RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 1 – Chambre 10
ARRÊT DU 11 MAI 2023
(n° , 8 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général :
N° RG 22/16774 – N° Portalis 35L7-V-B7G-CGO4E
Décision déférée à la cour :
Jugement du 30 juin 2022-Juge de l’exécution de Paris-RG n° 18/00155
APPELANTS
Madame [L] [J] [W] [K]
[Adresse 8]
[Localité 6] (PAYS-BAS)
Représentée par Me Stéphane FERTIER de la SELARL JRF AVOCATS & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : L0075
Ayant pour avocat plaidant Me Julie COUTURIER, avocat au barreau de PARIS
Monsieur [F] [I] [K]
Demeurant chez Monsieur [Adresse 11]
[Adresse 11]
[Localité 5]
Représenté par Me Stéphane FERTIER de la SELARL JRF AVOCATS & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : L0075
Ayant pour avocat plaidant Me Julie COUTURIER, avocat au barreau de PARIS
S.C.I. TIGER
[Adresse 7]
[Localité 5]
Représentée par Me Stéphane FERTIER de la SELARL JRF AVOCATS & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : L0075
Ayant pour avocat plaidant Me Julie COUTURIER, avocat au barreau de PARIS
INTIMÉS
Monsieur [C] [B]
associé du cabinet Grant Thornton UK LLP,
agissant en qualité de syndic de Monsieur [F] [K]
[Adresse 2]
[Adresse 2]
[Localité 9] – ROYAUME UNI
Représenté par Me Stéphane BONIFASSI, avocat au barreau de PARIS, toque : A619
S.A. CREDIT IMMOBILIER DE FRANCE DEVELOPPEMENT-(CIFD)
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentée par Me Liora BENDRIHEM HELARY de l’AARPI TRIANON AVOCATS, avocat au barreau de PARIS
Ayant pour avocat plaidant Me Marc DUCRAY, avocat au barreau de NICE
COMPOSITION DE LA COUR
L’affaire a été débattue le 29 mars 2023, en audience publique, devant la cour composée de :
Madame Bénédicte PRUVOST, président de chambre
Madame Catherine LEFORT, conseiller
Monsieur Raphaël TRARIEUX, conseiller
qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l’audience par Monsieur Raphaël TRARIEUX, conseiller, dans les conditions prévues par l’article 804 du code de procédure civile.
GREFFIER lors des débats : Monsieur Grégoire GROSPELLIER
ARRÊT
-contradictoire
-par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
-signé par Madame Bénédicte PRUVOST, président de chambre et par Monsieur Grégoire GROSPELLIER, greffier présent lors de la mise à disposition.
*****
Déclarant agir en vertu d’un acte notarié en date du 18 mars 2010, la société Crédit immobilier de France développement a, le 23 janvier 2018, délivré à la SCI Tiger un commandement valant saisie immobilière portant sur un immeuble sis [Adresse 3] à [Localité 10], d’une superficie de 44,40 m² ; ledit commandement valant saisie immobilière sera publié au service de la publicité foncière de [Localité 10] bureau le 16 mars 2018 volume 2018 S n° 7.
La société Crédit immobilier de France développement ayant assigné la SCI Tiger ainsi que les consorts [K] devant le juge de l’exécution de Paris à l’audience d’orientation, ce dernier a :
– par jugement du 9 janvier 2020, ordonné un sursis à statuer dans l’attente du prononcé de l’arrêt de la Cour d’appel de Paris (saisie de l’appel formé contre un jugement en date du 29 janvier 2019) ;
– par jugement du 27 février 2020, prorogé le commandement valant saisie immobilière pour deux ans ;
– par jugement du 24 février 2022, prorogé le commandement valant saisie immobilière pour cinq ans ;
– et enfin, par jugement du 30 juin 2022 :
* débouté la SCI Tiger ainsi que les consorts [K] de leur demande d’annulation et de mainlevée du commandement valant saisie immobilière ;
* rejeté la demande de dommages et intérêts ainsi que la demande de délais de paiement ;
* mentionné le montant de la créance à 73 639,69 euros (au 15 février 2017) ;
* taxé les frais à hauteur de 4 888,36 euros ;
* autorisé la vente amiable du bien sur un prix minimal de 500 000 euros ;
* renvoyé l’affaire à l’audience du 20 octobre 2022 ;
* rejeté les demandes en application de l’article 700 du code de procédure civile.
