LOI POUR LA CROISSANCE, L’ACTIVITÉ ET L’ÉGALITÉ DES CHANCES ÉCONOMIQUES
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Conseillers,
Conformément au deuxième alinéa de l’article 61 de la Constitution, nous avons l’honneur de déférer au Conseil constitutionnel la loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, définitivement adoptée le 10 juillet 2015.
Sur le respect de la procédure parlementaire
Les députés souhaitent attirer l’attention du Conseil constitutionnel sur des questions procédurales en raison d’un déséquilibre persistant dans les relations entre le Gouvernement et le Parlement et d’un manque de considération des droits de l’opposition.
A chaque étape de l’examen de la loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, les députés du groupe « les Républicains » ont dénoncé des méthodes et des initiatives qui bafouent les fondements premiers de notre démocratie. L’examen de la constitutionnalité de cette loi permettrait donc de rappeler les règles à respecter et de sanctionner les atteintes portées à la Constitution.
1. Sur l’absence de clarté et de sincérité du débat parlementaire
Dans sa récente décision du 11 juin 2015 portant sur les méthodes de travail du Sénat, le Conseil constitutionnel a rappelé l’importance du respect des exigences de clarté et de sincérité du débat parlementaire qui découlent de l’article 6 de la DDHC et du premier alinéa de l’article 3 de la Constitution (1).
En l’espèce, l’examen à l’Assemblée nationale du projet de loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques aurait méconnu les exigences de clarté et de sincérité du débat parlementaire.
Sur l’étude d’impact :
En vertu de l’
article 8 de la loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009
, les projets de loi doivent être accompagnés d’une étude d’impact précise et exhaustive. L’objectif est d’imposer au Gouvernement qu’il éclaire la représentation nationale sur les textes qu’il propose, qu’il en justifie les raisons et évalue leur portée.
Dans son avis sur le projet de loi, rendu le 8 décembre 2014, le Conseil d’Etat indique « qu’il n’a pu que déplorer, à la date de sa saisine du projet de loi, le caractère lacunaire et les graves insuffisances de l’étude d’impact sur de nombreuses dispositions du projet. Si, après des demandes en ce sens, des progrès ont pu être relevés lors de la présentation du projet de loi devant l’assemblée générale, le Conseil d’Etat appelle l’attention du Gouvernement sur la nécessité de fournir dès le stade de sa saisine une étude d’impact propre à satisfaire aux exigences de l’
article 8 de la loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009
».
L’insuffisance de l’étude d’impact a donc inévitablement nui à l’exigence de clarté et de sincérité du débat parlementaire.
Sur le temps d’examen imparti pour l’ensemble du projet de loi en séance publique :
Dans sa décision du 11 juin 2015 précitée, le Conseil constitutionnel a rappelé que « les temps de parole ainsi déterminés par la conférence des présidents ne sauraient être fixés de telle manière qu’ils privent d’effet les exigences de clarté et de sincérité du débat parlementaire » (2).
Le projet de loi déposé à l’Assemblée nationale le 11 décembre 2014 comportait 106 articles. En première lecture, à l’issue de l’examen en commission spéciale du 12 au 18 janvier 2015, 495 amendements ont modifié ce texte, insérant notamment 103 articles additionnels. L’examen en séance publique a quant à lui abouti à l’adoption de 559 amendements et le projet de loi a été porté à 295 articles. Le Sénat a également enrichi le texte qui a été porté à 405 articles, avec, il est vrai, un grand nombre d’articles supprimés et dont la suppression a été maintenue en nouvelle lecture.
Le temps législatif programmé décidé en conférence des présidents le 16 décembre 2014 prévoyait une discussion globale de 50 heures, se répartissant ainsi :
– 20 h 45 pour le groupe « les Républicains » (soit 1 245 minutes) ;
– 14 h 05 pour le groupe SRC (soit 845 minutes) ;
– 5 h 40 pour le Groupe UDI (soit 340 minutes) ;
– 3 h 15 pour le groupe Ecolo (soit 195 minutes) ;
– 3 h 10 pour le groupe RRDP (soit 190 minutes) ;
– 3 h 05 pour le groupe GDR (soit 185 minutes).
Or, entre le dépôt du texte sur le bureau de l’Assemblée nationale et l’examen en séance publique, le nombre d’articles a doublé.
