MINUTE N° 23/189
Copie exécutoire à :
– Me Thierry CAHN
Le
Le greffier
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE COLMAR
TROISIEME CHAMBRE CIVILE – SECTION A
ARRET DU 15 Mai 2023
Numéro d’inscription au répertoire général : 3 A N° RG 22/03270 – N° Portalis DBVW-V-B7G-H5BN
Décision déférée à la cour : jugement rendu le 10 août 2022 par le juge de l’exécution de Strasbourg
APPELANTE :
Madame [R] [H]
[Adresse 2]
[Localité 3]
(bénéficie d’une aide juridictionnelle Totale numéro 2022/2699 du 11/10/2022 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de COLMAR)
Représentée par Me Thierry CAHN, avocat au barreau de COLMAR
INTIMÉE :
Madame [K] [U]
[Adresse 1]
[Localité 3]
Monsieur [C] [U]
[Adresse 1]
[Localité 3]
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 06 mars 2023, en audience publique, devant la cour composée de :
Mme MARTINO, Présidente de chambre
Mme FABREGUETTES, Conseiller
M. LAETHIER, Vice-Président placé
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Mme HOUSER
ARRET :
– rendu par défaut
– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Mme Annie MARTINO, président et Mme Anne HOUSER, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
*****
FAITS CONSTANTS ET PROCEDURE
Par jugement en date du 19 novembre 2007, le tribunal d’instance de Strasbourg a condamné Madame [R] [H] à payer à Monsieur [C] [U] et Madame [K] [U] la somme en principal de 17 000 € avec intérêts au taux contractuel de 5 % l’an à compter du 1er juillet 2006. Ce jugement a autorisé la débitrice à s’acquitter du paiement de la dette en 24 mensualités de 700 €.
Madame [H] ne s’est pas exécutée.
Madame et Monsieur [U] ont, le 11 janvier 2002, fait signifier à Madame [R] [H] un commandement de payer aux fins de saisie vente en exécution du jugement déféré muni de la clause exécutoire en date du 30 novembre 2007.
Madame [R] [H] a réceptionné un avis d’ouverture forcée de son logement pour le jeudi 20 janvier 2022 aux fins de saisie de ses meubles.
Suivant acte délivré le 14 janvier 2022, Madame [R] [H] a fait citer Monsieur et Madame [U] devant le juge de l’exécution de Strasbourg aux fins de voir :
-annuler le commandement de payer du 11 janvier 2022
-ordonner la mainlevée de l’ouverture forcée du 10 janvier 2022
-condamner Madame et Monsieur [U] aux dépens et à lui payer la somme de 2 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Prétextant être sans ressources et percevoir le revenu de solidarité active, elle a indiqué avoir procédé au fil des ans à des règlements pour un montant total de 15 760 € mais que le solde restant dû s’élève à 18 436,35 € compte-tenu des intérêts et les frais. Elle a prétendu que l’ensemble du mobilier garnissant son logement
appartient à sa mère Madame [V] [D], suivant contrat de bail de meubles meublants du 15 novembre 2001, reçu par Maître [E], notaire, la location étant consentie pour deux années, tacitement renouvelable et que l’inventaire du mobilier mis à sa disposition était joint à l’acte et a été complété par deux avenants du 20 mars 2003 et du 8 novembre 2010.
Madame et Monsieur [U] ont conclu au rejet de la demande et à la condamnation de l’adversaire aux dépens et à leur payer la somme de 2 500 € au titre l’article 700 du code de procédure civile.
Ils ont fait observer que Madame [R] [H] n’a jamais respecté l’échéancier mis en place par le tribunal. Ils ont soutenu que la mesure d’exécution forcée engagée par l’huissier n’est ni inutile ni abusive au regard des efforts très limités de la débitrice et de l’ancienneté de la créance ; que la débitrice vit dans un appartement somptueux ; qu’elle a organisé son insolvabilité, le bail de location des meubles meublants ayant été conclu presque en même temps que la reconnaissance de dette sur le fondement duquel le jugement du 19 novembre 2007 a été prononcé ; qu’il n’est produit aucune facture justifiant de la propriété des meubles, qui sont de grande valeur, établie au nom de Madame [D].
