CIV. 1
CF
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 11 mai 2023
Cassation partielle
Mme AUROY, conseiller doyen faisant fonction de président
Arrêt n° 316 F-D
Pourvoi n° H 21-14.557
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 11 MAI 2023
1°/ M. [K] [E], domicilié [Adresse 7], agissant tant en son nom personnel qu’en qualité d’ayant droit de [Y] [E], décédée,
2°/ M. [N] [E], domicilié [Adresse 2],
3°/ Mme [P] [E], épouse [R], domiciliée [Adresse 6],
4°/ M. [L] [E], domicilié [Adresse 5],
agissant tous trois en qualité d’ayants droit de [Y] [E], décédée,
ont formé le pourvoi n° H 21-14.557 contre l’arrêt rendu le 28 janvier 2021 par la cour d’appel de Bordeaux (2e chambre civile), dans le litige les opposant :
1°/ à M. [J] [M],
2°/ à Mme [X] [U], épouse [M],
domiciliés tous deux [Adresse 4],
défendeurs à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l’appui de leur pourvoi, un moyen unique de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Duval, conseiller référendaire, les observations de la SCP Gadiou et Chevallier, avocat de MM. [K], [N], [L] [E] et de Mme [P] [E], après débats en l’audience publique du 21 mars 2023 où étaient présents Mme Auroy, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Duval, conseiller référendaire rapporteur, Mme Antoine, conseiller, et Mme Layemar, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l’arrêt attaqué (Bordeaux, 28 janvier 2021) et les productions, [B] [W] veuve [E] a souscrit, auprès d’une société représentée par M. [M], deux « contrats de prêt en placement ».
2. Le 24 octobre 2006, M. [M] s’est engagé à lui rembourser la somme investie dans un délai de soixante jours.
3. Un juge de l’exécution a autorisé [B] [E] à inscrire une hypothèque provisoire sur un bien immobilier appartenant en indivision à M. [M] et à son épouse pour sûreté de sa créance.
4. Un arrêt du 27 octobre 2009 a condamné M. [M] à payer à [B] [E] une somme de 316 000 euros, outre les intérêts au taux légal à compter du 24 décembre 2006.
5. Un arrêt du 31 mars 2011 a ordonné, à la demande d'[B] [E], le partage de l’indivision existante entre M. et Mme [M] sur l’immeuble de [Localité 3] et la vente forcée, laquelle a été réalisée au prix de 422 000 euros.
6. Seule la moitié de ce prix de vente lui ayant été versée, [B] [E] a assigné M. et Mme [M] pour obtenir le versement de l’autre moitié.
7. [B] [E] étant décédée le 15 octobre 2017, l’instance d’appel a été reprise par ses héritiers, Mme [P] [E] et MM. [K], [N] et [L] [E] (les consorts [E]). Ceux-ci ont soutenu que le changement de régime matrimonial de M. et Mme [M], mariés sans contrat préalable et ayant opté pour le régime de séparation de biens, homologué le 2 octobre 1986, ne leur était pas opposable, dès lors que celui-ci n’avait été porté en marge de leur acte de mariage que le 30 décembre 2019.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa troisième branche
Enoncé du moyen
8. Les consorts [E] font grief à l’arrêt de rejeter leur demande tendant à voir juger que l’immeuble litigieux a la qualité de bien commun et, en conséquence, constater que l’intégralité des sommes issues de la vente de l’immeuble devait leur revenir et autoriser le notaire à leur verser la somme de 211 000 euros outre les intérêts correspondant au prix d’adjudication, alors « que le changement de régime matrimonial peut être opposable aux tiers avant le délai de trois mois si, dans les actes passés avec eux, les époux ont déclaré avoir modifié leur régime matrimonial ; qu’en l’espèce, ni l’inscription provisoire d’hypothèque prise par Mme [E] sur l’immeuble commun ni la demande de partage de l’indivision [M]-[U] ne saurait constituer un « acte passé [avec les époux] » ; qu’en décidant dès lors que Mme [E] n’avait pu se méprendre sur l’étendue de son droit sur l’immeuble hypothéqué ayant eu connaissance de la propriété indivise des époux [M] sur l’immeuble dès l’inscription de son hypothèque judiciaire provisoire, sans constater l’existence d’un acte passé entre les époux [M] et les consorts [E] de nature à rendre opposable le changement de régime matrimonial malgré l’absence de mention en ce sens dans l’acte de mariage, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 1397, alinéa 6 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l’article 1397, alinéa 3, devenu alinéa 6, du code civil :
9. Selon ce texte, le changement de régime matrimonial homologué a effet entre les parties à dater du jugement et, à l’égard des tiers, trois mois après que mention en aura été portée en marge de l’un et de l’autre exemplaire de l’acte de mariage. Toutefois, en l’absence même de cette mention, le changement n’en est pas moins opposable aux tiers si, dans les actes passés avec eux, les époux ont déclaré avoir modifié leur régime matrimonial.
10. Pour rejeter la demande des consorts [E] tendant à voir constater que l’intégralité des sommes issues de sa vente doit leur revenir et autoriser le notaire à leur verser le solde du prix d’adjudication, l’arrêt retient qu'[B] [E] a assigné M. et Mme [M] en partage de l’indivision existant entre eux et n’a jamais invoqué le caractère commun de l’immeuble au cours des procédures ayant abouti à sa vente. Il ajoute qu’elle a eu connaissance du caractère indivis de l’immeuble et, par conséquent, du régime matrimonial actuel de M. et Mme [M], dès l’inscription de son hypothèque judiciaire provisoire qui n’a été prise que sur la moitié indivise en pleine propriété de M. [M]. Il en déduit qu’en dépit de l’absence de mention du changement de régime matrimonial sur l’acte mariage des époux, [B] [E] n’a pu se méprendre sur l’étendue de son droit sur l’immeuble hypothéqué en sorte que les consorts [E] sont mal fondés à arguer de son caractère commun à leur égard.
11. En se déterminant ainsi, alors qu’il était constant que la mention du jugement homologuant le changement de régime matrimonial de M. et Mme [M] n’avait été porté en marge de leur acte de mariage que le 30 septembre 2019, la cour d’appel, qui n’a pas constaté qu’antérieurement à cette date, M. et Mme [M] avaient déclaré avoir modifié leur régime matrimonial dans un acte passé avec [B] [E], n’a pas donné de base légale à sa décision au regard du texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu’il rejette la demande des consorts [E] tendant à autoriser Mme [Z], notaire au sein de la SCP Cazaillet Coutant et Seynhaeve, à leur verser la moitié du prix de vente de l’immeuble situé [Adresse 1] à [Localité 3], en ce qu’il autorise ce notaire à verser cette somme, soit 211 000 euros, outre les intérêts sur celle-ci, à Mme [M], en ce qu’il rejette les demandes en application de l’article 700 du code de procédure civile et en ce qu’il condamne in solidum Mme [P] [E], MM. [K], [N] et [L] [E] aux dépens d’appel, l’arrêt rendu le 28 janvier 2021, entre les parties, par la cour d’appel de Bordeaux ;
Remet, sur ces points, l’affaire et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d’appel de Poitiers ;
Condamne M. et Mme [M] aux dépens ;
En application de l’article 700 du code de procédure civile, condamne M. et Mme [M] à payer Mme [P] [E] et à MM. [K], [N] et [L] [E] la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du onze mai deux mille vingt-trois.