Saisie informatique : les mesures d’instruction légalement admissibles

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Saisie informatique : les mesures d’instruction légalement admissibles
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En matière de saisie de documents informatiques pour établir des faits de concurrence déloyale, l’article 145 du code de procédure civile pose l’exigence de « mesures d’instruction légalement admissibles ».

La Cour de cassation a précisé les mesures qui peuvent être ordonnées sur le fondement de l’article145 du code de procédure civile.

Ainsi il convient de rechercher si les mesures d’instruction sont suffisamment circonscrites et si « l’atteinte portée au secret des affaires était limitée aux nécessités de la recherche des preuves, en lien avec le litige et n’était pas disproportionnée au regard du but poursuivi. »

Dans un arrêt du 28 juin 2023 la chambre commerciale rappelle une solution désormais bien établie s’agissant de l’articulation du droit de la preuve et du droit au respect de la vie privée, en présence de mesures d’instruction in futurum, ordonnées sur requête en application des articles 145 et 493 du code de procédure civile. Elle vérifie donc si la cour d’appel a bien effectué une balance entre les intérêts en présence en contrôlant le caractère nécessaire et proportionné des mesures d’instruction admissibles.

En l’espèce, les copies autorisées sont limitées aux fichiers documents et correspondances en rapport avec les allégations litigieuses et ne ciblent pas les documents personnels des salariés .

Ainsi, la mission des commissaires de justice est circonscrite à la remise et à la copie de l’ensemble des contrats conclus depuis l’activité des sociétés Biak Info et Stantic permettant de déterminer le montant total des devis signés avec des clients de la société ATI.

La mission est donc limitée à l’objet du litige s’agissant de vérifier l’existence d’une concurrence déloyale par détournement de clientèle. Les noms des clients concernés sont limitativement énumérés.

Résumé de l’affaire : Le 12 janvier 2024, la SAS Stantic, Monsieur [D] [Z], Monsieur [U] [R] [A], la SAS Biak Info, Monsieur [I] [V] et Monsieur [B] [L] ont interjeté appel d’une ordonnance du juge des référés du 11 janvier 2024. Ils demandaient l’infirmation de cette ordonnance qui avait débouté leur demande de rétractation d’une ordonnance sur requête du 2 août 2023, ordonné le maintien du séquestre des éléments saisis, et condamné les appelants à verser 1 500 € à la SAS ATI. En réponse, la SAS ATI a demandé la confirmation de l’ordonnance. La Cour a finalement débouté les appelants de leurs demandes, confirmé l’ordonnance initiale, ordonné la levée du séquestre, et condamné les appelants à verser 4 000 € à la SAS ATI, ainsi qu’aux dépens. L’ordonnance de clôture a été rendue le 22 mai 2024.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

24 septembre 2024
Cour d’appel de Pau
RG n°
24/00173
JP/ND

Numéro 24/2843

COUR D’APPEL DE PAU

2ème CH – Section 1

ARRET DU 24/09/2024

Dossier : N° RG 24/00173 – N° Portalis DBVV-V-B7I-IXMR

Nature affaire :

Demande en nullité et/ou en mainlevée, en suspension ou en exécution d’une saisie mobilière

Affaire :

[Z] [S] [D]

[R] [A] [U]

[V] [I]

[L] [B]

S.A.S. STANTIC

S.A.S. BIAK INFO

C/

S.A.S. ATI

Grosse délivrée le :

à :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

A R R E T

Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour le 24 septembre 2024, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de Procédure Civile.

* * * * *

APRES DÉBATS

à l’audience publique tenue le 04 Juin 2024, devant :

Madame Jeanne PELLEFIGUES, magistrat chargé du rapport,

assistée de Madame Nathalène DENIS, Greffière présente à l’appel des causes,

Jeanne PELLEFIGUES, en application des articles 805 et 907 du Code de Procédure Civile et à défaut d’opposition a tenu l’audience pour entendre les plaidoiries, en présence de Philippe DARRACQ et en a rendu compte à la Cour composée de :

Madame Jeanne PELLEFIGUES, Présidente

Monsieur Philippe DARRACQ, Conseiller

Madame Joëlle GUIROY, Conseillère

qui en ont délibéré conformément à la loi.

dans l’affaire opposant :

APPELANTS :

Monsieur [Z] [S] [D]

né le [Date naissance 2] 1973 à [Localité 19] (65)

de nationalité française

[Adresse 15]

[Localité 11]

