Saisie-attribution : décision du 30 novembre 2023 Cour d’appel d’Amiens RG n° 22/04046

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Saisie-attribution : décision du 30 novembre 2023 Cour d’appel d’Amiens RG n° 22/04046

30 novembre 2023
Cour d’appel d’Amiens
RG n°
22/04046

ARRET

S.A.S.U. ISA COIFF

C/

[Y]

copie exécutoire

le 30 novembre 2023

à

Me Baclet

Me Bibard

CPW/MR/SF

COUR D’APPEL D’AMIENS

5EME CHAMBRE PRUD’HOMALE

ARRET DU 30 NOVEMBRE 2023

*************************************************************

N° RG 22/04046 – N° Portalis DBV4-V-B7G-IRMN

JUGEMENT DU CONSEIL DE PRUD’HOMMES – FORMATION PARITAIRE DE BEAUVAIS DU 05 JUILLET 2022 (référence dossier N° RG F 21/00179)

PARTIES EN CAUSE :

APPELANTE

S.A.S.U. ISA COIFF agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège :

[Adresse 1]

[Localité 3]

représentée, concluant par Me Marc BACLET de la SCP MARC BACLET AVOCATS, avocat au barreau de BEAUVAIS substitué par Me Perrine GARCIA, avocat au barreau de BEAUVAIS

ET :

INTIMEE

Madame [W] [Y]

[Adresse 2]

[Localité 4]

comparante en personne, assistée, concluant et plaidant par Me Pascal BIBARD de la SELARL CABINETS BIBARD AVOCATS, avocat au barreau d’AMIENS substitué par Me Hamadou SABALY, avocat au barreau D’AMIENS

DEBATS :

A l’audience publique du 12 octobre 2023, devant Mme Caroline PACHTER-WALD, siégeant en vertu des articles 786 et 945-1 du code de procédure civile et sans opposition des parties, l’affaire a été appelée.

Mme Caroline PACHTER-WALD indique que l’arrêt sera prononcé le 30 novembre 2023 par mise à disposition au greffe de la copie, dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

GREFFIERE LORS DES DEBATS : Mme Malika RABHI

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :

Mme Caroline PACHTER-WALD en a rendu compte à la formation de la 5ème chambre sociale, composée de :

Mme Caroline PACHTER-WALD, présidente de chambre,

Mme Corinne BOULOGNE, présidente de chambre,

Mme Eva GIUDICELLI, conseillère,

qui en a délibéré conformément à la Loi.

PRONONCE PAR MISE A DISPOSITION :

Le 30 novembre 2023, l’arrêt a été rendu par mise à disposition au greffe et la minute a été signée par Mme Caroline PACHTER-WALD, Présidente de Chambre et Mme Malika RABHI, Greffière.

*

* *

DECISION :

La société Emmanuelle coiffure a embauché Mme [Y] à compter du 7 août 2001 dans le cadre d’un contrat de travail à durée indéterminée à temps partiel, en qualité de coiffeuse.

Courant avril 2019, le fonds de commerce du salon Emmanuelle coiffure a été cédé à la SASU Isa coiff (l’employeur ou la société), qui a pour activité la coiffure ainsi que la vente de produits et accessoires de mode, et compte moins de 11 salariés, le contrat de travail de Mme [Y] (la salariée) faisant l’objet le 29 juillet 2019 d’un transfert sans reprise d’ancienneté.

La convention collective applicable à la relation de travail est celle de la coiffure et des professions connexes du 10 juillet 2006.

Mme [Y] a adressé sa démission à son employeur par courrier du 27 juillet 2020.