Si on rapporte le temps de chaque groupe au nombre d’articles à examiner en séance publique (209), on obtient un temps de parole de moins de 6 minutes par article pour l’ensemble des députés du groupe « les Républicains » ou de moins d’une minute pour les trois plus petits groupes parlementaires (Ecolo, RRDP, GDR). Et même si, en cours de débat, ont été ajoutés à ce temps de parole les « temps Président », il n’en demeure pas moins que le temps imparti aux groupes parlementaires en séance publique, basé sur un nombre de 106 articles, reste bien insuffisant pour un texte ayant doublé de volume à l’issue de la commission.
De telles contraintes ont, de manière bien prévisible, pesé sur le débat parlementaire puisqu’au moment de la discussion des articles du titre III, les députés des groupes parlementaires avaient épuisé leur temps de parole. Ce n’est qu’à la faveur de l’article 55, alinéa 6, du règlement de l’Assemblée nationale (3) que l’examen du texte a, tant bien que mal, pu se poursuivre dans la nuit du 14 février 2015.
La rationalisation (même légitime) du débat parlementaire a donc été détournée de son utilité première. De telles conditions d’examen ne peuvent être considérées comme respectueuses des droits de l’opposition et de l’exigence démocratique de clarté et de sincérité du débat parlementaire.
2. Sur le détournement de la procédure parlementaire
Sur le contournement de l’obligation d’étude d’impact :
On peut constater que, dès la première lecture en commission spéciale, 36 amendements du Gouvernement ont été adoptés. Il ne s’agissait pas uniquement d’amendements de précision ou d’amélioration de dispositions présentées quelques semaines seulement auparavant, puisque, sur ces 36 amendements, 28 ont inséré un article additionnel dans le projet de loi.
Ces nouveaux articles concernaient par exemple la réalisation d’une infrastructure ferroviaire entre Paris et l’aéroport Paris-Charles-de-Gaulle (article 8), la réforme des modalités du permis de conduire (articles 22 et suivants), l’encouragement de l’épargne salariale (articles 168 et suivants) ou encore des réformes relatives aux missions et procédures devant l’Autorité de la concurrence (articles 215 et suivants).
De même en séance publique, sur les 35 amendements du Gouvernement adoptés, 9 introduisaient un article additionnel, avec parfois des conséquences non négligeables. Il convient de citer notamment l’article 6 qui permet la réalisation de la liaison fluviale Seine-Nord Europe ou encore l’article 50 A (supprimé en cours de navette parlementaire) qui prévoyait la création de société de projet dans le secteur de la défense nationale.
En utilisant ainsi son droit d’amendement pour introduire dans le projet de loi des articles significatifs, le Gouvernement s’est dispensé de l’obligation d’étude d’impact. Sans même se prononcer sur le fond de ces sujets, il est incontestable qu’ils sont loin d’être anodins et donc qu’ils auraient mérité de faire l’objet d’une étude d’impact.
Sur l’absence de règles claires relatives à l’organisation des lectures définitives à l’Assemblée nationale :
L’article 45, alinéa 4, de la Constitution précise que « l’Assemblée nationale peut reprendre le dernier texte voté par elle, modifié le cas échéant par un ou plusieurs des amendements adoptés par le Sénat ». Les députés ne peuvent donc déposer que des amendements qui auraient été adoptés au Sénat.
Cette lecture définitive fait l’objet d’une réunion de commission puis d’un examen en séance publique. Or, la réunion de commission s’effectue dans un « flou procédural » auquel il serait utile que le Conseil constitutionnel mette un terme. On ne sait pas quelle est la nature de cette réunion :
Est-ce une réunion « au fond » avec un examen des amendements déposés, en application de l’article 86 du règlement ?
Cela supposerait que les députés puissent déposer des amendements pour la commission et pour la séance. Or, en l’espèce, seule une voie d’accès pour le dépôt d’amendement était ouverte sur le logiciel interne ELOI.
Cela supposerait aussi que cette réunion donne lieu à un rapport législatif et à un compte rendu précis des échanges et des débats sur les amendements, ce qui est le cas en l’espèce (4).
Cela supposerait alors, en application de la réforme constitutionnelle de 2008, que les amendements adoptés en commission soient intégrés au texte présenté en séance publique, ce qui n’a pas été le cas en l’espèce.
Est-ce une réunion comme la réunion de commission en application de l’article 88 du règlement ?
Cela supposerait qu’il y ait alors eu une réunion préalable « au fond » puisque l’article 88 précise « Postérieurement à la réunion tenue en application de l’article 86 ». Or, tel n’a pas été le cas en l’espèce.