Par jugement en date du 10 août 2022, le juge de l’exécution du tribunal judiciaire de Strasbourg a débouté Madame [R] [H] de toutes ses demandes et l’a condamnée aux dépens et à payer à Monsieur et Madame [C] et [K] [U] la somme de 300 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Pour statuer ainsi, le juge a considéré que les mesures d’exécution forcée diligentées par Monsieur et Madame [C] et [K] [U] quinze ans après le prononcé du jugement condamnant Madame [R] [H] à leur payer 17 000 € en principal outre intérêts, n’apparaissent ni inutiles ni abusives et que les montants mis en compte au titre des intérêts s’expliquent par la longueur de la procédure de recouvrement. Il a relevé que le mobilier meublant l’appartement dans lequel vit la débitrice apparaît pour l’essentiel avoir une valeur certaine et qu’il n’est pas établi que Madame [V] [D] en soit la propriétaire.
La lettre de notification de cette décision expédiée le 10 août 2022 par le greffe du juge de l’exécution de Strasbourg, est revenue avec la mention « Pli avisé et non réclamé ».
Madame [R] [H] en a relevé appel par déclaration en date du 18 août 2022.
Par dernières écritures notifiées le 3 mars 2023 l’appelante demande de :
-recevoir l’appel et le dire bien fondé,
-rejeter l’intégralité des demandes, fins et conclusions des époux [U],
-infirmer le jugement en toutes ses dispositions,
Et statuant à nouveau :
-déclarer que le commandement de payer aux fins de saisie vente du 11 janvier 2022, est nul et sans effet,
-ordonner la mainlevée de l’avis d’ouverture forcée du 10 janvier 2022,
En tant que de besoin,
-ordonner le sursis à statuer jusqu’à décision susceptible d’être rendue sur l’action revendication sous la référence RG 22/9463
-condamner les époux [U] aux entiers frais et dépens de première instance et d’appel,
-condamner les époux [U] à payer la somme globale de 5 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile, à savoir 2 000 € pour la première instance et 3 000 € pour l’appel.
Après avoir exposé qu’elle souffre de grave problème de santé et ne dispose pas de revenus, avoir néanmoins réussi à régler une somme globale de 19 260 € au titre de l’exécution du jugement du 19 novembre 2007, elle affirme n’être propriétaire ni des locaux d’habitation qu’elle occupe [Adresse 2] à [Localité 3], ni des meubles meublants qui appartiennent à sa mère qui lui en a confié la jouissance ; qu’une action en revendication est pendante devant le tribunal de Strasbourg.
Elle ajoute qu’en vertu de la loi numéro 2008-561 du 17 juin 2008, les décisions des juridictions de l’ordre judiciaire ne peuvent être poursuivies que pendant dix ans de sorte que les mesures d’exécution forcée litigieuses ont été entreprises alors que le titre exécutoire était prescrit.
La déclaration d’appel et les conclusions d’appel ont été signifiées à Madame [K] [U] et à Monsieur [C] [U] le 15 septembre 2022 à étude en ce qui concerne la déclaration d’appel et le 19 octobre 2022 à personne, en ce qui concerne les conclusions d’appel.
MOTIFS
Vu les dernières écritures des parties ci-dessus spécifiées et auxquelles il est référé pour plus ample exposé de leurs prétentions et moyens, en application de l’article 455 du code de procédure civile ;
Vu les pièces régulièrement communiquées ;
Sur la validité du titre exécutoire
Aux termes de l’article L 111-3 du code des procédures civiles d’exécution constituent des titres exécutoires : 1° les décisions des juridictions de l’ordre judiciaire ou de l’ordre administratif lorsqu’elles ont force exécutoire…
L’article L 111-4 du même code, dans la rédaction que lui a donné la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, dispose que l’exécution des titres exécutoires mentionnés aux 1° de l’article L 111-3 ne peut être poursuivie que pendant dix ans, sauf si les actions de recouvrement des créances qui y sont constatées se prescrivent par un délai plus long. Ce texte a ainsi ramené la prescription du titre exécutoire de trente à dix ans.
En vertu de l’article 26 II de la loi du 17 juin 2008, les dispositions de ladite loi qui réduisent la durée de la prescription s’appliquent aux prescriptions à compter du jour de l’entrée en vigueur de la présente loi, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure.
L’article 2240 du code civil prévoit que la reconnaissance par le débiteur du droit de celui contre lequel il prescrivait interrompt le délai de prescription.
Il est de jurisprudence que la reconnaissance, même partielle, que le débiteur fait du droit de celui contre lequel il prescrivait entraîne, pour la totalité de la créance, un effet interruptif qui ne peut se fractionner.
En l’espèce, le délai de prescription du titre exécutoire dont se prévalent les époux [U] expirait en principe au 18 juin 2018.
