Saisine du juge de l’exécution : 1 juin 2023 Cour d’appel d’Aix-en-Provence RG n° 21/18337

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Saisine du juge de l’exécution : 1 juin 2023 Cour d’appel d’Aix-en-Provence RG n° 21/18337

COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE

Chambre 3-2

ARRÊT DE RENVOI DE CASSATION

DU 01 JUIN 2023

N° 2023/182

Rôle N° RG 21/18337 – N° Portalis DBVB-V-B7F-BITG6

Société LA CAISSE DE CREDIT MUTUEL [Localité 15] ANTIGONE

C/

[R] [P]

S.C.I. ANNAU

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

Me Julie ROUILLIER

Me Françoise BOULAN

Sur saisine de la cour suite à l’arrêt rendu par la cour de cassation le 20/10/2021 cassant, annulant et renvoyant l’affaire devant la cour d’appel D’AIX EN PROVENCE, portant sur l’arrêt rendu par la cour d’appel de MONTPELLIER le 21/06/2020 statuant sur tierce opposition d’un arrêt rendu par la cour d’appel de MONTPELLIER le 28/02/2017 sur appel d’un jugement du Tribunal de Commerce de MONTPELLIER du 01/07/2016 enregistré au répertoire général sous le n° 2015 006511.

APPELANTE

LA CAISSE DE CREDIT MUTUEL [Localité 15] ANTIGONE,

immatriculée au RCS de Montpellier sous le n° 385 111 927, dont le siège social est sis [Adresse 2], prise en la personne de son représentant légal domicilié ès qualité audit siège

représentée par Me Julie ROUILLIER de la SCP PLANTARD ROCHAS VIRY, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE

assistée de Me Vincent RIEU, avocat au barreau de MONTPELLIER, plaidant

INTIMES

Maître Christine DAUVERCHAIN

prise en sa qualité de liquidateur judiciaire de la SARL BELMONTE et de liquidateur judiciaire de la SCI ANNAU, demeurant [Adresse 1]

représenté par Me Françoise BOULAN de la SELARL LEXAVOUE BOULAN CHERFILS IMPERATORE, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE

assisté de Me Arnaud LAURENT, avocat au barreau de MONTPELLIER, plaidant

S.C.I. ANNAU

immatriculée au RCS de Montpellier sous le n° 417 737 079 dont le siège social est sis [Adresse 4], prise en la personne de son représentant légal domicilié ès qualité audit siège

défaillante

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

L’affaire a été débattue le 22 Février 2023 en audience publique. Conformément à l’article 804 du code de procédure civile, Madame Gwenael KEROMES, Présidente a fait un rapport oral de l’affaire à l’audience avant les plaidoiries.

La Cour était composée de :

Madame Gwenael KEROMES, Président de chambre

Madame Muriel VASSAIL, Conseiller

Madame Agnès VADROT, Conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Madame Chantal DESSI.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 04 Mai 2023 et prorogé au 1er Juin 2023.

MINISTERE PUBLIC :

Auquel l’affaire a été régulièrement communiquée.

ARRÊT

Réputé contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 1er Juin 2023,

Signé par Madame Gwenael KEROMES, Président de chambre et Madame Chantal DESSI, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

EXPOSE DU LITIGE

La SARL Belmonte, ayant pour associés égalitaire M. [L] [O], gérant, et Mme [V] [H] est une entreprise de terrassement et travaux publics exerçant son activité dans toute la France, et dont le siège social est à [Localité 12].

La société a été mise en redressement judiciaire par jugement du tribunal de commerce de Montpellier rendu le 7 février 2011, puis à l’issue de la période d’observation renouvelée à deux reprises, a été placée en liquidation judiciaire par jugement du 6 avril 2012, Me [R] [P] étant désignée en qualité de liquidateur judiciaire.

La procédure de liquidation judiciaire de la Sarl Belmonte a révélé un passif très important (62 487 097,01 euros).

Le 3 avril 2015, Mme [P], ès qualités, a assigné la SCI Annau, immatriculée le 12 février 1998, constituée entre M. [L] [O], Mme [H] et la société Fraisage TP, avec qui la Sarl Belmonte a contracté de nombreux baux (huit au total) pour lui voir étendre la liquidation judiciaire de la Sarl Belmonte.