Cela supposerait aussi qu’il ne soit plus possible pour les députés de déposer des amendements pour la séance, puisque la réunion « article 88 » se tient une fois que le délai de dépôt est clos (5). Or, en l’espèce, il était tout à fait possible pour les députés de continuer de déposer des amendements pour la séance, ce que n’ont pas manqué de faire plusieurs députés, de groupes parlementaires différents.
Enfin, cela supposerait, d’une part, que cette réunion ne procède qu’à un balayage des amendements déposés pour la séance (et qui devront être débattus « au fond » en séance publique), peu importe alors que leur auteur soit présent ou non, et, d’autre part, que le compte rendu de la commission soit, de fait, minimaliste.
Il apparaît que la réunion de commission en lecture définitive n’est ni exactement une réunion « au fond » ni une réunion « article 88 ». En effet, le compte rendu montre que cette commission a duré longtemps (environ 2 heures) et qu’elle a donné lieu à des échanges de fond. Le président de la commission a introduit la réunion par un propos procédural. Les députés ont alors fait part de leurs observations et questions, ce qui souligne d’ailleurs la perplexité des uns et des autres face à la procédure. Lors de chaque amendement, un débat a pu avoir lieu si l’auteur le souhaitait. Certains députés, considérant que cette réunion était une « réunion article 88 », ont informé la commission qu’ils se réservaient pour la séance publique, d’autres députés ont pris le temps de défendre leurs positions sur divers amendements importants, pour que le compte rendu fasse état du débat.
Si la question de la nature des commissions en lecture définitive n’a jamais été soulevée jusqu’à présent c’est parce que ces réunions de commission sont, en pratique, rapides et se bornent à reprendre le dernier texte voté par l’Assemblée nationale sans ouvrir de nouveau débat, sans accepter d’amendement. Tel n’a pas été le cas en l’espèce, ce qui conduit les députés « Les Républicains » a interrogé le Conseil constitutionnel.
Sur les conséquences de l’utilisation de l’article 49.3 de la Constitution avant toute discussion en séance publique :
L’article 49, alinéa 3, de la Constitution permet au Gouvernement d’engager sa responsabilité devant l’Assemblée nationale sur le vote d’un texte qui sera considéré comme adopté sauf si une motion de censure est adoptée dans les conditions prévues par la Constitution et le règlement de l’Assemblée. Le Gouvernement peut utiliser cet article à tout moment de l’examen du texte.
Ainsi, en l’espèce, il a engagé sa responsabilité juste avant le vote solennel prévu à l’Assemblée nationale le 17 février 2015. Les députés ont alors eu la faculté de débattre en séance publique et ils ont « seulement » été privés d’un vote solennel sur l’ensemble du texte.
Le Gouvernement a de nouveau engagé sa responsabilité en nouvelle lecture (c’est-à-dire après échec de la CMP) le 16 juin 2015 et lors de la lecture définitive le 9 juillet 2015, avant même l’examen du texte en séance publique.
Lors de la nouvelle lecture, les députés ont certes débattu en commission, adopté de nombreux amendements. Le texte sur lequel le Gouvernement a engagé sa responsabilité était le texte de la commission n° 2866, modifié par des amendements identifiés par le Premier ministre et déposés pour l’examen en séance publique.
Les amendements ainsi retenus n’ont fait l’objet d’aucun débat, ni en commission ni en séance. En effet, la réunion de commission qui se tient en application de l’article 88 du règlement a vocation à balayer les amendements déposés pour la séance publique dans les limites du délai de dépôt. Le rapporteur indique alors quels sont les amendements sur lesquels il souhaite donner un avis favorable ou défavorable. Les députés présents apportent leur soutien ou non au rapporteur par un vote. On considère alors que ces amendements sont « acceptés ».
Lors de la lecture définitive, le Gouvernement a procédé de même : il a engagé sa responsabilité sur le dernier texte voté par l’Assemblée nationale (TA 538) – puisqu’en application de l’article 45, alinéa 4, de la Constitution « l’Assemblée nationale peut reprendre le dernier texte voté par elle » – en intégrant certains amendements. Ces amendements n’ont fait l’objet d’aucun débat ni en commission ni en séance publique.
