Saisie-attribution : décision du 15 janvier 2024 Tribunal judiciaire de Bordeaux RG n° 23/03009

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Saisie-attribution : décision du 15 janvier 2024 Tribunal judiciaire de Bordeaux RG n° 23/03009

15 janvier 2024
Tribunal judiciaire de Bordeaux
RG n°
23/03009

Du 15 janvier 2024

5AZ

SCI/

PPP Contentieux général

N° RG 23/03009 – N° Portalis DBX6-W-B7H-YG5A

[H] [J]

C/

S.A.S. IMMO DE FRANCE venant au droit de la SAS ICADE-ADB, [S] [V] épouse [E], [K] [W], [C] [E]

– Expéditions délivrées à
Me Peggy OKOI
Maître Fabien DUCOS-ADER
Me Marlène DURAND

– FE délivrée à
Me Peggy OKOI
Maître Fabien DUCOS-ADER

Le 15/01/2024

Avocats : la SELARL DUCOS-ADER / OLHAGARAY & ASSOCIES
Me Fabien DUCOS-ADER
Me Marlène DURAND
Me Peggy OKOI

TRIBUNAL JUDICIAIRE DE BORDEAUX
JUGE DES CONTENTIEUX DE LA PROTECTION
Pôle protection et proximité
[Adresse 3]

JUGEMENT EN DATE DU 15 janvier 2024

JUGE : Madame Edith VIDALIE-TAUZIA, Magistrat

GREFFIER : Madame Françoise SAHORES,

DEMANDEUR :

Monsieur [H] [J]
né le 11 Août 1979 à [Localité 18]
[Adresse 2]
[Localité 5]

Représenté par Me Peggy OKOI (Avocat au barreau de BORDEAUX)

DEFENDEURS :

S.A.S. IMMO DE FRANCE venant au droit de la SAS ICADE-ADB
[Adresse 9]
[Localité 4]

Représenté par Maître Fabien DUCOS-ADER de la SELARL DUCOS-ADER / OLHAGARAY & ASSOCIES – Me Fabien DUCOS-ADER (Avocat au barreau de BORDEAUX)

Madame [S] [V] épouse [E]
née le 26 Août 1956 à [Localité 15]
[Adresse 10]
[Localité 8]

Représenté par Maître Fabien DUCOS-ADER de la SELARL DUCOS-ADER / OLHAGARAY & ASSOCIES – Me Fabien DUCOS-ADER (Avocat au barreau de BORDEAUX

Monsieur [C] [E]
né le 26 Janvier 1954 à [Localité 16]
[Adresse 10]
[Localité 8]

Représenté par Maître Fabien DUCOS-ADER de la SELARL DUCOS-ADER / OLHAGARAY & ASSOCIES – Me Fabien DUCOS-ADER (Avocat au barreau de BORDEAUX

Madame [K] [W]
née le 29 Avril 1964 à [Localité 14]
[Adresse 1]
[Localité 6]

Représentée par Me Marlène DURAND (Avocat au barreau de BORDEAUX)

DÉBATS :

Audience publique en date du 20 Novembre 2023

PROCÉDURE :

Articles 480 et suivants du code de procédure civile.

EXPOSÉ DU LITIGE :

Suivant acte sous seing privé en date du 30 octobre 2006, Madame [S] [V] épouse [E] et Monsieur [C] [E] (ci-après les époux [E]), représentés par l’agence ICADE ADB, ont donné à bail d’habitation à Monsieur [H] [J] et Madame [K] [W] un appartement situé [Adresse 7], moyennant un loyer mensuel de 870 euros, garanti par le cautionnement solidaire de Monsieur [L] [W] et Madame [Z] [I] épouse [A].

Le 16 décembre 2014, les bailleurs ont fait signifier aux preneurs un commandement de payer visant la clause résolutoire pour le paiement de la somme en principal de 3.016,60 euros et ont dénoncé l’acte aux cautions.
Par actes d’huissier des 24 février, 2 et 3 mars 2015, les époux [E] ont fait assigner Monsieur [H] [J], Madame [K] [W], Monsieur [L] [W] et Madame [Z] [I] épouse [A] aux fins de faire constater la résolution du bail, d’expulsion et de condamnation solidaire au paiement des loyers impayés, de la clause pénale et d’une indemnité d’occupation.