Monsieur [R] [A] [U]

né le [Date naissance 6] 1969 à [Localité 17] (78)

de nationalité française

[Adresse 3]

[Localité 7]

Monsieur [V] [I]

né le [Date naissance 5] 1970 à [Localité 8] (64)

de nationalité française

[Adresse 1]

[Localité 10]

Monsieur [L] [B]

né le [Date naissance 4] 1970 à [Localité 8] (64)

de nationalité française

[Adresse 16]

[Localité 9]

S.A.S. STANTIC

immatriculée au RCS de Bayonne sous le n°912 351 186, représentée par son Président domicilié en cette qualité au siège

[Adresse 14]

[Localité 8]

S.A.S. BIAK INFO

immatriculée au RCS de Bayonne sous le n° 921 960 597, représentée par son Président domicilié en cette qualité au siège

[Adresse 1]

[Localité 10]

Représentés par Me Vincent TORTIGUE de la SELARL TORTIGUE PETIT SORNIQUE RIBETON, avocat au barreau de Bayonne

INTIMEE :

S.A.S. ATI

immatriculée au RCS de Bayonne sous le n° 384 165, prise en la personne de son Président en exercice domicilié en cette qualité au siège

[Adresse 12]

[Localité 11]

Représentée par Me Carine HIQUET, avocat au barreau de Bayonne

sur appel de la décision

en date du 11 JANVIER 2024

rendue par le TRIBUNAL DE COMMERCE DE BAYONNE

RG : 2023005668

Par ordonnance de référé contradictoire du 11 janvier 2024, le tribunal de commerce de Bayonne a :

– Débouté la SAS Stantic, Monsieur [D] [Z]. Monsieur [U] [R] [A], la SAS Biak Info, Monsieur [I] [V] et Monsieur [B] [L] de leur demande de rétractation de l’ordonnance sur requête prononcée par Monsieur le président du trlbunal de commerce de Bayonne le 2 août 2023 et de leur demande d’ordonner la destruction de l’ensemb1e des éléments saisis par les huissiers-commissaires de justice mandatés,

– Débouté la SAS ATI de sa demande d’ordonner la levée du séquestre portant sur l’ensemble des éléments, documents, supports informatiques, et propos consignés qui ont été séquestrés au sein de l’étude de Maîtres [W], [K], [M], [Y], huissiers de justice à [Localité 18], Maitre [J], huissiers de justice à [Localité 13] et Maître [T],

‘ Ordonné et maintenu le séquestre des éléments obtenus dans le cadre de ces mesures d’instruction jusqu’à l’issue de la présente instance en référé, et, en cas d’appel de l’ordonnance à intervenir, jusqu’à l’issue de la procédure devant la Cour d’appel dc Pau,

– Condamné la SAS Stantic, Monsieur [D] [Z], Monsieur [U] [R] [A], la SAS Biak Info, Monsieur [I] [V] el Monsieur [B] [L] solidairement à verser à la SAS ATI la somme de l 500 € sur le fondement de l’article 700 du CPC, et débouté la SAS ATI du complément de sa demande,

– Condamné la SAS Stantic, Monsieur [D] [Z], Monsieur [U] [R] [A], la SAS Biak Info, Monsieur [I] [V] et Monsieur [B] [L] solidairement aux entiers dépens, dont les frais dc greffe liquidés à la somme 125,61 €, en ce compris l’envoi de la présente ordonnance.

Par déclaration du 12 janvier 2024, la SAS Stantic, Monsieur [D] [Z]. Monsieur [U] [R] [A], la SAS Biak Info, Monsieur [I] [V] et Monsieur [B] [L] ont interjeté appel de la décision.

Ils concluent à :

INFIRMER l’ordonnance du juge des référés du 11 janvier 2024 en ce qu’elle

a :

– Débouté la SAS Stantic, Monsieur [D] [Z], Monsieur [U] [R] [A], la SAS Biak Info, Monsieur [I] [V] et Monsieur [B] [L] de leur demande de rétractation de l’ordonnance sur requête prononcée par Monsieur le Président du Tribunal de Commerce de Bayonne le 2 août 2023 et de leur demande d’ordonner la destruction de l’ensemble des éléments saisis par les Huissiers – Commissaires de Justice mandatés.

– Ordonné et maintenu le séquestre des éléments obtenus dans le cadre de ces mesures d’instruction jusqu’à l’issue de la présente instance en référé, et en cas d’appel de l’ordonnance à intervenir jusqu’à l’issue de la procédure devant la Cour

d’appel de Pau.