Le tribunal de commerce de Montpellier, par jugement du 1er juillet 2016, relevant l’absence de toute relation financière anormale entre la SCI Annau et la Sarl Belmonte et l’absence de toute confusion de patrimoine entre ces deux sociétés, a rejeté la demande du liquidateur judiciaire comme ne satisfaisant pas aux conditions de l’article L. 621-2 du code de commerce, en ce qu’elle n’était pas susceptible d’augmenter le gage des créanciers de la personne morale soumise à la liquidation judiciaire du fait de la disparition des actifs de la SCI après la revente de tous les immeubles lui appartenant, hormis celui de son siège social à [Localité 12], par ailleurs hypothéqué au profit de la banque ayant prêté les fonds destinés à son acquisition.

Saisie en appel par Me [P] ès qualités, la cour d’appel de Montpellier, par un arrêt du 28 février 2017, a infirmé ce jugement et, statuant à nouveau, a prononcé l’extension sollicitée.

Le 5 mai 2017, la société Caisse de crédit mutuel [Localité 15] Antigone a formé tierce- opposition contre cet arrêt dont elle demande la rétractation.

Par un arrêt 21 janvier 2000, la cour d’appel de Montpellier a déclaré la tierce opposition irrecevable.

Saisie d’un pourvoi de la société Caisse de crédit mutuel [Localité 15] Antigone, la cour de cassation, par arrêt du 20 octobre 2021, a, au visa de l’article L 661-2 du code de commerce et 583 alinéa 2 du code de procédure civile :

– cassé et annulé en toutes ses dispositions l’arrêt ainsi rendu entre les parties ;

– remis celles-ci dans l’état ou elles se trouvaient avant cet arrêt ;

– les a renvoyées devant la cour d’appel d’Aix-en-Provence ;

– condamné Mme [P] en qualité de liquidateur de la société Belmonte aux dépens ;

– rejeté les demandes au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

La Caisse de crédit mutuel [Localité 15] Antigone a déposé une déclaration de saisine le 27 décembre 2021.

Aux termes de ses dernières conclusions déposées et notifiées par RPVA le 7 décembre 2022, la Caisse de crédit mutuel [Localité 15] Antigone demande à la cour de :

– la déclarer recevable en sa tierce opposition à l’encontre de l’arrêt rendu le 28 février 2017 par la cour d’appel de Montpellier entre Me [R] [P] ès qualités et la SCI Annau,

– ordonner en conséquence la rétractation de l’arrêt en ce qu’il a :

‘infirmé le jugement du tribunal de commerce de Montpellier du 1er juillet 2016 ;

‘prononcé l’extension de la procédure de liquidation judiciaire de la Sarl Belmonte à la SCI Annau ;

‘condamné la SCI Annau aux dépens de première instance et d’appel ;

‘ rejeté toutes les autres demandes des parties ;

– déclarer irrecevable la demande de Me [P] ès qualités en extension de la procédure de liquidation judiciaire de la Sarl Belmonte à la SCI Annau ;

– débouter Me [P] ès qualités de sa demande d’extension de la procédure de liquidation judiciaire de la Sarl Belmonte à la SCI Annau ;

– condamner Me [P] ès qualités de liquidateur judiciaire à la liquidation judiciaire de la Sarl Belmonte et de la SCI Annau à verser à la Caisse de crédit mutuel [Localité 15] Antigone la somme de 6 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.

La banque fait valoir qu’elle a consenti trois prêts authentiques à la SCI Annau pour lesquels la déchéance du terme a été prononcée le 27 novembre 2014 et a engagé, par commandement de payer valant saisie en date du 20 mai 2015, une procédure de saisie immobilière sur un immeuble appartenant à la SCI Annau, sis à [Adresse 14], cadastré section DK n0 [Cadastre 3] pour 24a 25 ca, formant le lot L du lotissement dénommé [Adresse 9].

Après échec de la vente amiable, le juge de l’exécution renvoyait par jugement du 9 janvier 2017 en vente forcée à l’audience publique d’adjudication du 24 avril 2017 ; entre-temps intervenait la procédure initiée par le liquidateur judiciaire aux fins d’extension de la procédure de liquidation judiciaire de la Sarl Bel monte à la SCI Annau qui devait aboutir à l’arrêt de cassation du 20 octobre 2021.