Par ordonnance de référé en date du 30 octobre 2015 rectifiée par ordonnance en date du 22 mai 2018, le juge d’instance de Bordeaux a constaté la résolution du bail, condamné les locataires et les cautions solidairement au paiement de la somme de 9.785,78 euros au titre des loyers et charges arriérés, a ordonné l’expulsion de Monsieur [H] [J] et de Madame [K] [W] et a fixé à titre provisionnel le montant de l’indemnité d’occupation due au montant égal du loyer et des charges.

Par assignation en date du 2 juillet 2019, M. [H] [J] a saisi le juge des référés pour qu’il soit jugé, à titre principal, qu’il n’est pas signataire du contrat de bail consenti à Mme [K] [W] par les époux [E] le 30 octobre 2006.
Selon une ordonnance du 8 novembre 2019, le juge des référés a déclaré recevable sa demande en rapport de l’ordonnance du 30 octobre 2015 et a ordonné une expertise graphologique en désignant Mme [R] [O] en qualité d’expert.
L’expert a rendu son rapport d’expertise le 26 août 2020.

Par acte d’huissier en date du 2 décembre 2020, M. [H] [J] a fait assigner Mme [K] [W], les époux [E] et la société ICADE ABD devant le tribunal judiciaire de Bordeaux pour qu’il soit constaté qu’il n’est pas signataire du contrat de bail consenti à Mme [K] [W] par les époux [E] et par l’intermédiaire de l’agence immobilière ICADE ABD et soit prononcé la nullité du bail. A titre subsidiaire, il a sollicité l’inopposabilité du bail et de ses suites à son égard et la remise en état dans sa situation antérieure en le relevant indemne de toutes condamnations prononcées à son encontre.

Par jugement en date du 29 juin 2023, la 5ème chambre civile du tribunal judiciaire de Bordeaux a ordonné que le dossier soit adressé par le greffe à la chambre de proximité du tribunal judiciaire.

Les parties ont été convoquées à l’audience du 18 octobre 2023 devant le juge des contentieux de la protection du Pôle Protection et Proximité du tribunal judiciaire pour la poursuite de l’instance, étant précisé que le juge des contentieux de la protection statuant en référé le 8 novembre 2019 avait vidé sa saisine et que l’instance n’était plus en cours devant lui.

L’affaire a été reportée à l’audience du 20 novembre 2023 pour être plaidée.

M. [H] [J], représenté par avocat, sollicite du juge des contentieux de la protection au visa des articles 1240 et suivants, 1116 et suivants en leur rédaction antérieure au 1er octobre 20216, 1137 et suivants, 1991 et 2241 du code civil et des dispositions de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 :
*A titre principal de :
– dire qu’il est bien fondé et recevable en ses demandes,
– constater qu’il n’est pas signataire du bail consenti à Mme [K] [W] par les époux [E] par l’intermédiaire de l’agence immobilière ICADE ABD le 30 octobre 2006,
– prononcer à son égard la nullité du bail
*A titre subsidiaire de dire que le bail et ses suites lui sont inopposables,
* En tout état de cause, de :
– le remettre dans sa situation antérieure au bail,
– le relever indemne de toutes les condamnations prononcées à son encontre au terme de l’ordonnance du 30 octobre 2015,
– ordonner la restitution à son profit de l’intégralité des sommes perçues par et pour le compte de M. [C] [E] et Mme [S] [E], les frais des procédures de recouvrement, en quittance et deniers compris,
– condamner M. [C] et Mme [S] [E] à lui verser la somme de 6.215,60 euros avancée pour son compte par la préfecture,
– condamner in solidum et solidairement les défendeurs à lui verser la somme de 3.500 euros au titre de la réparation de son préjudice
– à défaut condamner Mme [K] [W] à lui verser la somme de 3.500 euros à titre de réparation de son préjudice et condamner in solidum les défendeurs à lui verser la somme de 5.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile

– à défaut condamner Mme [K] [W] à lui payer la somme de 5.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et condamner in solidum les défendeurs aux entiers dépens exposés en référé, devant le tribunal judiciaire de Bordeaux et pour la présente instance, y compris les frais exposés par lui pour l’expertise,
– ordonner l’exécution provisoire de la décision à intervenir.

