Saisine du juge de l’exécution : 11 mai 2023 Cour d’appel d’Aix-en-Provence RG n° 22/08732

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Saisine du juge de l’exécution : 11 mai 2023 Cour d’appel d’Aix-en-Provence RG n° 22/08732

COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE

Chambre 1-9

ARRÊT AU FOND

DU 11 MAI 2023

N° 2023/370

Rôle N° RG 22/08732 – N° Portalis DBVB-V-B7G-BJSUF

[Z] [E]

C/

[W] [Y]

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

Me OLIVIER-D’OLLONNE

Me KIEFFER

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Juge de l’exécution de GRASSE en date du 31 Mai 2022 enregistré (e) au répertoire général sous le n° 21/02241.

APPELANTE

Madame [Z] [E]

née le [Date naissance 2] 1971 à [Localité 10] (IRL)

de nationalité Française, demeurant [Adresse 5]

(bénéficie d’une aide juridictionnelle Partielle numéro 2022-007374 du 23/09/2022 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de AIX-EN-PROVENCE)

représentée par Me Ingrid OLIVER-D’OLLONNE, avocat au barreau de GRASSE, plaidante

INTIME

Monsieur [W] [Y]

né le [Date naissance 1] 1963 à [Localité 7] ([Localité 7]), demeurant [Adresse 8]

représenté par Me Frédéric KIEFFER de la SELARL KIEFFER – MONASSE & ASSOCIES, avocat au barreau de GRASSE, substitué par Me Benoit CITEAU, avocat au barreau D’AIX EN PROVENCE

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

L’affaire a été débattue le 16 Mars 2023 en audience publique. Conformément à l’article 804 du code de procédure civile, Dominique TATOUEIX, Magistrat honoraire, a fait un rapport oral de l’affaire à l’audience avant les plaidoiries.

La Cour était composée de :

Madame Agnès DENJOY, Président

Madame Pascale POCHIC, Conseiller

Monsieur Dominique TATOUEIX, Magistrait honoraire

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Madame Ingrid LAVALLEE.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 11 Mai 2023.

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 11 Mai 2023,

Signé par Madame Agnès DENJOY, Président et Madame Ingrid LAVALLEE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

FAITS ET PROCÉDURE

Par acte sous seing privé en date du 1er juin 2016, Mme [Z] [E] a consenti à M. [W] [Y] un prêt de 350 000 € au taux de 8 %, remboursable en une échéance de 434 000€ au plus tard le 1er juin 2019.

Le 31 juillet 2019, Mme [Z] [E] a inscrit à l’encontre de M. [W] [Y] une hypothèque judiciaire provisoire sur le bien cadastré section BN à [Localité 9] pour garantie d’une créance de 400 000 € en vertu d’une ordonnance sur requête du juge de l’exécution du tribunal de grande instance de Grasse en date du 17 juillet 2019, et le 16 octobre 2020, un nantissement de ses parts sociales dans la Sarl Petit Géranium et de ses parts sociales dans la SAS Le Mas du Géranium en vertu d’ordonnances sur requête du juge de l’exécution du tribunal judiciaire de Grasse en date du 6 octobre 2020.

Par exploit en date du 28 août 2021, M. [W] [Y] a fait assigner Mme [Z] [E] devant le juge de l’exécution du tribunal judiciaire de Grasse aux fins de mainlevée de l’hypothèque judiciaire provisoire et des nantissements.

Par jugement du 31 mai 2022 dont appel du 17 juin 2022, le juge de l’exécution du tribunal judiciaire de Grasse a rejeté la demande de sursis à statuer de Mme [Z] [E], a ordonné la mainlevée de l’hypothèque judiciaire provisoire et des nantissements, a dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile et a condamné Mme [Z] [E] aux dépens.

Le juge de l’exécution énonce en ses motifs :

– Mme [Z] [E] ne pouvait, en vertu d’un prêt contracté par M. [Y] sans l’accord de son épouse, inscrire une hypothèque sur un immeuble qui constitue un bien commun, ayant été acquis le 11 janvier 1999 par les époux soumis au régime de la communauté légale, ni procéder au nantissement de parts sociales qui constituent pour les mêmes raisons des actifs de la communauté,

– Mme [E], qui soutient qu’il y a lieu de constater une dette solidaire des époux par application des articles 220 et 1409 du Code civil, ne démontre pas que les fonds prêtés ont servi à soutenir le train de vie de l’épouse et à l’acquisition de deux restaurants, l’emprunt ne pouvant être par ailleurs considéré comme portant sur des sommes modestes nécessaires aux besoins de la vie courante du couple,

– M. [Y] ne contestant pas le prêt souscrit par ses soins ni le fait de ne pas l’avoir remboursé intégralement, le fait que Mme [E] ait déposé plainte pour abus de confiance à l’encontre du couple ne justifie pas un sursis à statuer.

