REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 1 – Chambre 10
ARRÊT DU 15 JUIN 2023
(n° , 8 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général
N° RG 22/15645 – N° Portalis 35L7-V-B7G-CGLM4
Décision déférée à la cour
Jugement du 31 août 2022-Juge de l’exécution de PARIS-RG n° 21/82181
APPELANTE
S.A.S. OLYMPE FR 4
[Adresse 5]
[Localité 6]
Représentée par Me Frédéric LALLEMENT de la SELARL BDL Avocats, avocat au barreau de PARIS, toque : P048
Ayant pour avocat plaidant Me Jean-Marie JOB, avocat au barreau de PARIS
INTIMEE
S.A.S. JC
[Adresse 3]
[Localité 1]
Représentée par Me Edmond FROMANTIN, avocat au barreau de PARIS, toque : J151
Ayant pour avocat plaidant Me Christian Borel, avocat au barreau de LYON
COMPOSITION DE LA COUR
L’affaire a été débattue le 17 mai 2023, en audience publique, devant la cour composée de :
Madame Bénédicte PRUVOST, président de chambre
Madame Catherine LEFORT, conseiller
Monsieur Raphaël TRARIEUX, conseiller
qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l’audience par Monsieur Raphaël TRARIEUX, conseiller, dans les conditions prévues par l’article 804 du code de procédure civile.
GREFFIER lors des débats : Monsieur Grégoire GROSPELLIER
ARRÊT
-contradictoire
-par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
-signé par Madame Bénédicte PRUVOST, président de chambre et par Monsieur Grégoire GROSPELLIER, greffier présent lors de la mise à disposition.
Par actes authentiques du 11 septembre 2019, la SAS JC en tant que venderesse et la SAS Olympe FR4 en tant que cessionnaire ont conclu deux promesses de vente portant sur un fonds de commerce d’hôtel et sur l’immeuble dans lequel ce fonds est exploité, pour un prix total de 13 800 000 euros.
Par avenants des 5 novembre 2019, 2 et 4 février 2020, la signature des actes définitifs de vente a été retardée.
La SAS Olympe FR4 a versé la somme de 1 600 000 euros entre les mains de la SAS JC à titre d’indemnité d’immobilisation pour l’immeuble.
Par acte du 11 août 2020, la SAS Olympe FR4 a assigné la SAS JC devant le Tribunal judiciaire de Grenoble aux fins de résolution des promesses de vente et des avenants portant sur le fonds de commerce et l’immeuble, sollicitant en outre la restitution de l’indemnité d’immobilisation. Cette instance est actuellement pendante.
Selon ordonnance sur requête du 19 juillet 2021, le juge de l’exécution du Tribunal judiciaire de Paris a autorisé la SAS Olympe FR4 à inscrire une hypothèque judiciaire provisoire sur l’immeuble sis [Adresse 4] à [Localité 7] dont la SAS JC est propriétaire, pour garantir une créance d’un montant de 1 600 000 euros. Le 30 septembre 2021, cette inscription d’hypothèque judiciaire provisoire a été prise sur l’immeuble, au service de la publicité foncière de [Localité 7] 2 ; elle a été dénoncée à la SAS JC le 7 octobre 2021.
Par actes notariés datés du 6 décembre 2021, la SAS JC a vendu l’immeuble et le fonds de commerce à un tiers et la somme de 1 600 000 euros a été consignée par le notaire ayant reçu l’acte de vente.
Par jugement du 31 août 2022, le juge de l’exécution de Paris, saisi par la SAS JC selon assignation en date du 16 novembre 2021, a :
ordonné la mainlevée de l’inscription d’hypothèque judiciaire provisoire ;
dit que les frais d’inscription de l’hypothèque radiée resteront à la charge de la SAS Olympe FR4 ;
ordonné la radiation aux frais de la SAS Olympe FR4 de cette inscription par le « Conservateur des hypothèques » compétent ;
rejeté la demande de restitution à la SAS JC de la somme de 1 600 000 euros ;
rejeté la demande de dommages-intérêts ;
condamné la SAS Olympe FR4 à payer à la SAS JC la somme de 5 000 euros par application de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux dépens.