L’appelante indique avoir déclaré ses créances le 28 avril 2017 pour les sommes de :

– 173 904,38 euros au titre du prêt authentique du 19 janvier 2004,

– 947 722,27 euros au titre du prêt authentique du 13 décembre 2006,

– 208 680,15 euros en exécution du prêt authentique du 5 mars 2008

soit un total de 1 330 306,80 euros

Elle considère qu’en l’état du litige, que la tierce opposition qu’elle a formée est recevable dans la mesure où l’extension de la procédure collective de la Sarl Bel monte porte une atteinte à ses droits de créancier hypothécaire dès lors que le remboursement de sa créance hypothécaire est menacé par le super privilège et le privilège des salariés aux droits de qui se trouve subrogée l’AGS en vertu de l’article L 641-13 du code de commerce (1 443 790,35 euros) et le super privilège de pôle emploi (22 963,84 euros), qui excède le prix de vente de l’immeuble aux meilleures conditions (656 087,26 euros) et fait échec à la procédure de saisie immobilière engagée par la société Caisse de crédit mutuel [Localité 15] Antigone sur l’unique bien appartenant à la SCI Annau, situé à [Localité 12].

Elle considère que la demande d’extension de la procédure de liquidation judiciaire doit être rejetée à la fois en raison de l’absence de confusion entre les patrimoines des deux sociétés et en raison de l’absence d’intérêt du liquidateur judiciaire, ces deux moyens étant alternatifs.

Sur l’absence d’intérêt du liquidateur judiciaire, elle oppose l’absence d’intérêt à agir et la tardiveté de cette action qui aurait pu être engagée dès le redressement judiciaire.

Enfin, la SCI Annau ne détient plus d’actifs immobiliers autres que l’immeuble de [Localité 12] dont la Sarl Belmonte n’est pas locataire.

La vente de ce bien immobilier ne permettra pas d’augmenter le gage des autres créanciers à la liquidation judiciaire de la Sarl Belmonte, dans la mesure où les frais de procédure et l’AGS auront absorbé tout ou partie des fonds et, à supposer qu’il reste un reliquat, celui-ci ira à la société Caisse de crédit mutuel [Localité 15] Antigone, de sorte que la collectivité des autres créanciers ne pourra rien espérer de la vente de ce bien immobilier.

Les créanciers de la Sarl Belmonte ne pourront pas d’avantage actionner en responsabilité les associés de la SCI et d’espérer ainsi augmenter l’assiette de recouvrement de leurs créances.

Enfin, elle invoque l’absence de confusion des patrimoines entre les deux sociétés, et l’absence de démonstration de l’existence de relations financières anormales, manifestées par des transferts patrimoniaux sans justifications ou contreparties.

***

Par conclusions n°2 déposées et notifiées par RPVA le 23 janvier 2023, Me [R] [P] ès qualités de liquidatrice judiciaire de la Sarl Belmonte et de la SCI Annau demande à la cour de :

– dire et juger la tierce opposition formée par le Crédit mutuel infondée ;

– constater que le Crédit mutuel n’a pas énoncé au dispositif de ses conclusions sa prétention tendant à l’irrecevabilité des demandes de Me [E] [P] ès qualités au motif d’un prétendu défaut d’intérêt à agir et dire en conséquence que la cour ne pourra statuer sur cette prétention ;

– dire et juger qu’il existe des relations financières anormales et systématiques entre la SCI Annau et la Sarl Belmonte, constitutive d’une confusion des patrimoines et en conséquence,

– dire et juger que les deux sociétés ont confondu leur patrimoine,

En conséquence,

– débouter le Crédit mutuel de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

– rejeter la tierce-opposition,

– confirmer l’arrêt rendu par la cour d’appel de Montpellier le 28 février 2017 en toutes ses dispositions

– condamner le Crédit Mutuel au paiement de la somme de 8 500 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens, ceux d’appel distraits au profit de Me Françoise Boulan, membre de la Selarl Lexavoué Aix-en-Provence, avocats associés, aux offres de droit.

