Saisie-attribution : décision du 15 décembre 2023 Cour d’appel de Saint-Denis de la Réunion RG n° 22/00832

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Saisie-attribution : décision du 15 décembre 2023 Cour d’appel de Saint-Denis de la Réunion RG n° 22/00832

15 décembre 2023
Cour d’appel de Saint-Denis de la Réunion
RG n°
22/00832

Arrêt N°

EF

R.G : N° RG 22/00832 – N° Portalis DBWB-V-B7G-FWGM

[S]

[S]

[S]

[S]

C/

[N] VEUVE [N] [D]

COUR D’APPEL DE SAINT-DENIS

ARRÊT DU 15 DECEMBRE 2023

Chambre civile TGI

Appel d’une ordonnance rendue par le JUGE DE L’EXECUTION DE SAINT-DENIS en date du 19 MAI 2022 suivant déclaration d’appel en date du 02 JUIN 2022 rg n°: 22/00112

APPELANTS :

Madame [W] [T] [S]

[Adresse 5]

[Localité 7]

Représentant : Me Philippe BARRE, avocat au barreau de SAINT-DENIS-DE-LA-REUNION, ayant plaidé

Monsieur [K] [M] [S]

[Adresse 3]

[Localité 8]

Représentant : Me Philippe BARRE, avocat au barreau de SAINT-DENIS-DE-LA-REUNION, ayant plaidé

Monsieur [J] [S]

[Adresse 2]

[Localité 7]

Représentant : Me Philippe BARRE, avocat au barreau de SAINT-DENIS-DE-LA-REUNION, ayant plaidé

Madame [C] [S]

[Adresse 6]

[Localité 7]

Représentant : Me Philippe BARRE, avocat au barreau de SAINT-DENIS-DE-LA-REUNION, ayant plaidé

INTIMEE :

Madame [Y] [F] [N] VEUVE [N] [D]

[Adresse 1]

[Localité 10]

Représentant : Me Fatima OUSSENI de l’AARPI ASSOCIATION AVOCATS ASSOCIES OUSSENI-HESLER,ayant plaidé, avocat au barreau de MAYOTTE

Clôture:22 août 2023

DÉBATS : en application des dispositions des articles 778, 779 et 905 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 06 Octobre 2023 devant la cour composée de :

Président : Monsieur Patrick CHEVRIER, Président de chambre

Conseiller : Madame Pauline FLAUSS, Conseiller

Conseiller : Monsieur Eric FOURNIE, Conseiller

Qui en ont délibéré après avoir entendu les avocats en leurs plaidoiries.

A l’issue des débats, le président a indiqué que l’arrêt sera prononcé, par sa mise à disposition le 15 Décembre 2023.

Arrêt : prononcé publiquement par sa mise à disposition des parties le  15 Décembre 2023.

Greffier : Mme Véronique FONTAINE, Greffier.

La Cour

Par acte sous seing privé en date du 24 octobre 1995 modifié par son avenant du 6 août 1996, Madame [Y] [F] [N] épouse [D] a donné à bail à Monsieur [B] [U] [S] des locaux sis à [Localité 9], propriété dite [Adresse 11] à [Localité 10] (Mayotte), pour une durée de neuf années à compter du 1er avril 1996 pour se terminer le 31 mars 2005.

En parallèle, par acte sous seing privé en date du 15 juillet 1996, Monsieur [B] [U] [S] a conclu une sous-location avec la société SOFAM portant sur les mêmes locaux.

Selon acte en date du 28 mai 2008, dénoncé à la société SOFAM, par acte d’huissier de justice du 23 juin 2008, la bailleresse a délivré à Monsieur [B] [U] [S] un commandement visant la clause résolutoire.

Monsieur [B] [U] [S] est décédé le [Date décès 4] 2010, laissant pour lui succéder ces quatre enfants: Madame [W] [S], Monsieur [K] [S], Monsieur [J] [S] et Madame [C] [S] (les consorts [S]).

Par jugement contradictoire du 8 août 2016, le tribunal de grande instance de Mamoudzou a entre autres dispositions:

Constaté la résiliation du bail commercial unissant Mme [Y] [F] [N] veuve [D] aux consorts [S], venants aux droits de M. [B] [U] [S], au 29 juin 2008,

Déclaré inopposable à Mme [Y] [F] [N] le contrat de sous-location conclu le 15 juillet 1996 entre les consorts [S] et la SOFAM,

Prononcé la résiliation du contrat de sous-location unissant les consorts [S] à la SOFAM,

Ordonné l’expulsion des consorts [S] et de tout occupant de leur chef, notamment la SOFAM, dans un délai de 6 mois à compter de la signification du jugement avec le concours de la force publique si besoin ;

Condamné les consorts [S] à payer à Mme [N] [D] un arriéré de loyers d’un montant de 24 052,12€.