Pour statuer ainsi, il a notamment relevé :
– que M. [K] était propriétaire du bien, mais l’a vendu par acte notarié du 18 mars 2020 à la SCI Tiger, avec délégation de paiement imparfaite au bénéfice de la société Crédit immobilier de France développement ;
– que cet acte notarié emporte, en effet, cette délégation consentie par M. [K] et acceptée par la Banque Patrimoine et Immobilier aux droits de laquelle vient la société Crédit immobilier de France développement, délégataire, la SCI Tiger acquéreur du bien s’obligeant par là même à payer la dette ;
– que dès lors qu’il s’agit d’une délégation imparfaite, il n’y a pas de libération du délégant-vendeur qui demeure débiteur vis-à-vis du délégataire, la banque ;
– qu’il n’y a pas eu novation ;
– que la SCI Tiger prétend donc à tort que son engagement envers le délégataire est indépendant et subsidiaire par rapport à celui de M. [K] vis-à-vis de la société Crédit immobilier de France développement ;
– que les clauses du prêt sont pleinement opposables à la SCI Tiger ;
– que c’est la prescription de cinq ans qui s’applique, le point de départ du délai se situant à la date de déchéance du terme soit au 10 mai 2011, mais des actes interruptifs sont survenus, la SCI Tiger ayant reconnu devoir la dette à plusieurs reprises.
Selon déclaration en date du 10 octobre 2022, M. [K], Mme [K] et la SCI Tiger ont relevé appel de ce jugement.
Par actes en date des 2 novembre et 5 décembre 2022, ils ont assigné M. [B] (ès-qualités de syndic de faillite de M. [K]) et la société Crédit immobilier de France développement devant la Cour d’appel de Paris à jour fixe, autorisés à cette fin par une ordonnance sur requête en date du 25 octobre 2022.
Dans leurs conclusions notifiées le 28 mars 2023, M. [K], Mme [K] et la SCI Tiger soutiennent :
– qu’ils ont saisi le premier président de cette Cour d’une demande de sursis à exécution du jugement dont appel ;
– que par acte notarié du 21 février 2003, la Banque Patrimoine et Immobilier, aux droits de laquelle vient la société Crédit immobilier de France développement a consenti à M. [K] un prêt immobilier de 160 500 euros en capital ;
– que par acte notarié du 18 mars 2020, ce dernier a vendu le bien ainsi financé à la SCI Tiger pour un prix de 395 000 euros ; qu’une délégation imparfaite de paiement du solde du prêt initial (74 108,17 euros) a été convenue entre la Banque Patrimoine et Immobilier, la SCI Tiger et M. [K] ; que ladite SCI s’est ainsi engagée à régler les sommes dues à la Banque Patrimoine et Immobilier, M. [K] restant tenu au paiement de la dette, subsidiairement ;
– que la SCI Tiger est devenue le nouveau débiteur de la banque, mais que M. [K] n’a pas été déchargé de sa dette pour autant ;
– qu’il s’agit là d’une délégation imparfaite ;
– que M. [K] a fait l’objet d’une procédure collective au Royaume Uni et M. [B] désigné trustee on bankruptcy, la Banque Patrimoine et Immobilier déclarant sa créance entre ses mains ;
– que M. [B] a assigné les autres parties devant le Tribunal de grande instance de Paris dans le cadre d’une action paulienne, ledit Tribunal décidant par jugement du 18 mars 2014 que les hypothèques consenties par M. [K] sont inopposables à M. [B] ès-qualités dans la limite des sommes dues aux créanciers, de même que la vente du bien ;
– que ce jugement été confirmé par un arrêt de la Cour d’appel de Paris du 13 mai 2016 ; que par arrêt du 25 mars 2020, la Cour de cassation a cassé cet arrêt en toutes ses dispositions sans renvoi, après avoir relevé, suivant en cela l’arrêt de la CJUE qu’elle avait saisie de diverses questions préjudicielles, que les juridictions françaises n’étaient pas compétentes pour statuer sur les demandes tendant à voir déclarer inopposables à la faillite de M. [K] les inscriptions d’hypothèque et l’acte de vente de son bien ;