Pour l’essentiel, Me [E] [P] fait valoir que la procédure de liquidation judiciaire de la Sarl Belmonte a fait apparaître un passif très important s’élevant à 62 487 097,01 euros ; que de nombreux baux ont été conclus entre la SCI Annau et la Sarl Belmonte pour des locaux situés à [Localité 11] (51) pour un loyer annuel de 55 000 euros HT, à [Localité 8] (17) pour un loyer annuel de 52 000 euros HT, à [Localité 16] (66) pour un loyer annuel de 82 000 euros HT, à [Localité 6] (69) pour un loyer annuel de 31 920 euros HT, à [Localité 7] pour un loyer annuel de 54 000 euros HT, à [Localité 17] (51) pour un loyer annuel de 39 600 euros HT et à [Localité 12] pour un loyer annuel de 69 516 euros HT (34) et enfin, un bail prenant effet au 1er février 2006 portant sur un terrain situé à [Localité 12] (34) [Adresse 14] pour un montant hors taxes de 27 552 euros, modifié par avenant prenant effet au 1er janvier 2008 portant sur un ensemble immobilier situé à [Localité 12], [Adresse 14] pour un montant HT de 230 000 euros.

Elle soutient que tous ces baux ont été conclus à des conditions préjudiciables à la Sarl Belmonte et à ses créanciers, celle-ci s’appauvrissant au bénéfice de la SCI Annau ; que la Sarl Bel monte a réglé des échéances des prêts consentis à la SCI Annau, a réglé ses charges et procédé à des virements injustifiés de trésorerie, qu’il est impossible de déterminer les sommes versées au titre des loyers et les échéances auxquelles elles se rattacheraient ; que les sommes versées au titre du bail portant sur les locaux situés à [Localité 12] apparaissent anormalement élevées et que la Sarl Belmonte n’a pas poursuivi le recouvrement de créances détenues sur la SCI Anneau et que la SCI n’a pas restitué les dépôts de garanties à la Sarl Bel monte.

Ces éléments démontrent la confusion des patrimoines et l’existence de mouvement financiers anormaux entre les deux sociétés qui justifient l’extension de la procédure de liquidation judiciaire de la Sarl Bel monte à la SCI Annau en application de l’article L 621-1 du code de commerce applicable à la liquidation judiciaire par renvoi de l’article L 641-1.

***

La SCI Annau qui n’a pas été citée à sa personne, n’a pas constitué avocat.

L’arrêt sera par conséquent rendu par défaut en application de l’article 474 alinéa 2 du code de procédure civile.

***

Aux termes d’un avis écrit déposé et notifié par RPVA le 14 décembre 2022, le ministère public indique se référer aux conclusions des parties pour plus ample exposé des faits et rappel de leurs prétentions et moyens, et après avoir rappelé que la tierce opposition de la Caisse de crédit mutuel [Localité 15] Antigone est recevable, déclare s’en rapporter à l’appréciation de la cour quant à l’opportunité de prononcer une extension de la liquidation judiciaire de la Sarl Bel monte à la SCI Annau, rappelant que M. [O] est sous le coup d’une mesure de faillite personnelle depuis le 16 mars 2021.

La clôture a été prononcée le 26 janvier 2023 et l’affaire a été fixée à l’audience du 22 février 2023 à 8h40

Il sera renvoyé, conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile aux écritures des parties pour un plus ample exposé de leurs prétentions et moyens respectifs.

MOTIFS

1) Sur la recevabilité de la tierce-opposition formée par la Caisse de crédit mutuel [Localité 15] Antigone contre l’arrêt rendu le 28 février 2017 prononçant l’extension de la procédure collective de la société Belmonte à la Sci Annau :

En application des articles L. 661-1 1° et 5° et L. 661-2 du code de commerce que les décisions statuant sur l’extension d’une procédure collective sont susceptibles de tierce-opposition.

L’article 582 du code de procédure civile définit la tierce opposition comme tendant à faire rétracter ou réformer un jugement au profit du tiers qui l’attaque.

En matière de procédure collective, l’indivisibilité de la solution confère un effet erga omnes au jugement accueillant la tierce opposition.

L’alinéa 1er de l’article 583 pose deux conditions préalables à la recevabilité de la tierce-opposition :

– son auteur ne doit pas avoir été partie ou représenté au jugement,

– l’exercice de cette voie de recours doit présenter un intérêt pour lui.