Condamné in solidum les consorts [S] avec la SOFAM à payer une indemnité d’occupation, jusqu’à libération complète des lieux d’un montant de six mille euros (6000€).

Ce jugement a été confirmé par arrêt de la cour d’Appel de Saint-Denis-de-la-Réunion en date du 4 juin 2019.

Par acte d’huissier en date du 6 décembre 2021, Madame [Y] [F] [N] a fait pratiquer sur les comptes bancaires CREDIT AGRICOLE MUTUEL DE LA REUNION, des consorts [S], une saisie-attribution pour la somme principale de 138 461,17€ au titre de l’indemnité d’occupation fixée, le compte étant suffisamment approvisionné et la saisie ayant été fructueuse.

Par acte d’huissier en date du 6 janvier 2022, les consorts [S], ont fait citer Madame [Y] [F] [N], devant le juge de l’exécution de ce siège aux fins notamment de voir ordonner la mainlevée de la saisie-attribution du 6 décembre 2021.

Par jugement en date du 19 mai 2022, le juge de l’exécution près le tribunal judiciaire de Saint-Denis a statué en ces termes:

Déboute Mesdames [S] [W] [T] et [C] et Messieurs [S] [J] et [K] [M] de l’intégralité de leurs demandes, fins et conclusions ;

Valide, au besoin, la saisie attribution en date du 6 décembre 2021 pratiquée, par le ministère d’huissiers de justice, à la demande de Madame [F] [N] [Y] veuve [D] sur les comptes CREDIT AGRICOLE de Mesdames [S] [W] [T] et [C] et Messieurs [S] [J] et [K] [M] ;

Condamne solidairement Mesdames [S] [W] [T] et [C] et Messieurs [S] [J] et [K] [M] à payer à Madame [F] [N] [Y] veuve [D] la somme 8.000€ à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive ;

Déboute Madame [F] [N] [Y] veuve [D] de sa demande de fixation d’astreinte;

Condamne solidairement Mesdames [S] [W] [T] et [C] et Messieurs [S] [J] et [K] [M] à payer à Madame [F] [N] [Y] veuve [D] la somme de 5 000€ en application de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamne solidairement Mesdames [S] [W] [T] et [C] et Messieurs [S] [J] et [K] aux entiers dépens de l’instance ;

Rappelle que les décisions du juge de l’exécution bénéficient de l’exécution provisoire de droit.

Par déclaration du 2 juin 2022, les consorts [S] ont interjeté appel du jugement précité.

L’ordonnance fixant l’audience à bref délai a été rendue le 20 juin 2022.

Les consorts [S] ont notifié par RPVA leurs premières conclusions le 22 juin 2022.

Madame [Y] [F] [N] s’est constituée intimée par déclaration en date du 12 juillet 2022.

Madame [Y] [F] [N] a notifié par RPVA ses conclusions d’intimée le 19 août 2022.

L’ordonnance de clôture est intervenue le 22 août 2023.

PRETENTIONS ET MOYENS

Aux termes de leurs dernières conclusions notifiées par RPVA le 12 juin 2023, les consorts [S] demandent à la cour de:

VOIR DECLARER recevable et bien fondé l’appel interjeté.

INFIRMER le jugement entrepris en toutes ses dispositions sauf en ce qu’il a débouté Mme [D] de sa demande en fixation d’une astreinte.

STATUANT A NOUVEAU,

CONSTATER que les appelants n’ont aucune qualité pour agir pour engager une procédure d’expulsion à l’encontre de la SOFAM qui demeure dans les lieux ou pour agir contre l’État en l’absence de délivrance de la force publique.

CONSTATER que l’intimée a choisi de renoncer à agir en responsabilité contre l’État pour obtenir l’indemnisation du préjudice causé par le refus de lui accorder le recours à la force publique.

CONSTATER que l’intimée a délibérément choisi de ne pas entreprendre de mesure d’exécution de l’indemnité d’occupation auprès de la SOFAM, et d’expulsion favorisant ainsi le maintien de cette dernière dans les lieux au préjudice des consorts [S].

JUGER que la procédure des consorts [S] n’avait aucun caractère abusif.

CONSTATER que les appelants ont versé à ce jour à l’intimée la somme de 695 053,19 €.