Pour statuer ainsi, le juge de l’exécution a retenu que :
sur l’apparence d’une créance fondée en son principe, la créance de restitution dont se prévalait la SAS Olympe FR4 relative à l’indemnité d’immobilisation de 1 600 000 euros liée à la résolution des promesses de vente ne paraissait pas suffisamment fondée en son principe, en raison de doutes relatifs à la réunion des conditions de la résolution des promesses et avenants, puisque seuls le refus de report de la date de signature des actes définitifs et l’échec de renégociation des promesses avaient conduit la SAS Olympe FR4 à solliciter la résolution des actes, et que lesdites promesses avaient stipulé que la survenance de la date butoir sans que les actes de vente n’aient été signés rendrait la SAS JC définitivement titulaire des sommes versées à titre d’indemnité d’immobilisation ;
les parties avaient expressément écarté les dispositions de l’article 1195 du code civil permettant la révision du contrat pour imprévision ;
sur la demande de restitution de l’indemnité d’immobilisation, elle ne relevait pas de son pouvoir ;
sur la demande de dommages-intérêts, la SAS JC ne prouvait pas l’existence d’un préjudice né de l’inscription de l’hypothèque judiciaire car la vente de l’immeuble et du fonds avait pu avoir lieu et la somme de 1 600 000 euros avait été consignée entre les mains du notaire.
Par déclaration du 1er septembre 2022, la SAS Olympe FR4 a formé appel de ce jugement.
Par dernières conclusions du 13 mars 2023, la SAS Olympe FR4 demande à la Cour de :
infirmer le jugement du 31 août 2022, sauf en ce qu’il a rejeté les demandes formées par la SAS JC à fin de restitution de la somme de 1 600 000 euros et de dommages-intérêts ;
Statuant à nouveau,
débouter la SAS JC de sa demande de mainlevée de l’inscription d’hypothèque judiciaire provisoire ;
débouter la SAS JC de sa demande de substitution de garanties ;
condamner la SAS JC à lui payer la somme de 23 478,79 euros au titre des frais occasionnés par l’hypothèque judiciaire provisoire inscrite le 30 septembre 2021 ;
En tout état de cause,
condamner la SAS JC à lui payer une somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux dépens de première instance et d’appel, dont distraction au profit de son avocat, en application des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
L’appelante soutient que :
la SAS JC était dans l’impossibilité de délivrer un fonds de commerce ouvert à la clientèle, se trouvant dans un état conforme à ce qu’il était le 11 septembre 2019 et dont l’exploitation n’était pas paralysée, en tout ou partie, par une interdiction administrative ou judiciaire, alors que l’hôtel a été fermé du 17 mars au 22 juin 2020 en raison des mesures gouvernementales empêchant la clientèle d’y accéder, ce que confirme l’effondrement de son chiffre d’affaires et du taux d’occupation au mois de mars 2020 ; ces manquements aux obligations de délivrance, de conserver le fonds de commerce ouvert à la clientèle et de garantie ne résultent pas de sa prétendue incapacité de payer le prix convenu ;
elle justifie d’une créance paraissant fondée en son principe au titre de la restitution de l’indemnité d’immobilisation ;
celle-ci n’est pas définitivement acquise à la SAS JC, puisqu’elle n’en était redevable que si la non-réalisation de la vente lui était imputable et si l’intéressée avait satisfait à ses propres obligations ;
la renonciation au bénéfice de l’imprévision ne saurait la priver de la possibilité de se prévaloir de l’exception d’inexécution, ses demandes n’étant pas fondées sur l’imprévision ;
elle était en mesure de financer l’opération et de remplir son obligation de paiement du prix, dès lors que l’acquisition était intégralement financée au 31 mars 2020 ;
la SAS JC a cédé son bien à un tiers sans l’avoir préalablement mise en demeure, alors que la survenance de la date butoir sans que les actes de vente aient été signés n’était pas extinctive des droits et obligations des parties, constituant désormais un empêchement définitif à la vente ;
la SAS JC doit être condamnée à lui payer la somme de 23 478,79 euros au titre des frais d’inscription de l’hypothèque ;
elle justifie de circonstances menaçant le recouvrement de sa créance, dans la mesure où la SAS JC a vu son chiffre d’affaires s’effondrer depuis le mois de mars 2020, a entièrement consommé la somme de 1 600 000 euros qu’elle lui a versée, en la comptabilisant en produit exceptionnel sans prévoir la moindre provision pour risque, apparaît privée de trésorerie, a vendu les murs et le fonds de commerce pour un prix qu’elle refuse de communiquer, et détient des participations sans valeur dans les sociétés Hôtel 64 et Hôtel 66 ;
la demande de substitution de garantie doit être rejetée, car le recouvrement des créances en compte-courant des sociétés Hôtel 64 et Hôtel 66 serait compromise par le fait que les participations de la SAS JC dans leur capital sont dépourvues de valeur et que ces sociétés pourraient céder leur fonds de commerce ;
la demande de dommages-intérêts formée par la partie adverse doit être rejetée, puisqu’elle n’a jamais tenté de faire échec à la vente de l’hôtel et que l’inscription d’hypothèque judiciaire provisoire n’a pas retardé cette vente, qui a finalement eu lieu le 6 décembre 2021 ;
la demande de restitution de la somme de 1 600 000 euros doit être également rejetée dans la mesure où cette consignation se justifie en raison de la vente.
