Le fait d’avoir sciemment omis de demander l’ouverture d’une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire dans le délai de 45 jours à compter de la cessation des paiements ne peut pas être sanctionné par une mesure de faillite personnelle.
Il résulte de l’article L. 653-8 du code de commerce que ce fait, lorsqu’il est caractérisé, ne peut entraîner que le prononcé d’une interdiction de gérer et non une mesure de faillite personnelle. C’est donc à tort que les premiers juges ont retenu ce grief pour prononcer une mesure de faillite personnelle. La cour, considérant devoir prononcer une faillite personnelle et non une interdiction de gérer, n’a pas retenu ce grief, et ce d’autant que le liquidateur de la société a déclaré à l’audience qu’il renonçait à s’en prévaloir dans la mesure où il souhaitait voir confirmer la sanction de faillite personnelle. |
Résumé de l’affaire :
Création de la société et gestion initialeLa société à responsabilité limitée [8] a été fondée le 1er mars 2016 pour exercer une activité de transport routier. M. [D] [B] a été le gérant jusqu’au 4 novembre 2016, date à laquelle son père, M. [P] [S] [B], a pris sa place. Redressement judiciaire et liquidationLe tribunal de commerce de Meaux a prononcé le redressement judiciaire de la société [8] par jugement du 1er octobre 2018, fixant la cessation des paiements au 15 janvier 2018. Le 10 décembre 2018, ce redressement a été converti en liquidation judiciaire, avec désignation d’un liquidateur. Assignation des gérantsEn mars 2021, la SCP [7] a assigné MM. [P] [S] et [D] [B] pour les condamner à contribuer à l’insuffisance d’actif de la société à hauteur de 500.000 euros et pour demander une faillite personnelle ou une interdiction de gérer, en raison de divers manquements. Jugement du tribunal de commerceLe 7 juin 2022, le tribunal a partiellement accueilli les demandes de la SCP [7], condamnant MM. [P] [S] et [D] [B] à payer 150.000 euros et prononçant une faillite personnelle avec interdiction de gérer pour dix ans. Appel et médiationMM. [P] [S] et [D] [B] ont fait appel de ce jugement. En août 2023, une transaction a été conclue, entraînant la renonciation du liquidateur à la condamnation pécuniaire, mais l’instance a continué concernant la faillite personnelle. Arguments des appelantsLes appelants ont demandé l’annulation du jugement du 7 juin 2022, arguant que le tribunal ne s’était fondé que sur des affirmations générales. Ils ont également contesté les griefs retenus à leur encontre, notamment en ce qui concerne la tenue de la comptabilité. Griefs retenus par le tribunalLe tribunal a confirmé que MM. [P] [S] et [D] [B] avaient omis de tenir une comptabilité, fait disparaître des documents comptables, et détourné ou dissimulé des actifs. Cependant, certains griefs, comme l’absence de coopération avec le liquidateur, n’ont pas été retenus pour justifier la faillite personnelle. Sanction et décision finaleLa cour a confirmé la faillite personnelle, mais a réduit la durée de la sanction à quatre ans, tenant compte de la situation financière des appelants. Ils ont été condamnés aux dépens de la procédure d’appel. |
Q/R juridiques soulevées :
Quelles sont les conséquences juridiques du redressement judiciaire prononcé à l’égard de la société [8] ?Le redressement judiciaire est une procédure collective qui vise à permettre à une entreprise en difficulté de poursuivre son activité tout en apurant son passif. Selon l’article L. 631-1 du Code de commerce, le redressement judiciaire est ouvert lorsque l’entreprise est dans une situation de cessation des paiements, c’est-à-dire qu’elle ne peut plus faire face à son passif exigible avec son actif disponible. Dans le cas de la société [8], le tribunal de commerce a fixé la date de cessation des paiements au 15 janvier 2018. Cela signifie que, à partir de cette date, la société devait prendre des mesures pour protéger ses créanciers et tenter de redresser sa situation financière. Le redressement judiciaire entraîne plusieurs conséquences, notamment : – La suspension des