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Le fait qu’un litige proche a opposé les mêmes parties par le passé peut, dans de rares cas, être un élément pertinent pour apprécier la légitimité d’un nouveau litige et de ce fait, indirectement, la proportionnalité d’une mesure demandée dans le cadre de celui-ci, mais seulement si, par ses circonstances et sa proximité avec lui, il révèle un risque de détournement de la procédure qui rend nécessaire une attention et le cas échéant une protection renforcée contre les abus. Inversement, tirer des conséquences défavorables pour le demandeur de la simple existence d’un litige passé relèverait du préjugement et violerait ainsi le principe d’impartialité, donc le droit au procès équitable (voir, en ce sens, décision du présent tribunal, 5 janvier 2023, Weill, 23/10283, point 39).
La saisie-contrefaçon reste légitime même si le titulaire dispose déjà de preuves, celui-ci étant maitre de sa stratégie et notamment du degré d’effort probatoire qu’il estime nécessaire au succès de ses prétentions ; au demeurant, comme le souligne la société Neoperl, la recherche de preuves du préjudice peut être autorisée même quand la contrefaçon est déjà prouvée dans son principe, et comme relevé au point précédent, la saisie-contrefaçon peut avoir pour objet de découvrir d’autres faits que ceux déjà prouvés par le requérant, si des indices de ces autres faits existent. L’obligation faite aux personnes présentes sur les lieux de la mesure de coopérer à celle-ci n’est que le moyen de rendre celle-ci possible en cas de résistance éventuelle ; elle ne vise qu’à trouver les preuves matérielles, sans provoquer aucune auto-incrimination. Au cas présent, cette obligation, limitée à l’indication de l’emplacement des preuves et à la mise en oeuvre ou la révélation des moyens informatiques, dont les mots de passe, est nécessaire et ne porte pas d’atteinte supplémentaire à celle que cause déjà la mesure dans son principe et son étendue, laquelle est proportionnée ainsi qu’il a été dit au point 23. Enfin, le nombre de mesures autorisées, élevé mais non expressément critiqué, est justifié par la pluralité de lieux (une mesure a été autorisée pour chacune des deux villes où se trouvaient les sites visés des sociétés Ecoperl), par le choix, non critiqué et a priori légitime, de mener une mesure par brevet, ainsi que par le nombre de sociétés visées dans ces lieux, susceptible d’occuper chacune des locaux distincts. En application de l’article 3 de la directive 2004/48, les procédures nécessaires pour assurer le respect des droits de propriété intellectuelle mises en oeuvre par les États membres doivent être loyales et proportionnées. En outre, en application de l’article 10 du code civil, les parties ont l’obligation, en vertu du principe de loyauté des débats, de produire et le cas échéant communiquer en temps utiles les éléments en leur possession, en particulier lorsqu’ils sont susceptibles de modifier l’opinion des juges (1re Civ., 7 juin 2005, pourvoi n° 05-60.044). Il en résulte que le requérant à une mesure de saisie-contrefaçon doit faire preuve de loyauté dans l’exposé des faits au soutien de sa requête en saisie-contrefaçon, afin de permettre au juge d’autoriser une mesure proportionnée en exerçant pleinement son pouvoir d’appréciation des circonstances de la cause (Cass., Com., 6 décembre 2023, pourvoi n° 22-11.071, points 10 à 12 et point 15). Conseils juridiques: 1. Attention à la loyauté dans l’exposé des faits au soutien de votre requête en saisie-contrefaçon, afin de permettre au juge d’exercer pleinement son pouvoir d’appréciation des circonstances de la cause. 2. Il est recommandé de veiller à la proportionnalité des mesures demandées, en fournissant des preuves matérielles suffisantes pour justifier la saisie-contrefaçon et en évitant tout excès dans le nombre ou l’étendue des mesures autorisées. 3. Il est conseillé de vérifier la recevabilité de toute demande en nullité, en s’assurant que les motifs invoqués relèvent de la compétence du juge saisi et en évitant toute confusion avec les conditions de signification des ordonnances contestées. |
→ Résumé de l’affaireL’affaire concerne des soupçons de contrefaçon de brevets européens par les sociétés Ecoperl, qui ont été l’objet de saisies-contrefaçon autorisées par le tribunal. Les sociétés Ecoperl demandent la rétractation des ordonnances, la destruction des éléments obtenus lors des saisies et des dommages et intérêts. Elles soutiennent que la société Neoperl a agi de manière déloyale et que les mesures autorisées étaient disproportionnées. La société Neoperl conteste ces allégations et affirme que les mesures étaient justifiées. Les parties s’opposent également sur la question des frais de procédure.