Par dernières conclusions du 8 mars 2023, la SAS JC demande à la Cour de :
À titre principal,
confirmer le jugement du 31 août 2022, sauf en ce qu’il a rejeté ses demandes de restitution de la somme de 1 600 000 euros et de dommages-intérêts ;
l’infirmer en ce qu’il a rejeté sa demande de restitution ;
Statuant à nouveau,
autoriser le notaire ayant reçu l’acte de vente à lui restituer la somme de 1 600 000 euros sur présentation de l’ordonnance et du justificatif de radiation de l’inscription conformément à l’acte du 6 décembre 2021 ;
À titre subsidiaire, si la Cour considérait que la SAS Olympe FR4 disposait d’une créance paraissant fondée dans son principe et qu’il existait des circonstances susceptibles d’en menacer le recouvrement,
substituer à l’inscription d’hypothèque provisoire le nantissement provisoire, au profit de la SAS Olympe FR4, pour le montant de la créance que la cour estimera fondée en son principe, de :
98 parts sociales, numérotées de 3 à 100, détenues en pleine propriété par elle dans le capital social de la SARL Hôtel 64, au capital social de 1 000 euros immatriculée au RCS de Paris sous le n°832 284 848, dont le siège social est sis [Adresse 2], à [Localité 8] ;
98 parts sociales, numérotées de 3 à 100, détenues en pleine propriété par elle dans le capital social de la SARL Hôtel 66, au capital social de 1 000 euros immatriculée au RCS de Paris sous le n°834 950 420, dont le siège social est sis [Adresse 2], à [Localité 8] ;
À titre infiniment subsidiaire,
Substituer à l’inscription d’hypothèque provisoire le nantissement provisoire, au profit de la SAS Olympe FR4, du solde créditeur des comptes-courants d’associé qu’elle détient dans les comptes de la SARL Hôtel 64 à hauteur de 800.000 euros et de la SARL Hôtel 66 à hauteur de 800 000 euros ;
En tout état de cause,
rejeter l’ensemble des demandes de la SAS Olympe FR4 ;
la condamner à lui payer la somme de 100 000 euros en réparation du préjudice causé par la mesure conservatoire, sur le fondement de l’article L 512-2 du code des procédures civiles d’exécution ;
condamner la SAS Olympe FR4 à lui payer la somme de 100 000 euros pour procédure abusive ;
la condamner à lui payer la somme de 10 000 euros en cause d’appel par application de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens de la procédure d’appel, dont distraction au profit de son avocat, Maître Fromantin, sur son affirmation de droit.