poursuites individuelles des créanciers (article L. 622-21 du Code de commerce). – La désignation d’un administrateur judiciaire qui va surveiller la gestion de l’entreprise et proposer un plan de redressement (article L. 631-2). – L’obligation pour le débiteur de fournir au tribunal et à l’administrateur judiciaire toutes les informations nécessaires à l’évaluation de sa situation (article L. 622-6). En cas d’échec du redressement, comme cela a été le cas pour la société [8], le tribunal peut prononcer la liquidation judiciaire, ce qui a été fait le 10 décembre 2018. Quels sont les motifs de la faillite personnelle prononcée à l’encontre de MM. [P] [S] et [D] [B] ?La faillite personnelle est une sanction qui peut être prononcée à l’encontre des dirigeants d’une société en cas de fautes graves dans la gestion de l’entreprise. Selon l’article L. 653-1 du Code de commerce, la faillite personnelle peut être prononcée pour des faits tels que la dissimulation d’actifs, le non-respect des obligations comptables, ou encore le détournement de fonds. Dans le jugement du 7 juin 2022, le tribunal a retenu plusieurs griefs à l’encontre de MM. [P] [S] et [D] [B] : – Non-tenue de comptabilité : En vertu de l’article L. 123-12 du Code de commerce, toute entreprise doit tenir une comptabilité régulière. Le tribunal a constaté que la société [8] n’avait pas tenu de comptabilité entre le 1er janvier 2017 et le 1er octobre 2018. – Disparition de documents comptables : L’article L. 653-5, 6° du Code de commerce permet de prononcer la faillite personnelle en cas de disparition de documents comptables. – Détournement ou dissimulation d’actifs : Selon l’article L. 653-4, le tribunal peut prononcer la faillite personnelle si le dirigeant a détourné ou dissimulé des actifs. – Absence de coopération avec le liquidateur : L’article L. 653-5, 5° stipule que le fait de s’abstenir de coopérer avec les organes de la procédure peut également justifier une faillite personnelle. Ces éléments ont conduit le tribunal à prononcer une faillite personnelle à l’encontre des deux dirigeants pour une durée de dix ans, qui a ensuite été réduite à quatre ans en appel. Quelles sont les implications de la sanction d’interdiction de gérer pour MM. [P] [S] et [D] [B] ?L’interdiction de gérer est une sanction qui empêche une personne de diriger, administrer ou contrôler une entreprise. Cette mesure est prévue par l’article L. 128-1 du Code de commerce, qui stipule que toute personne ayant été condamnée pour des fautes de gestion peut se voir interdire de gérer une entreprise pour une durée déterminée. Dans le cas de MM. [P] [S] et [D] [B], la sanction de faillite personnelle prononcée à leur encontre entraîne également une interdiction de gérer pour une durée de dix ans, inscrite au Fichier national des interdits de gérer, conformément à l’article R. 128-1 du Code de commerce. Les implications de cette interdiction sont significatives : – Incapacité à occuper des fonctions de direction : Ils ne pourront pas exercer de fonctions de gérant, d’administrateur ou de dirigeant dans une société commerciale ou artisanale. – Impact sur la carrière professionnelle : Cette sanction peut avoir des conséquences sur leur réputation professionnelle et leur capacité à trouver un emploi dans le secteur commercial. – Conséquences juridiques : En cas de non-respect de cette interdiction, ils s’exposent à des sanctions pénales, y compris des amendes et des peines d’emprisonnement. Ainsi, la sanction d’interdiction de gérer a des répercussions importantes sur la vie professionnelle et personnelle des individus concernés. |
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 5 – Chambre 8
ARRÊT DU 29 OCTOBRE 2024
(n° / 2024, 9 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 22/15184 – N° Portalis 35L7-V-B7G-CGKGF
Décision déférée à la Cour : Jugement du 7 juin 2022 – Tribunal de commerce de MEAUX – RG n° 2021004147
APPELANTS
Monsieur [P] [S] [B]
Né le [Date naissance 6] 1960 à [Localité 11] (HAITI)
De nationalité française
Demeurant [Adresse 1]
[Adresse 1]