– que par ailleurs, par jugement du 29 janvier 2019, le Tribunal de grande instance de Paris a jugé que M. [B] ès-qualités pouvait vendre à l’amiable les biens immobiliers, un appel ayant été formé par M. [K] et la SCI Tiger ; qu’en raison de la décision de la Cour de cassation susvisée, M. [B] a dû renoncer au bénéfice du jugement précité ce qui sera constaté par une ordonnance du juge de la mise en état en date du 3 février 2022 ;
– qu’ensuite la présente procédure de saisie immobilière a été lancée ;
– que le jugement dont appel a déclaré à tort la créance de la société Crédit immobilier de France développement exigible ;
– que la déchéance du terme résultant de la procédure collective intéressant M. [K], qui n’est pas une liquidation judiciaire mais serait plutôt assimilable à une procédure de surendettement ou à une faillite personnelle, n’a d’effet qu’envers celui-ci et reste inopposable aux autres débiteurs ;
– que le contrat ne prévoyait nullement que la déchéance du terme survenue vis-à-vis de M. [K] s’étendrait aux autres parties telles que le débiteur délégué ;
– que la Banque Patrimoine et Immobilier n’a jamais mis en demeure la SCI Tiger de s’exécuter, et a même bloqué ses comptes, la plaçant dans l’impossibilité de régler les échéances de prêt ;
-que les relations délégataire/délégant sont indépendantes des relations délégataire/délégué, à l’exception du cas de l’extinction de la dette ;
– que de plus la prescription est acquise ; que la déchéance du terme a été prononcée le 15 mai 2011 ; que la banque ne peut se prévaloir d’actes interruptifs intéressant le délégant (M. [K]) ; que le commandement valant saisie immobilière a été signifié le 23 janvier 2018, alors que la prescription était acquise ;
– que la créance n’est pas liquide ; que les décomptes sont confus, le capital restant dû ne se retrouvant pas dans le tableau d’amortissement ;
– que les intérêts et primes d’assurance sont prescrits ;
– que la société Crédit immobilier de France développement s’est rendue coupable d’un abus de saisie ;
– subsidiairement, qu’il y a lieu de lui octroyer des délais de paiement, tandis que la procédure doit être orientée en vente amiable.
M. [K], Mme [K] et la SCI Tiger demandent en conséquence à la Cour de :
– infirmer le jugement ;
– ordonner la mainlevée et la radiation du commandement valant saisie immobilière susvisé ;
– subsidiairement, déclarer la demande de la société Crédit immobilier de France développement irrecevable comme prescrite ;
– la condamner au paiement de la somme de 30 000 euros à titre de dommages et intérêts ;
– subsidiairement, octroyer des délais de paiement à la SCI Tiger sur 24 mois (soit 23 mensualités de 2 000 euros et la 24ème majorée du solde) ;
– très subsidiairement, confirmer le jugement en ce qu’il a autorisé la vente amiable du bien sur un prix minimal de 500 000 euros ;
– condamner la société Crédit immobilier de France développement à payer à la SCI Tiger la somme de 20 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;
– la condamner aux dépens, qui seront recouvrés directement par Maître Couturier.
Dans ses conclusions notifiées le 15 mars 2023, M. [B], agissant en sa qualité de syndic de M. [K], soutient :
– que la délégation de paiement susvisée est imparfaite, car la société Crédit immobilier de France développement a déclaré que tous les paiements réalisés par la SCI Tiger par suite de cette délégation libèrent d’autant et aux imputations de droit le vendeur sur l’obligation par lui due au délégataire ; que le vendeur, M. [K], reste débiteur envers la banque tant que la dette n’est pas réglée ; qu’aucune novation n’est intervenue ;
– qu’en cet état de la procédure, les hypothèques prises sur les deux immeubles et les cessions desdits immeubles lui sont inopposables ;
– qu’il avait intérêt à intervenir à la présente instance en saisie immobilière jusqu’à l’arrêt de la Cour de cassation, car il a la mission de réaliser les biens en cause.