EN CONSEQUENCE,

ORDONNER la mainlevée de la saisie-attribution réalisée par Mme [D] entre les mains de la CRCAMR sur les comptes des consorts [S], en date du 6 décembre 2021 pour un montant de 139 230,95 euros.

ORDONNER par conséquent la restitution aux appelants par Mme [D] de la somme de 139 230,95 euros avec intérêts de droit à partir de l’arrêt à intervenir.

DEBOUTER l’intimée de toutes ses demandes, dont celles relatives aux dommages et intérêts de 8.000 € pour prétendue procédure abusive et à l’astreinte provisoire de 700 € par jour de retard.

A TITRE SUBSIDIAIRE,

ANNULER la saisie-attribution réalisée par Mme [D] entre les mains de la CRCAMR sur les comptes des consorts [S], pour un montant de 139 230, 95 euros.

ORDONNER par conséquent la restitution aux appelants par Mme [D] de la somme de 139 230,95 euros avec intérêts de droit à partir de l’arrêt à intervenir.

DEBOUTER Madame [D] de l’ensemble de ses demandes.

LA CONDAMNER en tout état de cause à payer aux consorts [S] le somme de 7.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens.

Les appelants font valoir, que la saisie-attribution réalisée par Madame [N] pour obtenir le paiement d’indemnités d’occupation de son immeuble entre mai 2020 et novembre 2021 est abusive aux motifs que l’action en expulsion à l’encontre de la SOFAM appartient à la seule Madame [N] qui a choisi de s’en abstenir:

Madame [N] a expressément renoncé à sa procédure d’expulsion en refusant de poursuivre la procédure initiée le 6 juin 2007 à l’égard de la SOFAM de sorte qu’elle a laissé la SOFAM se maintenir dans les lieux et ce, tout en demandant le paiement des indemnités d’occupation non à la SOFAM, occupant effectif, mais aux consorts [S],

Madame [N] a renoncé à engager la responsabilité de l’État, pour obtenir à titre d’indemnisation les indemnités d’occupation, de sorte qu’elle a empêché in fine que le recours à la force publique puisse intervenir pour expulser la SOFAM.

Les appelants contestent le jugement du 19 mai 2022 lequel les a condamnés à payer des dommages et intérêts à hauteur de 8 000 € pour procédure abusive aux motifs que, du fait de la renonciation de Madame [N] à la procédure d’expulsion, ils ne sont pas responsables de la situation actuelle d’occupation des locaux et qu’ils ont exécuté de bonne foi l’arrêt de la cour d’appel du 4 juin 2019.

Sur les préjudices invoqués par Madame [N], ils indiquent que:

Pour les frais d’huissier et d’avocats: il n’y a pas lieu de revenir sur des frais et dépens ayant concerné une procédure qui a donné lieu à une décision de justice définitive,

Pour le prétendu préjudice lié à la non-installation des enfants de Madame [N] dans les locaux occupés par la SOFAM est non seulement injustifié mais au demeurant nécessairement sans lien et sans aucun rapport avec l’action en contestation d’une saisie attribution.

Enfin, les appelants sollicitent la confirmation du jugement en ce qu’il a débouté Mme [N] de sa demande d’astreinte au motif qu’ils sont dans l’impossibilité juridique et matérielle de faire libérer des lieux qu’ils n’occupent pas.

***

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par RPVA le 15 mars 2023, Madame [Y] [F] [N] veuve [D] demande à la cour de :

Constater que l’expulsion des consorts [S] et de tous occupants du chef de [S] [B] [U] et de ces derniers, dont la Société SOFAM, n’a pas eu lieu à ce jour ;

Constater l’inexécution par les consorts [S] des décisions de justice ayant force de chose jugée’;

Constater l’absence de toutes diligences par les consorts [S] pour restituer le bien de [Y] [F] [N] ;

Constater le défaut de règlement de l’indemnité d’occupation par les consorts [S] ;

Constater la récurrence des griefs des consorts [S] depuis 2013, d’un défaut d’action de [Y] [F] [N] ;

Constater que cette inertie dans l’exécution des décisions de justice par les consorts [S] cause préjudice à [Y] [F] [N] ;

Constater l’abus du droit d’ester en justice réitéré par la présente action des consorts [S].

EN CONSEQUENCE

Juger les consorts [S], totalement infondés en leur appel ;

Confirmer la décision entreprise en son intégralité, hormis sur le quantum de la réparation sollicitée au titre de la procédure abusive et la fixation de l’astreinte.

