Saisine du juge de l’exécution : 16 mai 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 21/01308

·

·

Saisine du juge de l’exécution : 16 mai 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 21/01308

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 6 – Chambre 11

ARRET DU 16 MAI 2023

(n° , 10 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/01308 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CDDJF

Décision déférée à la Cour : Jugement du 09 Décembre 2020 -Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de LONGJUMEAU – RG n° 19/00342

APPELANTE

S.A.S. [H]

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentée par Me Laurence CIER, avocat au barreau de PARIS, toque : E1613

INTIMEE

Madame [M] [W]

Lieu dit ‘[Adresse 5]

[Localité 1]

Représentée par Me Bintou DIARRA, avocat au barreau d’ESSONNE

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 14 Février 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame Anne HARTMANN, Présidente de chambre, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Madame Anne HARTMANN, Présidente de chambre,

Madame Isabelle LECOQ-CARON, Présidente de chambre,

Madame Catherine VALANTIN, Conseillère,

Greffier, lors des débats : Madame Manon FONDRIESCHI

ARRET :

– contradictoire

– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Madame Anne HARTMANN, Présidente de chambre, et par Madame Manon FONDRIESCHI, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

RAPPEL DES FAITS, PROCÉDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES

Mme [M] [W], née en 1966, a été engagée par la SAS [H], selon un contrat de travail à durée indéterminée verbal à compter du 05 septembre 1983 en qualité d’aide comptable.

Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises à la convention collective nationale de négoce du bois d »uvres et dérivés code NAF 4673A.

Mme [W] a été convoquée à un entretien le 1er février 2016, et un rappel à l’ordre lui a été notifié le 12 février 2016.

Elle a ensuite été convoquée à entretien le 11 avril 2016 par la direction.

Le 12 avril 2016, Mme [W] a déposé une main courante à l’encontre de ses supérieurs hiérarchiques M. [J] et M.[Z] [H] afin de dénoncer des faits de harcèlement moral puis le même jour a été arrêtée pour maladie par son médecin traitant.

Par courrier du 27 avril 2016, Mme [W] a demandé à la Société [H] qu’une déclaration d’accident du travail soit établie, ce que l’employeur a fait le 29 avril 2016, en émettant toutefois des réserves.

Par lettre datée du 03 mai 2016, la société [H] a contesté les accusations portées par Mme [W] lui demandant de les préciser.

Par courrier du 10 mai 2016, celle-ci a répondu à la société [H] qui a alors déclenché une enquête interne, à la suite de laquelle elle maintiendra sa contestation des faits de harcèlement reprochés par Mme [W], par un courrier lui étant adressé le 09 août 2016, auquel Mme [W] a répondu le 29 septembre 2016.

Parallèlement, le 29 juin 2016 la caisse primaire d’assurance maladie a refusé de reconnaître l’existence d’un accident du travail.

Le 02 septembre 2016, la commission de recours amiable a rejeté le recours formé par Mme [W].

Mme [W] a saisi le tribunal des affaires de la sécurité sociale d'[Localité 4] le 11 octobre 2016 aux fins de solliciter la reconnaissance d’un accident survenu à titre professionnel le 12 avril 2016 et la réformation de la décision rendue par la commission du recours amiable, elle a été déboutée de l’intégralité de ses demandes par jugement du 22 mai 2018.

Mme [W] a interjeté appel de cette décision le 1er juin 2018 et la cour d’appel de Paris l’a déboutée de ses demandes dans un arrêt du 19 mars 2021.

Parallèlement, au mois d’avril 2018 une ancienne salariée à la retraite de la société [H] a déposé une main courante à l’encontre de Mme [W] pour usurpation d’identité après avoir été contactée par l’inspection du travail en réponse à un courrier qu’elle leur aurait envoyé afin de dénoncer le harcèlement subi par Mme [W], et qu’elle réfute avoir écrit.

La société [H] a déposé une plainte le 16 mai 2018 pour des faits de dénonciation calomnieuse.

Mme [W] a été déclarée inapte par le médecin du travail le 17 mai 2018.

Par lettre datée du 04 juin 2018, Mme [W] a été convoquée à un entretien préalable fixé au 13 juin 2018 auquel elle ne s’est pas présentée puis a été licenciée pour faute grave et inaptitude par lettre datée du 16 juin 2018.

