ARRÊT N° /2023
SS
DU 10 MAI 2023
N° RG 22/02512 – N° Portalis DBVR-V-B7G-FCIF
Pole social du TJ de Nancy
21/00212
18 octobre 2022
COUR D’APPEL DE NANCY
CHAMBRE SOCIALE
SECTION 1
APPELANT :
Monsieur [V] [L]
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représenté par Me Dimitri PINCENT, avocat au barreau de PARIS substitué par Me BAURES, avocate au barreau de NANCY
INTIMÉE :
CAISSE INTERPROFESSIONNELLE DE PREVOYANCE ET D’ASSURANCE VIEILLESSE (C.I.P.A.V), prise en la personne de son Directeur en exercice, domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 4]
[Localité 3]
Représentée par Me Malaury RIPERT de la SCP LECAT ET ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS substitué par Me BOUDET, avocate au barreau de NANCY
COMPOSITION DE LA COUR :
Lors des débats, sans opposition des parties
Président : M. HENON
Siégeant en Conseiller rapporteur
Greffier : Madame RIVORY (lors des débats)
Lors du délibéré,
En application des dispositions de l’article 945-1 du Code de Procédure Civile, l’affaire a été débattue en audience publique du 28 Mars 2023 tenue par M.HENON, magistrat chargé d’instruire l’affaire, qui a entendu les plaidoiries, les avocats ne s’y étant pas opposés, et en a rendu compte à la Cour composée de Guerric Henon, président, Raphaël WEISSMANN, président, et Catherine BUCHSER-MARTIN conseillère, dans leur délibéré pour l’arrêt être rendu le 10 Mai 2023 ;
Le 10 Mai 2023, la Cour après en avoir délibéré conformément à la Loi, a rendu l’arrêt dont la teneur suit :
Faits, procédure, prétentions et moyens
M. [V] [L] est affilié à la CIPAV pour ses cotisations retraite depuis 2013 pour une activité libérale de formateur exercée sous statut d’auto-entreprise.
Le 1er juillet 2020, il a saisi la commission de recours amiable de la CIPAV d’une contestation portant sur le nombre de point de retraite qui lui ont été accordés de 2013 à 2019, tel que figurant sur son relevé de carrière édité par le site Internet GIP Info.Retraite le 6 avril 2020.
Le 3 août 2021, M. [V] [L] a saisi le pôle social du tribunal judiciaire de Nancy aux fins de contester la décision implicite de rejet de ladite commission.
Par jugement du 18 octobre 2022, le tribunal a :
– déclaré irrecevable le recours de M. [V] [L],
– dit n’y avoir lieu à octroyer à l’une quelconque des parties le bénéfice des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile au bénéfice de l’une quelconques des parties ;
– condamné M. [V] [L] aux entiers frais et dépens.
Par acte électronique du 31 octobre 2022, M. [V] [L] a interjeté appel de toutes les dispositions de ce jugement.
Suivant ses conclusions notifiées par RPVA le 23 février 2023, M. [V] [L] demande à la Cour de :
– infirmer le jugement rendu en date du 18 octobre 2022 par le pôle social du tribunal judiciaire de Nancy en toutes ses dispositions,
Et, statuant à nouveau,
– en cas de décision d’irrecevabilité sur les exercices 2016-2019, condamner la CIPAV à verser une indemnité supplémentaire de 3.000 euros par année non renseignée en réparation du préjudice causé par le manquement à l’obligation légale d’information de la caisse, soit 12.000 euros pour les années 2016 à 2019,
– condamner la CIPAV à rectifier ses points de retraite complémentaire acquis sur la période 2013-2019 selon le détail suivant :
36 points en 2013 ;
36 points en 2014 ;
36 points en 2015 ;
36 points en 2016 ;
36 points en 2017 ;
36 points en 2018 ;
72 points en 2019 ;
– condamner la CIPAV à rectifier ses points de retraite de base sur la période 2013-2019 selon le détail suivant :
85,9 points en 2013 ;
100,3 points en 2014 ;
140,1 points en 2015 ;
154,7 points en 2016 ;
295,9 points en 2017 ;
287,3 points en 2018 ;
410,7 points en 2019 ;
– condamner la CIPAV à lui transmettre et à lui rendre accessible, y compris en ligne, un relevé de situation individuelle conforme, dans un délai d’un mois à compter de la notification de la décision et, passé ce délai, sous astreinte de 250 euros par jour de retard,
– condamner la CIPAV à lui verser la somme de 3 000 euros de dommages-intérêts en réparation du préjudice moral,
– condamner la CIPAV à lui verser la somme de 5 000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et d’appel sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Suivant ses conclusions reçues au greffe le 20 mars 2023, la CIPAV demande à la Cour de :
A titre principal ;
– déclarer irrecevable le recours formé par Monsieur [V] [L]
A titre subsidiaire ;
– juger du bon calcul des points de retraite de base et de retraite complémentaire de Monsieur [V] [L].