Monsieur [D] [B]
Né le [Date naissance 2] 1990 à [Localité 10]
De nationalité française
Demeurant [Adresse 4]
[Adresse 4]
Représentés par Me Michel GUIZARD de la SELARL GUIZARD ET ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : L0020,
Assistés de Me Ketty LEROUX de la SELARL NAÏM ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : C1703,
INTIMÉS
S.C.P. [7], en qualité de liquidatrice de la liquidation judiciaire de la société [8],
Immatriculée au registre du commerce et des sociétés de MEAUX sous le numéro 500 966 999,
Dont le siège social est situé [Adresse 5]
[Adresse 5]
Représentée par Me Maria-Christina GOURDAIN de la SCP Société Civile Professionnelle d’Avocats GOURDAIN ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : D1205,
Assistée de Me Pascal GOURDAIN, avocat au barreau de PARIS, toque : D1205,
LE PROCUREUR GÉNÉRAL
SERVICE FINANCIER ET COMMERCIAL
[Adresse 3]
[Adresse 3]
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l’article 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 17 septembre 2024, en audience publique, devant la cour, composée de :
Mme Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT, présidente de chambre,
Mme Constance LACHEZE, conseillère,
Monsieur François VARICHON, conseiller, chargé du rapport,
Qui en ont délibéré.
Greffier, lors des débats : Mme Liselotte FENOUIL
MINISTÈRE PUBLIC : L’affaire a été communiquée au ministère public, représenté lors des débats par Monsieur François Vaissette, avocat général, qui a fait connaître son avis écrit le 23 avril 2024 .
ARRÊT :
– Contradictoire
– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT, présidente de chambre et par Liselotte FENOUIL, greffière, présente lors de la mise à disposition.
FAITS ET PROCÉDURE
La société à responsabilité limitée [8] a été créée le 1er mars 2016 en vue d’exercer une activité de transport routier. M. [D] [B] a exercé les fonctions de gérant jusqu’au 4 novembre 2016, date à laquelle il a été remplacé par son père M. [P] [S] [B].
Par jugement du 1er octobre 2018, le tribunal de commerce de Meaux, statuant sur requête du ministère public, a prononcé le redressement judiciaire de la société [8] et a fixé la date de cessation des paiements au 15 janvier 2018.
Le 27 novembre 2018, la société [8] a déposé au greffe du tribunal de commerce de Bobigny le procès-verbal de l’assemblée générale du 3 septembre 2018 aux termes duquel M. [K] [W] a été désigné en qualité de gérant en remplacement de M. [P] [S] [B], démissionnaire.
Le 10 décembre 2018, le tribunal a converti le redressement judiciaire de la société [8] en liquidation judiciaire et a désigné la SCP [7] prise en la personne de Maître Hazane en qualité de liquidateur.
Selon les indications non contestées du liquidateur, le passif déclaré de la société [8] s’élève à la somme de 857.105,82 euros et l’actif brut réalisé s’élève à la somme de 2.703,91 euros.
Par acte des 19 et 25 mars 2021, la SCP [7] ès qualités à fait assigner MM. [P] [S] et [D] [B] devant le tribunal de commerce de Meaux aux fins de les voir condamner solidairement à contribuer à l’insuffisance d’actif de la société [8] à hauteur de 500.000 euros et aux fins de voir prononcer à leur encontre, soit une faillite personnelle, soit une interdiction de gérer. S’agissant de ces deux dernières sanctions, il était reproché, à M. [P] [S] [B], en sa qualité de gérant de droit de la société [8], et à M. [D] [B], en sa qualité de gérant de fait:
– d’avoir fait disparaître des documents comptables, de ne pas avoir tenu de comptabilité;
– d’avoir sciemment omis de demander l’ouverture d’une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire dans le délai de 45 jours à compter de la cessation des paiements;
– d’avoir détourné ou dissimulé tout ou partie de l’actif;
– de s’être abstenus volontairement de coopérer avec les organes de la procédure en faisant ainsi obstacle à son déroulement;
– de ne pas avoir remis la totalité de la liste des créanciers de la société [8] au liquidateur judiciaire;
– d’avoir employé des moyens ruineux pour se procurer des fonds.