A la date du licenciement, Mme [W] avait une ancienneté de 34 ans et 09 mois et la société [H] occupait à titre habituel plus de dix salariés.

Mme [W] a saisi la formation de référé du conseil de prud’hommes de Longjumeau aux fins de paiement de son indemnité de licenciement, laquelle s’est déclarée incompétente par ordonnance du 30 août 2018 en raison de l’existence d’une contestation sérieuse et de l’absence d’un trouble manifestement illicite.

Mme [W] a interjeté appel de cette ordonnance qui a été infirmée par la cour d’appel de Paris par un arrêt du 16 mai 2019, par lequel elle a condamné la société [H] à payer à Mme [W] la somme de 35 585,80 euros à titre de provision à valoir sur l’indemnité de licenciement et 3000 euros au titre de l’article 700. Le pourvoi formé par la société [H] a été rejeté par un arrêt de la Cour de cassation rendu le 25 novembre 2020.

Sollicitant à titre principal la nullité de son licenciement en raison du harcèlement moral et de sa dénonciation de celui-ci et à titre subsidiaire contestant son licenciement pour inaptitude réclamant diverses indemnités qui en découlent, outre des dommages et intérêts pour harcèlement moral et manquement à l’obligation de formation, Mme [W] a saisi, le 31 mai 2019, le conseil de prud’hommes de Longjumeau qui, par jugement du 09 décembre 2020, auquel la cour se réfère pour l’exposé de la procédure antérieure et des prétentions initiales des parties, a statué comme suit :

Rejette la demande de surseoir à statuer de la société [H], suite au dépôt de plainte,

Fixe le salaire mensuel de Mme [W] à 3288,66 euros,

Dit et juge l’existence d’un harcèlement moral avéré sur la personne de Mme [W],

Dit et juge que le licenciement est nul en raison de la dénonciation du harcèlement moral,

Dit et juge que le licenciement de Mme [W] est entaché de nullité en raison du harcèlement moral à l’origine de l’inaptitude,

Condamne la société [H], prise en la personne de son représentant légal, à payer à Mme [W] les sommes suivantes :

– 10 000 euros au titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral,

– 6577,32 euros brut à titre de l’indemnité compensatrice de préavis représentant deux mois,

– 657,73 euros brut à titre de congés payés afférents,

– 5000 euros au titre de dommages et intérêts pour manquement à l’obligation de formation,

– 115 000,00 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul,

– 1500 euros à titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

Dit que Mme [W] avait été remplie de ses droits à titre de l’indemnité légale de licenciement en exécution de l’arrêt du 16 mai 2019 de la cour d’appel de Paris,

Prononce l’exécution provisoire conformément à l’application des articles 515 du code de procédure civile, nonobstant toute voie de recours (article R 1454-28 du code du travail),

Déboute la société [H] de sa demande reconventionnelle au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

Rejette les demandes plus amples ou contraires des parties,

Met les entiers dépens à la charge de la société [H], prise en la personne de son représentant légal, y compris les frais éventuels d’exécution par huissier de justice ainsi que les frais éventuels pour saisir le juge de l’exécution.

Par déclaration du 25 janvier 2021, la société [H] a interjeté appel de cette décision, notifiée le 31 décembre 2020.

La société [H] a introduit un référé devant le Premier Président de la cour d’appel de céans suivant assignation délivrée pour l’audience du 26 mars 2021 aux fins de l’arrêt de l’exécution provisoire.

Par une ordonnance du 24 juin 2021, la cour d’appel de Paris a statué comme suit :

– rejette les demandes de suspension de l’exécution provisoire du jugement du 09 décembre 2020,

– autorise la consignation de la somme de 60 000 euros à valoir sur les indemnités fixées par le jugement du 09 décembre 2020 du conseil de prud’hommes de Longjumeau au bénéfice de Mme [W].