Ne s’estimant pas remplie de ses droits au titre de l’exécution du contrat de travail et sollicitant la requalification de sa démission en une prise d’acte produisant les effets d’un licenciement nul ou à tout le moins sans cause réelle et sérieuse, elle a saisi le conseil de prud’hommes de Beauvais le 26 juillet 2021, qui par jugement du 5 juillet 2022, a :

débouté Mme [Y] de sa demande de requalification de son contrat de travail à temps partiel en contrat de travail à temps plein ;

requalifié la démission du 27 juillet 2020 en une prise d’acte de la rupture produisant les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

dit que Mme [Y] était victime de travail dissimulé ;

dit que le harcèlement moral n’était pas établi ;

condamné la société Isa coiff à payer à Mme [Y] les sommes suivantes :

2 717,72 euros brut à titre d’indemnité compensatrice de préavis outre 271,77 euros brut au titre des congés payés afférents ;

473,73 euros net à titre d’indemnité légale de licenciement ;

2 000 euros net à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

8 153,16 euros net à titre d’indemnité forfaitaire pour travail dissimulé ;

ordonné à la société Isa coiff de remettre à Mme [Y] les documents sociaux de fin de contrat rectifiés conformément à la décision (bulletin de paie, certificat de travail, attestation Pôle emploi et reçu pour solde de tout compte) ;

condamné la société Isa coiff à payer à Mme [Y] 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

ordonné l’exécution provisoire de droit du jugement ;

débouté les parties de leurs plus amples demandes ;

condamné la société Isa coiff aux entiers dépens.

Par dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 28 avril 2023, la société Isa coiff, qui est régulièrement appelante de ce jugement, demande à la cour d’infirmer la décision sauf en ce qu’elle a débouté Mme [Y] de sa demande de requalification de son contrat de travail à temps partiel en contrat de travail à temps plein, et dit que le harcèlement moral n’était pas établi, et statuant à nouveau de :

– déclarer Mme [Y] mal fondée en ses demandes et l’en débouter ;

– condamner Mme [Y] à lui payer la somme de 3 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens.

Par dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 17 février 2023, Mme [Y] demande à la cour de confirmer le jugement en toutes ses dispositions, sauf en ce qu’il l’a déboutée de ses demandes de dommages et intérêts pour harcèlement moral et absence d’action de prévention du harcèlement, de rappel de salaire par requalification du contrat à temps partiel en contrat à temps plein, de dommages et intérêts pour licenciement nul ou en tous les cas sans cause réelle et sérieuse et d’injonction sous astreinte aux fins de remise des documents sociaux de fin de contrat régularisés, et statuant à nouveau de :

– condamner la société Isa coiff à lui régler les sommes suivantes :

3 190,54 euros à titre de rappel de salaire ;

35 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul ou à défaut sans cause réelle et sérieuse ;

5 000 euros au titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral ;

2 000 euros à titre de dommages et intérêts pour absence d’action de prévention du harcèlement ;

– ordonner à la société Isa coiff de lui remettre l’intégralité des documents sociaux de fin de contrat régularisés (bulletins de salaire, certificat de travail, attestation pôle emploi et reçu pour solde de tout compte), et ce sous astreinte de 100 euros par jours de retard à compter du 8ème jour de la notification de la décision ;

– en tout état de cause, débouter la société Isa coiff de l’intégralité de ses demandes et la condamner à lui verser la somme de 3 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.

Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, pour un plus ample exposé des faits, des prétentions et moyens des parties, il est renvoyé aux dernières conclusions susvisées.

MOTIFS :

A titre liminaire, la cour constate que la pièce 7 produite par Mme [Y] et intitulée «contrat de travail» dans son bordereau de pièces, est en réalité le «certificat de travail» remis à l’occasion de la rupture, aucun contrat de travail n’étant produit par l’une ou l’autre des parties mais l’existence et le contenu de celui-ci ne faisant l’objet d’aucune discussion.

1. Sur les demandes indemnitaires au titre d’un harcèlement moral

1.1 – Sur le harcèlement moral

A hauteur de cour, Mme [Y] soutient avoir été victime d’un harcèlement moral de la part de l’employeur et de son conjoint et souligne avoir à ce titre été victime de brimades, invectives et insultes de leur part, alors par ailleurs qu’elle conteste les faits décrits par l’employeur et produit des témoignages pour montrer son bon comportement. Elle ajoute que ces agissements lui ont causé un préjudice dont elle évalue la réparation à 5 000 euros.

La société conteste les affirmations adverses et soutient qu’au contraire le comportement de Mme [Y], qui ne supportait pas d’être subordonnée à son nouvel employeur, était inadapté et agressif à son égard, celle-ci se prenant «pour la patronne» ; que Mme [Y] a quitté le salon car elle avait trouvé un autre emploi, alors qu’elle ne s’était jamais plainte de quoi que ce soit auparavant.