Vu les dernières conclusions déposées le 10 mars 2023 par Mme [Z] [E], appelante, aux fins de voir :

– Ordonner le rabat de l’ordonnance de clôture prononcée le 14 février 2023,

– Réformer le jugement dont appel en toutes ses dispositions,

Statuer à nouveau,

– Ordonner le maintien de l’hypothèque sur la maison à usage d’habitation sur la commune de [Localité 9] cadastrée BN [Cadastre 3], [Adresse 4] et anciennement cadastrée C[Cadastre 6]

– Ordonner le maintien des nantissements sur :

– les parts sociales numérotées de 1 à 1.545 de la SARL PETIT GERANIUM immatriculée au RCS de GRASSE n° 827 499 450

– Les 16.720 actions de la SAS LE MAS DU GERANIUM immatriculée au RCS de GRASSE n°824 167 571

– Condamner Monsieur [Y] à payer à Madame [E] la somme de 2.000 euros au titre de l’article 700 du CPC.

– Condamner Monsieur [Y] aux entiers dépens.

Mme [Z] [E] fait valoir :

– que l’argent issu du prêt a été utilisé par les époux [Y], qui ne disposaient d’aucune liquidité et dont les fonds tirés de la vente de leurs sociétés et des bureaux avaient permis de rembourser d’autres dettes, pour l’acquisition de deux restaurants sans recours à l’emprunt, dont ils ont tiré des revenus qui leur ont permis de subvenir à leurs besoins, ce qui entre dans le cadre des articles 220 et 1409 du Code civil, l’emprunt de 350 000 € n’ayant rien d’excessif pour les époux [Y] dont le revenu mensuel reconnu était de 8510 €,

– qu’en donnant son accord pour que l’acquisition des deux commerces se fasse en partie par les liquidités provenant du prêt, Mme [Y], qui connaissait parfaitement la provenance de l’argent, a de facto consenti à cet emprunt qui au final a alimenté pour partie son compte courant d’associé et celui de son époux dans les deux sociétés.

Vu les dernières conclusions déposées le 6 février 2023 par M. [W] [Y], intimé, aux fins de voir confirmer le jugement dont appel en toutes ses dispositions et, y ajoutant, condamner Madame [Z] [E] au paiement d’une somme de 5.000 € par application de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens qui comprendront notamment le coût des radiations et mainlevées.

M. [W] [Y] fait valoir :

– que le contrat de prêt ne précise en aucun cas qu’il avait pour objet le financement des fonds de commerce de restaurant et Mme [E] ne démontre pas que les 350 000 € prêtés auraient permis l’achat de ces fonds de commerce, insuffisants en effet pour payer le prix global de 570 000 € et s’ils avaient véritablement permis le financement d’une partie des fonds de commerce, il s’agit d’investissements, qui n’ont rien de  » nécessaires aux besoins de la vie courante », le montant n’ayant, par ailleurs, rien de modeste, ce qui exclut l’application de l’article 1409 du Code civil,

– qu’il est inutile pour Mme [E] de chercher à démontrer que Mme [Y] était informée du prêt dès lors qu’elle ne rapporte pas la preuve d’un consentement exprès, comme l’exige l’article 1415 du Code civil.

Par conclusions de procédure du 13 mars 2023, M. [W] [Y] sollicite le rejet de la demande de révocation de l’ordonnance de clôture formée par Madame [Z] [E].

MOTIFS DE LA DÉCISION

La circonstance que le délai pour obtenir l’avis de l’expert graphologue missionné par Mme [E] concernant les notes manuscrites de M. [Y] a été plus long que prévu, constitue une cause grave au sens de l’article 803 du code de procédure civile justifiant une révocation de l’ordonnance de conclure pour admettre aux débats ledit avis et les conclusions de l’appelante prises en lecture de celui-ci.

Mme [E] fonde sa demande de réformation du jugement dont appel sur les dispositions des articles 220, 1409 et 1415 du Code civil en soutenant tout d’abord qu’en donnant son accord pour que l’acquisition des deux restaurants se fasse en partie par les liquidités provenant du prêt souscrit le 1er juin 2016, Mme [Y] a de facto consenti à cet emprunt.

Or l’article 1415 du code civil dispose que chacun des époux ne peut engager que ses biens propres et ses revenus, par un cautionnement ou un emprunt, à moins que ceux-ci n’aient été contractés avec le consentement exprès de l’autre conjoint qui, dans ce cas, n’engage pas ses biens propres.