L’intimée fait valoir que :
la créance de la SAS Olympe FR4 ne paraît pas fondée en son principe, car elle a accepté contractuellement, par avenant du 2 février 2020, que l’indemnité d’immobilisation lui soit définitivement acquise, et a renoncé à la théorie de l’imprévision ; elle ne peut donc pas se prévaloir de la baisse de la rentabilité de l’hôtel ; elle a manqué à ses obligations contractuelles en renonçant à la vente trois jours avant la date de délivrance prévue parce qu’elle ne disposait pas des financements nécessaires, d’autant plus que les conditions de l’exception d’inexécution par anticipation et de la résolution ne sont pas remplies, car elle n’a pas manqué à son obligation de délivrance conforme, aucune caractéristique liée à l’activité économique n’étant entrée dans le champ contractuel, ni à sa garantie d’éviction car la délivrance n’a pas eu lieu ;
la force majeure qui l’empêcherait d’exécuter son obligation de délivrance ne saurait être retenue, car elle ne peut pas être invoquée par le créancier de la prestation inexécutée, d’autant plus que la SAS Olympe FR4 ne démontre pas que les conditions seraient réunies et que la jurisprudence exclut cette qualification à la crise sanitaire ;
la prétendue créance de la SAS Olympe FR4 doit se compenser avec les siennes au titre de l’indemnité d’immobilisation de 280 000 euros prévue dans le cadre de la promesse portant sur le fonds, et de dommages-intérêts (soit 1 880 000 euros) pour procédure abusive ;
la SAS Olympe FR4 ne démontre aucune circonstance susceptible de menacer le recouvrement de sa prétendue créance, puisque ses immobilisations s’élevaient à 11 millions d’euros, son actif total était de plus de 14 millions d’euros et ses réserves dépassaient les 5 millions d’euros au 30 septembre 2020 ;
la somme de 1 600 000 euros consignée entre les mains du notaire doit lui être restituée, comme prévu par l’acte réitératif du 6 décembre 2021 de cession de l’immeuble en cas de mainlevée de l’hypothèque, ce qui relève de la compétence du juge de l’exécution en application de l’article L 216-3 du code de l’organisation judiciaire ;
subsidiairement, à l’hypothèque judiciaire provisoire doit se substituer, un nantissement sur les parts sociales ou des comptes-courants d’associé qu’elle détient dans les sociétés Hôtel 64 et Hôtel 66 ;
des dommages-intérêts doivent lui être accordés sur le fondement de l’article L 512-2 du code des procédures civiles d’exécution, l’inscription hypothécaire lui ayant fait perdre une chance de vendre ses biens plus rapidement, et sur le fondement de la responsabilité pour procédure abusive, la SAS Olympe FR4 ayant, un an après l’introduction de l’instance au fond et dans un contexte de reprise de l’activité économique hôtelière, déposé une demande d’inscription d’hypothèque dans le but de décourager tout acquéreur potentiel et ayant refusé sa proposition de consignation de la somme de 1 600 000 euros entre les mains du notaire en contrepartie de sa mainlevée amiable.
Selon ordonnance en date du 11 janvier 2023, le magistrat délégataire du premier président de cette Cour a rejeté la demande de sursis à exécution du jugement dont appel qui avait été formée par la SAS Olympe FR4.
MOTIFS
L’article R 512-1 du Code des procédures civiles d’exécution énonce que si les conditions prévues pour pratiquer une saisie conservatoire, à savoir l’existence d’une créance paraissant fondée en son principe et des circonstances susceptibles d’en menacer le recouvrement, ne sont pas réunies, la mainlevée de la mesure conservatoire peut être ordonnée à tout moment. Il appartient au créancier de prouver que ces conditions sont remplies.
S’agissant de la créance paraissant fondée en son principe, il résulte des pièces produites que :
aux termes d’un acte notarié daté du 11 septembre 2019, la SAS Olympe FR4, cessionnaire, et la SAS JC, vendeur, ont conclu une promesse de vente portant sur un fonds de commerce d’hôtel exploité sous l’enseigne « Grand hôtel de [Localité 7] » dans des locaux sis dans cette ville, [Adresse 4], pour un prix de 2 800 000 euros ;
par acte notarié du même jour, les parties sont convenues de la vente de l’immeuble dans lequel ce fonds est exploité, pour la somme de 11 000 000 euros ;
la signature des actes réitératifs devait intervenir le 5 novembre 2019 au plus tard ;
par deux avenants du 5 novembre 2019, cette date a été repoussée au 31 janvier 2020 ;