Il conclut à titre principal à la nullité du bail litigieux et de ses suites, à titre subsidiaire à son inopposabilité à son égard, par application du principe selon lequel la fraude corrompt tout. Il invoque les dispositions de l’article 1137 du code civil ou celles anciennes des articles 1116 et suivants du code civil. Il soutient qu’il n’est pas l’auteur des signatures portées à son nom sur le contrat de bail et s’appuie à cette fin sur le rapport d’expertise. Il explique qu’il avait été sollicité par sa tante en vue de se porter caution et que c’est dans ce contexte qu’il lui a transmis des documents, que néanmoins il n’a pas eu à se porter caution car sa tante avait obtenu un autre cautionnement et qu’il n’imaginait qu’elle utiliserait ces documents à d’autres fins alors qu’elle devait les détruire. Il soutient n’avoir eu connaissance du bail et des décisions que lors du recouvrement forcé engagé à son encontre en novembre 2017 et qu’il était donc recevable à agir jusqu’en novembre 2022. Il invoque en outre le caractère interruptif de l’assignation en référé qu’il a diligentée le 2 juillet 2019. Il observe qu’il est vraisemblable que le bail a été falsifié par la personne qui y avait le plus intérêt, à savoir sa tante. Il invoque aussi la responsabilité extracontractuelle de la société ICADE ABD intervenue en qualité de mandataire dans la conclusion du contrat litigieux. Il lui reproche une imprudence et une négligence fautives car elle n’a pas fait preuve de vigilance permettant de déceler les manœuvres frauduleuses de Mme [K] [W] ayant conduit à la conclusion du bail, alors que de nombreuses anomalies et faisceaux d’indices sur le dol auraient dû attirer son attention. M. [H] [J] indique qu’elle aurait dû vérifier les documents transmis comportant les informations le concernant et s’assurer que le contrat de bail était bien signé par tous les cotitulaires. Il soutient que les époux [E], mandants, doivent restituer les sommes qui leur ont été versées. Enfin, il invoque la responsabilité extracontractuelle de Mme [K] [W], qui a trompé le consentement des époux [E] pour obtenir un logement, et utilisé les documents qu’il lui avait transmis à d’autres fins que celles pour lesquelles il les avait transmis. Il fait valoir que le dol commis par celle-ci à l’encontre des consorts [E] lui a occasionné un préjudice certain, relève que celle-ci s’est maintenue dans les lieux alors qu’elle ne pouvait payer le loyer et malgré la décision d’expulsion. Il relève en outre que Mme [W] avait précédemment opéré selon un même procédé à l’égard de sa mère. Il indique être fondé à obtenir paiement d’une somme de 6.215,60 euros par M. [C] [E] et Mme [S] [V] épouse [E] et de dommages et intérêts en réparation de son préjudice par Mme [K] [W], les bailleurs et l’agence.

M. [C] [E], Mme [S] [V] épouse [E] et la société IMMO DE FRANCE venant aux droits de la SASU ICADE ADB, représentés par avocat, demandent à la juridiction au visa de l’article 1991 et 1992 du code civil :
*A titre principal, de :
– donner acte que M. [H] [J] n’est pas signataire du bail consenti à Mme [K] [W] le 30 octobre 2016,
– débouter M. [H] [J] et Mme [K] [W] de toutes demandes formées à l’encontre de Monsieur et Madame [E] ou de l’agence IMMO DE FRANCE,
– condamner Mme [K] [W] à payer à M. [H] [J] l’intégralité des sommes qu’il a dû payer en exécution du bail falsifié à son insu et pour lequel elle n’a pas payé les loyers qui sont dus aux époux [E]
*A titre subsidiaire, de :
– condamner Mme [K] [W] à payer aux époux [E] et à la société IMMO DE FRANCE toutes les sommes qui pourraient être mises à leur charge,
– condamner Mme [K] [W] à les relever indemnes de toute condamnation prononcée à leur encontre
En tout état de cause, de :
– condamner Mme [K] [W] à payer aux époux [E] la somme de 2.000,00 euros en réparation de leurs préjudices,
– condamner Mme [K] [W] à 3.000,00 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens de l’instance.
Ils concluent au rejet des demandes de M. [H] [J] et Mme [W] à leur encontre en ce qu’ils ont été victimes des manœuvres frauduleuses de cette dernière, lesquelles sont seules à l’origine des mesures d’exécution forcées à l’encontre de M. [H] [J]. Ils précisent que l’arriéré au jour de la libération des lieux s’élevait à près de 25.000 euros sans compter les intérêts et frais exposés. Ils contestent tout manquement pouvant engager leur responsabilité car, d’une part, les époux [E] n’étaient pas en mesure de déceler les manœuvres frauduleuses et d’autre part, l’agence immobilière a signé le bail, selon un dossier complet contenant un ensemble de documents relatifs à M. [J] qui lui a été fourni par l’agence Kantis avec laquelle ICADE ADB avait signé une mandat de délégation de location. Ils estiment que seule Mme [K] [W] a engagé sa responsabilité pleine et entière envers M. [H] [J]. En cas de condamnation à leur encontre ils demandent à être relevés indemnes par Mme [K] [W] de toute condamnation.

