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30 novembre 2023
Cour de cassation
Pourvoi n°
22-14.594
CIV. 3
MF
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 30 novembre 2023
Cassation
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 774 FS-B
Pourvoi n° T 22-14.594
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 30 NOVEMBRE 2023
La société Simple, société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° T 22-14.594 contre l’arrêt rendu le 10 février 2022 par la cour d’appel de Paris (pôle 1, chambre 10), dans le litige l’opposant à la société 81, société civile immobilière, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l’appui de son pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. David, conseiller, les observations de la SCP Alain Bénabent, avocat de la société Simple, de Me Brouchot, avocat de la société 81, et l’avis de Mme Morel-Goujard, avocat général, après débats en l’audience publique du 17 octobre 2023 où étaient présents Mme Teiller, président, M. David, conseiller rapporteur, M. Echappé, conseiller doyen, M. Jobert, Mmes Grandjean, Grall, M. Bosse-Platière, Mme Proust, conseillers, Mmes Schmitt, Aldigé, M. Baraké, Mmes Gallet, Davoine, MM. Pons, Choquet, conseillers référendaires, M. Mme Morel-Goujard, avocat général, et Mme Dumont, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l’article R. 431-5 du code de l’organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l’arrêt attaqué (Paris, 10 février 2022) et les productions, le 15 janvier 2019, la société civile immobilière 81 (la bailleresse) a renouvelé un bail commercial consenti à la société Simple (la locataire), et portant sur des locaux à usage de restauration, salon de thé et accessoirement vente à emporter.
2. En raison de la crise sanitaire liée au virus covid-19 et des mesures gouvernementales interdisant la réception du public dans les restaurants, la locataire a, le 29 avril 2020, avisé la bailleresse de la suspension du paiement du loyer du deuxième trimestre 2020.
3. Une ordonnance de référé du 20 janvier 2021 a constaté l’acquisition, au 19 novembre 2020, de la clause résolutoire insérée au bail et a condamné la locataire au paiement d’une certaine somme à titre de provision à valoir sur l’arriéré de loyers, charges et indemnités d’occupation, y compris le quatrième trimestre 2020.
4. En exécution de cette décision, la bailleresse a, le 23 février 2021, fait dresser un procès-verbal de reprise des locaux loués puis, le 12 mars 2021, a procédé à la saisie-attribution d’un compte bancaire ouvert au nom de la locataire.
5. Le 16 mars 2021, la locataire a assigné la bailleresse en annulation du procès-verbal de reprise des locaux loués et mainlevée de la saisie-attribution.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
6. La locataire fait grief à l’arrêt de rejeter toutes ses demandes, alors « qu’en application de l’article 14 de la loi du 14 novembre 2020, applicable à compter du 17 octobre 2020, jusqu’à l’expiration d’un délai de deux mois à compter de la date à laquelle leur activité cesse d’être affectée par une mesure de police administrative prise en application des textes relatifs à la crise sanitaire, les personnes morales de droit privé exerçant une activité économique ne peuvent encourir toute action, sanction ou voie d’exécution forcée à leur encontre pour retard ou non-paiement des loyers ou charges locatives afférents aux locaux professionnels ou commerciaux où leur activité est ou était ainsi affectée ; que ces dispositions s’appliquent aux périodes de retard ou non-paiement des loyers et charges locatives antérieures au 17 octobre 2020, dès lors que l’activité de la personne morale était affectée par les mesures de police administrative précitées ; qu’en l’espèce, la société Simple faisait valoir, dans ses conclusions d’appel, que ”l’autorisation de réouverture en salle à compter du 22 juin 2020 était subordonnée à la capacité, notamment pour les restaurateurs, de pouvoir respecter les mesures barrières imposées, et plus précisément la distanciation sociale (minimum de 2 mètres entre chaque table). Compte-tenu des caractéristiques et de la surface de son local d’exploitation, l’appelante ne pouvait en aucun cas satisfaire à ces obligations, ce qui la contraignit à rester purement et simplement fermée au-delà de cette date” ; qu’il résultait nécessairement de ces écritures que l’activité de la société Simple avait été affectée par les mesures de police administrative durant les 2ème