– Condamné la SAS Stantic, Monsieur [D] [Z], Monsieur [U] [R] [A], la SAS Biak Info, Monsieur [I] [V] et Monsieur [B] [L] solidairement à verser à la SAS ATI la somme de 1 500 € sur le fondement de l’article 700 du Code de Procédure Civile.

– Condamné la SAS Stantic, Monsieur [D] [Z], Monsieur [U] [R] [A], la SAS Biak Info, Monsieur [I] [V] et Monsieur [B] [L] solidairement aux entiers dépens.

STATUANT à nouveau :

Rejeter toutes prétentions, fins et conclusions de la Société ATI,

Rétracter l’ordonnance sur requête rendue le 2 août 2023 par le président du tribunal de commerce de Bayonne,

Déclarer nulles les mesures d’instruction exécutées sur le fondement de cette ordonnance,

Ordonner la destruction de l’ensemble des éléments saisis par les huissiers ‘ commissaires de justice mandatés,

Interdire à la société ATI de faire état des procès- verbaux de constat dressés par les huissiers ‘ commissaires de justice mandatés, des pièces recueillies et de toute information ou document issu de l’exécution de l’ordonnance sur requête du 2 août  2023, sous astreinte de 10.000 euros par infraction constatée à compter de la

présente décision,

A titre subsidiaire :

Ordonner le maintien du séquestre provisoire des documents appréhendés jusqu’à

l’épuisement de l’ensemble des recours disponibles à l’encontre de l’ordonnance du Président du tribunal de commerce de Bayonne en date du 2 août 2023.

Dans tous les cas :

Condamner la Société ATI à payer aux appelants une somme globale de 8.000,00 € sur le fondement des dispositions de l’article 700 du CPC,

Condamner la Société ATI aux entiers dépens de 1ère instance et d’appel.

*

La SAS ATI conclut à :

Vu l’article 145 du Code de procédure civile ;

CONFIRMER l’ordonnance du juge des référés du 11 janvier 2024 en en ce qu’elle a :

– Débouté la SAS Stantic, Monsieur [D] [Z], Monsieur [U] [R] [A], la SAS Biak Info, Monsieur [I] [V] et Monsieur [B] [L] de leur demande de rétractation de l’ordonnance sur requête prononcée par Monsieur le Président du Tribunal de Commerce de Bayonne le 2 août 2023 et de leur demande d’ordonner la destruction de l’ensemble des éléments saisis par les Huissiers-Commissaires de Justice mandatés.

– Condamné la SAS Stantic, Monsieur [D] [Z], Monsieur [U] [R] [A], la SAS Biak Info, Monsieur [I] [V] et Monsieur [B] [L] solidairement à verser à la SAS ATI la somme de 1 500 € sur le fondement de l’article 700 du Code de Procédure Civile.

– Condamné la SAS Stantic, Monsieur [D] [Z], Monsieur [U] [R] [A], la SAS Biak Info, Monsieur [I] [V] et Monsieur [B] [L] solidairement aux entiers dépens.

En conséquence :

REJETER toutes prétentions, fins et conclusions de la SAS Stantic, Monsieur [D] [Z], Monsieur [U] [R] [A], la SAS Biak Info, Monsieur [I] [V] et Monsieur [B] [L]

ORDONNER la levée du séquestre portant sur l’ensemble des éléments, documents, supports informatiques, et propos consignés ont été séquestrés au sein de l’étude de Maitres [W] [K], [M], [Y], Huissiers de Justice à [Localité 18], Maitre [J], Huissier de Justice à [Localité 13] et Maitre [T]

Dans tous les cas :

CONDAMNER solidairement la SAS Stantic, Monsieur [D] [Z], Monsieur [U] [R] [A], la SAS Biak Info, Monsieur [I] [V] et Monsieur [B] [L] à payer à la société ATI une somme globale de 8.000,00 € sur le fondement des dispositions de l’article 700 du CPC,

CONDAMNER solidairement la SAS Stantic, Monsieur [D] [Z], Monsieur [U] [R] [A], la SAS Biak Info, Monsieur [I] [V] et Monsieur [B] [L] aux entiers dépens de 1ère instance et d’appel.

L’ordonnance de clôture est intervenue le 22 mai 2024.

SUR CE

La SAS ATI est spécialisée dans la vente, l’installation, la location et la maintenance de matériel informatique ainsi que la conception et la distribution de logiciel.

[L] [B] a été salarié en qualité de technicien systémes et réseaux de la SAS ATI de février 1994 au 31 août 2022, date du terme de sa démission.