Et il n’est pas contesté que Mme [Y] n’a pas, comme l’exige l’article 1415 susvisé, consenti expressément à l’emprunt souscrit le 1er juin 2016 par M. [Y] auprès de Mme [E], Mme [Y] en fut-elle informée ou non.

Mme [E] argue ensuite de ce que les époux [Y] ont tiré des revenus de l’exploitation des deux restaurants les ressources nécessaires au maintien de leur train de vie et de ce que le montant de l’emprunt n’a pas un caractère excessif pour les époux [Y], lesquels prétendaient en 2016 être à la tête d’un patrimoine immobilier de 1 345 000 € et mobilier de 1 980 000 €.

L’article 220 du même code dispose que chacun des époux a pouvoir pour passer seul les contrats qui ont pour objet l’entretien du ménage ou l’éducation des enfants : toute dette ainsi contractée par l’un oblige l’autre solidairement.

La solidarité n’a pas lieu, néanmoins, pour des dépenses manifestement excessives, eu égard au train de vie du ménage, à l’utilité ou à l’inutilité de l’opération, à la bonne ou mauvaise foi du tiers contractant.

Elle n’a pas lieu non plus, s’ils n’ont été conclus du consentement des deux époux, pour les achats à tempérament ni pour les emprunts à moins que ces derniers ne portent sur des sommes modestes nécessaires aux besoins de la vie courante et que le montant cumulé de ces sommes, en cas de pluralité d’emprunts, ne soit pas manifestement excessif eu égard au train de vie du ménage.

L’article 1409 du code civil dispose que la communauté se compose passivement :

– à titre définitif, des aliments dus par les époux et des dettes contractées par eux pour l’entretien du ménage et l’éducation des enfants, conformément à l’article 220 ;

– à titre définitif ou sauf récompense, selon les cas, des autres dettes mais pendant la communauté.

Il résulte des termes des articles 1409 et 220 susvisés que la solidarité des époux telle que l’invoque Mme [E] ne peut avoir effet à l’occasion de l’emprunt souscrit par un seul d’entre eux qu’à la condition qu’il porte sur des sommes modestes nécessaires aux besoins de la vie courante et qu’il ne soit pas manifestement excessif eu égard au train de vie du ménage.

Or Mme [E] ne démontre pas que les fonds tirés d’un emprunt de 350 000 € souscrit par M. [Y] pour l’acquisition de deux restaurants d’une valeur totale de 570 000 € portaient sur des sommes modestes nécessaires aux besoins de la vie courante au sens des articles 220 et 1409 du code civil et il ne peut être tiré cette conséquence du seul fait que les époux tireraient un revenu de l’exploitation desdits restaurants alors que l’utilité ou l’inutilité de l’opération quant à la notion de dépenses manifestement excessives s’apprécie au regard du rapport direct de l’emprunt avec l’entretien du ménage.

Mme [E] ne rapporte pas la preuve, par ailleurs, que l’emprunt d’une somme de 350 000€ n’a aucun caractère manifestement excessif eu égard au train de vie du ménage dont aucune des pièces versées aux débats ne permet d’en faire une appréciation précise, chiffrée.

Et Mme [E], qui argue de ce que le couple aurait prétendu être à la tête d’un patrimoine immobilier de 1 345 000 € et mobilier de 1 980 000 €, ne rapporte pas la preuve d’une telle affirmation de la part de l’un comme l’autre des époux, notamment par les courriels versés aux débats dont il est en outre relevé qu’ils ne peuvent établir que Mme [E] a été trompée ou a été induite en erreur sur le train de vie des époux [Y] dès lors que les pièces versées à ce titre et notamment les courriels, sont postérieurs à la souscription du prêt.

Le jugement doit être en conséquence confirmé en toutes ses dispositions.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant par arrêt contradictoire,

Ordonne la révocation de l’ordonnance de clôture prononcée le 14 février 2023 ;

Déclare en conséquence recevables les conclusions déposées le 10 mars 2023 par Mme [Z] [E] ;

Prononce la clôture à la date du 16 mars 2023 ;

Confirme le jugement dont appel en toutes ses dispositions ;

Y ajoutant,

Vu l’article 700 du code de procédure civile,

Condamne Mme [Z] [E] à payer à M. [W] [Y] la somme de 1 500 € (mille cinq cents euros) ;

Déboute les parties de leurs demandes autres ou plus amples ;

Condamne Mme [Z] [E] aux dépens qui seront recouvrés conformément à l’article 699 du code de procédure civile.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE

 


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