Mme [K] [W], représentée par avocat, sollicite du tribunal:
*A titre principal, de :
– constater que les dispositions des articles 1137 et suivants du code civil ne sont pas applicables,
– déclarer M. [H] [J] irrecevable en ses demandes,
– constater la prescription de l’action intentée par M. [H] [J],
– débouter M. [H] [J] de l’ensemble de ses demandes
A titre subsidiaire, de :
– statuer ce que de droit sur la nullité, si l’action était déclarée comme non prescrite
– dire et juger que les éléments caractérisant le dol ne lui sont pas imputables,
– débouter M. [H] [J], M. [C] [E] et Mme [S] [E] de l’intégralité de leurs demandes à son encontre,
* A titre infiniment subsidiaire, de condamner la société IMMO DE France à la relever indemne des condamnations prononcées à son encontre.
Elle explique avoir pris à bail le logement avec M. [H] [J] dans la perspective de pouvoir revenir sur [Localité 11] lors d’une prochaine mutation, que M. [H] [J] a lui-même adressé les documents à l’agence immobilière et précise qu’elle n’est pas la rédactrice du contrat.
Elle conteste l’application des dispositions des articles 1137 et suivants du code civil en ce qu’elles n’étaient pas en vigueur au jour de la conclusion du contrat de bail. Elle conclut également à l’irrecevabilité de la demande de M. [H] [J] pour cause de prescription en soutenant que le bail ayant été signé le 30 octobre 2006, il avait jusqu’au 30 octobre 2011 pour agir, ou au plus tard jusqu’au 2 novembre 2020 soit 5 ans après la notification le 2 novembre 2015 de l’ordonnance du 30 octobre 2015. A titre subsidiaire, elle conteste les allégations des parties selon lesquelles elle a été auteur de manœuvres frauduleuses, qui ne sont d’ailleurs, selon elle, pas démontrées. Elle explique que M. [H] [J] a transmis lui-même les documents à l’agence immobilière, qu’elle n’est pas non plus à l’origine de la signature apposée sur le contrat de bail au nom de M. [H] [J]. Elle fait valoir l’absence de preuve du préjudice allégué par le demandeur pour conclure au rejet de sa demande. Elle conclut également au rejet des demandes des époux [E] en soutenant que celles-ci sont dénuées de fondement juridique et qu’ils sont dépourvues d’intérêt à agir. Selon elle, ils ne justifient d’aucune faute qui lui serait imputable, alors qu’ils ont eux-mêmes signés le bail, représentés par leur mandataire et auraient donc, selon M. [J], accepté de signer un acte qui serait un faux. Elle ajoute qu’ils ne justifient d’aucun préjudice. A titre infiniment subsidiaire, elle demande à être relevée indemne par la société IMMO DE France de toute condamnation à son encontre. Elle fait valoir que l’agence immobilière est fautive en ce qu’elle a accepté soit un faux soit une signature à distance sans s’assurer de l’identité du signataire.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription

Le bail litigieux a été conclu le 30 octobre 2006. Le demandeur fonde sa demande en nullité du bail sur le principe selon lequel la fraude corrompt tout. Il lui est opposé la prescription de son action.

L’ancien article 2262 du code civil, en vigueur lors de la conclusion du contrat disposait que ” toutes les actions, tant réelles que personnelles, sont prescrites par trente ans “.
L’article 1304 ancien du même code en vigueur lors de la conclusion du contrat faisait exception à cette règle en disposant que ” dans tous les cas où l’action en nullité ou en rescision d’une convention n’est pas limitée à un moindre temps par une loi particulière, cette action dure cinq ans. Ce temps ne court dans le cas de violence que du jour où elle a cessé ; dans le cas d’erreur ou de dol, du jour où ils ont été découverts “.
La prescription prévue par l’ancien article 1304 courait donc en principe du jour où l’action en nullité ou en rescision pouvait être intentée, autrement dit du jour où l’acte avait été souscrit, néanmoins en cas de fraude, le délai ne pouvait courir qu’à compter de la découverte de la fraude.

Aux termes de l’article 2224 issu de la loi n°2008-561 du 17 juin 2008 entré en vigueur le 19 juin 2009, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer.

En l’espèce, M. [H] [J] affirme ne pas être signataire du bail conclu le 30 octobre 2006 sur lequel il apparaît comme cotitulaire du bail avec Mme [K] [W].