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→ Les points essentielsDemander en rétractation des ordonnancesArticles 496 et 497 du code de procédure civileLes articles 496 et 497 du code de procédure civile permettent à tout intéressé de demander au juge de modifier ou rétracter son ordonnance, même si le juge du fond est saisi de l’affaire. Article L. 615-5 du code de la propriété intellectuelleEn vertu de l’article L. 615-5 du code de la propriété intellectuelle, toute personne ayant qualité pour agir en contrefaçon peut demander une saisie-contrefaçon pour établir la contrefaçon de brevet. LoyautéDirective 2004/48Les procédures pour assurer le respect des droits de propriété intellectuelle doivent être loyales et proportionnées, selon l’article 3 de la directive 2004/48. Principe de loyauté des débatsLes parties ont l’obligation de produire tous les éléments en leur possession de manière loyale, afin de permettre au juge d’exercer pleinement son pouvoir d’appréciation des circonstances de la cause. ProportionnalitéMesures de saisie-contrefaçonLes mesures de saisie-contrefaçon doivent être proportionnées aux faits et circonstances de l’affaire, et peuvent servir à prouver d’autres faits que ceux déjà identifiés. Nombre de mesures autoriséesLe nombre de mesures autorisées doit être justifié par la pluralité de lieux et de sociétés visées, et ne doit pas être critiqué s’il est légitime. Demande subsidiaire en nullitéLimites du juge de la rétractationLe juge de la rétractation ne peut prononcer la nullité des actes pour d’autres motifs que ceux prévus par la loi, ce qui limite sa compétence en la matière. Dispositions finalesCondamnation aux dépensLa partie perdante est généralement condamnée aux dépens, sauf décision motivée du juge. L’article 700 du code de procédure civile permet également de condamner la partie perdante à payer une somme déterminée pour les frais exposés. Exécution provisoireL’exécution provisoire est de droit et doit être respectée, sauf circonstances exceptionnelles. Les montants alloués dans cette affaire: – Rejet des demandes en rétractation des ordonnances du 19 janvier 2023, destruction et interdiction
– Déclaration irrecevable de la demande en nullité des saisies-contrefaçon – Condamnation in solidum des sociétés Ecoperl, Ecoperl France et Bricoperl aux dépens – Paiement de 4 000 euros à la société Neoperl au titre de l’article 700 du code de procédure civile |
→ Réglementation applicable– Code de procédure civile
– Code de la propriété intellectuelle – Code civil Article 496 du Code de procédure civile: Article 497 du Code de procédure civile: Article L. 615-5 du Code de la propriété intellectuelle: Article 3 de la directive 2004/48: Article 10 du Code civil: Article 696 du Code de procédure civile: Article 700 du Code de procédure civile: |
→ AvocatsBravo aux Avocats ayant plaidé ce dossier: – Maître Fabien STORM de la SELARL FORSETI – AVOCATS
– Maître Camille PECNARD du cabinet LAVOIX |
→ Mots clefs associés & définitions– Rétractation des ordonnances
– Code de procédure civile – Propriété intellectuelle – Contrefaçon – Loyauté – Directive 2004/48 – Code civil – Proportionnalité – Preuves – Saisie-contrefaçon – Nullité – Dépens – Indemnisation – Exécution provisoire – Rétractation des ordonnances : annulation ou modification d’une ordonnance rendue par un tribunal