M. [B] agissant en sa qualité de syndic de M. [K] s’en est en conséquence remis à justice concernant la saisie immobilière.
Dans ses conclusions notifiées le 27 mars 2023, la société Crédit immobilier de France développement réplique :
– que malgré la délégation de créance, M. [K] reste son débiteur, alors qu’aucune novation n’est intervenue ;
– que le 10 mai 2011, l’intéressé a été placé en faillite par le Tribunal du comté de Croydon (Grande Bretagne) ce qui constitue une cause de déchéance du terme comme il est prévu à l’article VI du contrat ;
– que cette clause est opposable au délégué qui s’est engagé dans les termes de l’engagement du délégant vis-à-vis du délégataire ;
– que s’agissant du prononcé de la déchéance du terme vis-à-vis de la SCI Tiger, en son arrêt du 13 mai 2016, la Cour d’appel de Paris a autorisé cette SCI à payer le solde du prêt dû à la Banque et Patrimoine Immobilier, au besoin par la procédure d’offres réelles suivie de consignation, et n’a pas fait droit à sa demande tendant à ce que la Banque et Patrimoine Immobilier renonce à ladite déchéance du terme ; qu’en conséquence, les contestations de la SCI Tiger relatives à celle-ci se heurtent à la fin de non-recevoir tirée de l’autorité de chose jugée ;
– que par la demande susvisée, la SCI Tiger a nécessairement admis que la déchéance du terme était acquise et se contredit si bien que le principe de l’estoppel peut lui être opposé ;
– que par ailleurs, elle a été destinataire d’une sommation de payer le 12 septembre 2018, peu important que cette date soit postérieure à la délivrance du commandement valant saisie immobilière ;
– que si, pour sa part, elle a refusé des paiements, c’est uniquement dans l’attente du versement de sommes par le liquidateur de M. [K] ;
– que s’agissant de la prescription, celle de l’article L 218-2 du code de la consommation n’est pas applicable car une SCI ne peut être regardée comme un consommateur ; que c’est la prescription quinquennale de l’article L 110-4 du code de commerce qui s’applique ;
– que le point de départ se situe au 10 mai 2011, date de la déchéance du terme, ou subsidiairement au 15 novembre 2011, date du premier impayé non régularisé ;
– que des actes interruptifs de prescription peuvent être retenus, à savoir la déclaration de créance au passif de M. [K], qui interrompt le délai vis-à-vis des co-débiteurs solidaires comme il est dit à l’article 2245 du code civil, de même que les conclusions déposées par la SCI Tiger les 29 mars 2013, 12 octobre 2015 et 9 mai 2016 valant reconnaissance de la dette ;
– que sa créance est bien liquide ;
– qu’il n’y a pas lieu d’octroyer des délais de paiement à la SCI Tiger au vu de l’ancienneté de la dette ;
– qu’elle s’en rapporte quant à l’orientation de la procédure en vente amiable.
La société Crédit immobilier de France développement demande en conséquence à la Cour de confirmer le jugement, et de condamner M. [K], Mme [K] et la SCI Tiger au paiement de la somme de 5 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.
MOTIFS
La SCI Tiger soutient que le prêt n’a pas fait l’objet d’une déchéance du terme régulière ce qui constitue un obstacle à la procédure de saisie immobilière, mais la société Crédit immobilier de France développement objecte que cette question a déjà été tranchée par la Cour d’appel de Paris.
Selon l’article 1355 du code civil, l’autorité de la chose jugée n’a lieu qu’à l’égard de ce qui a fait l’objet du jugement. Il faut que la chose demandée soit la même ; que la demande soit fondée sur la même cause ; que la demande soit entre les mêmes parties, et formée par elles et contre elles en la même qualité.
Il résulte de la lecture de l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Paris le 13 mai 2016, que la SCI Tiger lui avait demandé de faire injonction à la société Crédit immobilier de France développement de renoncer à se prévaloir à son encontre de la déchéance du terme. Cette demande a été rejetée, même si cela n’est pas mentionné expressément dans le dispositif de cet arrêt, car le jugement du 18 mars 2014 a été confirmé en ce qu’il avait débouté la SCI de ses prétentions. Toutefois, il n’y a pas identité d’objet entre une demande tendant à ce que le prêteur renonce à la déchéance du terme et une demande de mainlevée ou d’annulation d’un commandement valant saisie immobilière pour cause de défaut de prononcé de ladite déchéance du terme. Dès lors, la fin de non-recevoir tirée de l’autorité de chose jugée ne peut être opposée efficacement au moyen présentement soulevé par la SCI Tiger.
