Saisie-attribution : décision du 18 janvier 2024 Cour d’appel de Bordeaux RG n° 23/02619

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Saisie-attribution : décision du 18 janvier 2024 Cour d’appel de Bordeaux RG n° 23/02619

18 janvier 2024
Cour d’appel de Bordeaux
RG n°
23/02619

COUR D’APPEL DE BORDEAUX

DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE

————————–

ARRÊT DU : 18 JANVIER 2024

N° RG 23/02619 – N° Portalis DBVJ-V-B7H-NJE3

Monsieur [M] [D]

c/

Madame [J] [E]

Nature de la décision : AU FOND

Grosse délivrée le :

aux avocats

Décision déférée à la cour : jugement rendu le 16 mai 2023 (R.G. 23/00856) par le Juge de l’exécution de BORDEAUX suivant déclaration d’appel du 1er juin 2023

APPELANT :

[M] [D]

entrepreneur individuel exerçant sur le numéro SIREN [Numéro identifiant 5], domicilié professionnellement à La Compagnie de domiciliation, [Adresse 3] à [Localité 6], ayant précédemment procédé à une déclaration d’affectation de patrimoine soumise au régime de l’entrepreneur à responsabilité limitée et constitué une EIRL dénommée « EIRL BECR »

né le [Date naissance 1] 1985 à [Localité 9]

de nationalité Française

Profession : Entrepreneur individuel,

demeurant Compagnie de domiciliation [Adresse 3]

Représenté par Me Arthur CAMILLE, de la SELARL AUSONE AVOCATS, avocat au barreau de BORDEAUX, substitué par Me Marc CASSIEDE, de la SELARL AUSONE AVOCATS, avocat au barreau de BORDEAUX

INTIMÉE :

[J] [E]

née le [Date naissance 2] 1985 à [Localité 8]

de nationalité Française,

demeurant [Adresse 4]

Représentée par Me David CZAMANSKI de la SCP LATOURNERIE – MILON – CZAMANSKI – MAZILLE, avocat au barreau de BORDEAUX, substitué par Me CHOPLIN, avocat au barreau de BORDEAUX

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 912 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 06 décembre 2023 en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame Christine DEFOY, Conseiller chargé du rapport,

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Monsieur Jacques BOUDY, Président,

Monsieur Rémi FIGEROU, Conseiller,

Madame Christine DEFOY, Conseiller,

Greffier lors des débats : Madame Véronique SAIGE

Greffier lors du délibéré : Madame Mélody VIGNOLLE-DELTI

ARRÊT :

– contradictoire

– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile.

*****

FAITS ET PROCÉDURE :

Selon un devis de septembre 2016, Madame [J] [E], propriétaire d’un garage à aménager sur une parcelle située à [Localité 7], a confié à Monsieur [M] [D], exerçant son activité professionnelle dans le cadre de l’EIRL Becr, la réalisation de travaux de rénovation et d’aménagement de ce garage pour la somme de 125 000 euros TTC.

Un second devis daté du 17 janvier 2017, portant sur la création d’une piscine pour un montant de 28 098,40 euros a été signé entre les parties.

Le chantier a débuté le 23 janvier 2017.

Mme [E] s’est plainte d’un retard dans la réalisation des travaux et de l’existence de différentes malfaçons.

Par acte du 24 septembre 2018, Mme [E] a saisi le juge des référés près le tribunal de grande instance de Bordeaux en vue de solliciter la réalisation d’une expertise judiciaire. Par ordonnance du 19 novembre 2018, le juge a fait droit à cette demande et a désigné Mme [B] en qualité d’expert, laquelle a remis son rapport le 25 février 2021.

Par acte du 17 juin 2021, Mme [E] a saisi le tribunal judiciaire de Bordeaux d’une action indemnitaire dirigée contre l’EIRL Becr.

Par jugement du 20 juillet 2022, le tribunal judiciaire de Bordeaux a :

– débouté l’EIRL Becr de l’intégralité de ses prétentions,

– déclaré l’EIRL Becr entièrement responsable du préjudice subi par Mme [E],

– condamné l’EIRL Becr à payer à Mme [E] la somme de 26 080,16 euros TTC avec indexation sur l’indice BT01 du coût de la construction au titre du préjudice matériel,

– condamné l’EIRL Becr à payer à Mme [E] la somme de 2 000 euros au titre du préjudice de jouissance,

– condamné l’EIRL Becr à payer à Mme [E] la somme de 2 500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,

– rejeté la demande formée par l’EIRL Becr sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamné l’EIRL Becr aux entiers dépens, en ceux compris les frais d’expertise judiciaire avec distraction au profit de la SCP Latournerie Milon Czamanski Mazille par application des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile,

– rappelé que la présente décision est exécutoire de droit à titre provisoire.

En vertu de ce jugement, Mme [E] a fait dresser, le 21 décembre 2022, un procès-verbal de saisie-attribution à l’encontre de L’EIRL Becr entre les mains de la banque Olinda pour avoir paiement de la somme de 36 673,89 euros.