– Code de procédure civile : ensemble des règles régissant la procédure judiciaire en matière civile – Propriété intellectuelle : ensemble des droits exclusifs accordés sur des créations de l’esprit – Contrefaçon : violation des droits de propriété intellectuelle d’une personne – Loyauté : obligation de se comporter de manière honnête et loyale dans ses relations juridiques – Directive 2004/48 : directive de l’Union européenne relative au respect des droits de propriété intellectuelle – Code civil : recueil de lois régissant les relations entre les personnes privées – Proportionnalité : principe selon lequel une mesure doit être adaptée et nécessaire pour atteindre son objectif – Preuves : éléments permettant d’établir la véracité d’un fait en justice – Saisie-contrefaçon : mesure permettant de saisir des biens contrefaits pour prévenir leur dissimulation ou leur destruction – Nullité : annulation d’un acte juridique en raison d’un vice de forme ou de fond – Dépens : frais engagés lors d’une procédure judiciaire, pouvant être mis à la charge de la partie perdante – Indemnisation : réparation du préjudice subi par une personne, généralement sous forme d’une somme d’argent – Exécution provisoire : mise en œuvre d’une décision judiciaire avant même que celle-ci ne soit définitive |
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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3ème chambre
2ème section
N° RG 23/12720
N° Portalis 352J-W-B7H-C26JJ
N° MINUTE :
Assignation du :
20 Octobre 2023
ORDONNANCE DE RÉFÉRÉ RÉTRACTATION
rendue le 02 Février 2024
DEMANDERESSES
S.A.R.L. ECOPERL FRANCE
[Adresse 2]
[Localité 3]
S.A.R.L. BRICOPERL
[Adresse 1]
[Localité 5]
S.A.R.L. ECOPERL
[Adresse 2]
[Localité 3]
représentées par Maître Fabien STORM de la SELARL FORSETI – AVOCATS,, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #P0349
DÉFENDERESSE
Société NEOPERL GMBH
[Adresse 6]
[Localité 4]
représentée par Maître Camille PECNARD du cabinet LAVOIX, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant, vestiaire #E1626
Copies délivrées le :
– Maître STORM #P349 (ccc)
– Maître PECNARD #E1626 (exécutoire)
Décision du 2 février 2024
3ème chambre – 2ème section
N° RG 23/12720 – N° Portalis 352J-W-B7H-C26JJ
COMPOSITION
Monsieur Arthrur COURILLON-HAVY, Juge délégué par le président du tribunal judiciaire, assisté de Quentin CURABET, Greffier,
DÉBATS
A l’audience du 29 Novembre 2023, avis a été donné aux avocats que l’ordonnance serait rendue le 02 Février 2024
ORDONNANCE
Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe
Contradictoire
En premier ressort
1. Suspectant la contrefaçon de ses brevets européens EP 2 384 382 et EP 2 025 820 portant respectivement sur un régulateur de débit et une unité sanitaire (dans un bec de robinet), la société de droit allemand Neoperl a obtenu du délégué du président de ce tribunal, statuant sur requête, le 19 janvier 2023, 7 ordonnances l’autorisant à pratiquer autant de saisies-contrefaçon en trois lieux différents, deux à [Localité 7] et un à [Localité 5], contre les société Ecoperl, Bricoperl et Ecoperl (les sociétés Ecoperl). Ces mesures ont été réalisées les 8 et 9 mars 2023.
2. Les société Ecoperl ont assigné la société Neoperl en rétractation des 7 ordonnances, d’abord le 27 juin 2023 puis, les premières assignations (une par demanderesse) n’ayant pas été placées, le 20 octobre 2023.