deux avenants du 4 février 2020 ont à nouveau repoussé cette date au 31 mars 2020 ; par ailleurs, la clause pénale était requalifiée en indemnité d’immobilisation à hauteur de 280 000 euros pour le fonds de commerce et de 1 600 000 euros pour l’immeuble ; les actes stipulaient que la survenance de la date butoir sans que les actes de vente de l’immeuble et du fonds de commerce ne soient régularisés rendrait le vendeur (la SAS JC) définitivement titulaire des sommes versées à titre d’immobilisation ;
ladite indemnité d’immobilisation a été réglée à hauteur de 1 600 000 euros, dont 100 00 euros ont été payés dans le cadre du second avenant ;
le 20 mars 2020, le conseil de la SAS Olympe FR4 a sollicité un report de la date de signature, motif pris des effets de la crise sanitaire ayant conduit à la quasi-fermeture de l’établissement ;
le 24 mars suivant, le conseil de la SAS JC a soutenu que c’était à tort que la SAS Olympe FR4 avait cru pouvoir invoquer la force majeure, dans la mesure où une jurisprudence constante excluait toute notion de force majeure en cas de maladie ou de pandémie ; il invoquait diverses jurisprudences rendues dans le cas de la survenance de la peste, de la dingue, de la grippe aviaire et du chikungunya ;
le 27 mars, puis les 30 et 31 mars 2020 ont été dressés par le notaire des procès-verbaux de carence, la SAS JC ayant fait savoir qu’elle maintenait sa position, le fonds de commerce continuant d’être exploité, sous les contraintes sanitaires ;
le 20 avril 2020, le conseil de la SAS JC a fait observer que la SAS Olympe FR4 s’était engagée à acquérir le bien et que toutes les conditions suspensives étaient remplies, et que nonobstant cette situation, les fonds n’avaient pas été versés au 27 mars 2020, alors que la signature de l’acte de vente n’était pas intervenue si bien qu’une indemnité d’immobilisation de 280 000 euros était due au titre du préjudice subi par le vendeur qui s’était engagé de façon ferme et définitive à céder son bien ;
le 4 mai 2020, le conseil de la SAS Olympe FR4 a répondu que la crise sanitaire et les mesures gouvernementales prises en conséquence avaient entraîné la fermeture de la plupart des commerces et paralysaient son activité, si bien que celle de l’hôtel serait impactée, et la SAS JC n’était manifestement plus en mesure de céder son fonds de commerce dans l’état dans lequel il se trouvait lors de la signature de la promesse de vente ; il ajoutait que la résolution judiciaire de la vente de l’immeuble et celle de la vente du fonds étaient justifiées ;
par acte en date du 11 août 2020, la SAS Olympe FR4 a assigné la SAS JC devant le Tribunal de grande instance de Grenoble aux fins d’obtenir la résolution des deux contrats de vente susvisés et la restitution de la somme de 1 600 000 euros qui avait été versée par ses soins à titre d’indemnité d’immobilisation ;
suivant ordonnance en date du 6 juillet 2021, le juge de la mise en état dudit tribunal a condamné la SAS JC à communiquer sous astreinte divers éléments comptables (chiffre d’affaires, taux d’occupation des chambres, tarifs, comptes annuels’) ;
selon deux actes notariés datés du 6 décembre 2021, la SAS JC a vendu l’immeuble et le fonds de commerce à la SAS grand Hôtel de [Localité 7].
La SAS JC prétend que la SAS Olympe FR4 n’est pas fondée à solliciter le remboursement de l’indemnité d’immobilisation payée par ses soins car elle a expressément accepté que celle-ci soit définitivement acquise au vendeur, et que c’est du fait de la SAS Olympe FR4 que la vente n’a finalement pas été régularisée. Le refus de cette dernière de régulariser les actes est exclusivement motivé par les conséquences de l’épidémie de Covid-19 et des mesures gouvernementales prises pour tenter d’endiguer celle-ci, spécialement la fermeture temporaire des hôtels qui avait entraîné une chute de la rentabilité de celui qu’elle se proposait d’acquérir.
L’article 1195 du code civil prévoit que si un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l’exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant. Elle continue à exécuter ses obligations durant la renégociation.
En cas de refus ou d’échec de la renégociation, les parties peuvent convenir de la résolution du contrat, à la date et aux conditions qu’elles déterminent, ou demander d’un commun accord au juge de procéder à son adaptation. A défaut d’accord dans un délai raisonnable, le juge peut, à la demande d’une partie, réviser le contrat ou y mettre fin, à la date et aux conditions qu’il fixe.
Or, dans les promesses de vente de l’immeuble, la SAS Olympe FR4 avait renoncé à se prévaloir de l’imprévision, dans un paragraphe n° 43 intitulé « renonciation à l’imprévision », par lequel les parties écartaient les dispositions de l’article 1195 du code civil.