Sur ce,

Aux termes de l’article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Selon l’article L.1154-1du même code, le salarié a la charge de présenter des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement et il incombe ensuite à la partie défenderesse de prouver que les faits qui lui sont imputés ne sont pas constitutifs de harcèlement et qu’ils sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Pour se prononcer sur l’existence d’un harcèlement moral, il appartient au juge d’examiner l’ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d’apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l’existence d’un tel harcèlement. Dans l’affirmative, il revient au juge d’apprécier si l’employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs.

Il résulte enfin des articles L.1152-1, L.4121-1 et L.4121-2 du même code que ne méconnaît pas l’obligation légale lui imposant de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, notamment en matière de harcèlement moral, l’employeur qui justifie avoir pris toutes les mesures de prévention prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail et qui, informé de l’existence de faits susceptibles de constituer un harcèlement moral, a pris les mesures immédiates propres à le faire cesser.

En l’espèce, Mme [Y] soutient avoir été victime de harcèlement depuis l’arrivée de son nouvel employeur en septembre 2019 du fait de brimades, invectives et insultes par l’employeur, ajoutant sans être plus précise, que ces agissements lui ont causé un préjudice.

S’agissant des brimades, invectives et insultes, elle ne fait état d’aucune date ni d’aucun fait précis en dehors d’un mot trouvé le 14 janvier 2020 avec Mme [M] à leur arrivée dans le salon «précisant «ne pas toucher les grosses» sur le thermostat du chauffage. MDR [mort de rire]» dont elle produit une photocopie d’une photographie.

Elle communique à l’appui de ses affirmations le procès verbal de l’inspection du travail portant sur le travail dissimulé et qui ne fait pas état de la moindre constatation à ce titre, ni d’aucune déclaration des employés du salon auditionnés, et les procès verbaux d’audition établis dans le cadre de l’enquête menée par la gendarmerie au titre du travail dissimulé qui ne sont pas plus opérants.

Elle produit également le témoignage de l’apprentie présente au salon à compter de septembre 2019, Mme [M], qui n’est aucunement circonstancié en ce qui concerne des faits concernant directement Mme [Y], ne vise pas le moindre fait précis et daté en dehors du mot trouvé le 14 janvier 2020 à leur arrivée dans le salon «précisant «ne pas toucher les grosses» sur le thermostat du chauffage.»

Sont ainsi établis les propos insultants de l’employeur contenus dans le mot ainsi trouvé le 14 janvier 2020 dans le salon et destiné aux deux employées. Le fait qu’il se termine par «mort de rire» ne saurait suffire enlever à ces propos leur caractère tout à fait inadapté s’agissant d’un message de l’employeur destiné à ses subordonnées.

En revanche, si l’apprentie ajoute dans le cadre de son audition par les services de gendarmerie que des insultes étaient proférées au salon par le «mari de la patronne» qui «insultait [W] et moi de «grosses», «tu prends trop de place», «tu devrais arrêter de manger» etc», elle ne fait cependant pas état d’un quelconque fait daté ni même d’aucune fréquence concernant des faits qui concerneraient personnellement Mme [Y] en dehors de la note ci-dessus retenue et ne donne pas la moindre contextualisation.

De plus, alors qu’elle indique que sa mère a demandé des comptes à Mme [J], sans d’ailleurs préciser la date de cette entrevue ni que les faits se seraient ensuite malgré tout poursuivis, l’attestation de sa mère ne corrobore pas ses allégations concernant Mme [Y], puisqu’elle y décrit uniquement une ambiance de travail dégradée du fait notamment d’une convocation à la gendarmerie (dans le cadre de l’enquête sur le travail dissimulé) et d’insultes subies par sa fille de la part de l’époux de Mme [J], sans viser de faits concernant Mme [Y].

Mme [Y] communique en outre de nombreuses attestations inopérantes d’anciennes clientes et de son ancien employeur faisant état de ses grandes qualité humaines et professionnelles, sans viser de faits subis par elle de la part de Mme [J] ou de son époux, dont ils auraient été témoins directs.