L’article 583, alinéa 2, du code de procédure civile prévoit que cette voie de recours n’est ouverte aux créanciers du débiteur que si leurs droits ont été atteints à raison d’une fraude ou s’ils ont un moyen propre à faire valoir, et non pas s’ils sont seulement intéressés par la procédure.

En l’espèce, la Caisse de crédit mutuel de [Localité 15] Antigone qui n’était pas partie à l’instance ayant abouti à l’arrêt du 28 février 2017 (n° 0762) rendu par la cour d’appel de Montpellier, justifie d’un intérêt qui lui est propre dès lors que l’extension de la procédure de liquidation judiciaire de la Sarl Belmonte à la SCI Annau, si elle était prononcée, porterait une atteinte actuelle à ses droits personnels, puisqu’étant créancière hypothécaire de premier rang inscrite sur l’immeuble de la SCI situé à [Adresse 14] pour un montant de 1 325 285 euros , elle se retrouverait en concurrence avec d’autres créanciers pouvant la primer, spécialement l’AGS, au titre des avances importantes effectuées par cette dernière dans le cadre de la liquidation judiciaire de la société Belmonte (1 443 790,35 euros) pouvant absorber à elles seules le prix de l’immeuble (estimé en 2017 aux alentours de 800 000 euros). Les conditions posées à l’article 583 du code civil étant réunies, la tierce opposition sera déclarée recevable.

2) sur l’intérêt à agir de Me [P] ès qualités :

Contrairement à ce qui est soutenu par Me [P], la Caisse de crédit mutuel a bien formulé dans le dispositif de ses conclusions qui seul lie la cour, conformément à l’article 954 du code de procédure civile, la prétention tendant à voir déclarer irrecevable la demande d’extension soutenue par Me [P] ès qualités, le moyen tiré du défaut d’intérêt à agir qui a été énoncé et développé dans le corps de ses écritures, n’ayant pas à être repris dans le dispositif.

L’article 31 du code de procédure civile pose comme principe que l’intérêt a agir s’entend de l’utilité ou de l’avantage que l’action peut procurer à celui qui agit ; il doit être direct, légitime, né et actuel.

Par l’effet de l’action en extension de la procédure collective de la société Belmonte à la SCI Annau, le liquidateur judiciaire entend reconstituer l’actif social au profit des créanciers de la société Belmonte dès lors qu’il a existé entre ces deux sociétés une confusion de leur patrimoine, manifestée par l’existence de flux financiers anormaux et qui s’est traduite par une diminution de l’actif de la société Bel monte au profit de la SCI.

Le liquidateur judiciaire justifie d’un intérêt à agir, dès lors que l’action engagée en application de l’article L 621-2 du code de commerce a pour conséquence de réintégrer dans l’actif de la société Belmonte le bien immobilier de la SCI Annau sis à [Adresse 14], acquis par la SCI Annau en partie ou en totalité à l’aide des fonds issus de Sarl Bel monte ; peu importe que la valeur de ce bien immobilier, estimée en 2017 entre 800 000 et 850 000 euros, soit d’un montant inférieur à celui de la créance hypothécaire de la banque, dès lors qu’elle est de nature à désintéresser les créanciers de la Sarl Belmonte qui ont vocation à venir concourir en fonction de leur privilège et rang sur le patrimoine ainsi reconstitué.

Par ailleurs, comme le relève Me [P], les prix de l’immobilier montpelliérain ont considérablement cru depuis 2017, de sorte que la valeur de l’immeuble détenu par la SCI Annau a pu également bénéficier de cette croissance.

3) Sur le bien fondé de la demande d’extension de la liquidation judiciaire de la Sarl Belmonte à la SCI Annau :

Il ressort de l’article L 621-2 alinéa 2 du code de commerce que l’extension de la procédure collective à une ou plusieurs autres personnes peut être demandé en cas de confusion de leur patrimoine avec celui du débiteur ou de fictivité de la personne morale, la jurisprudence ayant retenu deux critères distincts alternatifs : l’impossibilité de dissocier les patrimoines et l’existence de relations financières anormales.

En l’espèce, la SCI Annau a acquis plusieurs ensembles immobiliers (terrains, bâtiments à usage d’entrepôt, garages ateliers) en souscrivant différents prêts, qui ont été mis à disposition de la Sarl Belmonte pour les besoins de son activité, au moyen de la conclusion de baux dont il n’est pas contesté qu’ils ont bien été exécutés.