Prétentions des parties
3. Les sociétés Ecoperl, à l’audience du 29 novembre 2023 et dans leurs conclusions du 27, soutenues oralement, demandent la rétractation des ordonnances, la destruction de, et l’interdiction d’utiliser, les « descriptions réalisées » et les éléments obtenus lors des opérations de saisie-contrefaçon ; subsidiairement, elles demandent la nullité des saisie-contrefaçon réalisées à [Localité 5] avec les même destruction et interdiction ; en tout état de cause la condamnation de la société Neoperl à lui payer 65 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et de « dire » que le taux d’intérêt légal sera majoré comme prévu par l’article L. 313-3 du code monétaire et financier.
4. La société Neoperl, à l’audience et dans ses dernières conclusions du 17 novembre 2023 soutenues oralement, soulève l’irrecevabilité des sociétés Ecoperl à demander la nullité des saisies-contrefaçon, résiste aux demandes sur le fond et reconventionnellement réclame 45 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi que le recouvrement des dépens par son avocat et l’exécution provisoire.
Moyens des parties
5. Sur la rétractation, les sociétés Ecoperl soulèvent en premier lieu une déloyauté de la part de la société Neoperl en ce que celle-ci, en taisant les différends les ayants antérieurement opposées (une allégation de contrefaçon de brevet en 2013 et une opposition formée par la société Neoperl au renouvèlement de la marque Bricoperl), aurait dissimulé sa véritable intention, à savoir non pas défendre un brevet mais les empêcher d’utiliser leur nom ‘Ecoperl’ et ‘Bricoperl’ sur le fondement du droit des marques, ce qui aurait ainsi empêché le juge de la requête d’apprécier la proportionnalité des demandes en considération des intérêts en présence.
6. Elles soulèvent en second lieu une disproportion des mesures autorisées, estimant d’abord que la société Neoperl disposait déjà des preuves nécessaires, qu’ainsi ces mesures ne servaient qu’à obtenir des informations économiques et commerciales confidentielles ; qu’en particulier, en ne limitant pas les recherches aux seuls produits déjà argüés de contrefaçon, les ordonnances auraient autorisé une mesure d’investigation générale prohibée. Elles critiquent ensuite, au même titre, l’obligation que l’ordonnance leur aurait faite de s’auto-incriminer en les obligeant à collaborer à l’exécution de la mission du commissaire de justice (notamment en désignant l’emplacement des preuves recherchées), et ce, là encore, sans limiter la mesure aux seuls produits dont la contrefaçon était alléguée.
7. Subsidiairement, sur la nullité, elles critiquent la notification des ordonnances et estiment que le juge de la rétractation est compétent pour en connaitre car il s’agit, selon elles, d’une question d’opposabilité de l’ordonnance, donc de contradictoire, et non d’une question d’exécution de cette ordonnance.
8. Enfin, à propos des frais de procédure, en premier lieu, contre la demande formée par la société Neoperl, elles exposent que l’absence de placement d’une première assignation en rétractation des ordonnances litigieuses résulte d’un choix légitime de leur part (car elles ont reçu tardivement les seconds originaux de leur commissaire de justice et ne voulaient pas imposer à la défenderesse des délais « insurmontables »). S’agissant de la seconde assignation, elles estiment avoir été diligentes. Sur leur propre demande à ce titre, elles font valoir qu’elles ne bénéficient pas d’une assurance protection juridique ni de l’aide juridictionnelle.
9. La société Neoperl, sur la loyauté, fait valoir d’une part que l’opposition évoquée par les sociétés Ecoperl a été formée par une autre société du groupe Neoperl (la société suisse Neoperl AG), que cette opposition, qui visait un nouvel enregistrement et non un renouvèlement, a été accueillie et qu’au demeurant son objet est différent, d’autre part que le litige antérieur qui aurait eu lieu en 2013 n’a donné lieu à aucun échange entre les sociétés Ecoperl et la société Neoperl, qu’il faisait suite à une réclamation qu’elle aurait faite à une cliente des premières, concernait un autre brevet, que les sociétés Ecoperl n’apportent aucun contexte et ne démontrent pas qu’elle était informée de leur implication dans ce litige, outre qu’il date en toute hypothèse de 10 ans.