[V] [I] a été salarié en qualité de technicien dc maintenance de la SAS ATI d’octobre 1991 au 31 août 2022, date du terme dc sa démission.

Le 8 décembre 2022, Monsieur [L] [B] et Monsieur [V] [I] ont constitué la SAS Biak Info spécialisée dans des activités de conseil, de prestations de services, d’audit, de formation dans le domaine informatique

[R] [U] a été salarié en qualité de technicien dc maintenance, de la SAS ATI de juillet 2000 à janvier 2022, date de son licenciement pour abandon de poste.

[Z] [D] a été salarié en qualité de technico-cornrnercial, de la SAS ATI de décembre 1998 à janvier 2022, date de son licenciement pour abandon de poste.

Le 13 avril 2022, [R] [U] et [Z] [D] ont constitué la SA Stantic spécialisée dans les activités de conseil en inforrnatique, la planification et la conception de systémes informatiques intégrant les technologies du matériel des logiciels et communication.

Le 1er août 2023, la SAS ATI a déposé une requéte aux fins de constat auprés du président du tribunal de commerce de Bayonne sur le fondemenr de l’article 493 du code de procedure civile.

Par ordonnance du 2 août 2023, le président du tribunal de commerce de Bayonne a fait droit à cette demande.

La mesure consistant à se rendre dans les locaux des SAS Biak Info et Stantic ainsi qu’au domicile de Monsieur [Z] [D], Monsieur [R] [U] et Monsieur [L] [B] afin de recueillir l’ensemble des contrats, devis et factures conclus depuis le début de l’activité des SAS Biak Info et Stantic ainsi qne l’ensemble des fichiers clients dans le but de rechercher le détournement de clientèle (14 clients), a été diligentée le 4 octobre 2023.

Par assignation en référé délivrée le 26 octobre 2023, les requérants ont sollicité la rétractation de l’ordonnance ainsi que la destruction de l’ensemble des éléments saisis.

Le tribunal de commerce de Bayonne a rendu la décision dont appel en rejetant la demande de rétractation de l’ordonnance sur requête.

‘ Sur la légitimité du motif et la dérogation au principe du contradictoire :

Les appelants, la SAS Stantic, [D] [Z], [U] [R] [A], la SAS Biak Info, [I] [V] et [B] [L] critiquent l’appréciation faite par le juge des référés du motif « légitime » de la mesure puisqu’aucun des salariés n’était tenu par une clause de non-concurrence et que le fait que certains clients aient pu passer à la concurrence n’est pas en soi un motif « légitime » en raison du principe de la libre concurrence et de la liberté du commerce et de l’industrie.

Le juge retient le vol d’un disque dur comme étant un élément factuel établi alors que l’issue de la plainte n’est pas connue et que la matière pénale ne relève pas de sa compétence. Deux salariés Messieurs [U] et [D] ne seraient pas concernés car le prétendu vol serait intervenu plusieurs mois après leur départ.

S’agissant du vol du disque, elle considère qu’il s’agit d’un motif fallacieux en raison du caractère tardif de la déclaration de cette disparition, sept mois après, alors que la société ATI est spécialisée en informatique et que les sauvegardes informatiques se font quotidiennement et habituellement sur un cloud.

La société ATI ne produit d’ailleurs aucun élément sur le process de ses sauvegardes. Elle reproche à l’ordonnance sa motivation vague abstraite et stéréotypée sur ce point.

La SAS ATI rappelle agir sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile et qu’elle n’a pas à établir de façon certaine les faits de concurrence déloyale soupçonnés, cet objectif incombant justement aux mesures d’instruction in futurum qui seront ordonnées.

Le requérant doit simplement présenter au juge des éléments objectifs rendant plausible et vraisemblable un litige lié à la concurrence déloyale parasitaire qu’il suspecte.

À l’appui de son argumentation elle invoque la concordance, la chronologie des éléments et la gravité des événements subis de la part des appelants qui ont travaillé comme techniciens de maintenance au sein de la société ATI et ont tous les quatre quitté la société ATI pour créer une société concurrente.

Dans ce même délai, un certain nombre de clients de la société ATI ne renouvelaient pas leur contrat.

Si les appelants contestent la réalité du détournement il leur appartient de communiquer leur propre listing en le confrontant à celui produit par la société ATI.