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 17 janvier 2023, la société [H] demande à la cour de :

– infirmer la décision en ce que le conseil de prud’hommes de Longjumeau a déclaré nul le licenciement de Mme [W] et a condamné la société aux sommes suivantes :

– 6.577,32 € outre 657,73 € de congés payés y afférents à titre d’indemnité compensatrice de préavis,

– 115.000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul,

– 10.000 € à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral,

– 5.000€ à titre de dommages et intérêts pour manquement à l’obligation de formation,

– 1.500 € au titre de l’article 700 du code du procédure civile,

statut de nouveau :

vu la mauvaise foi de Mme [W],

vu l’usurpation d’identité dont elle s’est rendue coupable,

– juger que le licenciement de Mme [W] repose bien sur une faute grave et par conséquent :

– juger que les demandes de Mme [W] sont aussi irrecevables que mal-fondées,

par conséquent,

– débouter Mme [W] de toutes ses demandes, fins et conclusions tendant à obtenir le paiement de l’indemnité conventionnelle de licenciement, de l’indemnité compensatrice de préavis, des congés payés y afférents outre les dommages intérêts au titre du licenciement,

– condamner Mme [W] au remboursement de l’indemnité conventionnelle de licenciement, de l’indemnité compensatrice de préavis, des congés payés afférents, outre les dommages intérêts au titre du licenciement, et de toutes sommes versées au titre de la prétendue nullité de la rupture du contrat de travail,

vu que Mme [W] a bénéficié de nombreuses formations :

– débouter Mme [W] de sa demande de dommages-intérêts au titre de la prétendue absence de formation,

en conséquence,

– débouter Mme [W] de l’intégralité de ses demandes, fins et conclusions et ce d’autant plus qu’elle ne produit aucun élément sur le préjudice qu’elle prétend invoquer,

– condamner Mme [W] à la somme de 4000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

– la condamner aux entiers dépens de la procédure.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 12 décembre 2022, Mme [W] demande à la cour de :

à titre principal :

– confirmer le jugement du conseil de prud’hommes de Longjumeau du 9 décembre 2020 dans toutes ses dispositions sauf en ce qui concerne le montant des dommages et intérêts pour harcèlement moral, licenciement nul et manquement à l’obligation de formation et d’adaptation,

statuant à nouveau,

– condamner la société [H] à payer à Mme [W] la somme de 20 000 € nets à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral, 150 000 € nets pour licenciement nul et 15 000 € nets pour le préjudice subi du fait du manquement à l’obligation de formation et d’adaptation,

à titre subsidiaire :

– condamner la société [H] à payer à Mme [W] les sommes suivantes :

– 35 585,80 € à titre d’indemnité de licenciement,

– 6 577,32 € outre 657,73 € de congés payés afférents à titre d’indemnité compensatrice de préavis,

en tout état de cause :

– condamner la société [H] à payer à Mme [W] la somme de 4 800 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner la société [H] aux entiers dépens.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 18 janvier 2023 et l’affaire a été fixée à l’audience du 14 février 2023.

Pour un plus ample exposé des faits, des prétentions et des moyens des parties, la cour se réfère à leurs conclusions écrites conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.

SUR CE, LA COUR :

Sur la rupture du contrat de travail

Sur la nullité du licenciement

Pour infirmation du jugement déféré, la société appelante fait valoir que d’une part la salariée ne démontre pas avoir été victime d’un harcèlement moral ni pendant l’exécution du contrat de travail ni pendant sa suspension et que d’autre part elle n’a jamais dénoncé l’existence d’un tel harcèlement auprès de l’employeur.

Pour confirmation du jugement déféré, Mme [W] fait valoir qu’elle a sans motif légitime subi, à compter de 2016 des mesures disciplinaires à répétition ainsi que des brimades et accusations mensongères, dans le but d’obtenir son départ, qui ont eu impact retentissant sur son état de santé à savoir un syndrome anxiodépressif réactionnel à une souffrance au travail constaté par différents médecins.Elle en déduit que la preuve du harcèlement moral est démontré et elle réclame à ce titre une indemnité portée à 20.000 euros. Elle ajoute que la nullité du licenciement tient également au fait que la faute grave reprochée est fondée sur des faits de dénonciation du harcèlement moral, ainsi que l’a retenue la cour d’appel de céans, infirmant la décision de première instance, lui accordant à titre de provision une somme à valoir sur l’indemnité légale de licenciement.