10. Sur la proportionnalité, elle soutient que la saisie-contrefaçon est un droit pour le breveté, soumis uniquement à la condition de démontrer la vraisemblance d’une atteinte au brevet et de présenter loyalement les faits, nonobstant les preuves dont il dispose déjà, outre qu’au demeurant il a le droit d’y rechercher les preuves du préjudice, preuves dont elle ne disposait pas en l’espèce. Elle affirme que les mesures autorisées étaient bien limitées aux seuls produits argüés de contrefaçon, dont elle avait démontré la vraisemblance, produits qui sont listés dans l’ordonnance. Elle précise que le chef de l’ordonnance qui autorise l’huissier à rechercher, même en l’absence de tout produit allégué de contrefaçon sur les lieux, les éléments utiles pour déterminer l’origine, la nature et l’étendue de la contrefaçon n’est pas un « blanc-sein » et se limite au contraire aux besoins de la preuve de la contrefaçon. Elle fait valoir à cet égard que la recherche par mots-clés était « fermement circonscrite ». Enfin, elle estime que l’ordonnance ne fait pas obligation aux personnes présentes de « s’auto-incriminer » mais leur impose seulement de collaborer, ce qui ne vise selon elle qu’à garantir l’effectivité de la mesure.
11. Elle soutient que la demande en nullité n’est pas l’objet d’une instance en rétractation.
12. Enfin, sur les frais, elle estime la présente action « fantaisiste », dilatoire et menée avec une « particulière légèreté », critiquant le comportement des demanderesses qui ont, soutient-elle, dissimulé la date de l’audience jusqu’au 18 juillet 2023, puis retardé la communication de leurs pièces, annoncé à l’audience le 4 octobre 2023 que leur assignation n’avait pas été placée et donc abandonné leur procédure, puis assigné seulement le 20 octobre 2023 pour une nouvelle audience le 29 novembre et transmis leurs pièces le 9 novembre.
I . Demande en rétractation des ordonnances
13. Les articles 496 et 497 du code de procédure civile prévoient que tout intéressé peut demander au juge qui a fait droit à une requête de modifier ou rétracter son ordonnance, même si le juge du fond est saisi de l’affaire.
14. En vertu de l’article L. 615-5 du code de la propriété intellectuelle, toute personne ayant qualité pour agir en contrefaçon est en droit de faire procéder en tout lieu et par tous huissiers, le cas échéant assistés d’experts désignés par le demandeur, en vertu d’une ordonnance rendue sur requête par la juridiction civile compétente, soit à la description détaillée, avec ou sans prélèvement d’échantillons, soit à la saisie réelle des produits ou procédés prétendus contrefaisants ainsi que de tout document s’y rapportant. L’ordonnance peut autoriser la saisie réelle de tout document se rapportant aux produits ou procédés prétendus contrefaisants en l’absence de ces derniers. La juridiction peut ordonner, aux mêmes fins probatoires, la description détaillée ou la saisie réelle des matériels et instruments utilisés pour fabriquer ou distribuer les produits ou pour mettre en oeuvre les procédés prétendus contrefaisants.
1 . Loyauté
15. En application de l’article 3 de la directive 2004/48, les procédures nécessaires pour assurer le respect des droits de propriété intellectuelle mises en oeuvre par les États membres doivent être loyales et proportionnées.
16. En outre, en application de l’article 10 du code civil, les parties ont l’obligation, en vertu du principe de loyauté des débats, de produire et le cas échéant communiquer en temps utiles les éléments en leur possession, en particulier lorsqu’ils sont susceptibles de modifier l’opinion des juges (1re Civ., 7 juin 2005, pourvoi n° 05-60.044).