– lui attribuer les points de retraite de base suivants :
56,7 points de retraite de base en 2013
66,2 points de retraite de base en 2014
92,5 points de retraite de base en 2015
107,5 points de retraite de base en 2016
202 points de retraite de base en 2017
191,7 points de retraite de base en 2018
274,3 points de retraite de base en 2019
– lui attribuer les points de retraite complémentaire suivants :
9 points de retraite complémentaire en 2013
9 points de retraite complémentaire en 2014
9 points de retraite complémentaire en 2015
15 points de retraite complémentaire en 2016
28 points de retraite complémentaire en 2017
26 points de retraite complémentaire en 2018
37 points de retraite complémentaire en 2019
– débouter Monsieur [V] [L] de l’ensemble de ses demandes,
– condamner Monsieur [V] [L] à lui verser la somme de 600 euros au titre des dispositions de l’article 700 du Code de Procédure Civile pour les frais irrépétibles qu’elle a été contrainte d’engager
Pour l’exposé des moyens des parties, il convient de faire référence aux conclusions sus mentionnées, reprises oralement à l’audience.
Motifs
1/ Sur la recevabilité des demandes :
Il résulte des dispositions des articles L. 142-4, R. 142-1-A et R. 142-1 du code de la sécurité sociale que les réclamations contre les décisions prises par les organismes de sécurité sociale sont, préalablement à la saisie de la juridiction du contentieux général de la sécurité sociale, soumises à une commission de recours amiable, l’intéressé pouvant considérer sa demande comme rejetée lorsque la décision de la commission n’a pas été portée à la connaissance du requérant dans le délai de deux mois.
Le relevé de situation individuelle que les organismes et services en charge des régimes de retraite adressent, périodiquement ou à leur demande, aux assurés comportant notamment, pour chaque année pour laquelle des droits ont été constitués, selon les régimes, les durées exprimées en années, trimestres, mois ou jours, les montants de cotisations ou le nombre de points pris en compte ou susceptibles d’être pris en compte pour la détermination des droits à pension, l’assuré est recevable à contester devant la commission de recours amiable puis la juridiction du contentieux général montant des cotisations ou nombre de points figurant sur ce relevé (en ce sens 2e Civ., 11 octobre 2018, pourvoi n° 17-25.956).
En revanche, en cas d’absence de données figurant sur le relevé de situation individuel, cette absence ne peut caractériser une ou des décisions prises par les organismes de sécurité sociale compétents pour la détermination des droits à retraite d’un assuré social, à la différence de mentions qui feraient apparaitre une absence de droits. Il s’ensuit qu’un assuré social ne saurait former une réclamation en se fondant sur ce relevé individuel de situation en ce qu’il ne matérialise aucune décision par la CIPAV (CA Nancy, 5 janvier 2021, n° 20/00188 ; 2e Civ., 1er décembre 2022, pourvoi n° 21-12.784).
La CIPAV expose que l’intéressée ne pouvait saisir la commission de recours amiable qu’à la suite de la notification d’une décision émanant de la caisse et qu’en l’espèce l’intéressé ne conteste aucune décision prise par la caisse car si cette dernière a saisi la commission de recours amiable après avoir pris connaissance de son relevé individuel de situation, elle ne s’est pas pour autant rapprochée de la caisse pour que soit pris une décision alors que le relevé, qui présente un caractère provisoire, indicatif, informatif édité par le GIP Info Retraite ne constitue pas une décision.
L’intéressé soutient que la recevabilité d’une contestation sur le fondement d’un relevé de situation individuelle a été consacrée par la jurisprudence. L’argument selon lequel la caisse n’aurait pris aucune décision est dénué de sérieux puisqu’il présuppose que la caisse n’interviendrait en rien dans la comptabilisation et alors que lorsque cette caisse même renvoie ses adhérents vers le site internet info retraite. La caisse est membre du GIP et en tout état de cause, il n’a pas à pâtir d’un manquement de la caisse
Au cas présent, il convient de constater que le relevé de situation édité le 6 avril 2020 concernant les droits de l’intéressé au titre du régime géré par la CIPAV fait mention d’un total respectif de 215,4 points au titre du régime de base et 20 points au titre du régime complémentaire pour les années 2013 à 2015 sans autre mention au titre des années postérieures.