STATUANT A NOUVEAU

Condamner in solidum les consorts [S], à régler à [Y] [F] [N] en réparation du préjudice consécutif à l’abus de procédure à la somme de 227 727,87 € ;

Fixer à la charge des consorts [S] une astreinte provisoire de 700,00 € par jour de retard jusqu’à parfaite libération des lieux ;

Juger que cette astreinte sera liquidée une fois la décision d’expulsion exécutée.

RECONVENTIONNELLEMENT

Condamner in solidum les consorts [S], à régler à [Y] [F] [N] la somme de 854 034,00 € à titre de remboursement des sous-loyers,

Juger que toutes les sommes porteront intérêt au taux légal à compter de leur échéance, avec capitalisation conformément à l’article 1343-2 du code civil.

A TITRE SUBSIDIAIRE

Condamner in solidum les consorts [S], à régler à [Y] [F] [N] la somme de 854 034,00 € à titre de réparation de la perte de gain subie.

EN TOUT ETAT DE CAUSE

Condamner les consorts [S] au paiement de la somme de 8 000,00 € en application de l’article 700 du code de procédure civile.

Condamner les consorts [S] aux entiers dépens de l’instance article 699 du code de procédure civile au profit de Maître OUSSENI sur son affirmation de droit.

L’intimée fait valoir, au visa de l’article L 411-1 du code des procédures civiles d’exécution, que deux décisions de justice ayant force de chose jugée ont contraint les héritiers [S] à libérer les lieux et à s’acquitter d’une indemnité occupation, ce qu’ils n’ont pas fait.

Elle indique que les consorts [S] sont responsables de l’occupation actuelle des lieux par la SOFAM:

Ils ont occulté résolument les données permettant à la propriétaire de récupérer les lieux et d’être défrayée de l’occupation qui s’y perpétuait,

Ils n’ont accompli aucune intervention adéquate et adaptée pour se conformer aux prescriptions judiciaires définitives. Étant parties à l’instance, ils devaient solliciter la formule exécutoire du jugement, puis de l’arrêt, et saisir un huissier afin de lui demander de pourvoir à l’exécution de ces décisions de sorte qu’il ne peut être admis un renversement de responsabilité.

L’intimée rapporte les nombreuses diligences réalisées afin de reprendre la jouissance de son bien dès le prononcé du jugement d’expulsion qui était assorti de l’exécution provisoire:

Un commandement de quitter les lieux a été signifié en juin 2017

Une tentative d’expulsion a été opérée en octobre 2017 et consignée selon procès-verbal d’huissier

La réquisition de la force publique a été sollicitée, sans succès

Madame [N] fait également valoir que le recours contre l’État du fait de son refus de prêter le concours de la force publique n’est en aucune manière de nature à permettre de récupérer des lieux.

L’intimée réclame la condamnation des consorts [S] à la somme de 854 034,00 €, somme perçue par ces derniers grâce à l’occupation des lieux par la SOFAM, aux motifs que cette occupation s’est opérée pour les consorts [S] moyennant une opération très lucrative assise sur le bien d’autrui en toute impunité et de façon tout à fait illégale.

L’intimée sollicite en outre, au visa de l’article 1240 du code civil, des dommages et intérêts pour procédure abusive, aux motifs que les consorts [S] se sont contentés de percevoir les revenus et ont ‘uvré pour ne surtout pas apparaître auprès de Madame [Y] [F] [N] :

L’impossibilité de joindre les consorts [S], l’absence de suivi postal de leurs courriers, l’absence de leur manifestation auprès de la cocontractante de leur père ainsi que leur refus formel de décliner à l’huissier les informations relatives au dernier héritier sont de nature à constituer une résistance anormale et abusive. A ce titre, elle indique que ces comportements illicites ont abouti à 13 décisions de justice lesquelles lui ont causé un préjudice économique (paiement des frais d’huissiers et honoraires d’avocat), un préjudice moral (anxiété) et un préjudice de jouissance (privation du local commercial).

Enfin, l’intimée sollicite l’application de l’article. L.131-1 du code des procédures civiles d’exécution aux motifs que l’astreinte est le seul mécanisme de contrainte par dissuasion qui peut faire pression sur la volonté des consorts [S].

***

Pour plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, il convient de se reporter à leurs écritures ci-dessus visées, figurant au dossier de la procédure, auxquelles il est expressément référé en application de l’article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS

A titre liminaire, la cour rappelle qu’en application des dispositions de l’article 954 du code de procédure civile, elle ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif des conclusions et n’examine que les moyens développés dans la partie discussion des conclusions présentés au soutien de ces prétentions.