La lettre de licenciement qui fixe les limites du litige indique :

«(…) Par la présente, nous vous informons que nous avons décidé de procéder à votre licenciement pour les motifs suivants :

1)Licenciement pour faute grave : Dénonciation de mauvaise foi de faits inexacts dans une intention de nuire par des moyens frauduleux :

Sur la deuxième quinzaine d’avril 2018, nous avons été informés par Madame [X] qu’elle avait reçu un courrier de l’inspection du travail daté du 05 avril 2018, accusant réception d’un courrier qu’elle aurait elle-même adressé le 04 avril 2018. Cependant, il s’est avéré que Madame [X] n’avait jamais adressé de courrier à l’inspection du travail, laquelle lui a communiqué postérieurement le courrier dont elle était censée être l’auteur. Ce courrier adressé à l’autorité que représente l’inspection du travail, dénonce « certains faits qu’ils se passent au sein de la société [H] située [Adresse 2] aujourd’hui dirigée par Monsieur [Z] [H]» et ne fait état que de conditions de travail négatives que vous auriez directement subies par opposition aux conditions de travail très agréables dont auraient pu bénéficier les autres salariées du service.

Or, après enquête méthodique, nous avons acquis la certitude que vous êtes l’auteur et le signataire de la lettre adressée sous couvert de l’identité usurpée de Madame [X] à l’inspection du travail en date du 04 avril 2018, soit le lendemain de l’audience qui s’est tenue devant le TASS d'[Localité 4] le 03 avril 2018 et à l’occasion de laquelle il a été clairement évoqué le fait que toute décision de justice ne peut impacter l’entreprise [H], la décision de refus de reconnaître votre accident du travail que vous avez déclaré le 04 mai 2016, selon notification de la décision de la CPAM du 15 septembre 2016 excluant la responsabilité de l’entreprise, cette décision nous étant en tout état de cause, opposable.

Il apparaît donc clairement que le courrier qui a été adressé à l’inspection du travail ne vise qu’à nuire à la société [H] ainsi qu’à Monsieur [J] et ne sert que vos intérêts et en particulier la théorie que vous développez de mauvaise foi depuis le mois de mai 2016 selon laquelle vous auriez été harcelée et discriminée par rapport à vos collègues de travail.

Vous avez été arrêtée dans le cadre d’un arrêt de travail qui a pris effet le 12 avril 2016, date à partir de laquelle votre contrat de travail est suspendu.

Néanmoins, durant cette période de suspension, vous êtes tenue à une obligation de loyauté envers la société et à ce titre, vous ne pouvez commettre de manquement violant cette obligation.

Or, il apparaît que vous avez usurpé l’identité d’une ancienne salariée et ce, pour dénoncer par ce moyen frauduleux des faits inexacts auprès de l’inspection du travail pour nuire à l’entreprise et à ses dirigeants.

Les faits qui vous sont reprochés caractérisent par conséquent une faute grave d’autant plus qu’ils ont pour conséquence une déstabilisation du service comptable et atteignent par ailleurs à la probité de certains collaborateurs.

Ces faits rendent impossibles votre maintien même temporaire dans l’entreprise pendant votre période de préavis et nous autorise à prononcer votre licenciement immédiat sans préavis ni indemnité de rupture.

Nous nous réservons la possibilité de déposer plainte et former une demande d’indemnisation à ce titre, bien que nous ayons, en raison de votre ancienneté, retenu la faute grave et non la faute lourde.

2) Licenciement pour inaptitude

En outre et en tout état de cause, nous vous informons que nous avons décidé de prononcer votre licenciement pour inaptitude.

En effet, à l’issue d’une visite de reprise en date du 17 mai 2018, le Docteur [G] [L] a conclu à votre inaptitude par application des dispositions de l’article R 4624-42 à l’issue d’un seul examen en visant le cas de dispense de l’obligation de reclassement prévu aux articles L1226-2-1, L1226-12 et L1226-20 du Code du travail, estimant que votre état de santé fait obstacle à tout reclassement dans un emploi .

C’est pourquoi le Dr [L] a précisé qu’il n’y a pas lieu d’indiquer vos capacités à bénéficier d’une formation.

Néanmoins, nous avons recherché des possibilités de reclassement conformes à votre qualification tant au sein de la société qu’au sein de notre société filiale PANNEAUX VIDAL. Nous n’avons pu identifier aucune offre d’emploi correspondant à vos qualifications et se rapprochant dans la mesure du possible de votre formation professionnelle.

Malgré nos recherches, nous ne sommes pas en mesure de proposer d’autre poste au sein de la société [H] ou de toute autre société filiale, s’ur ou affiliée correspondant à vos qualifications.

C’est pourquoi nous sommes contraints, au-delà de votre licenciement pour faute grave, de vous notifier votre licenciement en raison de l’inaptitude physique médicalement constatée par le Docteur [L].