17. Il en résulte que le requérant à une mesure de saisie-contrefaçon doit faire preuve de loyauté dans l’exposé des faits au soutien de sa requête en saisie-contrefaçon, afin de permettre au juge d’autoriser une mesure proportionnée en exerçant pleinement son pouvoir d’appréciation des circonstances de la cause (Cass., Com., 6 décembre 2023, pourvoi n° 22-11.071, points 10 à 12 et point 15).
18. Il est constant que les faits que les sociétés Ecoperl reprochent à la société Neoperl d’avoir tu n’ont pas d’incidence sur l’existence et l’étendue de la contrefaçon de brevet que les mesures autorisées ont pour but d’établir : il s’agit d’une procédure d’opposition, terminée, contre la marque Bricoperl et d’une allégation ancienne de contrefaçon d’un autre brevet, donc de litiges passés, juridiquement et factuellement distincts de celui-ci même s’ils ont concerné, directement ou indirectement, des sociétés appartenant au même groupe que les parties au présent litige.
19. Certes, le fait qu’un litige proche a opposé les mêmes parties par le passé peut, dans de rares cas, être un élément pertinent pour apprécier la légitimité d’un nouveau litige et de ce fait, indirectement, la proportionnalité d’une mesure demandée dans le cadre de celui-ci, mais seulement si, par ses circonstances et sa proximité avec lui, il révèle un risque de détournement de la procédure qui rend nécessaire une attention et le cas échéant une protection renforcée contre les abus. Inversement, tirer des conséquences défavorables pour le demandeur de la simple existence d’un litige passé relèverait du préjugement et violerait ainsi le principe d’impartialité, donc le droit au procès équitable (voir, en ce sens, décision du présent tribunal, 5 janvier 2023, Weill, 23/10283, point 39).
20. Ici, la procédure d’opposition évoquée par les sociétés Ecoperl révèle une dimension supplémentaire au différend les opposant à la société Neoperl qui, comme elles le soulèvent, dépasse le seul cadre de la contrefaçon de brevet. Toutefois, il n’en résulte pas en soi que la recherche de preuves de celle-ci soit détournée de son objet et les sociétés Ecoperl n’exposent pas en quoi cette autre dimension du différend crée spécialement, au cas présent, un risque d’abus. En particulier, elles n’établissent pas que l’intention éventuelle de la société Neoperl d’agir aussi (ou surtout) en contrefaçon de marque rendrait moins crédible l’existence d’une contrefaçon de brevet : elles le laissent entendre en invoquant un détournement mais n’invoquent aucun argument tendant à contester l’existence d’une contrefaçon des brevets en cause.
21. Quant au litige de 2013, il est, comme le souligne la société Neoperl, si ancien et si limité (cantonné à une mise en demeure adressée à un client des sociétés Ecoperl et à un courrier en réponse adressé par celles-ci à un avocat) qu’il n’a évidemment aucune incidence sur la crédibilité des allégations fondant la procédure actuelle.
22. La société Neoperl n’a donc dissimulé aucune information qui aurait pu amener le juge de la requête à modifier sa décision et n’a donc pas manqué de loyauté.
2 . Proportionnalité
23. Les mesures de saisie-contrefaçon litigieuses concernent des produits identifiés ; au demeurant, la saisie-contrefaçon peut servir à prouver d’autres faits que les seuls faits déjà identifiés dès lors que des faits plus étendus peuvent être raisonnablement suspectés ; l’autorisation donnée au commissaire de justice de chercher des preuves de la contrefaçon même en l’absence des produits litigieux sur les lieux n’est pas une extension excessive de sa mission car la preuve de la contrefaçon (et de son étendue) ne repose pas uniquement sur les produits potentiellement contrefaisants mais également sur d’autres preuves matérielles ; le fait que le commissaire de justice ait été autorisé à chercher des documents comptables ou commerciaux est proportionné au cas présent au regard des éléments de preuve raisonnablement accessibles rendant vraisemblable la reproduction des revendications des brevets par les produits litigieux, que les sociétés Ecoperl, au demeurant, ne contestent pas.