Sur la demande de mainlevée de la saisie-attribution

Par jugement en date du 19 mai 2022, le juge de l’exécution a débouté les consorts [S] de leur demande tendant à la mainlevée de la saisie-attribution du 6 décembre 2021 aux motifs qu’elle est fondée sur des moyens inopérants tendant à remettre en cause le bien-fondé des titres exécutoires servant de fondements aux poursuites, à savoir le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Mamoudzou, confirmé en appel par la cour d’appel de Saint-Denis de la Réunion, chambre de Mamoudzou en date des 8 août 2016 et 4 juin 2019 qui leur ont été notifiés régulièrement.

Les appelants sollicitent l’infirmation du jugement de ce chef en invoquant le caractère abusif de la saisie-attribution au motif que l’action en expulsion à l’encontre de la SOFAM appartient à la seule Madame [N] qui a choisi de s’en abstenir:

Madame [N] a expressément renoncé à sa procédure d’expulsion en refusant de poursuivre la procédure initiée le 6 juin 2007 à l’égard de la SOFAM de sorte qu’elle a laissé la SOFAM se maintenir dans les lieux et ce, tout en demandant le paiement des indemnités d’occupation non à la SOFAM, occupant effectif, mais aux consorts [S],

Madame [N] a renoncé à engager la responsabilité de l’État, pour obtenir à titre d’indemnisation les indemnités d’occupation, de sorte qu’elle a empêché in fine que le recours à la force publique puisse intervenir pour expulser la SOFAM.

L’intimé s’oppose à la demande de mainlevée. Elle souligne l’inertie des appelants qui s’obstinent à refuser de mettre en ‘uvre les deux décisions de justice exécutoires. Elle stigmatise le fait que les lieux seraient occupés par cinq sociétés différentes dont la SOFAM en parfaite illégalité. Elle conteste le renversement de responsabilité opéré et la tentative de faire supporter à l’État le défaut d’expulsion des occupants. Elle constate que les appelants ont reconnu avoir reçu de la part de la SOFAM le montant de l’indemnité d’occupation d’un montant de 6 685,02€ au cours de la période d’août 2016 à avril 2020. Elle invoque le fait que le défaut de restitution de l’immeuble loué lui a fait subir une perte sèche comprise entre 844.082€ et 1 456 362€ selon les estimations. Elle ajoute avoir tout mis en ‘uvre pour réaliser l’expulsion mais en vain.

Ceci étant exposé,

Vu l’article L. 121-2 du code des procédures civiles d’exécution,

Au préalable, il convient de rappeler que pour obtenir le paiement de ce qui lui est dû, l’article L. 111-7 du code des procédures civiles d’exécution énonce que « le créancier a le choix des mesures propres à assurer l’exécution ou la conservation de sa créance (…) ».

Le créancier peut notamment avoir recours au mécanisme de la saisie-attribution, s’il dispose d’un titre exécutoire constatant une créance liquide et exigible.

Selon les dispositions de l’article L. 121-2 du code des procédures civiles d’exécution, le juge de l’exécution a le pouvoir d’ordonner la mainlevée de toute mesure inutile ou abusive et de condamner le créancier à des dommages-intérêts en cas d’abus de saisie.

Par l’effet d’un jugement du 8 août 2016 (pièce n° 3 appelants), confirmé par un arrêt de la cour d’appel de la cour d’appel de Saint-Denis de la Réunion du 4 juin 2019 (pièce n° 4 appelants), les consorts [S] ont été condamnées in solidum avec la SOFAM à payer une indemnité d’occupation, jusqu’à libération complète des lieux.

Suivant procès-verbal de saisie en date du 6 décembre 2021 à 7h51 (pièce n° 12 appelants), Madame [Y] [F] [N] a entrepris l’exécution des deux décisions ci-dessus visées en faisant procéder à une saisie-attribution sur les comptes bancaires CREDIT AGRICOLE MUTUEL DE LA REUNION, des consorts [S], pour la somme principale de 138.461,17€ au titre de l’indemnité d’occupation fixée pour la période de mai 2020 à novembre 2021. Le compte étant suffisamment approvisionné, cette saisie a été fructueuse.

Les appelants contestent alors cette saisie-attribution et ont, par acte d’huissier en date du 6 janvier 2022, fait citer Madame [Y] [F] [N], devant le juge de l’exécution de ce siège aux fins notamment de voir ordonner la mainlevée de la saisie-attribution du 6 décembre 2021.