La mesure de saisie-attribution a été dénoncée au débiteur le 27 décembre 2022. Le délai de contestation a expiré le 27 janvier 2023. Le tiers saisi a déclaré détenir des comptes créditeurs à hauteur de 147,93 euros, solde bancaire insaisissable déduit.

Suivant acte de commissaire de justice délivré le 27 janvier 2023, M. [D] a assigné Mme [E] devant le juge de l’exécution du tribunal judiciaire de Bordeaux afin de contester la mesure ainsi pratiquée à son encontre.

Par jugement du 16 mai 2023, le juge de l’exécution du tribunal judiciaire de Bordeaux a :

– déclaré M. [D] recevable en sa contestation,

– débouté M. [D] de l’intégralité de ses demandes,

– condamné M. [D] à verser la somme de 800 euros à Mme [E] au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamné M. [D] [M] aux entiers dépens de l’instance, en ce compris les frais de la mesure d’exécution forcée,

– rappelé que la présente décision est exécutoire de droit à titre provisoire en application de l’article R 121-21 du code des procédures civiles d’exécution.

M. [D] a relevé appel de l’intégralité du jugement le 1er juin 2023, sauf en ce qu’il l’a déclaré recevable en sa contestation et rappelé l’exécution provisoire de droit.

L’ordonnance du 11 juillet 2023 a fixé l’affaire à l’audience des plaidoiries du 6 décembre 2023 avec clôture de la procédure au 22 novembre.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 13 juillet 2023, M. [D] demande à la cour, sur le fondement des articles L.213-6 du code de l’organisation judiciaire, L.526-6 du code de commerce, R.211-1 du code des procédures civiles d’exécution, de :

– le déclarer recevable et bien fondé en ses demandes,

– constater que le jugement du tribunal judiciaire de Bordeaux en date du 20 juillet 2022 condamne une entité dépourvue de la personnalité juridique,

– constater que l’acte de saisie-attribution vise une entité dépourvue de la personnalité juridique,

en conséquence,

– déclarer que le jugement entrepris en date du 20 juillet 2022 porte des obligations insusceptibles d’exécution,

– infirmer le jugement rendu par le juge de l’exécution près le tribunal judiciaire de Bordeaux en date du 16 mai 2023 en ce qu’il a statué comme suit :

– débouté M. [D] de l’intégralité de ses demandes,

– condamné M. [D] à verser la somme de 800 euros à Mme [E] au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamné M. [D] aux entiers dépens de l’instance en ce compris les frais de la mesure d’exécution forcée,

et statuant de nouveau,

– prononcer la nullité de l’acte de saisie-attribution du 21 décembre 2022,

– ordonner la mainlevée de la saisie pratiquée,

– condamner Mme [E] à lui payer une indemnité de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens de la première instance et d’appel.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 11 août 2023, Mme [E] demande à la cour de :

– confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le juge de l’exécution du tribunal judiciaire de Bordeaux le 16 mai 2023,

en conséquence,

– de débouter M. [D] de sa demande de nullité de la saisie-attribution pratiquée le 21 décembre 2022,

– débouter M. [D] de sa demande de mainlevée de la saisie attribution pratiquée le 21 décembre 2022,

y ajoutant,

– condamner M. [D] à lui payer une indemnité de 2 000 euros par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, outre les dépens avec distraction au profit de la SCP Latournerie Milon Czamanski Mazille par application des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

En application de l’article 455 du code de procédure civile, il convient de se reporter aux dernières conclusions des parties pour un exposé détaillé de leurs prétentions et moyens.

MOTIFS :

Sur La validité de la mesure de saisie-attribution,

L’article L211-1 du code des procédures civiles d’exécution dispose que tout créancier muni d’un titre exécutoire constatant une créance liquide et exigible peut, pour en obtenir le paiement, saisir entre les mains d’un tiers les créances de son débiteur portant sur une somme d’argent, sous réserve des dispositions particulières à la saisie des rémunérations prévue par le code du travail.

De plus, l’article L213-6 alinéa 1 du code de l’organisation judiciaire dispose que le juge de l’exécution connaît de manière exclusive des difficultés relatives aux titres exécutoires et des contestations qui s’élèvent à l’occasion de l’exécution forcée, même si elles portent sur le fond du droit, à moins qu’elles n’échappent à la compétence des juridictions de l’ordre judiciaire.

En l’espèce, M. [D] critique la mesure de saisie-attribution qui a été pratiquée à son encontre le 21 décembre 2022, sur le fondement du jugement du 20 juillet 2022 du tribunal judiciaire de Bordeaux, faisant valoir que Mme [E] ne dispose pas d’un titre exécutoire valable pour procéder à cette mesure, le juge de l’exécution étant compétent pour procéder à une telle vérification en application de l’article L.213-6 du code de l’organisation judiciaire.