Il invoque donc la nullité du bail à son égard, ou à tout le moins son inopposabilité, en relevant le caractère frauduleux des agissements qui ont conduit à la conclusion du bail puisque sa signature a été imitée. Il indique n’en avoir eu connaissance qu’en novembre 2017.
Il justifie avoir déposé plainte le 15 novembre 2017 en indiquant “J’ai reçu il y a une semaine une saisie-attribution dont je vous remets copie de maître [N]..me réclamant des loyers impayés pour un montant de 24140.68 euros.je n’ai pas les dates de ces loyers impayés.
J’ai donc pris contact avec l’agence immobilière ayant fait signer le contrat ma banque et l’étude d’huissier.
On m’a alors fourni la copie du contrat de location en question et c’est là que j’ai constaté que j’avais été déclaré en tant que locataire principal avec ma tante alors que je n’ai jamais été d’accord avec cela et je n’ai jamais signé ce contrat sur laquelle une signature est apposée…”

Aucun élément ne permet d’établir que M. [H] [J] ait eu connaissance de l’existence de ce bail avant le début du mois de novembre 2017.

Le commandement de payer du 16 décembre 2014 et l’assignation des 24 février et 2 et 3 mars 2015 devant le juge des référés saisi par M. [C] [E] et Mme [S] [V] épouse [E] ne lui ont pas été délivrés à personne. Il ressort de l’ordonnance de référé du 30 octobre 2015 que M. [H] [J] n’était pas comparant à l’audience et il n’apparaît pas que l’ordonnance lui a été signifiée à personne.

Par ailleurs il ressort de l’article 2241 du code civil que la demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription ainsi que le délai de forclusion.

Par assignation en date du 2 juillet 2019, M. [H] [J] a saisi le juge des référés d’une instance à l’encontre de Mme [K] [W], M. [C] [E] et Mme [S] [V] épouse [E] pour qu’il soit jugé, à titre principal, qu’il n’est pas signataire du contrat de bail consenti à Mme [K] [W] par les époux [E] le 30 octobre 2006. Il n’a pas été débouté de cette demande, puisque le juge des référés l’a jugée recevable et a ordonné une expertise graphologique.

Cette instance en référé a donc interrompu le délai de prescription de cinq ans courant à compter du début du mois de novembre 2017 et M. [H] [J] a ensuite saisi le juge du fond par acte du 1er décembre 2020.

L’action n’est donc pas prescrite.

Sur la dénégation de signature

L’article 1324 ancien du Code Civil en vigueur au jour de la conclusion du contrat litigieux, devenu l’article 1373 du code civil dispose que dans le cas où la partie à laquelle est opposé un acte sous seing privé, désavoue son écriture ou sa signature, la vérification en est ordonnée en justice. Aux termes de l’article 288 du code de procédure civile, il appartient au juge de procéder à la vérification d’écriture au vu des éléments dont il dispose après avoir, s’il y a lieu, enjoint aux parties de produire tous documents à lui comparer et fait composer, sous sa dictée, des échantillons d’écriture.

En l’espèce M. [H] [J], qui contestait la signature qui lui était attribuée sur le contrat de bail signé le 30 octobre 2006, a obtenu du juge des référés la mise en oeuvre d’une expertise graphologique confiée à Mme [R] [O].

L’expert a rendu son rapport d’expertise le 26 août 2020 et a conclu comme suit :
“L’étude intrinsèque et comparative des signatures apposées sur le contrat de location à usage d’habitation principale en date du 30 octobre 2006, pièce de question, aux signatures habituelles et évolutives de Monsieur [H] [J] (signatures de comparaison) fait apparaître que :
– L’importance, en nombre et qualité, des dissemblances relevées entre le graphisme des signatures de question attribuées à Monsieur [H] [J] par les défendeurs et le graphisme des signatures habituelles et naturellement évolutives de Monsieur [H] [J], sont sans conteste, de nature à orienter notre avis vers la différence de main.
-En conséquence, nous pouvons affirmer que Monsieur [H] [J] n’est l’auteur d’aucune des signatures portées en son nom sur le contrat de location à usage d’habitation principale en date du 30 octobre 2006 et annexes (conditions générales).”

Si Mme [K] [W] affirme avoir conclu le bail avec M. [H] [J], elle ne fournit aucune pièce de nature à contredire les conclusions précises, circonstanciées et dépourvues de toute ambiguïté de l’expert.

Dès lors, il est établi que M. [H] [J] n’était pas le signataire du bail.

Sur la nullité du bail ou l’inopposabilité du bail à M. [H] [J]

M. [H] [J] , qui invoque l’adage “Fraus omnia corrumpit”, invoque la nullité ou subsidiairement l’inopposabilité du contrat de bail.