Les termes de leur contrat de travail prévoyaient la confiance et la fidélité impliquées par cette collaboration et l’interdiction formelle de diffuser des informations professionnelles de l’employeur. « Toute violation de cette obligation est susceptible d’engager la responsabilité civile ou pénale du salarié. »

La société déplore le vol du disque dur de sauvegarde de toutes les données de la société ATI, fin août 2022, période concomitante au départ de Messieurs [B] et [I]. Ce disque contenait toutes les données de la société ATI, les fichiers clients, les données techniques des clients permettant d’intervenir chez eux, les données de facturation et de comptabilité. Elle fournit la plainte déposée et considère que la concomitance de ce vol avec les liens entre les appelants et le départ de Messieurs [B] et [I] sont autant d’indices légitimant la nécessité d’ordonner une mesure d’instruction.

L’article 145 du code de procédure civile dispose que de telles mesures d’instruction peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé sur requête ou en référé lorsqu’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige.

En l’espèce les circonstances dans lesquelles ces anciens salariés ont quitté leur employeur de façon rapprochée alors que durant cette même période la société signalait le vol du disque dur de sauvegarde de toutes ses données, constituent des indices de nature à laisser craindre « un détournement de clientèle par le biais de sociétés récemment constituées et via des procédés déloyaux » comme cela a été souligné dans l’ordonnance sur requête contestée du 2 août 2023.

D’autant plus que le chiffre d’affaires de la société ATI commençait fortement à diminuer aboutissant en mars 2023 à la nomination d’un mandataire ad’hoc et que cela s’est produit postérieurement au départ des appelants, entraînant la désorganisation de la société.

L’évolution de son chiffre d’affaires qui au 31 décembre 2022 s’élevait à 2’004 79€ alors qu’il était de 2234 171€ lors de l’exercice précédent soit une baisse de plus de 10 % corrélative au départ des appelants est attestée par Monsieur [G] directeur associé du cabinet d’expertise comptable EXCO.

Si les appelants font valoir l’insatisfaction des clients qui serait seule à l’origine de ces difficultés en produisant plusieurs attestations en ce sens, ces éléments sont insuffisants à lever tout soupçon de concurrence déloyale par détournement de clientèle, dans l’ignorance des facilités commerciales éventuellement accordées aux anciens clients de la société ATI par la SAS Stantic nouvellement créée par les anciens salariés de la société ATI dans le même domaine d’activité.

Dans un tel contexte, étant donné le risque de dépérissement d’éléments de preuve figurant sur des supports informatiques ou électroniques s’agissant de sociétés spécialisées dans ce secteur, il a été considéré à bon droit qu’il existait un motif légitime au sens de l’article 145 du code de procédure civile, d’ordonner la mesure d’instruction sollicitée en dérogeant au principe du contradictoire.

Les contestations des appelants émises de ce chef seront donc rejetées.

‘ Sur l’étendue des mesures d’instruction « légalement admissibles » :

Les appelants reprochent au juge de ne pas avoir pris le soin d’apprécier et de limiter la mesure au regard de son objectif alors que la jurisprudence rappelle que la mesure ordonnée doit être circonscrite aux faits dénoncés dans la requête dont pourrait dépendre la solution du litige et ne pas s’étendre au-delà. Elle ne peut porter une atteinte illégitime aux droits d’autrui. Or la mesure telle qu’ordonnée n’est pas circonscrite dans le temps et dans l’espace , la mission critiquée ne liste pas de mots-clés et ne fixe aucune période relative à la recherche des fichiers. Ce faisant elle porte atteinte non seulement au secret des affaires mais aussi à leur vie privée, au secret médical, au secret bancaire, au secret des correspondances. En effet tous les fichiers ont été saisis dont ceux relatifs à la vie privée des intéressés. L’utilisation de mots-clés dans ce type de mission est pourtant préconisée comme le démontre la jurisprudence qu’elle cite. Il appartient à la cour de vérifier si la mission telle que fixée dans le dispositif de l’ordonnance est proportionnée, circonscrite, si elle permet ou non la saisie des données personnelles telles que médicales bancaires familiales. La réponse est affirmative en l’absence de mots-clés et compte tenu de la rédaction de la mission et la rétractation de l’ordonnance sur requête litigieuse s’impose donc.