Par jugement du 7 juin 2022 assorti de l’exécution provisoire, le tribunal de commerce de Meaux a:
– dit partiellement bien fondées les demandes de la SCP [7] ès qualités et de MM. [P] [S] et [D] [B];
– condamné solidairement MM. [P] [S] et [D] [B] à payer à la SCP [7] ès qualités la somme de 150.000 euros au titre de leur contribution à l’insuffisance d’actif;
– prononcé à l’encontre de MM. [P] [S] et [D] [B] une sanction de faillite personnelle entraînant une mesure d’interdiction de gérer pour une durée de dix années;
– dit qu’en application des articles L. 128-1 et suivants et R. 128-1 du code de commerce, cette sanction fera l’objet d’une inscription au Fichier national des interdits de gérer;
– dit que les honoraires, frais et dépens seront employés en frais privilégiés de liquidation judiciaire.
Pour motiver sa décision concernant la mesure de faillite personnelle prononcée à l’encontre de MM. [P] [S] et [D] [B], pris en leur qualité respective de gérant de droit et de gérant de fait de la société [8], le tribunal a retenu les griefs suivants:
– avoir omis de tenir une comptabilité en violation de l’article L. 123-12 du code de commerce et avoir fait disparaître des documents comptables;
– avoir sciemment omis de demander l’ouverture d’une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire dans le délai de 45 jours à compter de la cessation des paiements;
– avoir détourné ou dissimulé tout ou partie de l’actif;
– avoir employé des moyens ruineux pour se procurer des fonds;
– s’être abstenus volontairement de coopérer avec les organes de la procédure en faisant ainsi obstacle à son déroulement.
Par déclaration du 16 août 2022, MM. [P] [S] et [D] [B] ont relevé appel de ce jugement.
Le 1er août 2023, la SCP [7] ès qualités d’une part et MM. [P] [S] et [D] [B] d’autre part ont conclu une transaction dans le cadre d’une médiation judiciaire. Par ordonnance du 9 janvier 2024, le conseiller de la mise en état a homologué l’accord des parties, constaté que le liquidateur renonçait au bénéfice du jugement en ce qui concerne la condamnation pécuniaire et dit que l’instance se poursuivra du chef du jugement ayant prononcé la faillite personnelle de MM. [P] [S] et [D] [B].