En effet, il considère que le jugement susvisé, qui emporte condamnation à l’encontre d’une EIRL dont le but est la constitution d’un patrimoine d’affectation, en application de l’article L.526-6 du code de commerce, ne peut être mis à exécution, dès lors que cette EIRL ne dispose pas de la personne morale. Pour l’appelant, l’EIRL n’ayant pas d’existence juridique autonome, elle ne peut être titulaire de droits et d’obligations et partant se voir attribuer la qualité de créancier ou de débiteur, seul l’entrepreneur, personne physique, disposant de la qualité de sujet de droit.

En conséquence, M. [D] en conclut que le jugement du 20 juillet 2022 invoqué au soutien des actes d’exécution contient une irrégularité sur la désignation du débiteur, laquelle compromet son efficacité et rend les obligations qui en sont issues insusceptibles d’exécution. Il en résulte selon lui que la saisie-attribution litigieuse, pratiquée à l’encontre de l’EIRL Becr, et donc d’une entité dépourvue de personnalité juridique, est nulle et de nul effet.

Mme [E] répond que le moyen selon lequel l’EIRL Becr est dépourvue de personnalité juridique aurait dû être soulevé dans le cadre de la procédure devant le tribunal judiciaire de Bordeaux dans laquelle l’EIRL Becr était représentée et a conclu. En tout état de cause, elle ajoute qu’il est de jurisprudence constante que l’erreur commise sur la désignation du débiteur, résultant de la particularité du statut de l’EIRL, n’affecte nullement la capacité à agir à l’encontre de cette dernière. Si une EIRL n’a pas la personnalité morale, il n’en demeure pas moins que l’entrepreneur individuel la représentant en dispose, celui-ci ayant la personnalité juridique attachée à celle de l’entrepreneur individuel. Elle conclut donc à la confirmation du jugement déféré qui a retenu que le jugement servant de base aux poursuites était exécutable et que la saisie-attribution pratiquée le 21 décembre 2022 en exécution de ce dernier n’encourait aucune nullité.

Il est constant que la loi 2010-658 du 15 juin 2010 qui a créé le statut de l’EIRL a donné lieu à la création de l’article L526-6 du code de commerce qui prévoit en son alinéa 1 que ‘ pour l’exercice de son activité en tant qu’entrepreneur à responsabilité limité, l’entrepreneur affecte à son activité un patrimoine séparé de son patrimoine personnel, sans création d’une personne morale, dans les conditions prévues à l’article 526-7″.

A la lecture du texte susvisé, il appert que la création d’une EIRL conduit à la constitution d’un patrimoine d’affectation, sans pour autant que soit créée une personne morale, l’entrepreneur individuel disposant seul de la qualité de sujet de droit et de la capacité juridique à agir en justice et à recueillir les droits et obligations qui en découlent. L’EIRL n’a donc pas d’existence juridique autonome, en sorte que toute décision rendue à son encontre est inexécutable dès lors qu’elle n’a pas la personnalité juridique.

En l’espèce, le jugement du 20 juillet 2022 du tribunal judiciaire de Bordeaux sur lequel se fondent les poursuites a été rendu contre L’EIRL Becr, sans qu’à aucun moment, il ne soit fait mention de sa représentation par M. [M] [D]. Cette décision emporte donc condamnation d’une personne juridique inexistante en sorte qu’elle n’est pas exécutable. Il en résulte que la saisie-attribution litigieuse, qui a été mise en oeuvre sur le fondement d’un titre exécutoire parfaitement inexécutable, est nulle et de nul effet et doit être levée.

Le jugement entrepris sera donc infirmé en toutes ses dispositions et notamment en ce qu’il a débouté M. [M] [D] de ses contestations, considérant le jugement du 20 juillet 2022 comme parfaitement exécutable.

Sur les autres demandes,

Il ne paraît pas inéquitable de condamner Mme [E], qui succombe en cause d’appel, à payer à M. [D] la somme de 2000 euros, en application de l’article 700 du code de procédure civile ainsi que les entiers dépens de première instance et d’appel.

Mme [E] sera pour sa part déboutée de ses demandes formées à ces titres.

PAR CES MOTIFS :

La cour, statuant publiquement, par décision contradictoire, mise à disposition au greffe et en dernier ressort,

Dans les limites de l’appel ,

Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,

Statuant à nouveau,

Prononce la nullité de la mesure de saisie-attribution pratiquée par Mme [J] [E] le 21 décembre 2022 à l’encontre de L’EIRL Becr,

Ordonne en conséquence la mainlevée de cette mesure de saisie-attribution,

Y ajoutant,

Condamne Mme [J] [E] à payer à M. [M] [D] la somme de 2000 euros, en application de l’article 700 du code de procédure civile,

Condamne Mme [J] [E] aux entiers dépens de première instance et d’appel,

Déboute Mme [J] [E] de ses demandes formées à ces titres.

La présente décision a été signée par Monsieur Jacques BOUDY, président, et Madame Mélody VIGNOLLE-DELTI, greffier, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LE GREFFIER LE PRESIDENT

 


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