Au final, les allégations de Mme [Y] sont uniquement étayées quant au mot trouvé avec l’apprentie le 14 janvier 2020.

Enfin, Mme [Y] se contente d’affirmer avoir subi un préjudice résultants d’agissements de son employeur sans l’appui du moindre élément. Pour justifier qu’elle aurait évolué dans un climat professionnel délétère et que la pression personnellement subie l’aurait beaucoup affectée, l’intéressée se rapporte à ses propres déclarations.

Ainsi, la matérialité d’agissements répétés de l’employeur à l’égard de Mme [Y] qui ont eu pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel, n’est pas rapportée. Pris dans leur ensemble, les éléments présentés par la salariée ne font donc pas présumer une situation de harcèlement moral.

Ainsi, à l’examen des pièces produites et des moyens débattus, la décision déférée sera confirmée en ce qu’elle a rejeté la demande de Mme [Y] de dire qu’elle a été victime d’un harcèlement moral et sa demande indemnitaire.

1.2 – Sur le manquement à l’obligation de prévention

Mme [Y] forme également une demande de dommages-intérêts pour manquement à l’obligation de prévention du harcèlement moral et des risques psychosociaux. La société s’oppose à la demande.

Sur ce,

L’interdiction du harcèlement moral constitue une déclinaison de l’obligation faite à l’employeur de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs par l’article L.4121-1 du code du travail.

En l’espèce, l’employeur ne justifie certes pas de la moindre mesure de prévention en vigueur dans l’entreprise. Toutefois, faute pour la salariée de justifier d’un préjudice quelconque au titre du manquement à l’obligation de prévention du harcèlement moral, la demande ne peut qu’être rejetée et la décision déférée de ce chef confirmée.

2. Sur la requalification du contrat de travail à temps partiel en contrat de travail à temps plein

Au préalable, il convient de préciser que la demande de rappel de salaire fondée sur une requalification du contrat de travail à temps partiel en un contrat à temps plein, déjà présentée en première instance, n’est pas une demande nouvelle.

Mme [Y] fait valoir qu’elle a été recrutée selon un contrat de travail à temps partiel d’une durée de 22 heures par semaine et que durant les derniers mois de la relation de travail, le temps mensuel accomplis était de 125,67 heures sans aucune régularisation d’un avenant. Elle estime qu’en l’absence de prévenance et de prévisibilité de la répartition du travail sur la semaine, la requalification du contrat de travail en un contrat à temps plein s’impose et qu’il doit lui être accordé en conséquence le règlement de 26 heures par mois sur une période de 12 mois.

La société réplique en substance qu’elle a poursuivi normalement le contrat de travail lors de la reprise du fonds en août 2019 et qu’elle n’a jamais modifié les horaires de travail de Mme [Y], qui a ainsi toujours parfaitement connu et maîtrisé son rythme de travail sans jamais se sentir à la disposition permanente de l’employeur.

Sur ce,

Est un travailleur à temps partiel le salarié dont la durée normale de travail, calculée sur une base hebdomadaire ou en moyenne sur une période d’emploi pouvant aller jusqu’à un an, est inférieure à celle d’un travailleur à temps plein comparable, et le contrat de travail doit répondre aux conditions spécifiques propres aux contrats de travail à temps partiel.

Le contrat de travail du salarié à temps partiel est selon l’article L.3123-6 du code du travail un contrat écrit qui doit préciser la durée hebdomadaire ou mensuelle prévue et la répartition de la durée du travail entre les jours de la semaine ou les intervalles du mois. Il n’impose toutefois pas à l’employeur de mentionner dans le contrat de travail les horaires de travail. Les exigences découlant de ce texte s’appliquent non seulement au contrat initial mais aussi à ses avenants modificatifs de la durée du travail ou de sa répartition.