Les appelants considèrent que l’intimée a délibérément choisi de ne pas entreprendre de mesure d’exécution de l’indemnité d’occupation auprès de la SOFAM, et d’expulsion favorisant ainsi le maintien de cette dernière dans les lieux au préjudice des consorts [S]. A ce titre, ils produisent notamment aux débats:

Le commandement de quitter les lieux en date du 6 juin 2017 (pièce n° 13 appelants), délivré par Madame [N] à la SOFAM, procédure qu’elle n’a pas poursuivie,

Le courrier du 16 juillet 2020 dans lequel le conseil de Madame [N] indiquait expressément que sa cliente n’entendait pas engager la responsabilité de l’État (pièce n° 20 appelants).

Les consorts [S] ne rapportent pas la preuve d’une faute de Madame [N], laquelle ne dispose d’aucun lien contractuel avec la société SOFAM, qui est occupante de leur chef, en leurs qualités d’héritiers légitimes de Monsieur [B] [U] [S].

Il résulte de ces éléments que l’intimée a entrepris le 6 décembre 2021, une saisie-attribution conformément aux deux titres exécutoires détenus à l’égard des consorts [S].

Les moyens invoqués par les appelants sont totalement inopérants dans la mesure où ils tendent à remettre en cause le bien-fondé des titres exécutoires servant de fondement aux poursuites.

La bailleresse n’a aucun lien contractuel avec la SOFAM qui a été mise dans les lieux à l’époque par le preneur à bail. Il appartient donc aux héritiers de mettre en ‘uvre des mesures d’expulsion à son égard.

Leur réticence sur ce point s’explique sans nul doute par la perception non contestée d’indemnités d’occupations d’un montant conséquent difficile à apprécier, cela même si officiellement l’indivision [S] refuserait depuis le mois de mai 2020 de percevoir toute indemnité d’occupation de la part de la SOFAM.

Il n’est pas contestable, au vu des titres exécutoires, que l’indemnité d’occupation est due par les consorts [S] condamnés in solidum avec la société SOFAM à en opérer le règlement.

Le versement effectué par les appelants au titre de cette indemnité d’occupation pour la période du 29 juin 2008 au 30 novembre 2019, soit la somme de 521/204,67 euros n’est donc que la stricte application des décisions de justice. Il en est de même du paiement effectué pour la période du 1er décembre 2019 au 30 avril 2020, soit 35.387,35 euros.

Les appelants contestent la dernière saisie-attribution qui a permis d’appréhender la somme de 138.461,17€ pour la période du 1er mai 2020 au 30 novembre 2021.

Il importe peu que le contrat de sous-location entre l’auteur des appelants et cette dernière ait été résilié par le jugement confirmé par arrêt de la cour et que les relations contractuelles soient rompues.

Ils ne peuvent sérieusement prétendre ne pas avoir été informés par l’intimé que la SOFAM était toujours occupante des lieux et ne réglerait aucune indemnité d’occupation. Ils ne contestent pas que les lieux étaient toujours occupés au cours de la période considérée par l’acte de saisie-attribution.

Il résulte par ailleurs des pièces versées aux débats par l’intimée que les revenus locatifs qui pourraient provenir de la location du bien litigieux, particulièrement bien situé à [Localité 10], seraient notablement supérieurs au montant actuel de l’indemnité d’occupation. L’intimée n’a donc aucun intérêt à laisser perdurer la situation actuelle contrairement à ce qui est prétendu.

L’intimée a mis en ‘uvre les mesures d’exécution habituelles en la matière:

-délivrance d’un commandement d’avoir à quitter les lieux en date du 6 juin 2017.

-Demande de rejet de la demande des délais pour quitter les lieux, présentée au JEX par la SOFAM acceptée par le Juge de l’exécution dans son jugement du 19 février 2018.

L’absence de recours indemnitaire contre l’État au motif qu’il aurait refusé de mettre à disposition la force publique est sans rapport avec la présente procédure de saisie-attribution. Par ailleurs, ce recours indemnitaire éventuel n’est pas de nature à faire aboutir la procédure d’expulsion contrairement aux affirmations des appelants. Il est habituel en matière de locaux commerciaux que le préfet s’oppose à autoriser le recours de la force publique. Cette situation n’est donc pas imputable à l’intimée, mais bien aux appelants dont l’auteur a généré cette situation.

Les appelants ne justifient en ce qui les concerne d’aucune tentative réelle et sérieuse pour solliciter l’expulsion de la société SOFAM des lieux alors que les décisions de justice prononcées leur permettent d’agir en ce sens, même en l’absence désormais de tout lien contractuel. En effet ils ne justifient que de l’envoi au conseil de la société SOFIAM par leur propre conseil de courriels en date des 7 avril, 21 avril et 5 mai 2020 enjoignant à cette dernière de quitter les lieux. Aucune action en justice n’a donc été entreprise.