Il résulte de ce qui précède que M. [H] [J] n’est pas signataire du contrat de bail, que Mme [K] [W] quant à elle ne conteste pas avoir signé.

Selon l’article 1165 en vigueur au jour de la conclusion du contrat, devenu l’article 1199 du code civil les conventions n’ont d’effet qu’entre les parties contractantes, ce dont il suit que le contrat est inopposable à celui qui ne l’a pas signé.

M. [H] [J] n’étant pas signataire du bail, il ne peut en invoquer la nullité dès lors que le contrat n’est pas nul entre M. [C] [E] et Mme [S] [V] épouse [E] et Mme [K] [W], et qu’il n’est pas partie à ce contrat.

Par contre il est fondé à invoquer son inopposabilité puisqu’il n’en est pas signataire.

Dès lors le bail sera déclaré inopposable à M. [H] [J].

Sur les conséquence de cette inopposabilité

Il convient de comprendre sa demande tendant à le remettre dans sa situation antérieure au bail et à le relever indemne de toutes les condamnations prononcées à son encontre au terme de l’ordonnance du 30 octobre 2015 rectifiée par ordonnance du 22 mai 2018, qui n’a pas autorité de chose jugée au fond, comme tendant à juger qu’il n’est tenu au paiement d’aucune somme envers M. [C] [E] et Mme [S] [V] épouse [E], au titre des loyers et charges impayées, intérêts, indemnités d’occupation, frais irrépétibles et dépens mis à sa charge par ladite ordonnance, Mme [K] [W] demeurant dès lors seule débitrice avec les cautions.

Les condamnations prononcées à son encontre dans le cadre de cette décision doivent donc être mises à néant.

En conséquence, M. [C] [E] et Mme [S] [V] épouse [E] seront tenus de restituer à M. [H] [J] toutes les sommes en principal, intérêts et frais qui ont été recouvrés par voie d’exécution forcée de leur chef à son encontre, sur production de justificatifs par M. [H] [J], dont la juridiction ne peut que constater qu’il n’a pas produit, dans le cadre de la procédure, de pièces concernant les sommes recouvrées à son encontre.

S’agissant de la somme de 6.215,60 euros dont M. [H] [J] réclame le remboursement, il est établi qu’un titre de perception a été émis à son encontre et à l’encontre de Mme [K] [W] pour un montant de 6.215,60 euros.
Ce titre est motivé comme suit “suite à la dette locative reconnue par arrêté préfectoral en date du 10/05/2017, l’Etat, Ministère de l’intérieur, a versé au bailleur au titre de l’occupation des locaux précités [[Adresse 7]], une indemnité basée sur la totalité des impayés de loyers et calculée pour la période du 07/06/2016 au 06/01/2017. Par l’intermédiaire du trésor public “Direction générale des finances publiques”, l’Etat se substitue au bailleur pour obtenir remboursement de la somme versée”.

Dans le cadre de la procédure, M. [H] [J] n’a pas produit de pièces permettant d’établir si une exécution forcée de ce titre a effectivement été mise en oeuvre.

Aussi s’il convient de mettre à la charge de M. [C] [E] et Mme [S] [V] épouse [E] le remboursement des sommes que M. [H] [J] a dû payer en exécution de ce titre de perception, il convient de juger que ce remboursement sera exécuté dans la limite des sommes que M. [H] [J] justifiera avoir réglées, à charge pour lui de faire parvenir à la Direction générales des finances publiques le présent jugement lui permettant de justifier qu’il n’est pas tenu de régler les sommes versées par l’Etat à M. [C] [E] et Mme [S] [V] épouse [E].

Sur la demande en dommages et intérêts formée par M. [H] [J]

Selon l’article 1382 ancien du code civil devenu l’article 1240 du code civil tout fait quelconque de l’homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. L’article 1384 ancien devenu l’article 1241 du code civil précise que chacun est responsable du dommage qu’il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence.

M. [H] [J] réclame la condamnation in solidum de M. [C] [E] et Mme [S] [V] épouse [E], de la société IMMO DE FRANCE et de Mme [K] [W] à lui payer la somme de 3.500 euros à titre de dommages et intérêts, ou subsidiairement celle de Mme [K] [W] seule à lui payer cette somme.

Il invoque la faute résultant de la négligence de l’agence immobilière mandatée par M. [C] [E] et Mme [S] [V] épouse [E], étant rappelé que le manquement d’une partie à ses obligations contractuelles, peut engager la responsabilité extracontractuelle de cette partie à l’égard d’un tiers qui a subi un dommage consécutif à cette faute.