L’absence d’écrit n’entraîne pas une requalification de plein droit du contrat de travail à temps partiel en contrat de travail à temps complet, mais pose une présomption simple de travail à temps complet que l’employeur peut renverser en démontrant d’une part la durée exacte du travail convenu, et d’autre part que le salarié n’était pas placé dans l’impossibilité de prévoir à quel rythme il devait travailler. Le salarié peut toutefois limiter ses demandes à la reconnaissance non pas d’un travail à temps complet mais à celle d’un horaire égal à celui de ses premiers mois activité. La charge de la preuve qui incombe à l’employeur porte donc sur deux points distincts, qui sont cumulatif :

– la durée exacte, hebdomadaire ou mensuelle, de travail convenue,

– le fait que le salarié avait connaissance des rythmes de travail et qu’il ne devait pas rester à la disposition permanente de l’employeur, les variations d’horaires du salarié pouvant caractériser l’impossibilité de prévoir le rythme de travail ainsi que la tenue à la disposition constante de l’employeur.

Lorsque le contrat à temps partiel est requalifié en contrat à temps plein, l’employeur est tenu au paiement d’un rappel de salaire et de congés payés sur la base d’un temps complet, même si le salarié avait d’autres activités professionnelles.

En l’espèce, il n’est produit ni le contrat de travail initial ni un avenant, ni aucun planning antérieur comme postérieur au changement d’employeur intervenu en septembre 2019.

Mme [Y] ne conteste pas néanmoins que la durée du travail convenue avec la société Isa coiff était de 125,67 heures, comme cela résulte d’ailleurs des bulletins de paie transmis. Pour autant, l’employeur ne démontre pas les éléments qu’il aurait porté à sa connaissance pour lui permettre de connaître son rythme de travail, étant souligné qu’il ne peut à ce titre se fonder sur des fiches d’horaires (au demeurant non produites) ou des bulletins de paie établis après l’exécution du travail. Sa seule affirmation non étayée d’une absence de changement du rythme de travail postérieurement à la reprise est sur ce point inopérante.

Faute de communiquer des éléments utiles pour justifier que l’information communiquée à Mme [Y] sur ses horaires de travail était suffisante et que celle-ci n’était pas placée dans l’impossibilité de prévoir à quel rythme elle devait travailler, comme elle le soutient, et qu’elle n’avait donc pas à se tenir constamment à sa disposition, la société échoue ainsi à renverser la présomption de travail à temps complet.

Par voie d’infirmation, le contrat de travail à temps partiel Mme [Y] sera requalifié en contrat de travail à temps plein, en sorte que la salariée est fondée à réclamer un rappel de salaire et de congés payés sur la base d’un temps complet, dont le montant exactement calculé par elle n’est pas spécifiquement critiqué par l’employeur à titre subsidiaire.

La société sera donc condamnée à payer à Mme [Y] la somme mentionnée au dispositif de la présente décision.

3. Sur le travail dissimulé

Mme [Y] fait valoir en substance qu’il ressort de l’enquête diligentée, du procès verbal de l’inspection du travail mais aussi de la condamnation de l’employeur pour les faits dénoncés de travail dissimulé, qu’elle a été victime de travail intentionnellement dissimulé et que sa demande est parfaitement justifiée.

La société s’oppose à la demande en soulignant l’absence de toute preuve d’une intention frauduleuse de dissimulation, expliquant qu’elle a rencontré de grandes difficultés avec son premier comptable, et avec son enregistrement.

Sur ce,

En application de l’article L.8223-1 du code du travail, le salarié auquel un employeur a recours en violation des dispositions de l’article L 8221-5 du même code, a le droit en cas de rupture de la relation de travail à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire.

Selon l’article L.8221-5, est réputé travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié le fait pour tout employeur :

1° Soit de se soustraire intentionnellement à l’accomplissement de la formalité prévue à l’article L.1221-10, relatif à la déclaration préalable à l’embauche ;

2° Soit de se soustraire intentionnellement à l’accomplissement de la formalité prévue à l’article L.3243-2, relatif à la délivrance d’un bulletin de paie, ou de mentionner sur ce dernier un nombre d’heures de travail inférieur à celui réellement accompli, si cette mention ne résulte pas d’une convention ou d’un accord collectif d’aménagement du temps de travail conclu en application du titre II du livre Ier de la troisième partie;

3° Soit de se soustraire intentionnellement aux déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales assises sur ceux-ci auprès des organismes de recouvrement des contributions et cotisations sociales ou de l’administration fiscale en vertu des dispositions légales.