En l’espèce, ce qui pose donc problème, ce n’est pas tant le moment choisi par le Gouvernement pour engager sa responsabilité que le fait qu’il intègre des amendements qui n’ont fait l’objet d’aucun débat en commission, alors même que, depuis la réforme de 2008, la commission a un rôle législatif de premier plan. L’utilisation du 49.3 avant même l’examen du texte en séance publique a pour conséquence de priver les députés de tout débat de fond sur des amendements intégrés au texte.
Sur l’article 31
L’article 31 vise à imposer que « l’ensemble des contrats conclus entre, d’une part, une personne physique ou une personne morale de droit privé regroupant des commerçants, autre que celles mentionnées aux chapitres V et VI du titre II du livre Ier du présent code, ou mettant à disposition les services mentionnés au premier alinéa de l’article L. 330-3 et, d’autre part, toute personne exploitant, pour son compte ou pour le compte d’un tiers, un magasin de commerce de détail, ayant pour but commun l’exploitation de ce magasin et comportant des clauses susceptibles de limiter la liberté d’exercice par cet exploitant de son activité commerciale prévoient une échéance commune ». Il ajoute que « la résiliation d’un de ces contrats vaut résiliation de l’ensemble des contrats mentionnés au premier alinéa ».
Dans la vie des affaires, de très nombreux contrats de distribution sont conclus à durée indéterminée. Ils n’ont donc pas d’échéance, sauf lorsqu’il y est mis fin par résiliation ordinaire avec un préavis ou pour faute avec effet immédiat.
Par ailleurs, un même fournisseur peut être amené à conclure de multiples contrats avec un magasin : dans de nombreux secteurs, il pourra par exemple conclure un contrat de distribution de produits contractuels neufs, un contrat de fourniture de pièces de rechange, un contrat de service après-vente, une convention de vente de produits d’occasion et une franchise de location. Très souvent, un fournisseur ne vend pas ses produits sous une seule marque mais distribue un portefeuille de marques allant de l’entrée de gamme aux produits de moyenne gamme ou du haut de gamme au sein d’un même point de vente, même si la représentation de chaque marque au sein du même magasin peut être séparée. S’il souhaite résilier un seul de ces contrats, il sera contraint de les résilier dans leur ensemble. Mais dans certains cas, il ne le pourra pas : une faute constatée à l’occasion d’un contrat ne l’autorise pas à résilier les autres.
Le fournisseur serait donc conduit, aux termes du texte, à renoncer à résilier pour faute ou à résilier des contrats auxquels il ne souhaitait pas nécessairement mettre fin. De même s’il entend réorganiser une marque ou une activité, par exemple le service après-vente, le fournisseur serait contraint de résilier l’ensemble des relations contractuelles.
La généralisation et l’automaticité de la résiliation prévue par cet article est en contradiction avec la nécessité d’individualisation de la relation contractuelle dans la vie pratique des affaires.
1. L’article 31 porte atteinte à la liberté contractuelle, qui constitue une liberté constitutionnelle fondamentale découlant de l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.
En matière de droit des contrats, le Conseil constitutionnel n’a cessé de renforcer les garanties dont bénéficient les personnes physiques comme les entreprises en matière de liberté contractuelle, notamment en matière de formation du lien contractuel, comme en matière d’exécution de ce dernier : « le législateur ne saurait porter aux contrats légalement conclus une atteinte qui ne soit justifiée par un motif d’intérêt général suffisant sans méconnaître les exigences résultant des articles 4 et 16 de la Déclaration » (6).
En l’espèce, l’atteinte à l’économie des contrats légalement formés est très grave en raison de la prise en considération de cette « échéance commune » qui méconnaît le principe de l’individualisation de la relation contractuelle. Comme cela a été précisé précédemment, le fournisseur qui souhaiterait réorganiser une partie de son activité devrait mettre un terme à tout un ensemble de relations contractuelles, alors même que ces dernières ne seraient pas remises en cause par une faute. On perçoit aisément l’atteinte à la liberté des conventions qui en résulte. Or, selon la jurisprudence du Conseil constitutionnel, de telles entraves par le législateur ne peuvent être justifiées par la protection de l’ordre public ou un « intérêt général suffisant ».