Il s’ensuit que pour ce qui concerne les droits mentionnés au titre de toutes ces années, les mentions figurant sur le relevé de situation individuel procèdent de décisions prises par les organismes de sécurité sociale compétents pour la détermination des droits à retraite d’un assuré social, l’intéressé était recevable à contester devant la commission de recours amiable de l’organisme concerné puis devant le juge du contentieux de la sécurité sociale les mentions figurant sur ce relevé.
En revanche, en l’absence d’indication concernant les autres années, il ne saurait en être déduit que l’organisme de sécurité sociale a pris une décision au titre de ces années pouvant justifier d’une contestation de l’intéressé, lequel restait fondé nonobstant les indications qui auraient pu être données par la caisse et indépendamment des indications figurant sur le relevé, à saisir cet organisme de sécurité sociale d’une demande aux fins de validation des droits qu’il prétendait détenir et en cas de rejet de former une réclamation, ce qu’il n’a pas fait.
Enfin, l’allégation d’un manquement de la caisse à son obligation d’information, pour ouvrir droit le cas échant à l’allocation de dommages intérêts, ne saurait justifier de la recevabilité de sa demande au titre des autres années que celles figurant sur le relevé ainsi qu’il a été précisé.
2/ Sur le fond :
Il résulte des dispositions de l’article 2 du décret n°79-262 du 21 mars 1979 que le régime d’assurance vieillesse complémentaire obligatoire, géré par la CIPAV et institué par l’article 1er de ce texte, comporte plusieurs classes de cotisations, auquel correspond l’attribution d’un nombre de points de retraite qui procède directement de la classe de cotisation de l’intéressé déterminée en fonction de son revenu d’activité et dont le montant est fixé par décret sur proposition du conseil d’administration de cet organisme. Le nombre de ces classes a été porté de six à huit par le décret n° 2012-1522 du 28 décembre 2012, applicable aux cotisations dues à compter du 1er janvier 2013, auquel correspond l’attribution d’un nombre de points de retraite fixé à 40 points pour la première de ces classes pour l’année 2012, puis à 36 points à compter de 2013.
Il résulte des dispositions de l’article L. 133-6-8 du code de la sécurité sociale que les cotisations et les contributions de sécurité sociale dont sont redevables les travailleurs indépendants mentionnés au II du présent article bénéficiant des régimes définis aux articles 50-0 et 102 ter du code général des impôts sont calculées mensuellement ou trimestriellement, en appliquant au montant de leur chiffre d’affaires ou de leurs recettes effectivement réalisés le mois ou le trimestre précédent un taux global fixé par décret pour chaque catégorie d’activité mentionnée aux mêmes articles
Selon la jurisprudence, les dispositions de l’article 2 du décret n° 79-262 du 21 mars 1979 modifié, sont seules applicables à la fixation du nombre de points de retraite complémentaire attribués annuellement aux auto-entrepreneurs affiliés à la CIPAV (2e Civ., 23 janvier 2020, pourvoi n° 18-15.542).
La CIPAV après rappel des textes et principes qu’elle estime applicables, indique qu’il convient de distinguer entre la période antérieure à 2016 et celle postérieure à compter de laquelle la compensation de l’Etat a pris fin. La caisse a fait une juste application du principe de proportionnalité. Elle précise que pour la période antérieure à 2016, l’assiette de calcul se trouve être le bénéfice non commercial et non pas le chiffre d’affaires comme le soutient l’intéressé. En conséquence il a été fait une juste application de la réglementation en accordant le nombre de point fixé par la caisse. A contrario en faisant bénéficier l’intéressée d’un nombre de points tel que demandé constituerait une rupture d’égalité avec les assurés ne relevant pas du régime de l’auto-entreprise et reviendrait à attribuer des points correspondant à une valeur inférieure à celle fixée par le conseil d’administration.
Au cas présent dès lors qu’il est constant que l’intéressé s’est acquitté de ses cotisations telles que déterminées selon les modalités prévues à l’article L. 133-6-8 du code de la sécurité sociale et que le revenu de l’intéressé ne dépassait pas celui fixé par décret lui permettant de relever d’une classe supérieure, en sorte qu’il relevait de la première de ces classes, il en résulte que la demande est fondée.