24. La saisie-contrefaçon reste légitime même si le titulaire dispose déjà de preuves, celui-ci étant maitre de sa stratégie et notamment du degré d’effort probatoire qu’il estime nécessaire au succès de ses prétentions ; au demeurant, comme le souligne la société Neoperl, la recherche de preuves du préjudice peut être autorisée même quand la contrefaçon est déjà prouvée dans son principe, et comme relevé au point précédent, la saisie-contrefaçon peut avoir pour objet de découvrir d’autres faits que ceux déjà prouvés par le requérant, si des indices de ces autres faits existent.
25. L’obligation faite aux personnes présentes sur les lieux de la mesure de coopérer à celle-ci n’est que le moyen de rendre celle-ci possible en cas de résistance éventuelle ; elle ne vise qu’à trouver les preuves matérielles, sans provoquer aucune auto-incrimination. Au cas présent, cette obligation, limitée à l’indication de l’emplacement des preuves et à la mise en oeuvre ou la révélation des moyens informatiques, dont les mots de passe, est nécessaire et ne porte pas d’atteinte supplémentaire à celle que cause déjà la mesure dans son principe et son étendue, laquelle est proportionnée ainsi qu’il a été dit au point 23.
26. Enfin, le nombre de mesures autorisées, élevé mais non expressément critiqué, est justifié par la pluralité de lieux (une mesure a été autorisée pour chacune des deux villes où se trouvaient les sites visés des sociétés Ecoperl), par le choix, non critiqué et a priori légitime, de mener une mesure par brevet, ainsi que par le nombre de sociétés visées dans ces lieux, susceptible d’occuper chacune des locaux distincts.
27. Par conséquent, la demande de rétractation des ordonnances est rejetée.
II . Demande subsidiaire en nullité
28. Le juge de la requête saisi du recours prévu par les articles 496 et 497 du code de procédure civile peut modifier ou rétracter la décision qu’il a prise, ce qui peut certes entrainer la nullité des actes accomplis sur la base de cette décision, mais il n’a pas le pouvoir de prononcer la nullité de ces actes pour d’autres motifs.
29. En particulier, les conditions de la signification de l’ordonnance contestée sont indépendantes du contenu et du bienfondé de celle-ci ; elles échappent donc à la juridiction du juge de la rétractation.
30. Par conséquent, faute de pouvoir juridictionnel du juge saisi, la demande en nullité doit être déclarée irrecevable.
III . Dispositions finales
31. Aux termes de l’article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie. L’article 700 du même code permet au juge de condamner en outre la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l’autre, pour les frais exposés mais non compris dans les dépens, une somme qu’il détermine, en tenant compte de l’équité et de la situation économique de cette partie.
32. Les sociétés Ecoperl, qui perdent le procès, sont tenues aux dépens et doivent indemniser la société Neoperl des frais qu’elle a dû engager à ce titre. Toutefois, la demande de celle-ci (comme celle présentée au même titre par les sociétés Ecoperl au demeurant) est sans proportion avec le coup réel d’une procédure telle que celle-ci, dont la simplicité impose de limiter l’indemnité de procédure à 4 000 euros.
33. L’exécution provisoire est de droit et rien ne justifie ici d’y déroger.
Le juge ayant fait droit aux requêtes :
Rejette les demandes en rétractation des ordonnances du 19 janvier 2023, destruction et interdiction ;
Déclare irrecevable la demande en nullité des saisies-contrefaçon effectuées en vertu de ces ordonnances ;
Condamne in solidum les sociétés Ecoperl, Ecoperl France et Bricoperl aux dépens (avec recouvrement par l’avocat de la société Neoperl pour ceux dont il aurait fait l’avance sans en recevoir provision) ainsi qu’à payer 4 000 euros à la société Neoperl au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Fait et jugé à Paris le 02 Février 2024
Le GreffierLe Président
Quentin CURABET Arthur COURILLON-HAVY