Cette vigilance en matière de protection de la liberté contractuelle se retrouve en matière d’exécution des contrats. Au regard de cette jurisprudence relative à la liberté contractuelle, il apparaît que la nouvelle réglementation relative aux contrats de distribution ne représente pas un intérêt général susceptible de présenter un caractère « suffisant » :
– c’est ainsi qu’il ne serait plus possible de conclure des contrats à durée indéterminée alors que la plupart des contrats de distribution sont convenus sous cette forme. On imposerait aux entreprises de renoncer à la forme la plus souple des contrats de distribution résiliables à tout moment, moyennant un préavis raisonnable, pour les contraindre à adopter des contrats rigides à durée déterminée ;
– alors que les entreprises ont besoin de liberté et de souplesse pour organiser leurs relations contractuelles, la nouvelle réglementation leur impose des échéances fixes et des résiliations automatiques et généralisées. Une telle rigidité est contraire au principe constitutionnel de la liberté contractuelle ;
– si réellement les contrats entre les enseignes de la grande distribution et leurs adhérents soulèvent des problèmes, pourquoi ne pas les traiter par une réglementation adaptée à leurs cas sans la généraliser à l’ensemble de l’économie française ? A défaut, pourquoi ne pas essayer de régler le problème par une application ciblée du droit des ententes en faisant valoir l’effet cumulatif d’accords verrouillant la sortie des distributeurs ? De telles mesures ciblées seraient plus efficaces et n’entraîneraient pas les multiples effets pervers de l’article 31. Cet article ne tend ainsi pas à la satisfaction d’un intérêt général suffisant, mais cherche plutôt à résoudre une difficulté particulière liée à la volonté de fluidifier les réseaux des enseignes de la grande distribution et de faciliter le passage des franchisés des grands distributeurs d’une enseigne à l’autre. Il existait bien d’autres moyens pour y parvenir, tant les inconvénients de la formule adoptée sont nombreux.
2. L’article 31 porte atteinte au principe de sécurité juridique.
Le principe de sécurité juridique, fondé sur la garantie des droits visée à l’article 16 de la Déclaration de 1789, a été très largement constitutionnalisé, tant en ce qu’il implique une certaine qualité de la loi (accessibilité, intelligibilité…) qu’une relative prévisibilité.
Le Conseil constitutionnel justifie sur ce fondement les limites apportées à la rétroactivité des lois, en dehors du domaine répressif. Il en est ainsi en ce qui concerne la protection des situations résultant de contrats légalement conclus (7). Ce sont également, et plus généralement, les situations légalement acquises qui sont ainsi protégées : le législateur « ne saurait sans motif d’intérêt général suffisant… remettre en cause les effets qui peuvent légitimement être attendus de telles situations ». C’est ainsi, depuis 2013, le principe de « confiance légitime » qui est implicitement constitutionnalisé.
En l’espèce, le fournisseur serait dans l’obligation de résilier une convention dont il souhaiterait néanmoins poursuivre l’exécution. En effet, le fournisseur serait conduit, aux termes du texte, à renoncer à résilier pour faute ou à résilier des contrats auxquels il ne souhaitait pas nécessairement mettre fin. De la même manière s’il entend réorganiser une activité, le fournisseur serait contraint de résilier l’ensemble des relations contractuelles. La généralisation et l’automaticité de la résiliation prévue par cet amendement est en contradiction avec la nécessité d’individualisation de la relation contractuelle dans la vie pratique des affaires.
3. L’article 31 porte atteinte à l’objectif à valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi.
La rédaction de l’article 31 est particulièrement peu claire et confuse. Ce dernier s’applique aux personnes mettant à disposition les services mentionnés au
premier alinéa de l’article L. 330-3 du code de commerce
mais ne précise pas s’il faut entendre par là les services eux-mêmes (la mise à disposition d’un nom commercial, d’une marque ou d’une enseigne) ou tenir compte également des conditions de leur mise à disposition (en exigeant un engagement d’exclusivité ou de quasi-exclusivité). L’imposition d’une échéance laisse ouverte la question de savoir si les contrats à durée indéterminée sont toujours possibles. Enfin, l’emploi du terme de résiliation autorise-t-il un non-renouvellement de tous les autres contrats avec la même personne pour le même magasin ? Enfin, les sanctions d’une éventuelle non-conformité ne sont pas définies. Le texte pose autant de questions d’interprétation qu’il suscite de difficultés d’application.