M. [C] [E], Mme [S] [V] épouse [E] et la société IMMO DE FRANCE justifient qu’avant la conclusion du contrat de bail, leur ont été fournis des pièces relatives à l’identité (copie permis de conduire), et à la situation de M. [H] [J] : bulletins de paie, arrêté de nomination, RIB, avis d’impôts sur le revenus. Ont aussi été fournis deux quittances de loyers établies au nom de Mlle [W] [K] et de Monsieur [J] [H] concernant un logement situé à [Localité 12] et une attestation d’hébergement à titre gracieux depuis juin 2004 de M. [J] [H], établie le 24 octobre 2016 par M. [G] [X] domicilié à [Localité 17], ville où travaillait M. [H] [J] avant sa mutation à [Localité 13].

De plus il ressort des documents transmis par télécopie par la Société KANTIS à l’agence ICADE concernant les “garants” en vue de compléter de dossier de Mme [K] [W], que les deux cautions se sont expressément portées caution des engagements de Mme [K] [W] et de M. [H] [J].

Par ailleurs, la signature à distance du bail étant une pratique usitée en cas d’éloignement du futur locataire, ce qui était le cas de M. [H] [J] qui travaillait en région parisienne, il n’apparaît pas que la Société ICADE – ADB aux droits de laquelle se trouve la société IMMO DE FRANCE, a commis une négligence ou imprudence fautive de nature à engager sa responsabilité et celle de ses mandants.

Dès lors M. [H] [J] sera débouté en ses demandes indemnitaires à l’encontre de M. [C] [E] et Mme [S] [V] épouse [E] et de la société IMMO DE FRANCE.

Á l’inverse, la présentation de M. [H] [J] comme colocataire, alors que celui-ci n’est pas signataire du bail, ne peut qu’être imputable à Mme [K] [W], qui se contente d’affirmer qu’elle a signé le bail avec M. [H] [J], sans fournir aucune explication sur le fait que M. [H] [J] n’en est pas le signataire. Son allégation selon laquelle M. [H] [J] souhaitait une mutation en Gironde n’est confortée par une aucune pièce et du reste ce n’est que récemment qu’il s’est installé en Gironde.

Il ressort de la télécopie adressée par le cabinet KANTIS le 25 octobre 2006 que Mme [K] [W] était bien l’interlocutrice de cette agence et insistait pour obtenir rapidement le logement. L’état des lieux d’entrée mentionne qu’il a été établi en la seule présence de Madame [W] et de M. [T] [D] du cabinet KANTIS, même si une seconde signature a été apposée sous le locataire entrant.

Dès lors, qu’elle ait elle-même signé le bail en lieu et place de M. [H] [J] ou qu’un tiers ait imité la signature de M. [H] [J], elle est responsable d’avoir présenté celui-ci comme colocataire, de l’avoir ainsi exposé à une instance en référé pour défaut de paiement des loyers et charges puisqu’elle n’a pas rempli son obligation au paiement, à des procédures d’exécution forcée, portées à la connaissance de son employeur, à des troubles et tracas subis notamment en raison de la nécessité de déposer une plainte, d’initier une procédure en référé, puis au fond, et d’exposer de multiples frais.

Dès lors la faute de Mme [K] [W], justifie sa condamnation à payer à M. [H] [J] une somme de 2.500 euros à titre de dommages et intérêts.

Sur les demandes de M. [C] [E], Mme [S] [V] épouse [E] et de la société IMMO DE FRANCE à l’encontre de Mme [K] [W]

M. [C] [E] et Mme [S] [V] épouse [E] et la société IMMO DE FRANCE demandent au juge de condamner Mme [K] [W] à payer aux époux [E] et à la société IMMO DE FRANCE toutes les sommes qui pourraient être mises à leur charge, à les relever indemnes de toute condamnation prononcée à leur encontre, et à payer à M. [C] [E] et Mme [S] [V] épouse [E] la somme de 2.000 euros à titre de dommages et intérêts.

Au regard de la faute commise par Mme [K] [W], en l’absence de faute commise par M. [C] [E] et Mme [S] [V] épouse [E] ou par leur mandataire lors de la conclusion du bail, Mme [K] [W] sera condamnée à garantir et relever indemnes M. [C] [E] et Mme [S] [V] épouse [E] :
– de toutes sommes en frais et intérêts que ceux-ci auront à verser à M. [H] [J] en exécution de la condamnation au titre du remboursement des sommes qu’ils ont eux-mêmes fait recouvrer (ceux-ci disposant déjà d’un titre exécutoire à l’encontre de Mme [K] [W] au titre du principal qu’ils pourraient avoir à restituer à M. [H] [J]),
– de toutes sommes en principal, frais et intérêts recouvrés en exécution du titre de perception émis par l’Etat ou la Direction générale des finances publiques.