Aux termes de leurs dernières conclusions déposées au greffe et notifiées par voie électronique le 15 février 2023, MM. [P] [S] et [D] [B] demandent à la cour de:
‘- PRONONCER et ORDONNER la nullité du jugement du 07/06/2022 rendu par le Tribunal de commerce de MEAUX, ainsi que tous autres actes subséquents ;
– INFIRMER ET REFORMER le jugement du 07/06/2022 rendu par le Tribunal de commerce de MEAUX dans toutes ses dispositions et notamment en ce qu’il a :
– Reçu les demandes de la SCP [7] ès-qualités, les dits bien fondées en partie, la recevant en partie,
– Condamné solidairement Monsieur [P] [S] [B] né le [Date naissance 6] 1960 à SAINT LOUIS DU SUD (HAITI) et Monsieur [D] [B] né le [Date naissance 2] 1990 à PARIS 13ème, à payer à la SCP [7] en sa qualité de liquidateur de la société [8], la somme de 150 000 €
– Prononcé à l’encontre de Monsieur [P] [S] [B] né le [Date naissance 6] 1960 à [Localité 11] (HAITI), de nationalité française et à l’encontre de Monsieur [D] [B] né le [Date naissance 2] 1990 à [Localité 10] , de nationalité française, un sanction de faillite personnelle entraînant une mesure d’interdiction de gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole et toute personne morale ayant une activité économique pour une durée de dix années
– Ordonné l’exécution provisoire du jugement
– Dit qu’en application des articles L128-1 et suivants et R128-1 du Code de commerce, cette sanction fera l’objet d’une inscription au Fichier national des interdits de gérer, dont la tenue est assurée par le Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce
Et statuer à nouveau :
– DEBOUTER la SCP [7] de toutes ses demandes en sanction pécuniaires et personnelles à l’encontre de Monsieur [P] [S] [B] et Monsieur [D] [B]
– CONDAMNER la SCP [7] au paiement de la somme de 2 500 € à Monsieur [P] [S] [B] et 2 500 € à Monsieur [D] [B] au titre de l’article 700 du CPC ;
– CONDAMNER la SCP [7] aux entiers dépens de première instance et d’appel.’
Aux termes de ses dernières conclusions d’appel incident déposées au greffe et notifiées par RPVA le 16 novembre 2022, la SCP [7] ès qualités demande à la cour de:
‘Vu l’article L 651-2 du Code de Commerce,
Voir déclarer recevable et bien fondée la SCP [7] en sa qualité de liquidatrice de la liquidation judiciaire de la société [8] en son appel incident du jugement entrepris et, statuant à nouveau voir condamner solidairement Messieurs [D] et [P] [S] à supporter personnellement l’insuffisance d’actif de la société [8] à hauteur de la somme de 500.000 € et, par voie de conséquence, les voir condamner sous la même solidarité à payer cette somme à la SCP [7] en sa qualité de liquidatrice de liquidation judiciaire de la société [8] ;
Vu les articles L 653-1, L 653-4 alinéa 5, L 653-5 alinéa 2, L 653-5 alinéa 5, L 653-5 alinéa 6,
et L 653 – 8 du Code de Commerce,
Voir confirmer le jugement entrepris concernant la sanction extra-patrimoniale prononcée contre Messieurs [D] et [P] [S] [B]’.
A l’audience du 17 septembre 2024, le conseil de la SCP [7] a déclaré renoncer à se prévaloir du grief constitué par le fait d’avoir sciemment omis de demander l’ouverture d’une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire dans le délai de 45 jours à compter de la cessation des paiements.
Aux termes de son avis n°3 remis au greffe et notifié par RPVA le 23 avril 2024, le ministère public renvoie à son avis n°2 notifié le 8 décembre 2023 aux termes duquel il sollicite, s’agissant de la mesure de faillite personnelle demeurant désormais seule en litige, la confirmation du jugement du 7 juin 2022.
La mise en état a été clôturée par ordonnance du 25 juin 2024.
La SCP [7] ès qualités ayant renoncé, selon les termes de la transaction du 1er août 2023 homologuée par le conseiller de la mise en état du 9 janvier 2024, au bénéfice du jugement dont appel en ce qui concerne la condamnation pécuniaire prononcée à l’encontre de MM. [P] [S] et [D] [B], il ne sera statué ci-après que sur les dispositions dudit jugement relatives à la sanction personnelle prononcée à l’encontre des appelants.
Sur la demande d’annulation du jugement du 7 juin 2022
A l’appui de leur demande fondée sur les articles 455 et 458 du code de procédure civile, MM. [P] [S] et [D] [B] affirment que le tribunal de commerce ne s’est fondé, pour prononcer une sanction personnelle à leur encontre, que sur de simples affirmations générales.
Il résulte de la combinaison des article 455 et 458 du code de procédure civile que le jugement, à peine de nullité, doit exposer succinctement les prétentions respectives des parties et leurs moyens. Cet exposé peut revêtir la forme d’un visa des conclusions des parties avec l’indication de leur date. Le jugement doit être motivé.