C’est donc à bon droit que le juge de l’exécution a jugé que la demande de mainlevée de la saisie-attribution des consorts [S] était manifestement infondée.

Il s’ensuit que la saisie critiquée est bien fondée et que la demande des consorts [S] en mainlevée doit être rejetée.

Le jugement entrepris sera confirmé de ce chef.

Sur le caractère abusif de la procédure

Si le créancier peut choisir librement la mesure d’exécution forcée qui lui semble la plus opportune, il doit donc veiller à ce qu’elle ne soit pas abusive.

Plus précisément, l’existence d’un préjudice au débiteur n’étant pas suffisant pour retenir l’abus (Civ. 2E 22 mars 2001, pourvoi n° 99-14.941), la Cour de cassation a eu l’occasion de préciser que la mise en ‘uvre d’une mesure d’exécution forcée ne dégénère en abus, sauf disposition particulière, que s’il est prouvé que le créancier a commis une faute (Cassation 2e Chambre 17 octobre 2013, pourvoi n° 12-25.147). A cet égard, il est admis que l’abus du droit de procéder à une saisie postule, soit l’intention de nuire, soit l’absence de tout intérêt pour le créancier, soit à tout le moins la disproportion entre la mesure mise en ‘uvre et l’intérêt du créancier (Cassation 2ème chambre civile 9 janvier 2014, pourvoi n° 13-14.325).

Par jugement en date du 19 mai 2022, le juge de l’exécution a :

Condamné solidairement les consorts [S] à payer à Madame [Y] [F] [N] la somme de 8.000€ à titre de juste compensation pour l’abus de procédure aux motifs que la présente instance en mainlevée de saisie-attribution avait pour finalité de contester une décision non exécutée volontairement, contraignant Madame [Y] [F] [N] à l’instance à exposer de nouveaux frais et qu’elle caractérise la légèreté blâmable des consorts [S] dans l’introduction de la présente procédure.

Rejeté les plus amples demandes de Madame [Y] [F] [N] aux motifs que l’ensemble des frais sollicités relevant de sommes, pour les frais et dépens, mis à la charge des défendeurs lors d’instances précédentes, elles ne sauraient être prises en considération dans l’évaluation du préjudice actuel et que les pertes de jouissances alléguées pour les enfants de Madame [Y] [F] [N] ne peuvent être indemnisées de ce chef.

Les appelants sollicitent l’infirmation de ce chef aux motifs qu’ils ne sont pas responsables de la situation actuelle d’occupation des locaux du fait de la renonciation de Madame [N] à la procédure d’expulsion et qu’ils ont exécuté de bonne foi l’arrêt de la cour d’appel du 4 juin 2019.

Madame [N] s’oppose à la demande et soutient qu’elle a fait l’objet d’un véritable acharnement judiciaire de la part des appelants soulignant que treize décisions judiciaires sont intervenues opposant les parties entraînant des frais de justice dont elle demande le remboursement à concurrence de la somme de 97 727,87€, outre l’octroi d’une somme de 80.000€ en réparation du préjudice moral subi. Enfin elle invoque l’existence d’un préjudice économique lié à l’impossibilité d’user à nouveau du bien litigieux et de mettre en ‘uvre les projets commerciaux de ses enfants qui sera justement indemnisé par l’octroi d’une somme de 50 000€, soit un total de 227.727,87€ au titre de l’abus de procédure.

Ceci étant exposé,

Vu l’article 32-1 du code de procédure civile,

Vu l’article 1240 du code civil,

L’exercice d’une action en justice de même que la défense à une telle action constitue en principe un droit et ne dégénère en abus pouvant donner lieu à l’octroi de dommages-intérêts que lorsqu’une faute en lien de causalité directe avec un préjudice est caractérisée.

Il est utile de préciser que la saisie-attribution réalisée par Madame [N] le 6 décembre 2021 intervient après une multiplicité de décisions de justices intervenus entre 2007 et 2019 alors que Mme [N] :

. A initié des démarches afin d’expulser la société SOFAM notamment en délivrant un commandement de quitter les locaux le 6 juin 2017, en procédant à une tentative d’expulsion en date du 25 octobre 2017 (pièce n° 16 appelants) et en sollicitant la réquisition de la force publique le 6 novembre 2017 (pièce n° 17 appelants),

. Et qu’elle n’a, à ce jour, toujours pas récupéré ces locaux occupés par la SOFAM.

Il n’est nullement démontré qu’elle aurait renoncé à mettre en ‘uvre la procédure d’expulsion qui se heurte aux difficultés habituelles en la matière accentuées par le fait qu’il s’agissait d’un bail commercial et non d’un bail d’habitation.