Par ailleurs, la production d’un bail comportant une fausse signature, a exposé M. [C] [E] et Mme [S] [V] épouse [E], aux procédures en référé et au fond engagées par M. [H] [J] et une expertise graphologique qui sont autant de troubles et tracas que Mme [K] [W] devra réparer en leur versant une somme de 1.500 euros à titre de dommages et intérêts.

Sur la demande en relevé indemne formée par Mme [K] [W]

En l’absence de faute commise par M. [C] [E] et Mme [S] [V] épouse [E], ou leur mandataire, Mme [K] [W] sera déboutée en sa demande en relevé indemne.

Sur les demandes accessoires

Il résulte des dispositions de l’article 696 du code de procédure civile que la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge de l’autre partie. En outre l’article 700 du même code prévoit que le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d’office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu’il n’y a pas lieu à cette condamnation.

Les dépens, qui incluront les dépens de l’instance en référé introduite par M. [H] [J] et d’expertise judiciaire, seront supportés par Mme [K] [W], qui succombe. Elle sera condamnée sur le fondement de l’article 700 du code procédure civile à payer à M. [H] [J] la somme de 2.000 euros, et à M. [C] [E], Mme [S] [V] épouse [E] et la société IMMO DE FRANCE la somme de 1.500 euros.

En application de l’article 514 du code de procédure civile la présente décision est de droit exécutoire par provision.

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par jugement contradictoire et en premier ressort,

REJETTE la fin de non recevoir tirée de la prescription ;

DÉCLARE M. [H] [J] recevable en son action ;

DIT que M. [H] [J] n’est pas signataire du bail conclu le 30 octobre 2006 ;

DÉCLARE ce bail inopposable à M. [H] [J] ;

MET à néant les condamnations prononcées à l’encontre de M. [H] [J] selon l’ordonnance en date du 30 octobre 2015 rectifiée par ordonnance en date du 22 mai 2018 ;

CONDAMNE M. [C] [E] et Mme [S] [V] épouse [E] à restituer à M. [H] [J] toutes les sommes en principal, intérêts et frais qui ont été recouvrés par voie d’exécution forcée à son encontre à leur initiative ou celle de l’huissier de justice ou du commissaire de justice chargé de l’exécution forcé pour leur compte, sur production de justificatifs par M. [H] [J] des paiements ou saisies dont il a fait l’objet ;

CONDAMNE Mme [K] [W] à garantir et relever M. [C] [E] et Mme [S] [V] épouse [E] indemnes de cette condamnation s’agissant des frais et intérêts ;

CONDAMNE M. [C] [E] et Mme [S] [V] épouse [E] à rembourser à M. [H] [J] toutes sommes versées par M. [H] [J] ou saisies dans le cadre de l’exécution forcée du titre de perception consécutif au versement par l’ETAT de la somme de 6.215,60 euros aux bailleurs au titre de la période du 07/06/2016 au 06/01/2017 ;

CONDAMNE Mme [K] [W] à garantir et relever M. [C] [E] et Mme [S] [V] épouse [E] indemnes de cette condamnation ;

CONDAMNE Mme [K] [W] à payer :
– à M. [H] [J] la somme de 2.500 euros à titre de dommages et intérêts
– à M. [C] [E] et Mme [S] [V] épouse [E] la somme de 1.500 euros à titre de dommages et intérêts ;

DÉBOUTE les parties en leurs demandes autres, plus amples ou contraires ;

CONDAMNE Mme [K] [W] aux dépens, en ce inclus les dépens de l’instance en référé introduite par M. [H] [J] et les frais d’expertise judiciaire ;

CONDAMNE Mme [K] [W] à payer :
– à M. [H] [J] la somme de 2.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code procédure civile
– à M. [C] [E], Mme [S] [V] épouse [E] et la société IMMO DE FRANCE la somme de 1.500 euros sur le fondement de l’article 700 du code procédure civile ;

CONSTATE l’exécution provisoire de droit de la décision.

Ainsi jugé et mis à disposition, les jours, mois et an susdits

LA GREFFIÈRELA VICE PRÉSIDENTE
chargée des contentieux de la protection

 


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