et 3ème trimestres 2020, en raison de la configuration des locaux qui l’avait contrainte à garder le restaurant fermé postérieurement au 22 juin 2020, de sorte qu’elle devait bénéficier des dispositions de l’article 14 de la loi du 14 novembre 2020 ; qu’en retenant au contraire que ”si l’exploitation des bars, restaurants et débits de boissons s’est trouvée interrompue à dater de l’arrêté du 14 mars 2020, le décret du 31 mai 2020 a autorisé les établissements accueillant du public à reprendre leur activité sous certaines conditions qu’il appartenait à l’appelante de respecter”, que ”les loyers impayés qui ont motivé la résiliation du bail correspondaient à tous ceux de l’année 2020”, de sorte qu’ ”une partie d’entre eux, à savoir ceux échus du mois d’août au mois d’octobre 2020, est devenue exigible alors même que l’activité de l’appelante n’était pas affectée par des mesures de police”, la cour d’appel a violé l’article 14 de la loi du 14 novembre 2020. »
Réponse de la Cour
Vu l’article 14 de la loi n° 2020-1379 du 14 novembre 2020, l’article 1er, I, 2°, de la loi n° 2020-856 du 9 juillet 2020, l’article L. 3131-15, I, 5°, du code de la santé publique, l’article 40 du décret n° 2020-663 du 31 mai 2020 et l’article 40 du décret n° 2020-860 du 10 juillet 2020 :
7. Selon le premier de ces textes, applicable à compter du 17 octobre 2020,
jusqu’à l’expiration d’un délai de deux mois à compter de la date à laquelle leur activité cesse d’être affectée par une mesure de police administrative prise en application des 2° ou 3° du I de l’article 1er de la loi n° 2020-856 du 9 juillet 2020 ou du 5° du I de l’article L. 3131-15 du code de la santé publique, les personnes morales de droit privé satisfaisant à plusieurs critères d’éligibilité ne peuvent encourir toute action, sanction ou voie d’exécution forcée à leur encontre pour retard ou non-paiement des loyers ou charges locatives dus pour une période, même antérieure au 17 octobre 2020, au cours de laquelle leur activité économique est affectée par l’une des mesures de police précitée.
8. Selon les deuxième et troisième de ces textes, le Premier ministre peut, par décret, réglementer l’ouverture au public, y compris les conditions d’accès et de présence, d’une ou de plusieurs catégories d’établissements recevant du public.
9. Selon les deux derniers de ces textes, les établissements recevant du public de type N, restaurants et débits de boissons, ne peuvent accueillir du public qu’à la condition que les personnes accueillies aient une place assise, qu’une même table ne regroupe que des personnes venant ensemble ou ayant réservé ensemble, dans la limite de dix personnes, et qu’une distance minimale d’un mètre soit garantie entre les tables occupées par chaque personne ou groupe de personnes venant ensemble ou ayant réservé ensemble, sauf si une paroi fixe ou amovible assure une séparation physique.
10. Pour rejeter les demandes de la locataire, l’arrêt retient que le décret du 31 mai 2020 a autorisé les établissements accueillant du public à reprendre leur activité sous certaines conditions qu’il appartenait à la locataire de respecter.
11. Il en déduit qu’une partie des loyers impayés, à savoir ceux échus du mois d’août au mois d’octobre 2020, est devenue exigible alors que l’activité de la locataire n’était pas affectée par des mesures de police, de sorte que la reprise des lieux loués et la saisie-attribution du 12 mars 2021 étaient régulières.
12. En statuant ainsi, alors que l’obligation d’accueillir les personnes à une place assise, de ne recevoir que des personnes venant ensemble ou ayant réservé ensemble, dans la limite de dix personnes, et de respecter une distance minimale d’un mètre entre les tables, sauf installation d’une paroi fixe ou amovible assurant une séparation physique, constituait une mesure de police réglementant les conditions d’accès et de présence du public, la cour d’appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur l’autre grief, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 10 février 2022, entre les parties, par la cour d’appel de Paris ;
Remet l’affaire et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d’appel de Paris autrement composée ;
Condamne la société civile immobilière 81 aux dépens ;
En application de l’article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société civile immobilière 81 et la condamne à payer à la société Simple la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du trente novembre deux mille vingt-trois.