La société ATI soutient au contraire que les mesures ordonnées par le président du tribunal de commerce ont été limitées dans leur objet puisqu’il est clairement précisé les éléments à se faire remettre et que le nom des clients détournés est clairement mentionné. Elle considère que l’utilisation de mots-clés n’est pas systématiquement opportune alors que la jurisprudence visée par la partie adverse porte sur des faits de concurrence déloyale relatifs à deux produits concurrents spécifiques et que les mots-clés visés portaient justement sur les similitudes entre les codes de communication. Les faits sont en l’espèce totalement différents et l’injonction d’utiliser des mots-clés n’est pas une condition d’admissibilité des ordonnances aux fins de constat mais s’apprécie au cas d’espèce. Les appelants ne rapportent pas la preuve que des éléments de leur vie privée auraient été saisis.

Elle fait valoir que la mesure est limitée dans le temps puisque la copie de l’ensemble des contrats conclus doit se faire depuis le début de l’activité des sociétés Biak Info et Stantic remontant respectivement au 23 novembre 2022 et au 7 avril 2022 et que les commissaires de justice disposaient d’un délai maximum de trois mois pour organiser les opérations de constat.

L’article 145 du code de procédure civile pose l’exigence de « mesures d’instruction légalement admissibles ».

La Cour de cassation a précisé les mesures qui peuvent être ordonnées sur le fondement de l’article145 du code de procédure civile.

Ainsi il convient de rechercher si les mesures d’instruction sont suffisamment circonscrites et si « l’atteinte portée au secret des affaires était limitée aux nécessités de la recherche des preuves, en lien avec le litige et n’était pas disproportionnée au regard du but poursuivi. »

Dans un arrêt du 28 juin 2023 la chambre commerciale rappelle une solution désormais bien établie s’agissant de l’articulation du droit de la preuve et du droit au respect de la vie privée, en présence de mesures d’instruction in futurum, ordonnées sur requête en application des articles 145 et 493 du code de procédure civile. Elle vérifie donc si la cour d’appel a bien effectué une balance entre les intérêts en présence en contrôlant le caractère nécessaire et proportionné des mesures d’instruction admissibles.

En l’espèce, les copies autorisées sont limitées aux fichiers documents et correspondances en rapport avec les allégations litigieuses et ne ciblent pas les documents personnels des salariés .

Ainsi, la mission des commissaires de justice est circonscrite à la remise et à la copie de l’ensemble des contrats conclus depuis l’activité des sociétés Biak Info et Stantic permettant de déterminer le montant total des devis signés avec des clients de la société ATI.

La mission est donc limitée à l’objet du litige s’agissant de vérifier l’existence d’une concurrence déloyale par détournement de clientèle. Les noms des clients concernés sont limitativement énumérés.

Un délai de trois mois a été octroyé aux huissiers désignés.

Il y a donc lieu de rejeter les chefs de contestations portant sur l’atteinte au secret des affaires, au secret médical et bancaire et au respect de la vie privée.

La demande de rétracter l’ordonnance sur requête sera rejetée en confirmation de l’ordonnance déférée.

La mainlevée du séquestre sera ordonnée à compter du présent arrêt conformément aux dispositions de l’ordonnance déférée qui l’avait maintenu jusqu’à l’issue de la procédure devant la cour d’appel.

La somme de 4000€ sera allouée à la société ATI sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La Cour statuant, après en avoir délibéré, par arrêt mis à disposition au greffe, contradictoirement et en dernier ressort

Déboute les appelants de l’ensemble de leurs chefs de contestations de déclarer nulles les mesures d’instruction ordonnées,

Confirme l’ordonnance déférée en toutes ses dispositions,

Ordonne la mainlevée du séquestre portant sur l’ensemble des éléments, documents, supports informatiques, et propos consignés séquestrés au sein de l’étude de Maîtres [W]- [K]-[M]-[Y], Huissiers de Justice à [Localité 18], Maitre [J], Huissier de Justice à [Localité 13] et Maitre [T] huissier de justice à [Localité 11] en exécution de l’ordonnance présidentielle du 2 août 2023.

Condamne solidairement la SAS Stantic, Monsieur [D] [Z], Monsieur [U] [R] [A], la SAS Biak Info, Monsieur [I] [V] et Monsieur [B] [L] à payer à la société ATI la somme de 4.000,00 € sur le fondement des dispositions de l’article 700 du CPC

Condamne solidairement la SAS Stantic, Monsieur [D] [Z], Monsieur [U] [R] [A], la SAS Biak Info, Monsieur [I] [V] et Monsieur [B] [L] aux dépens.

Le présent arrêt a été signé par Madame Jeanne PELLEFIGUES, Présidente, et par Madame Nathalène DENIS, greffière suivant les dispositions de l’article 456 du Code de Procédure Civile.

La Greffière La Présidente


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