La CIPAV ne saurait faire état d’un défaut de respect du principe de proportionnalité entre le montant des cotisations acquittées et les droits acquis dès lors que ce principe découle des dispositions de l’article 2 sus mentionné par l’attribution d’un nombre de points de retraite procédant directement de la classe de cotisation de l’intéressé déterminée en fonction de son revenu d’activité.
Cette dernière caisse ne saurait se fonder sur les règles de compensation telles que résultant notamment de l’application des articles L. 131-7 et R. 133-10-10 du code de la sécurité sociale qui n’intéressent que les rapports entre l’Etat et cet organisme.
Il s’ensuit que dès lors qu’il n’est pas contesté que l’intéressé s’est acquitté de ses obligations contributives en réglant les cotisations selon les modalités qui lui étaient applicables, celui-ci est fondé à obtenir les droits corrélatifs dépendant de sa classe de cotisations, la question du montant des sommes reversées par les organismes de recouvrement des cotisations sociales à la CIPAV n’intéressant pas les rapports entre cet organisme de sécurité sociale et l’intéressé.
Il convient dans ces conditions de faire droit à la demande tant en ce qui concerne les points attribués au titre de la retraite complémentaire que pour ce concerne la retraite de base, étant à cet égard relevé que la caisse ne justifie d’aucun élément de nature à remettre en cause l’évaluation faite par l’intéressé au regard des principes sus rappelés.
Il convient dans ces conditions de réformer le jugement entrepris et de faire droit aux demandes au titre des années 2013 à 2015.
3/ Sur la demande en fixation d’astreinte et de dommages intérêts :
Le présent arrêt apparait suffire en l’état pour le recouvrement et la régularisation des droits de l’intéressé sans qu’il ne soit nécessaire d’ordonner de régularisation sous astreinte, sans préjudice de la faculté d’une saisine du juge de l’exécution à cette fin en cas de difficulté relative à l’exécution de la présente décision.
La divergence d’interprétation opposant la CIPAV à l’intéressée ne saurait constituer une faute engageant la responsabilité de cet organisme de sécurité sociale, alors qu’elle porte sur une situation particulièrement complexe résultant de ce que la CIPAV, à la différence des situations de droit commun, n’est pas en charge de l’appel et du recouvrement des cotisations afférentes au régime complémentaire de retraite en cause.
Il conviendra dans ces conditions de rejeter les demandes sur ces points
4/ Sur le demande de dommages intérêts au titre de l’obligation d’information de la caisse.
Selon l’article 564 du code de procédure civile, à peine d’irrecevabilité relevée d’office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n’est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l’intervention d’un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d’un fait.
Au cas présent, l’intéressé apparait formuler à titre subsidiaire une demande de dommages intérêts en invoquant un manquement de la caisse à son obligation d’information qui ne parait cependant pas avoir été formulé en première instance.
Il convient dans ces conditions d’ordonner la réouverture des débats à l’effet pour les parties de produire leurs observations sur ce point.
PAR CES MOTIFS
La Cour, chambre sociale, statuant contradictoirement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, après débats en audience publique et après en avoir délibéré,
Réforme le jugement du pôle social du tribunal judiciaire de Nancy du 18 octobre 2022 ;
Statuant à nouveau,
Déclare irrecevable la demande en rectification de droits à retraite de M. [V] [L] au titre de la période 2016, 2017, 2018 et 2019 ;
Pour le surplus,
Déclare recevable la demande en rectification de droits à retraite de M. [V] [L] au titres des années 2013 à 2015;
Ordonne à la Caisse interprofessionnelle de prévoyance et d’assurance vieillesse (CIPAV) de rectifier les droits à retraite de M. [V] [L] au titre de la période 2013 à 2015 comme suit :
Au titre de la retraite de base :
85,9 points en 2013 ;
100,3 points en 2014 ;
140,1 points en 2015 ;
Au titre de la retraite complémentaire :
36 points en 2013 ;
36 points en 2014 ;
36 points en 2015 ;
Dit n’y avoir lieu à prononcé d’astreinte ;
Rejette la demande de dommages intérêts pour préjudice moral ;
Ordonne la réouverture des débats à l’effet pour les parties du produire leurs observations sur la recevabilité de la demande de dommages intérêts au titre de l’obligation d’information de la caisse formées par M. [V] [L] devant cette cour.
Renvoie l’affaire à l’audience du 27 juin 2023 à 13h30, la notification du présent arrêt valant convocation des parties à l’audience.
Ainsi prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
Et signé par Monsieur Guerric HENON, Président de Chambre, et par Madame Laurène RIVORY, Greffier.
LE GREFFIER LE PRESIDENT DE CHAMBRE
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