Au contraire, il ressort des éléments du dossier que les consorts [S] ont fait preuve de carence en n’effectuant aucun acte véritable de poursuite à l’encontre de la SOFAM, occupant du chef de leur auteur, pour qu’elle libère les locaux.

Toutefois il n’est pas démontré que les appelants auraient fait preuve de malice, de mauvaise foi, d’une légèreté blâmable ou d’une erreur grossière équipollente au dol dans l’engagement de la présente procédure contestant la saisie.

L’appréciation inexacte qu’une partie fait de ses droits n’est pas en soi constitutive d’une faute.

Par conséquent, c’est à tort que le juge de l’exécution a caractérisé l’abus de procédure de la présente instance en mainlevée de saisie-attribution et alloué à l’intimée une somme de 8. 000 euros en réparation du préjudice subi.

Le jugement entrepris sera infirmé de ce chef.

Sur les autres chefs de demandes d’indemnisation présentées par l’intimé.

S’agissant des demandes de remboursement des frais de procédure à concurrence de la somme de 97.727,87€, outre l’octroi d’une somme de 80.000€ en réparation du préjudice moral subi.

Sur ce point, ces demandes relatives à des procédures antérieures n’ont aucun lien direct et certain avec la présente procédure. Elles seront donc rejetées.

En ce qui concerne l’existence d’un préjudice économique lié à l’impossibilité d’user à nouveau du bien litigieux et de mettre en ‘uvre les projets commerciaux de ses enfants à concurrence de la somme de 50.000 euros, l’intimée n’est pas fondée à invoquer le préjudice subi par ses enfants, selon le principe général que nul ne plaide par procureur,

Cette demande sera donc également rejetée.

Le jugement entrepris sera confirmé sur le rejet de ces demandes.

Sur la demande de fixation d’astreinte

Par jugement en date du 19 mai 2022, le juge de l’exécution a rejeté cette demande aux motifs que la société SOFAM n’est pas partie à cette instance alors que la condamnation à une astreinte implique aussi celle solidaire de l’occupant effectif des lieux.

Les appelants sollicitent la confirmation du jugement aux motifs qu’ils sont dans l’impossibilité juridique et matérielle de faire libérer des lieux qu’ils n’occupent pas.

Si la fixation d’une astreinte rentre dans les compétences du juge de l’exécution sur le fondement des dispositions des articles L. 131-1 et L. 131-2 du code des procédures civiles d’exécution, la partie principale concernée par l’astreinte sollicitée est la société SOFAM qui n’a pas été attraite dans le cadre de la présente procédure.

En conséquence, c’est à bon droit que le juge de l’exécution a rejeté cette demande d’astreinte.

Le jugement entrepris sera confirmé de ce chef.

Sur les demandes au titre des frais irrépétibles

Il serait inéquitable de laisser supporter à Mme [Y] [F] [N], veuve [N] [D], les frais irrépétibles exposés à l’occasion de la présente procédure.

En conséquence les consorts [S] devront lui verser in solidum la somme de quatre mille euros (4.000€) sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

Il n’est pas inéquitable de laisser supporter aux consorts [S] les frais irrépétibles exposés à l’occasion de la présente procédure.

En conséquence, leur demande sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile sera rejetée.

Sur les dépens

Vu l’article 696,

Les consorts [S], succombant, supporteront in solidum les dépens.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, en matière civile et en dernier ressort, par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe conformément à l’article 451 alinéa 2 du code de procédure civile,

Confirme le jugement rendu le 19 mai 2022 par le juge de l’exécution en toutes ses dispositions à l’exception de la condamnation des consorts [S] à verser à Mme [Y] [F] [N], veuve [N] [D] la somme de 8 000€ à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive.

Statuant sur le chef infirmé,

DEBOUTE Madame [Y] [F] [N], veuve [N] [D], de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive’;

Et y ajoutant:

Condamne Madame [W] [T] [S], Monsieur [K] [M] [S], Monsieur [J] [S], Madame [C] [S] à verser in solidum à Mme [Y] [F] [N], veuve [N] [D], la somme de quatre mille euros (4 000€) sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

Rejette la demande des consorts [S] fondée sur l’article 700 du code de procédure civile.

Dit que Madame [W] [T] [S], Monsieur [K] [M] [S], Monsieur [J] [S], Madame [C] [S] supporteront in solidum les dépens.

Le présent arrêt a été signé par Monsieur Patrick CHEVRIER, Président de chambre, et par Mme Véronique FONTAINE greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LA GREFFIÈRE LE PRÉSIDENT

 


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