– S’il n’est pas anormal en soi que le montant des loyers mis à la charge de la Sarl Belmonte prenne en compte les échéances des prêts immobiliers ou des crédits-baux immobiliers contractés par la SCI Annau, augmentées des charges et de la TVA- en cela l’examen des écritures comptables de la société Belmonte fait apparaître des versements sur le compte 401 ‘SCI ANNAU’ ou ‘SCI ANNA’ mentionnant les échéances des emprunts immobiliers et des crédit-baux contractés par celle-ci et des paiements de TVA- il ressort toutefois de l’examen des différents baux conclus que ceux-ci prévoyaient :

– pour les locaux situés à [Localité 11] (59) acquis en avril 2009 au prix de 72 216 euros, le paiement d’un loyer annuel de 65 780 euros TTC, à compter du 1er janvier 2010, payable par mois et d’avance, avec clause de résiliation de plein droit en cas d’impayé d’un seul terme,

– pour les locaux situés à [Localité 8] (17) acquis en juillet 2008 au prix de 430 560 euros, le paiement d’un loyer annuel de 62 192 euros TTC, à compter du 1er janvier 2010, payable par mois et d’avance, avec clause de résiliation de plein droit en cas d’impayé d’un seul terme,

– pour les locaux situés à [Localité 16] (66) pour lesquels a été souscrit un crédit-bail immobilier en juin 2005 pour la valeur de 400 000 euros, le paiement d’un loyer annuel de 98 072 euros TTC, à compter du 1er mai 2005, payable par trimestre et d’avance, avec clause de résiliation de plein droit en cas d’impayé d’un seul terme,

– pour les locaux situés à [Localité 6] (69), acquis en juillet 2004 au prix de 243 918 euros, le paiement d’un loyer annuel de 38 176,32 euros TTC, à compter du 1er août 2014, payable par mois et d’avance, avec clause de résiliation de plein droit en cas d’impayé d’un seul terme,

– pour les locaux situés à [Localité 7] (13), acquis en janvier 2007 au prix de 425 000 euros, le paiement d’un loyer annuel de 64 584 euros TTC, à compter du 1er janvier 2007, moyennant un loyer mensuel de 4 500 euros majoré de la TVA payable par mois et d’avance, avec clause de résiliation de plein droit en cas d’impayé d’un seul terme,

– pour les locaux situés à [Localité 17] (51), acquis en mars 2007 au prix de 250 000 euros, le paiement d’un loyer annuel de 47 361,60 euros TTC, moyennant un loyer mensuel de 3 300 euros majoré de la TVA payable par mois et d’avance, avec clause de résiliation de plein droit en cas d’impayé d’un seul terme,

– pour les locaux situés à [Adresse 14], le paiement d’un loyer mensuel de 38 000 francs (5 793,06 euros), à compter du 1er juillet 1999 moyennant un loyer mensuel majoré de la TVA payable par trimestre et d’avance pour un terrain non bâti. Le bail sera modifié par avenant du 11 janvier 2008, conclu rétroactivement à compter du 1er février 2006, moyennant un loyer annuel de 230 000 euros majoré de la TVA,avec clause de résiliation de plein droit en cas d’impayé d’un seul terme,

Le terrain a été acquis par la SCI en janvier 2005 au prix de 218 000 euros et en décembre 2016, la SCI a emprunté auprès du Crédit Mutuel la somme de 1 500 000 euros et 300 000 euros en mars 2008 pour la construction du bâtiment abritant le siège social de Sarl Belmonte, ceci pouvant expliquer le loyer annuel de 230 000 euros.

– [Adresse 13] pour un loyer annuel de 83 141,10 euros, à compter du 1er juillet 1999 moyennant un loyer mensuel de 38 000 francs (5 793,06 euros), majoré de la TVA payable par trimestre et d’avance, avec clause de résiliation de plein droit en cas d’impayé d’un seul terme,

Les versements effectués, montrent que ces paiements ne recouvrent pas les échéances, qu’elles soient mensuelles ou trimestrielles, telles qu’elles ont été convenues entre les parties, et ne précisent pas les affectations à tel ou tel bail.