En l’espèce, le tribunal a énoncé dans son jugement les différents griefs qu’il a retenus à l’encontre de MM. [P] [S] et [D] [B], les faits qu’il a pris en considération pour les caractériser, notamment le défaut de tenue de comptabilité sur la période courant du 1er janvier 2017 au 1er octobre 2018 et le défaut de remise au liquidateur de la totalité de la liste des créanciers de l’entreprise, et les éléments sur lesquels il a fondé son analyse, notamment les propres déclarations de MM. [P] [S] et [D] [B] et le rapport de l’administrateur judiciaire.
Au vu de ces éléments, la demande d’annulation du jugement est mal fondée et sera rejetée.
Sur les griefs allégués à l’encontre de MM. [P] [S] et [D] [B]
Sur les qualités de dirigeant de fait de M. [D] [B] et de dirigeant de droit de
M. [S] [B]
Aux termes de leurs conclusions, M. [D] [B] reconnaît expressément avoir été le gérant de fait de la société [8], M. [P] [S] [B] assurant pour sa part n’avoir été qu’un ‘gérant de paille’.
Il sera donc tenu pour établi que M. [D] [B] a exercé les fonctions de dirigeant de droit à compter de la création de la société [8] et jusqu’au 4 novembre 2016, date de son remplacement par son père en qualité de gérant, puis de dirigeant de fait à compter de cette date et jusqu’au jugement de liquidation judiciaire. Quant à M. [P] [S] [B], ce dernier a exercé les fonctions de dirigeant de droit à compter du 4 novembre 2016 jusqu’au 3 septembre 2018, date à laquelle, au vu du procès-verbal d’assemblée générale versé aux débats, il a été remplacé en qualité de gérant par M. [K] [W].
Sur le fait d’avoir omis de tenir une comptabilité et d’avoir fait disparaître des documents comptables
Il résulte de l’article L. 653-5, 6°, du code de commerce que le tribunal peut prononcer la faillite personnelle de toute personne mentionnée à l’article L. 653-1 contre laquelle a été relevé le fait d’avoir fait disparaître des documents comptables, ne pas avoir tenu de comptabilité lorsque les textes applicables en font obligation, ou d’avoir tenu une comptabilité fictive, manifestement incomplète ou irrégulière au regard des dispositions applicables.
Aux termes de l’article L. 123-12 du code de commerce, toute personne physique ou morale ayant la qualité de commerçant doit procéder à l’enregistrement comptable des mouvements affectant le patrimoine de son entreprise. Ces mouvements sont enregistrés chronologiquement. Elle doit contrôler par inventaire, au moins une fois tous les douze mois, l’existence et la valeur des éléments actifs et passifs du patrimoine de l’entreprise. Elle doit établir des comptes annuels à la clôture de l’exercice au vu des enregistrements comptables et de l’inventaire. Ces comptes annuels comprennent le bilan, le compte de résultat et une annexe, qui forment un tout indissociable.
Aux termes de l’article L. 123-14 du code de commerce, les comptes annuels doivent être réguliers, sincères et donner une image fidèle du patrimoine, de la situation financière et du résultat de l’entreprise.
En l’espèce, le liquidateur expose que malgré de multiples correspondances, qu’il verse aux débats, il ne lui a été remis que le bilan et le compte d’exploitation de l’entreprise et la liste des immobilisations au 31 décembre 2016, de sorte que la société [8] paraît ne pas avoir tenu de comptabilité pour la période courant du 1er janvier 2017 au 1er octobre 2018, date du redressement judiciaire de l’entreprise.