Cependant, il résulte des pièces produites par Madame [R] [H] qu’elle a effectué des paiements mensuels réguliers entre les mains de l’huissier poursuivant à raison le plus souvent de 10 € par mois du 9 février 2012 jusqu’au 3 février 2022.
Ainsi chaque acompte payé valant reconnaissance par Madame [R] [H] du droit des époux [U] a eu pour effet de faire courir à compter de sa date un nouveau délai de dix ans de sorte qu’au jour de la signification du commandement
de payer avant saisie vente litigieux et de l’avis d’ouverture forcée de porte, la prescription du titre exécutoire n’était pas acquise.
Sur la propriété des biens saisis
Aux termes de l’article R 221-5 du code des procédures civiles d’exécution, le débiteur peut demander la nullité de la saisie portant sur un bien dont il n’est pas propriétaire ;
En l’espèce, Madame [R] [H] produit aux débats :
-un acte établi par devant Maître [P] [E], notaire à [Localité 3], en date du 12 février 2002 indiquant que Mademoiselle [R] [H] lui a remis pour conservation un bail sous-seing-privé de meubles meublants en date du 15 novembre 2001,
-ledit bail de meubles meublants, par lequel Madame [V] [G] [D] a consenti à Madame [R] [H] la location de meubles meublants, objets mobiliers et tableaux lui appartenant,
-une liste des biens mobiliers entreposés au [Adresse 2], domicile de Madame [R] [H] comportant 144 éléments, reçue en dépôt par Maître [E] le 12 février 2002,
-un acte de dépôt établi le 20 mars 2003 par Maître [P] [E] constatant que Madame [V] [D] lui remet à fin d’en assurer la conservation un complément daté du 7 mars 2003 concernant les meubles meublants qu’elle loue à Madame [R] [H] en suite de l’acte de dépôt reçu par le notaire le 12 février 2002,
-une liste manuscrite d’objets divers sur cinq pages datée du mois de mars 2003 et attestée reçue par Maître [E] le 20 mars 2003,
-un acte de dépôt établi par M° [M], notaire à [Localité 4] le 8 novembre 2010, constatant que Madame [V] [D] lui a remis, pour en assurer la conservation, un complément numéro 2 d’un bail du 15 novembre 2001, daté du 7 novembre 2010 concernant les meubles meublants loués par Madame [D] à Madame [R] [H], la déposante déclarant que le bail est toujours en vigueur et qui n’a pas été dénoncée de part et d’autre,
-une liste dactylographiée d’une page des biens mobiliers complémentaires loués à Madame [R] [H] par Madame [V] [D] portant cachet du notaire en date du 8 novembre 2010.
Au vu de ces actes, que rien n’autorise à considérer comme faux, il ne peut qu’être constaté que Madame [R] [H] n’est pas la propriétaire des meubles meublant l’appartement qu’elle
occupe [Adresse 2] à [Localité 3] et que par voie de conséquence, sa demande en nullité du commandement avant saisie vente du 11 janvier 2022 apparaît fondée.
L’avis d’ouverture forcée ne constituant pas en lui-même un acte d’exécution forcée, il n’y a pas lieu d’en ordonner la mainlevée.
Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile
Alors que Madame [R] [H] reste largement débitrice des époux [U], elle vit dans un appartement luxueusement meublé aux frais de sa mère.
Il serait, dans ces conditions, particulièrement inéquitable de condamner aux dépens les époux [U], qui cherchent depuis quinze ans à récupérer leur dû et ne pouvaient s’attendre à ce que le mobilier meublant l’appartement occupé par leur débitrice ne soit pas sa propriété.
Il en résulte que le jugement déféré sera confirmé en ce qu’il a condamné Madame [R] [H] aux dépens et qu’il sera dit à hauteur d’appel que chacune des parties supportera la charge de ses propres dépens et de ses frais irrépétibles.
En revanche, les époux [U] seront déboutés de leur demande formée en première instance au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
la Cour,
Statuant publiquement et par défaut,
INFIRME la décision déférée sauf en ce qu’elle a condamné Madame [R] [H] aux dépens,
Et statuant à nouveau des chefs infirmés,
ANNULE le commandement de payer avant saisie vente signifié à Madame [R] [H] le 11 janvier 2022,
REJETTE la demande de mainlevée de l’avis d’ouverture forcée du 10 janvier 2022, qui ne constitue pas un acte d’exécution forcée,
DEBOUTE les époux [U] de leur demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
Et y ajoutant,
REJETTE les demandes formées par Madame [R] [H] au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
DIT que chaque partie supportera la charge de ses propres dépens et frais irrépétibles d’appel.
La Greffière La Présidente