Ainsi, le grand-livre de la Sarl Belmonte mentionne des paiements intitulés ‘SCI ANNAU ECH. PRET’ dans le sous-compte 401 ‘ANNA’, matérialisant la prise en charge par la Sarl Belmonte des échéances de prêts immobiliers incombant à la SCI Annau

– de 2 160 euros, sur la période de septembre 2004 à avril 2009, pour un total de 120 963,36 euros,

– d’un montant de 2 000 euros entre mars 2005 et février 2009 pour un total de 96 000 euros,

– d’un montant de 2 543,77 euros, entre avril 2007 et juillet 2009, pour un total de 40 700,32 euros,

– de dix échéances de prêt d’un montant de 5 300 euros, pour un montant total de 53 000 euros,

– de neuf échéances de prêt d’un montant de 2 800 euros, pour un montant total de 25 200 euros,

– de six échéances de prêt d’un montant de 4 683,76 euros, pour un montant total de 29 902,38 euros

– de huit échéances de prêt d’un montant de 4 698,61 euros, pour un montant total de 37 588,96 euros,

– de cinq échéances de prêt s’élevant à 18 000 euros pour un montant total de 90 000 euros,

– de plusieurs échéances se rapportant à des prêts souscrits par la SCI Annau : 2 500 euros en 2004, 99 540 euros en 2007, 49 730,72 euros en 2008.

C’est donc au total une somme de 645 126,47 euros qui a été réglée par Sarl Belmonte dont il n’est pas possible de déterminer l’affectation à tel ou tel bail. De même, comme l’a relevé le liquidateur judiciaire, le caractère anarchique de ces règlements qui ne correspondent ni aux montants, ni aux dates des échéances contractuellement fixées par les parties dans les baux, sur plusieurs années dénotent l’instauration de relations financières anormales entre les deux sociétés.

– par ailleurs, la Sarl Belmonte a également pris à sa charge des frais incombant à la SCI au titre de l’achat d’un terrain situé à [Localité 16] en 2001 (5 255,90 euros), des honoraires de Me [J], notaire pour 20 500 euros en 2006 et 3 800 euros en 2008, des honoraires de Me [X], notaire, pour 1 435,20 et 687,70 euros en 2007. Ces dépenses ont occasionné une sortie de fonds de 31 893,45 qui n’est pas non plus justifiée par une convention entre les parties.

– d’autres virements intitulées ‘avances de trésorerie’ ont été effectués depuis la trésorerie de la Sarl Belmonte au profit de la SCI, dont la justification ou la contrepartie n’a pas été rapportée, ni les modalités de remboursement fixées, totalisant 52 072 euros entre 2002 et 2009.

Ces derniers versements ne peuvent, à défaut de justification comptable, être considérés comme des régularisation de loyers comme l’affirme la Caisse de crédit Mutuel ; ces avances non justifiées, consenties sans intérêts, ont nécessairement amputé d’autant la trésorerie de la Sarl Belmonte dont l’activité a commencé à être déficitaire à compter de 2008, tel que cela ressort de ses documents comptables :

– exercice clos au 31 décembre 2008 : – 1 989 423 euros

– exercice clos au 31 décembre 2009 : – 2 709 936 euros

– exercice clos au 31 décembre 2010 : – 29 474 258 euros

Ainsi, l’analyse de la comptabilité de la Sarl Belmonte telle que reprise par Me [P] dans ses conclusions (page 27 conclusions n°2 après renvoi de cassation) démontre une absence de corrélation entre le montant des loyers et charges dûs au titre des différents baux et les versements effectués entre les mains de la SCI Annau.

A cet égard, la Sarl Belmonte s’est trouvée créancière de la SCI à hauteur de 544 084,32 euros pour des opérations datant de 2002 à 2003, non reliées à ces baux, sans qu’aucun règlement n’intervienne avant le 6 février 2011, date à laquelle a été opérée une compensation globale à hauteur de 290 025,08 euros entre le compte 411 Annau (créances clients) et le compte 401 Annau (dettes fournisseur).

La Sarl Belmonte restait donc au jour de l’ouverture de la procédure de redressement judiciaire prononcée le 7 février 2011, créancière de la SCI à hauteur de 254 059, 24 euros.

Cette absence de compensation en comptabilité entre la créance de la Sarl Belmonte et les loyers perçus par la SCI, au fur et à mesure des versements effectués, traduit bien la confusion des patrimoines entre ces deux sociétés.