Ce fait n’est pas contesté par MM. [P] [S] et [D] [B]. Ces derniers font néanmoins valoir que le défaut de tenue de la comptabilité de l’exercice 2017 ne peut leur être reproché car le nouveau comptable de la société [8] n’a pu obtenir les documents nécessaires pour établir les comptes en raison d’un litige avec son prédécesseur. Toutefois, cette circonstance, serait-elle établie, est inopérante dès lors qu’il appartient au dirigeant de l’entreprise de s’assurer du respect des dispositions précitées du code de commerce et d’engager à cette fin toute action utile, y compris judiciaire le cas échéant, en vue d’obtenir de l’ancien comptable de la société la communication des pièces et informations susceptibles d’être indûment retenues par ce dernier.
MM. [P] [S] et [D] [B] indiquent par ailleurs qu’il ne peut leur être fait grief de ne pas avoir tenu de comptabilité au titre de l’année 2018 puisque la liquidation judiciaire est intervenue le 10 décembre 2018, soit avant la clôture de l’exercice comptable prévue le 31 décembre. Il est exact qu’une société n’est pas tenue de clôturer par anticipation son exercice comptable en cas d’ouverture d’une procédure collective. Pour autant, il appartenait à la société [8] de tenir une comptabilité au cours de l’exercice 2018 en procédant à l’enregistrement comptable chronologique des mouvements affectant le patrimoine de l’entreprise. Or, il est constant qu’elle n’y a pas procédé pour la période courant du 1er janvier 2018 au 1er octobre 2018, date du jugement d’ouverture de la procédure de redressement judiciaire.
C’est donc à bon droit que les premiers juges ont retenu le grief de défaut de tenue d’une comptabilité pour la période courant du 1er janvier 2017 au 1er octobre 2018.
M. [P] [S] [B] fait valoir que le tribunal, en prononçant une sanction de faillite personnelle à son encontre, n’a pas tenu compte du fait qu’il n’était que le ‘gérant de paille’ de la société [8]. Toutefois, la direction de complaisance ne constitue pas un fait justificatif.
M. [P] [S] [B] se prévaut également du fait qu’il a été remplacé par M. [K] [W] lors de l’assemblée générale du 3 septembre 2018. Toutefois, les faits qui lui sont reprochés ont été commis alors qu’il était le dirigeant de droit de l’entreprise et que cette dernière était déjà en difficulté depuis 2017 selon les déclarations de M. [D] [B], gérant de fait, figurant dans le rapport de l’administrateur judiciaire.
Au vu de ces éléments, le tribunal a considéré à bon droit que le grief était constitué tant à l’égard de M. [D] [B] que de M. [P]-[S] [B].
Sur le fait d’avoir détourné ou dissimulé tout ou partie de l’actif
Aux termes de l’article L. 653-4 du code de commerce, le tribunal peut prononcer la faillite personnelle de tout dirigeant, de droit ou de fait, d’une personne morale, contre lequel a été relevé le fait d’avoir détourné ou dissimulé tout ou partie de l’actif ou frauduleusement augmenté le passif de la personne morale.
En l’espèce, le liquidateur verse aux débats la liste détaillée des immobilisations de l’exercice 2016 dont il ressort que la société [8] était propriétaire de divers matériels de transport d’une valeur d’achat totale de 363.108,33 euros. Dans son rapport du 29 octobre 2018, le commissaire-priseur désigné par le tribunal mentionne ce qui suit: ‘Interrogé sur la présence de 363 108 € de matériel de transport dans son tableau des immobilisations de l’exercice 2016, le débiteur a déclaré que ce matériel avait été vendu et n’a fourni aucun justificatif.’ Selon les déclarations du liquidateur, étayées par les pièces versées aux débats, aucun des véhicules n’a pu être retrouvé sauf l’un d’eux, d’une valeur d’achat de 30.000 euros, devenu la propriété d’un tiers qui l’a apporté à une société [9] constituée au cours de la période d’observation.
MM. [P] [S] et [D] [B] n’articulent aucune contestation ni explication au sujet de ces faits.
Au vu de ces éléments, le grief est caractérisé et sera retenu, pour les motifs exposés ci-dessus, tant à l’égard de M. [D] [B] que de M. [P]-[S] [B].