Votre état ne vous permettant en tout état de cause pas d’effectuer le préavis dont vous avez été privé par les faits du motif grave invoqué en premier lieu à l’appui de votre licenciement.

Celui-ci prend donc effet immédiatement à la date d’envoi de la présente lettre.(…) »

Sur le harcèlement moral

Aux termes de l’article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. En vertu de l’article L. 1154-1 du code du travail, dans ses rédactions applicables en la cause, lorsque survient un litige relatif à l’application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-1 à L. 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié établit des faits qui permettent de présumer l’existence d’un harcèlement ou présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Il résulte de ces dispositions que, pour se prononcer sur l’existence d’un harcèlement moral, il appartient au juge d’examiner l’ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d’apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l’existence d’un harcèlement moral au sens de l’article L. 1152-1 du code du travail. Dans l’affirmative, il revient au juge d’apprécier si l’employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Au soutien de sa demande au titre du harcèlement moral qu’elle affirme avoir subi Mme [W] invoque des mesures disciplinaires à répétition à compter de 2016 et des brimades et accusations mensongères qui ont eu raison de sa santé.

Elle s’appuie sur les pièces suivantes  :

– la lettre du 12 février 2016 qu’elle qualifie d’avertissement (pièce 1) et qui est un rappel des observations verbales qui lui ont été faites lors de l’entretien du 1er février 2016 concernant des griefs infondés ou non justifiés concernant :

*des propos désobligeants et confidentiels à l’égard du courtier en assurance de la société,

*des décalages de chèques et des autorisations de travaux données sans l’aval de l’employeur,

*l’utilisation abusive du téléphone et l’ affranchissement du courrier personnel à l’entreprise.

-le courriel du 12 avril 2016 par lequel le courtier d’assurance Henner lui confirme qu’elle n’a jamais tenu de propos désobligeants ou confidentiels à l’égard de la société [H] (pièce 2)

– la lettre du 27 avril 2016 qu’elle a adressée à l’employeur reprenant les faits survenus « ces derniers mois » à savoir depuis fin janvier 2016 (pièce 7)

– le courrier qu’elle a envoyé à l’employeur le 10 mai 2016 en réponse à ce dernier (courrier du 3 mai 2016 qu’elle qualifie également d’avertissement) dans lequel elle conteste le fait qu’elle aurait pris l’initiative de changer un billet de 500 euros contre des billets de petite coupures du coffre de l’entreprise.

-les différents documents médicaux de consultation suite à ses doléances de souffrance au travail (de mars à décembre 2017) qui concluent à l’existence d’un syndrome anxiodépressif et les arrêts de travail reconduits pendant deux jusqu’à son licenciement.

S’il est constant que la salariée se prévaut à tort d’avertissements (du 12 février 2016 et 3 mai 2016) lesquels n’étaient pas qualifiés comme tels par l’employeur, il n’en reste pas moins que ce dernier a formulé à son égard à tout le moins des observations verbales puis écrites tant sur le travail que sur l’attitude de l’intéressée, que celle-ci a mal vécu et contesté pour partie.La cour en déduit que la salariée présente des faits laissant supposer l’existence d’un harcèlement moral.

L’employeur réplique que la salariée n’a jamais explicitement dénoncé un harcèlement moral lorsqu’elle évoquait des pressions et soupçons à son égard jusqu’à la date du 25 juin 2018 et qu’elle ne peut dès lors se prévaloir de la protection liée à la dénonciation d’un harcèlement moral. Il oppose avoir fait un usage modéré de son pouvoir disciplinaire en soulignant n’avoir fait qu’un rappel à l’ordre écrit et il s’appuie sur les auditions des collègues de Mme [W] dans le cadre de l’enquête interne effectuée suite aux plaintes de cette dernière qui confirment les envois personnels effectués par cette dernière au sein de l’entreprise et l’absence de comportement déplacé de M. [J].(pièces 33 à 35 société). Il souligne que la salariée a échoué dans sa volonté de faire reconnaître l’entretien du 11 avril 2016 comme le fait générateur de son accident du travail.

C’est en vain que l’employeur soutient que la salariée n’a jamais qualifié de harcèlement moral les pressions ou soupçons qu’elle dénonce jusqu’au courrier adressé le 25 juin 2018, ce qui ne peut avoir pour effet de l’empêcher de se prévaloir de la protection liée au harcèlement moral.