En outre, l’inertie observée par la Sarl Belmonte pendant sept années, dans le recouvrement d’une créance de 544 084,32 euros qui plus est, sans intérêts, a permis à la SCI de disposer d’une réserve de trésorerie qui lui a permis de faire face aux charges liées aux différents prêts immobiliers et crédits-baux qu’elle a souscrits, d’acquérir de nouveaux ensembles immobiliers et constituer ainsi un patrimoine qu’elle a revendu par la suite, comme l’a relevé le tribunal de commerce de Montpellier, à son seul profit, entre 2012 et 2015.

Enfin, il ressort du Grand Livre de clôture fournisseurs (pièces 13 à 16 Me [P]) que les dépôts de garantie suivants :

– terrain de [Localité 12] (6 880 €)

– [Localité 12] (34 758,38 €),

– [Localité 16] (20 500 €),

– [Localité 6] (7 980 €),

– [Localité 5] (19 800 €),

– [Localité 10] (27 000 €)

– dépôt de garantie siège (115 000 €),

inscrits au crédit du compte 401ANNA de la SCI Annau n’ont pas été réglés à la SCI qui ne les a pas non plus appelés pendant plusieurs années consécutives, confirmant ainsi le caractère anormal des relations financières entre ces deux sociétés.

Au vu de ce qui précède, l’existence de relations financières anormales qui ont perduré plusieurs années entre la Sarl Belmonte et la SCI Annau est caractérisée, de même que la confusion des patrimoines entre ces deux sociétés, justifiant l’extension de la procédure collective ouverte à l’égard de la Sarl Belmonte à la SCI Annau en application de l’article L 621-2 du code de commerce.

La Caisse de crédit mutuel de [Localité 15] Antigone est par conséquent mal fondée en sa tierce opposition et l’arrêt rendu le 28 février 2017 par la Cour d’appel de Montpellier entre Me [R] [P], ès qualités de liquidateur judiciaire de la Sarl Belmonte et la SCI Annau sera maintenu en toutes ses dispositions.

4) Sur les demandes accessoires :

La Caisse de crédit mutuel de [Localité 15] succombant, est mal fondée en sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile. Elle devra en outre supporter les dépens de l’instance conformément aux dispositions de l’article 696 du code de procédure civile.

Il y a lieu de faire droit à la demande de Me [P] ès qualités, à hauteur de la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, sur renvoi de cassation, par arrêt rendu par défaut,

Déclare recevable la tierce opposition formée le 5 mai 2017 par la Caisse de crédit mutuel de [Localité 15] Antigone à l’encontre de l’arrêt rendu par la cour d’appel de Montpellier le 28 février 2017 (n° 0762);

La dit mal fondée,

En conséquence,

Déboute la Caisse de crédit mutuel de [Localité 15] Antigone en ses demandes:

– tendant à la rétractation de l’arrêt rendu par la cour d’appel de Montpellier le 28 février 2017 (n° 0762) en ce qu’il a infirmé le jugement rendu par le tribunal de commerce de Montpellier du 1er juillet 2016, prononcé l’extension de la procédure de liquidation judiciaire de la Sarl Belmonte à la SCI Annau, condamné la SCI Annau aux dépens de première instance et d’appel et rejeté toutes les autres demandes des parties ;

– tendant à voir déclarer irrecevable et mal fondée la demande de Me [P] en extension de la procédure de liquidation judiciaire de la Sarl Belmonte à la SCI Annau ;

– tendant à voir condamner Me [P] Me [P] ès qualités de liquidateur judiciaire de la Sarl Belmonte au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens;

Maintient en toutes ses dispositions l’arrêt rendu par la cour d’appel de Montpellier le 28 février 2017 entre Me [P] ès qualités et la SCI Annau ;

Y ajoutant,

Condamne la Caisse de crédit mutuel de [Localité 15] Antigone à payer à Me [P] ès qualités de liquidateur judiciaire de la Sarl Belmonte la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

La condamne aux dépens de la procédure d’appel dont distraction au profit de Me Boulan, membre de la Selarl Lexavoué Aix-en-Provence avocats associés aux offres de droit.

LA GREFFIERE LA PRESIDENTE

 


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