La société Crédit immobilier de France développement oppose, encore, au moyen susvisé le principe de l’estoppel. Celui-ci est défini par la jurisprudence comme une sanction au comportement procédural constitutif d’un changement de position de nature à induire son adversaire en erreur sur ses intentions, au regard d’une obligation de loyauté processuelle. La notion dite d’estoppel correspond au principe, suivant lequel nul ne peut se contredire au détriment d’autrui, et c’est le contenu des conclusions qui constitue le meilleur indicateur des prétentions des parties. Il importe peu que les attitudes procédurales présentées comme contradictoires aient été adoptées par la partie dans le cadre d’une seule et même procédure ou non.
En l’espèce, à l’occasion de l’instance ayant abouti à l’arrêt de la Cour d’appel de Paris du 13 mai 2016, la SCI Tiger a demandé que le prêteur renonce à la déchéance du terme. Les conclusions de l’intéressée signifiées le 9 mars 2016 contiennent des développements dans lesquels elle faisait valoir que la déchéance du terme demandée par la Banque Patrimoine Immobilier au titre du prêt par elle consenti à M. [K] pour cause de faillite ne pouvait être retenue, car la procédure de bankruptcy ne pouvait être assimilée à la liquidation judiciaire française, et que par voie de conséquence, la banque ne saurait invoquer la déchéance du terme à l’encontre de M. [K] et à plus forte raison à son encontre. Elle ajoutait qu’elle n’avait jamais été défaillante dans le remboursement du prêt. Dans ces conditions, il n’est pas établi que la SCI Tiger a adopté successivement deux attitudes procédurales incompatibles : contrairement à ce qu’avance la société Crédit immobilier de France développement, ladite SCI n’a jamais, dans les écritures susvisées, admis ou reconnu que la déchéance du terme était prononcée à son encontre. Le moyen tiré du principe de l’estoppel ne saurait dès lors être retenu.
En vertu des articles 1337 et suivants du code civil, la délégation est une opération par laquelle une personne, le délégant, obtient d’une autre, le délégué, qu’elle s’oblige envers une troisième, le délégataire, qui l’accepte comme débiteur. Le délégué ne peut, sauf stipulation contraire, opposer au délégataire aucune exception tirée de ses rapports avec le délégant ou des rapports entre ce dernier et le délégataire.
Lorsque le délégant est débiteur du délégataire et que la volonté du délégataire de décharger le délégant résulte expressément de l’acte, la délégation opère novation. Toutefois, le délégant demeure tenu s’il s’est expressément engagé à garantir la solvabilité future du délégué ou si ce dernier se trouve soumis à une procédure d’apurement de ses dettes lors de la délégation.
En revanche, lorsque le délégant est débiteur du délégataire mais que celui-ci ne l’a pas déchargé de sa dette, la délégation donne au délégataire un second débiteur.
Le paiement fait par l’un des deux débiteurs libère l’autre, à due concurrence.
Lorsque le délégant est créancier du délégué, sa créance ne s’éteint que par l’exécution de l’obligation du délégué envers le délégataire et à due concurrence.
Jusque-là, le délégant ne peut en exiger ou en recevoir le paiement que pour la part qui excéderait l’engagement du délégué. Il ne recouvre ses droits qu’en exécutant sa propre obligation envers le délégataire.