En revanche, c’est à juste titre que l’employeur soutient avoir fait un usage modéré de son pouvoir disciplinaire puisqu’il n’est justifié que d’un courrier de rappel à l’ordre et que de façon générale il ressort du dossier que Mme [W] n’a pas supporté les remarques faites par l’employeur dont il lui était loisible de se défendre, qui ne mettaient pas en cause la qualité de son travail mais étaient essentiellement comportementales.

La cour observe en effet de surcroît que c’est Mme [W] qui a suscité des explications alors qu’elle était en congé de maladie (courrier du 10 mai 2016). Par ailleurs, la cour relève que les salariées collègues immédiates de Mme [W] ont confirmé qu’elle effectuait des envois personnels aux frais de l’entreprise et que contrairement à ce que la salariée soutient, M. [J] n’a pas eu un comportement déplacé à son égard même s’il ne peut être contesté qu’elle a souffert de la situation.

La cour en déduit dès lors que par infirmation du jugement déféré, l’employeur justifie que les décisions et faits incriminés concernant la salariée sont étrangers à tout harcèlement moral lequel par conséquent n’est pas établi. Mme [W] doit être déboutée de sa demande d’indemnité de ce chef. Le jugement déféré est infirmé sur ce point.

Sur la dénonciation de faits de harcèlement moral

Pour infirmation du jugement déféré, la société [H] fait valoir que la rédaction de la lettre de licenciement procède du fait qu’elle avait compris la stratégie de Mme [W] et traduit sa totale exaspération du fait de son comportement mais n’élude pas le fait que la salariée ne s’est jamais plainte d’un quelconque harcèlement moral, qu’elle-même n’a jamais qualifié comme tel, insistant pour rappeler qu’il est nécessaire de tenir compte du contexte et de la volonté de nuire de Mme [W].

Pour confirmation du jugement déféré, Mme [W] oppose que sous prétexte d’une usurpation d’identité, qu’elle conteste au demeurant rappelant qu’il n’a jamais été prouvé qu’elle avait été l’auteur de la lettre litigieuse, la société lui a reproché d’avoir dénoncé le harcèlement moral qu’elle subissait, ce qui est prohibé.

Aux termes de l’article L. 1152-3 du même code : « Toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance des dispositions des articles L. 1152-1 et L. 1152-2, toute disposition ou tout acte contraire est nul ».

Il est de droit que la référence, dans les motifs de la lettre de licenciement, à la dénonciation de faits de harcèlement, entraîne, sauf mauvaise foi du salarié dénonciateur, la nullité de la rupture et que la mauvaise foi du salarié ne peut résulter que de la connaissance par ce dernier de la fausseté des faits qu’il dénonce et non de la seule circonstance que les faits dénoncés ne sont pas établis.

Au titre de la faute grave reprochée à Mme [W] l’employeur a indiqué dans la lettre de licenciement «  Il apparaît donc clairement que le courrier qui a été adressé à l’inspection du travail ne vise qu’à nuire à la société [H] ainsi qu’à Monsieur [J] et ne sert que vos intérêts et en particulier la théorie que vous développez de mauvaise foi depuis le mois de mai 2016 selon laquelle vous auriez été harcelée et discriminée par rapport à vos collègues de travail.(…)Or, il apparaît que vous avez usurpé l’identité d’une ancienne salariée et ce, pour dénoncer par ce moyen frauduleux des faits inexacts auprès de l’inspection du travail pour nuire à l’entreprise et à ses dirigeants ».

La cour en déduit que le grief énoncé dans la lettre de licenciement tiré de la théorie développée par la salariée depuis le mois de mai 2016, selon laquelle elle aurait été harcelée et discriminée, dont la mauvaise foi n’est pas démontrée, ni par le fait que le harcèlement moral n’a pas été retenu ni par le fait qu’il n’est pas établi qu’elle a été l’auteur de la lettre adressée à l’inspection du travail au nom de Mme [X], emporte à lui seul la nullité de plein droit du licenciement, il n’y a dès lors pas lieu de se prononcer sur l’autre cause de licenciement. Le jugement déféré est confirmé sur ce point ainsi que lorsqu’il a constaté que Mme [W] avait été remplie de ses droits s’agissant de l’indemnité légale de licenciement en exécution de l’arrêt de la cour d’appel de Paris daté du 16 mai 2019.