Dans ces conditions, l’appelante ne pouvait utilement se prévaloir des effets de l’épidémie de Covid-19 pour se soustraire à ses engagements. Si elle fait plaider que la SAS JC a manqué à son obligation de délivrance, la jurisprudence considère que la fermeture temporaire des établissements recevant du public ne saurait suffire à caractériser un tel manquement. Il s’ensuit que la loi du 23 mars 2020 déclarant l’état d’urgence sanitaire sur l’ensemble du territoire national, les décrets du 23 mars 2020 et du 14 avril 2020 faisant interdiction aux personnes de quitter leur domicile jusqu’au 11 mai 2020, sauf pour effectuer des achats de première nécessité ou de fournitures nécessaires à l’activité professionnelle, ainsi que les arrêtés des 14 et 16 mars 2020 du ministre des solidarités et de la santé décidant de l’interdiction de recevoir du public s’appliquant aux commerces dont l’activité n’est pas indispensable à la vie de la Nation et dont l’offre de biens ou de services n’est pas de première nécessité, si de toute évidence ils ont entravé le fonctionnement des hôtels, ne sauraient être considérés comme des circonstances permettant à l’acquéreur, la SAS Olympe FR4, d’invoquer le défaut de délivrance de la chose vendue.
Dans ces conditions, l’indemnité d’immobilisation a vocation à être conservée par le vendeur, la SAS JC, si bien que la SAS Olympe FR4 ne peut utilement invoquer une créance paraissant fondée en son principe.
Le jugement sera confirmé en ce qu’il a ordonné la mainlevée de la mesure conservatoire aux frais de la SAS Olympe FR4. Il sera également confirmé en ce qu’il a rejeté la demande de celle-ci à fin de restitution de l’indemnité d’immobilisation, et ce d’autant plus qu’en tout état de cause, le juge de l’exécution ne peut délivrer de titres exécutoires hors les cas prévus par la loi.
La SAS JC forme un appel incident en ce que le jugement a refusé de faire droit à sa demande de dommages et intérêts, et réclame la somme de 100 000 euros à ce titre. En application de l’article L 512-2 du code des procédures civiles d’exécution, les frais occasionnés par une mesure conservatoire sont à la charge du débiteur, sauf décision contraire du juge. Lorsque la mainlevée a été ordonnée par le juge, le créancier peut être condamné à réparer le préjudice causé par la mesure conservatoire. Ce texte, qui est indépendant des dispositions de l’article L 121-2 du même code, ne prévoit pas qu’il soit nécessaire de démontrer une faute du créancier.
En l’espèce il n’est pas démontré que l’intimée ait souffert d’un préjudice car l’inscription d’hypothèque judiciaire provisoire litigieuse ne l’a pas empêchée de vendre son bien, le 6 décembre 2021 ; les copies des actes de vente du bâtiment et du fonds de commerce qu’elle verse aux débats ne comportent pas la mention du prix qui a été occultée. Il n’est donc nullement démontré qu’elle a cédé ces deux biens à des conditions moins avantageuses que celles initialement convenues avec la SAS Olympe FR4. Le jugement est confirmé de ce chef.
Le droit d’action ou de défense en justice ne dégénère en abus qu’en cas de malice, mauvaise foi ou erreur grossière, équipollente au dol, de sorte que la condamnation à des dommages-intérêts doit se fonder sur la démonstration de l’intention malicieuse et de la conscience d’un acharnement procédural voué à l’échec, sans autre but que de retarder ou de décourager la mise en ‘uvre par la partie adverse du projet contesté, en l’espèce la mainlevée de la mesure conservatoire. Le principe du droit d’agir implique que la décision judiciaire de retenir le caractère non fondé des prétentions ne suffit pas à caractériser l’abus de l’exercice du droit. En l’espèce, la SAS Olympe FR4 a pu, dans des conditions ne révélant pas un abus, estimer qu’à la suite de l’épidémie de Covid 19 et aux mesures qui ont été prises par l’autorité publique, le contrat de vente ne pouvait recevoir application. Faute de caractère abusif de la présente action en justice, le jugement sera confirmé en ce qu’il a débouté la SAS JC de sa demande de dommages et intérêts.
L’équité ne commande pas de faire application de l’article 700 du code de procédure civile au bénéfice de la SAS JC.
La SAS Olympe FR4 sera condamnée aux dépens d’appel.
PAR CES MOTIFS
– CONFIRME le jugement en date du 31 août 2022 ;
– REJETTE la demande de la SAS JC en application de l’article 700 du code de procédure civile ;
– CONDAMNE la SAS Olympe FR4 aux dépens d’appel, qui seront recouvrés par Maître Fromantin conformément à l’article 699 du code de procédure civile.
Le greffier, Le président,