En l’espèce, selon acte notarié du 21 février 2003, M. [K] a acquis le bien objet de la présente saisie immobilière, pour un prix de 214 000 euros, la Banque Patrimoine Immobilier lui consentant un prêt de 160 500 euros en capital. Selon acte notarié du 18 mars 2010, M. [K] a vendu ce bien à la SCI Tiger, la Banque Patrimoine Immobilier étant partie à l’acte ; en page 5 était stipulée une délégation du prix, par laquelle l’acquéreur (ie la SCI Tiger) s’engageait à payer au délégataire (la Banque Patrimoine Immobilier) la somme de 74 108,17 euros, montant du solde du prêt. Une clause intitulée ‘absence de libération du vendeur-délégant’, à savoir M. [K], précisait que malgré la délégation dont s’agit, le délégataire n’entendait pas décharger le vendeur qui resterait débiteur envers lui et contre lequel il se réservait expressément, tant qu’il ne serait pas entièrement désintéressé, tous ses droits, actions et hypothèques, sans novation.
Il s’ensuit qu’il s’agit là d’une délégation imparfaite, et du reste aucune des parties ne le conteste.
Cet acte notarié doit recevoir pleine et entière application, car en vertu de l’arrêt du 25 mars 2020 rendu par la Cour de cassation ayant cassé sans renvoi celui de la Cour d’appel de Paris du 13 mai 2016 qui avait confirmé le jugement du 18 mars 2014, il est pleinement opposable à M. [B] ès-qualités.
La société Crédit immobilier de France développement peut donc actionner deux débiteurs tenus par des obligations distinctes même si elles portent sur la même dette. Elle ne peut invoquer la résiliation du prêt, vis-à-vis de la SCI Tiger, en raison du placement de M. [K] en procédure collective car aucune clause des deux contrats ne prévoyait l’extension de la déchéance du terme au débiteur délégué en pareil cas. Il s’ensuit qu’elle ne pouvait diligenter la présente instance en saisie immobilière qu’après avoir mis la SCI en demeure de s’exécuter, en lui impartissant un délai pour régulariser les impayés ce qui lui aurait permis de faire échec à la clause résolutoire. Force est de constater qu’elle ne l’a fait que le 12 septembre 2018, soit postérieurement à la délivrance du commandement valant saisie immobilière.
Il échet en conséquence d’infirmer le jugement, de rejeter les prétentions de la société Crédit immobilier de France développement, et d’ordonner la mainlevée et la radiation du commandement valant saisie immobilière susvisé.
La SCI Tiger, M. [K] et Mme [K] demandent à la Cour de condamner la société Crédit immobilier de France développement au paiement de la somme de 30 000 euros à titre de dommages et intérêts.
L’utilisation de mesures d’exécution, sur le fondement d’un titre exécutoire, est un droit dont l’exercice n’est susceptible de dégénérer en abus que s’il est dicté par une intention malicieuse, la mauvaise foi, ou résulte d’une erreur grossière équivalente au dol, ou procède d’une légèreté blâmable ; ce n’est qu’en cas d’abus de saisie que le juge de l’exécution peut, conformément à l’article L 121-2 du Code des procédures civiles d’exécution, allouer des dommages et intérêts au débiteur. Le fait que la société Crédit immobilier de France développement se soit méprise sur les conditions dans lesquelles elle pouvait diligenter une saisie immobilière à l’encontre de la SCI Tiger ne suffit pas à caractériser un abus de sa part. Le jugement sera confirmé en ce qu’il a rejeté la demande de dommages et intérêts présentée par les appelants.
La société Crédit immobilier de France développement, qui succombe en ses prétentions, sera condamnée au paiement de la somme de 3 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux dépens de première instance et d’appel.
PAR CES MOTIFS
– INFIRME le jugement en date du 30 juin 2022 en toutes ses dispositions à l’exception de celles ayant rejeté la demande de la SCI Tiger, de M. [F] [K] et de Mme [L] [K] en paiement de dommages et intérêts pour abus de saisie ;
et statuant à nouveau :
– DEBOUTE la société Crédit immobilier de France développement de ses prétentions ;
– ORDONNE la mainlevée du commandement valant saisie immobilière en date du 23 janvier 2018, publié au service de la publicité foncière de [Localité 10] bureau le 16 mars 2018 volume 2018 S n° 7 ;
– CONDAMNE la société Crédit immobilier de France développement à payer à la SCI Tiger la somme de 3 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;
– CONDAMNE la société Crédit immobilier de France développement aux dépens de première instance et d’appel, et dit que ces derniers seront recouvrés par Maître Couturier conformément à l’article 699 du code de procédure civile.
Le greffier, Le président,