A cet égard, le texte méconnaît l’objectif à valeur constitutionnelle « d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi », objectif dégagé dans la décision du 16 décembre 1999, codification par ordonnances et issu des articles 6 (principe d’égalité) et 16 (garantie des droits) de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Le Conseil constitutionnel en fait une application particulièrement appuyée à propos du recours aux ordonnances de l’article 38 de la Constitution, mais pas seulement. Par cette création prétorienne, le Conseil entend sanctionner une insuffisance législative, dans la mesure où le législateur doit « adopter des dispositions suffisamment précises et des formules non équivoques », afin « de prémunir les sujets de droit contre une interprétation contraire à la Constitution ou contre le risque d’arbitraire ». Or, comme cela a été évoqué précédemment, le texte pose autant de questions d’interprétation qu’il suscite de difficultés d’application.
Pour l’ensemble de ces motifs, l’article 31 du projet de loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques apparaît donc contraire à la Constitution.
Sur l’article 39
L’article 39 modifie l’
article L. 752-26 du code de commerce
qui encadre les pouvoirs de l’Autorité de la concurrence en matière d’injonction structurelle. Ainsi, actuellement, « en cas d’exploitation abusive d’une position dominante ou d’un état de dépendance économique de la part d’une entreprise ou d’un groupe d’entreprises exploitant un ou plusieurs magasins de commerce de détail », l’Autorité de la concurrence peut imposer de modifier tous les accords et actes qui ont conduit à cette situation mais aussi une cession d’actifs.
L’article 39 renforce ce pouvoir d’injonction structurelle en prévoyant qu’il s’applique non plus en cas d’abus, mais « en cas d’existence d’une position dominante et de détention par une entreprise ou un groupe d’entreprises exploitant un ou plusieurs magasins de commerce de détail d’une part de marché supérieure à 50 % » et dès lors que l’Autorité de la concurrence constate : « 1° D’une part, que cette concentration excessive porte atteinte à une concurrence effective dans la zone considérée ;
« 2° D’autre part, que cette atteinte se traduit, dans la même zone, par des prix ou des marges élevés pratiqués par l’entreprise ou le groupe d’entreprise en comparaison des moyennes habituellement constatées dans le secteur économique concerné ».
1. Le territoire métropolitain ne présente pas de caractéristiques particulières justifiant le renforcement de l’injonction structurelle.
Comme le rappelle le rapport législatif de l’Assemblée nationale, l’article 39 « s’inspire largement » du dispositif mis en place par l’article 10 de la loi du 20 novembre 2012 relative à la régulation économique outre-mer (8). Il convient néanmoins de préciser qu’aux termes de cette loi l’
article L. 752-27 du code de commerce
met en place une injonction spécifique pour l’outre-mer « eu égard aux contraintes particulières de ces territoires découlant notamment de leurs caractéristiques géographiques et économiques ». L’étude d’impact présentée avec le projet de loi s’attachait d’ailleurs à démontrer les différences structurelles entre les territoires ultra-marins et la métropole pour justifier un projet de loi spécifique de régulation économique en outre-mer (9). Ainsi l’article 5 du projet de loi (devenu article 10) avait vocation à « donner à l’Autorité de la concurrence un pouvoir d’injonction structurelle en matière de grande distribution, uniquement en outre-mer où les structures historiques des marchés rendent particulièrement difficile l’installation de nouveaux compétiteurs ».
La « loi du pays » du 24 octobre 2013 relative à la concurrence en Nouvelle-Calédonie instaure, dans son article 16, un mécanisme d’injonction structurelle en cas de position dominante prononcée par le Gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, similaire dans son principe à celle prévue par l’article 11 de la loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques. Et d’ailleurs, si dans sa décision du ler octobre 2013 « Loi du pays relative à la concurrence en Nouvelle-Calédonie », le Conseil a validé la constitutionnalité de l’injonction structurelle mise en place sur le territoire néo-calédonien, c’est « compte tenu de la situation particulière de la concurrence dans certains secteurs économiques en Nouvelle-Calédonie » (10). Dans la même décision, le Conseil affirme d’ailleurs que la Nouvelle-Calédonie présente des « particularités économiques » et des « insuffisances de la concurrence sur de nombreux marchés » (11).
En conséquence, cette décision ne peut aucunement justifier la constitutionnalité du renforcement de l’injonction structurelle en métropole prévu par l’article 39. En effet, comme le relève justement le constitutionnaliste Didier Maus, l’espace métropolitain n’est pas un « espace économique limité ». « Dans l’Hexagone il est parfaitement possible à des concurrents d’entrer sur le marché, voire de développer leur présence sans être entravés par des barrières géographiques et des distances qui rendent les investissements impossibles. Si, dans une zone donnée, les conditions du commerce de détail sont attractives, qu’il s’agisse de commerce traditionnel ou des moyennes et grandes surfaces, il est relativement aisé de créer de nouveaux points de vente et donc de vivifier la concurrence. Les conditions mêmes de l’espace métropolitain rendent donc sans objet les limitations à la liberté d’entreprendre envisagées par la loi Macron. » (12).