En l’espèce, il apparaît que l’employeur a intentionnellement dissimulé l’emploi Mme [Y] au regard :

– de la condamnation définitive de Mme [J] par le tribunal correctionnel de Beauvais le 1er décembre 2022 qui l’a déclarée coupable d’avoir, durant la période du 29 juillet 2019 au 29 juillet 2020, dissimulé l’emploi de Mme [Y] et Mme [M] en les employant sans effectuer la remise d’un bulletin de paie et sans avoir effectué de déclaration préalable à l’embauche ;

– du procès verbal 13/2021 dressé le 15 février 2021 par l’inspection du travail, dont il ressort que suite à un contrôle réalisé le 22 septembre 2020 au sein du salon de coiffure, il a été constaté d’une part que la société constituée le 12 novembre 2019 n’avait effectué les déclarations sociales nominatives pour ses salariés auprès de l’URSSAF que le 9 juin 2020 soit plus de 10 mois après leur embauche en septembre 2019, après que l’une des salariées se soit présentée à la gendarmerie pour faire état des difficultés ainsi rencontrées avec son employeur, et d’autre part qu’à la date de clôture de la procédure, l’URSSAF n’avait toujours pas réceptionné les déclarations sociales nominatives (DSN) des salariées pour les périodes de juillet 2019 à février 2020, les droits sociaux des salariées ne pouvant donc pas être validés sur cette période ;

– de la reconnaissance par la société en la présente procédure que les bulletins de paie de Mme [Y] ne lui ont été remis qu’en mai 2020.

L’employeur tente vainement de se dédouaner en expliquant, sans preuve, que les difficultés seraient imputables au premier comptable embauché ou encore aux lenteurs administratives et à des difficultés d’enregistrement de la société dont elle ne serait pas responsable, contestant toute intention de dissimulation. Il sera en outre précisé que, si la société fait état d’une attestation de déclaration préalable à l’embauche établie par l’URSSAF dans son bordereau de communication de pièces, elle concerne Mme [M] et non Mme [Y], alors par ailleurs que les quelques DSN produites établies en juin 2020 ne démontrent pas que l’URSSAF a effectivement été destinataire des déclarations sociales nominatives (DSN) des deux salariées pour l’ensemble de la période de juillet 2019 à février 2020. Par ailleurs, rien ne démontre que la saisie-attribution du 13 mars 2020 à la requête de l’URSSAF concernerait la situation de Mme [Y]. Les autres arguments de la société sont tout aussi inopérants.

En conséquence du travail dissimulé imposé à Mme [Y], il lui sera accordé l’indemnité exactement retenue par le conseil de prud’hommes et non spécifiquement remise en cause à titre subsidiaire par la société. La décision déférée sera confirmée.

4. Sur la démission

Mme [Y] fait valoir que sa démission était équivoque compte tenu du contexte conflictuel lié à l’absence de remise des bulletins de salaire, au travail dissimulé, et au harcèlement moral et doit donc s’analyser en prise d’acte. Elle soutient qu’au regard des manquements graves de l’employeur, la rupture lui est imputable, de telle sorte qu’elle doit produire les effets d’un licenciement nul du fait du harcèlement moral, ou subsidiairement d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

La société répond en substance que la démission n’était aucunement équivoque et que la rupture ne lui est aucunement imputable, les manquements n’étant pas établis au jour du courrier de la salariée puisqu’elle était alors notamment en possession de l’ensemble de ses bulletins de paie remis en mai. Elle réplique que la démission est intervenue uniquement parce que Mme [Y] avait trouvé un emploi dans un autre salon, la salariée ayant même détourné de la clientèle.

Sur ce,

La démission est un acte unilatéral par lequel le salarié manifeste de façon claire et non équivoque sa volonté de mettre fin au contrat de travail.

