution dommageable de cette mesure. La demande de dommages-intérêts fondée sur le préjudice de jouissance invoquée par la locataire doit en conséquence être rejetée.
L’article L121-2 du code des procédures civiles d’exécution prévoit : «Le juge de l’exécution a le pouvoir d’ordonner la mainlevée de toute mesure inutile ou abusive et de condamner le créancier à des dommages-intérêts en cas d’abus de saisie. »
Mme [E] évoque le préjudice moral subi en raison de l’exercice des mesures qu’elle considère comme abusives.
Cependant, la procédure n’ayant pas été déclarée abusive, et la locataire ne précisant pas le préjudice qu’elle aurait subi sa demande doit être rejetée.
Sur les demandes annexes :
L’équité commande de rejeter la demande présentée par le conseil de Mme [E] au titre de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de faire droit à celle de la SA Patrimoine Languedocienne à hauteur de 500 €.
Mme [E] qui succombe gardera la charge des dépens de première instance et d’appel.
PAR CES MOTIFS:
La cour,
Statuant dans les limites de sa saisine :
Confirme le jugement déféré.
Y ajoutant :
Rejette la demande de dommages-intérêts présentée par Mme [B] [E] au titre de son préjudice de jouissance,
Condamne Mme [B] [E] à verser à la SA HLM Patrimoine Languedocienne, 500 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
Condamne Mme [B] [E] aux dépens qui seront recouvrés conformément à la loi sur l’aide juridictionnelle.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT
I. ANGER C. BENEIX-BACHER