Enfin, les justifications données par l’étude d’impact pour renforcer le pouvoir d’injonction structurelle de l’Autorité de la concurrence sont discutables. Il y aurait nécessité de légiférer au regard de la situation du commerce alimentaire à Paris et d’un seul groupe en particulier. Or, d’une part l’étude d’impact ne tient absolument pas compte des autres formes de commerce, comme par exemple le commerce par internet qui connaît un succès significatif notamment dans la capitale. D’autre part, et en tout état de cause, la situation du commerce à Paris ne saurait justifier une extension générale de l’injonction structurelle à l’ensemble du territoire.
2. L’article 39 devrait être déclaré inconstitutionnel en ce qu’il porte atteinte à la liberté d’entreprendre, garantie par l’article 4 de la DDHC.
Si le Conseil admet que le législateur peut porter atteinte à ces principes, ces limitations doivent être « liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l’intérêt général, à la condition qu’il n’en résulte pas d’atteintes disproportionnées au regard de l’objectif poursuivi ». Or, eu égard aux considérations exposées précédemment, contrairement à des territoires insulaires et géographiquement isolés, le commerce en métropole ne souffre pas d’absence de diversité justifiant de porter atteinte aux principes garantis par la Constitution.
En outre, les injonctions prononcées par l’Autorité de la concurrence présentent un caractère disproportionné puisqu’elles interviendraient directement dans la vie de l’entreprise, dans sa stratégie économique, voire son existence même. Ainsi l’Autorité de la concurrence pourra « enjoindre de modifier, de compléter ou de résilier, dans un délai déterminé qui ne peut excéder six mois, tous accords et tous actes par lesquels s’est constituée la puissance économique qui permet les prix ou les marges élevés constatés. Elle peut, dans les mêmes conditions, lui enjoindre de procéder, dans un délai qui ne peut être inférieur à six mois, à la cession d’actifs, y compris de terrains, bâtis ou non, si cette cession constitue le seul moyen permettant de garantir une concurrence effective. »
En autorisant l’injonction de céder des actifs, l’article 39 de la loi relative à la croissance et à l’activité va au-delà d’une régulation préventive des concentrations économiques. L’obligation de céder des actifs emportera des conséquences sur la valeur des actifs concernés, et donc sur l’ensemble de la valorisation de l’entreprise. Et tout cela alors même que l’Autorité de la concurrence ne relève pas d’abus de position dominante mais constate seulement « des prix ou des marges élevés ». Autrement dit, la réussite d’une entreprise ou sa stratégie financière qui consiste simplement à pratiquer des prix élevés (le niveau de ces prix pouvant être justifié par exemple par une qualité de produit supérieure) ou bénéficier de marges élevées (le niveau de ces marges pouvant être justifié par exemple par l’objectif de faire des investissements de long terme) justifierait de porter atteinte à la liberté d’entreprendre et au droit de propriété.
Bien que, sans faire référence à la liberté d’entreprendre, le Conseil constitutionnel a déjà censuré des dispositifs législatifs conduisant des entreprises à procéder à des cessions d’actifs afin de se conformer à de nouveaux plafonds que le législateur entendait instituer (13). Aux termes de cette décision, le législateur ne pouvait « s’agissant de situations existantes intéressant une liberté publique, les remettre en cause que dans deux hypothèses : celle où ces situations auraient été illégalement acquises ; celle où leur remise en cause serait réellement nécessaire pour assurer la réalisation de l’objectif constitutionnel poursuivi ». L’analogie est de grand intérêt puisque, mutatis mutandis, c’est ce à quoi conduirait le pouvoir d’injonction structurelle que l’article 39 établit. Le raisonnement est aisément transposable : l’article 39 créant l’injonction structurelle aura pour effet de placer des entreprises dont la situation n’est pas anticoncurrentielle, a fortiori si l’on songe qu’elles ont pu être autorisées de manière préalable au titre des concentrations, sous le coup de mesures restrictives de leur liberté d’action alors même qu’elles n’abusent aucunement de la position qui est la leur.
De même, le Conseil a réce