Lorsque le salarié, sans invoquer un vice du consentement de nature à entraîner l’annulation de la démission, remet en cause celle-ci en raison de faits ou manquements imputables à son employeur, le juge doit, s’il résulte de circonstances antérieures ou contemporaines de la démission qu’à la date à laquelle elle a été donnée, celle-ci était équivoque, l’analyser en une prise d’acte de la rupture, qui produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, si les faits invoqués la justifiaient, ou, dans le cas contraire, d’une démission.

Aux termes de l’article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. L’article L.1152-3 du même code ajoute que toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance de ces dispositions est nul. Il en résulte que le licenciement pour une inaptitude qui trouve son origine dans le harcèlement moral dont un salarié a fait l’objet est nul.

En l’espèce, Mme [Y] a adressé à son employeur un courrier de démission daté du 27 juillet 2020 ainsi rédigé : «Madame,

J’ai l’honneur de vous informer de ma décision de démissionner de mes fonctions de coiffeuse exercées depuis le 29 juillet 2019 au sein de l’entreprise.

J’ai bien noté que les termes de mon contrat de travail prévoient un préavis de un mois.

Cependant, je sollicite la possibilité d’effectuer ce préavis en congés payés et par conséquent, de quitter l’entreprise à la date de la réception de ma lettre de démission mettant ainsi fin à mon contrat de travail.

Je vous remercie de bien vouloir me confirmer votre accord concernant la dispense de préavis.

Lors de mon dernier jour de travail, je vous demanderai de bien vouloir me transmettre un reçu pour solde de tout compte, un certificat de travail ainsi qu’une attestation Pôle emploi.

Je vous pris d’agréer, Madame, l’expression de mes salutations distinguées.»

Si les termes employés dans la lettre de démission expriment de manière claire et précise la volonté de la salariée de mettre rapidement fin à son contrat de travail, il demeure que Mme [Y] indique avoir pris cette décision dans un contexte de manquements graves de l’employeur qu’elle justifie avoir interpellé antérieurement à ce courrier, le 29 avril 2020, sur l’absence de communication de ses bulletins de salaire depuis juillet 2019, alors que la situation n’a été régularisée que très peu de temps avant la démission, et uniquement après que l’autre employée du salon se soit présentée à la gendarmerie pour se plaindre du comportement de l’employeur. Elle justifie également qu’un contrôle par l’inspection du travail accompagnée de la gendarmerie était intervenu en février 2020 et qu’une enquête sur une infraction de travail dissimulé était en cours au moment de sa démission, tant en droit du travail qu’au pénal.

Il s’en déduit qu’il existait un litige entre les parties contemporain à la démission, qui rend celle-ci équivoque. Il appartient donc à Mme [Y] d’établir des manquements suffisamment graves de l’employeur empêchant la poursuite de la relation de travail à cette date.

Mme [Y] reproche en particulier à l’employeur des faits de harcèlement moral, non établis au regard des développements qui précèdent, et de travail dissimulé qui, en revanche, a été reconnu par une décision définitive du tribunal correctionnel pour la période de juillet 2019 à juillet 2020 et a été retenu dans la présente décision au vu des développements qui précèdent.

La persistance pendant plus de 8 mois de l’absence de communication des bulletins de salaire alors que les bulletins de paie communiqués en mai 2020 portaient la mention que l’inscription à l’URSSAF était «en cours», la déclaration d’embauche extrêmement tardive, et la persistance au moment de la démission de l’absence d’une régularisation complète de la situation de la salariée empêchant la validation totale de ses droits sociaux (au regard notamment des extraits de relevés de carrière de la salariée édités le 29 juin 2021 et le 20 juillet 2021 confirmant l’absence de prélèvement à la source pour les exercices 2019 et 2020 et du procès verbal d’enquête de l’inspection du travail du 15 février 2021 dont il ressort sans équivoque que le compte URSSAF de la société n’a été ouvert que le 30 juillet 2020, que les DSN effectués à cette date correspondent uniquement aux salaires versés depuis mars 2020 mais aussi que la situation n’était toujours pas complètement régularisée plusieurs mois après la lettre de démission), caractérisent la gravité de ce manquement.

Sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres griefs allégués par la salariée, il résulte de ces éléments pris ensemble que le manquement fautif de l’employeur est suffisamment grave pour empêcher la poursuite du contrat de travail. Il y a donc lieu de requalifier la démission de Mme [Y] en prise d’acte de la rupture du contrat de travail qui doit produire les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, étant souligné qu’en l’absence de harcèlement moral la rupture ne peut ici produire les effets d’un licenciement nul.

La salariée peut dès lors prétendre non seulement aux indemnités de rupture, mais également à des dommages et intérêts à raison de la rupture injustifiée.

Compte-tenu de la date de rupture du contrat de travail sont applicables les dispositions de l’article L.1235-3 du code du travail dans sa version issue de l’ordonnance nº 2017-1387 du 22 septembre 2017. Selon ces dispositions si le licenciement d’un salarié survient pour une cause qui n’est pas réelle et sérieuse, en cas de refus de la réintégration du salarié dans l’entreprise, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de 1’employeur, dont le montant est compris entre les montants minimaux et maximaux fixés par ledit article, en fonction de l’ancienneté du salarié dans l’entreprise et du nombre de salariés employés habituellement dans cette entreprise.

Pour une ancienneté de moins de deux ans dans une entreprise employant habituellement moins de onze salariés, l’article L.1235-3 du code du travail prévoit une indemnité d’un minimum de 0,5 mois de salaire.

Par la perte de son emploi dans ces circonstances, Mme [Y] a subi un préjudice qui, au regard de son peu ancienneté dans l’entreprise depuis septembre 2019, de son âge (comme étant née en 1985), de son salaire moyen, du fait qu’elle a rapidement retrouvé un emploi, et des conséquences du licenciement à son égard telles qu’elles résultent des pièces et des explications fournies, la cour retient que l’indemnité à même de réparer intégralement le préjudice de la salariée doit être évalué à la somme de 2 000 euros exactement retenue par les premiers juges à titre de dommages et intérêts.

Les premiers juges ont également exactement alloué à l’intéressée une indemnité compensatrice de préavis à hauteur de 2 717,72 euros, outre les congés payés correspondants de 271,77 euros, montants que l’employeur ne conteste pas spécifiquement à titre subsidiaire.

Il sera en enfin fait droit à la demande d’indemnité légale de licenciement d’un montant exactement calculé par les premiers juges de 7 473,73 euros, qui n’est pas non plus spécifiquement contestée à titre subsidiaire par l’employeur en son calcul ou en son montant.

Le jugement sera donc confirmé.

5. Sur la remise des documents de fin de contrat

Il convient d’ordonner à l’employeur de remettre à la salariée un bulletin de paie, un certificat de travail, un solde de tout compte et une attestation Pôle emploi conformes au présent arrêt. La nécessité d’assortir cette obligation d’une astreinte n’est pas démontrée.

6. Sur les autres demandes

L’issue du procès conduit à confirmer le jugement s’agissant des dépens et frais irrépétibles.

L’employeur, qui perd le procès en appel, doit en supporter les dépens et sera condamné à verser à la salariée la somme indiquée au dispositif sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile. Il sera débouté de sa propre demande de ce chef.

PAR CES MOTIFS :

La cour, statuant par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,

Confirme le jugement déféré en ses dispositions soumises à la cour, sauf en ce qu’il a rejeté la demande de requalification du contrat de travail à temps partiel en temps plein et la demande de rappel de salaire subséquente et sauf à préciser que les documents de fin de contrat à remettre doivent être conformes à la présente décision ;

L’infirme de ces seuls chefs ;

Statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant,

Requalifie le contrat de travail à temps partiel de Mme [Y] en un contrat de travail à temps plein ;

Condamne la société Isa coiff à payer à Mme [Y] la somme de 3 190,54 euros à titre de rappel de salaire du fait de cette requalification ;

Ordonne à la société Isa coiff de remettre à Mme [Y] un bulletin de paie, un certificat de travail, un solde de tout compte et une attestation Pôle emploi conformes au présent arrêt ;

Rejette la demande d’astreinte ;

Condamne la société Isa coiff aux dépens d’appel et à payer à Mme [Y] sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile la somme de 2 500 euros pour les frais engagés en cause d’appel.

LA GREFFIERE, LA PRESIDENTE.

 


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