C’est à bon droit qu’il a été alloué à Mme [W] une indemnité compensatrice de préavis de deux mois au regard de son ancienneté, correspondant aux salaires qu’elle aurait perçus si elle avait travaillé soit une somme de 6.577,32 euros outre 657,73 euros de congés payés.

S’agissant de l’indemnité pour licenciement nul Mme [W] demande que celle-ci soit portée à la somme de 150.000 euros en précisant qu’elle a alterné les périodes de recherches d’emploi et de missions d’intérim de courte durée entre 2017 et 2022 et qu’elle ne retrouvera plus d’emploi stable.

La société [H] fait observer que la salariée a tardé à justifier de sa situation financière et professionnelle, qu’il existe des périodes où il n’est produit aucun justificatif et que la salariée dispose par ailleurs d’un patrimoine immobilier. Elle conclut au rejet sa demande exorbitante.

Le salarié victime d’un licenciement nul et qui ne réclame pas sa réintégration a droit, quelles que soient son ancienneté et la taille de l’entreprise, d’une part, aux indemnités de rupture et d’autre part, à une indemnité réparant l’intégralité du préjudice résultant du caractère illicite du licenciement et au moins égale à six mois de salaire prévue par l’article L.1235-3 du code du travail applicable au litige .

En considération de l’ancienneté de la salariée, du salaire perçu au cours des 6 derniers mois et de sa situation professionnelle postérieure à la rupture dont elle justifie au dossier, c’est à bon droit que les premiers juges lui ont alloué une indemnité de 115.000 euros pour licenciement nul.Ils seront confirmés.

Conformément aux dispositions de l’article L.1235-4 du code du travail, c’est à bon droit qu’a été ordonné le remboursement par l’employeur à Pôle Emploi des indemnités de chômage éventuellement versées à Mme [M] [W] dans la limite de six mois d’indemnités. C e chef ayant toutefois été omis dans le dispositif, le jugement sera complété sur ce point.

Sur l’indemnité pour manquement à l’obligation de formation et d’adaptation

Pour infirmation du jugement déféré la société [H] fait valoir outre que la salariée n’établit pas son préjudice, qu’elle démontre qu’elle n’a pas manqué à son obligation en lui faisant dispenser des formations en comptabilité et excel.(pièce 52 à 54).

Pour infirmation partielle de la décision, Mme [W] demande à la cour de porter à 15.000 euros l’indemnité pour manquement à l’obligation de formation en précisant qu’elle n’a bénéficié en 35 ans d’aucune formation de sorte que son employabilité est moindre, elle en veut pour preuve qu’elle n’a pas retrouvé d’emploi.

L’article L.6321-1 du code du travail prévoit que l’employeur assure l’adaptation des salariés à leur poste de travail en veillant au maintien de leur capacité à occuper un emploi au regard notamment de l’évolution des emplois, des technologies et des adaptations par la proposition de formations qui participent au développement des compétences.

La cour relève que la salariée n’a en réalité bénéficié durant toute la relation de travail que de 4 jours formation professionnelle en 2009 et 2010, de sorte qu’il doit être admis que l’employeur a manqué à son obligation de formation. Il est justifié que cette dernière peine à retrouver un emploi ce qui contribue à lui causer un préjudice, lequel a été justement évalué par les premiers juges à la somme de 5.000 euros. Le jugement déféré est confirmé sur ce point.

Sur les autres dispositions

Partie perdante à titre principal, la société [H] est condamnée aux dépens d’instance et d’appel, le jugement déféré étant confirmé sur ce point et à verser à Mme [W] une somme de 2.500 euros par application de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

CONFIRME le jugement déféré sauf en ce qui concerne les prétentions relatives au harcèlement moral.

Et statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant :

DEBOUTE Mme [M] [W] de ses prétentions relatives au harcèlement moral y compris indemnitaires.

ORDONNE le remboursement à Pôle Emploi par la SA [H] des indemnités de chômage éventuellement versées à Mme [M] [W] dans la limite de 6 mois d’indemnités.

CONDAMNE la SA [H] à payer à Mme [M] [W] la somme de 2.500 euros par application de l’article 700 du code de procédure civile.

CONDAMNE la SA [H] aux entiers dépens d’appel.

La greffière, La présidente.

 


0 0 votes
Je supporte LegalPlanet avec 5 étoiles
S’abonner
Notification pour
guest
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
Chat Icon
0
Nous aimerions avoir votre avis, veuillez laisser un commentaire.x