Sur le fait d’avoir employé des moyens ruineux pour se procurer des fonds
Aux termes de l’article L. 653,5, 2°, du code de commerce, le tribunal peut prononcer la faillite personnelle de toute personne mentionnée à l’article L. 653-1 contre laquelle a été relevé le fait d’avoir, dans l’intention d’éviter ou de retarder l’ouverture de la procédure de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire, fait des achats en vue d’une revente au-dessous du cours ou employé des moyens ruineux pour se procurer des fonds.
En l’espèce, le liquidateur se prévaut du fait que plus de la moitié du passif de la société [8] est constitué d’une dette de TVA, ce qui a entraîné des pénalités de la part de l’administration. Le tribunal a pris ce fait en considération pour caractériser le grief.
Toutefois, ainsi que le soutiennent les appelants, le fait pour une entreprise de laisser se constituer une dette de TVA ne constitue pas un acte positif visant à se procurer des fonds par des moyens ruineux.
C’est donc à tort que les premiers juges ont retenu ce grief.
Sur le fait de s’être abstenus volontairement de coopérer avec les organes de la procédure en faisant ainsi obstacle à son déroulement,
Aux termes de l’article L. 653-5, 5°, du code de commerce, le tribunal peut prononcer la faillite personnelle de toute personne mentionnée à l’article L. 653-1 contre laquelle a été relevé le fait d’avoir, en s’abstenant volontairement de coopérer avec les organes de la procédure, fait obstacle à son bon déroulement.
En l’espèce, le liquidateur explique que MM. [P] [S] et [D] [B] ont omis de lui remettre la liste des créanciers de la société [8]. Le tribunal a pris ce fait en considération pour caractériser le grief.
Il résulte toutefois de l’article L. 653-8 du code de commerce, expressément visé par le liquidateur, et de l’article L. 622-6 auquel il renvoie, que le fait, pour le débiteur de mauvaise foi, de ne pas remettre au liquidateur la liste de ses créanciers ne peut entraîner qu’une interdiction de gérer et non une faillite personnelle.
C’est donc à tort que les premiers juges ont retenu ce grief pour prononcer une faillite personnelle, étant observé que la cour, considérant devoir prononcer une faillite personnelle et non une interdiction de gérer au vu des griefs caractérisés ci-dessus, n’entend pas retenir ce grief, fût-il établi
Sur le fait d’avoir sciemment omis de demander l’ouverture d’une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire dans le délai de 45 jours à compter de la cessation des paiements
Il résulte de l’article L. 653-8 du code de commerce que ce fait, lorsqu’il est caractérisé, ne peut entraîner que le prononcé d’une interdiction de gérer et non une mesure de faillite personnelle.
C’est donc à tort que les premiers juges ont retenu ce grief pour prononcer une mesure de faillite personnelle. La cour, considérant devoir prononcer une faillite personnelle et non une interdiction de gérer, n’entend pas retenir ce grief, et ce d’autant que le liquidateur de la société [8] a déclaré à l’audience qu’il renonçait à s’en prévaloir dans la mesure où il souhaitait voir confirmer la sanction de faillite personnelle.
Sur la sanction
Au regard des griefs retenus à l’encontre de MM. [P] [S] et [D] [B], le jugement sera confirmé en ce qu’il a prononcé à leur encontre une mesure de faillite personnelle.
MM. [P] [S] et [D] [B] expliquent qu’ils perçoivent de faibles revenus et qu’ils sont tous deux non imposables. M. [D] [B] précise qu’il est actuellement chauffeur de taxi et a trois enfants mineurs à sa charge. Au vu des justificatifs de leur situation personnelle produits par les appelants, la durée de la sanction sera réduite à quatre ans.
Sur les dépens
MM. [P] [S] et [D] [B], qui demeurent sanctionnés en appel, seront condamnés in solidum aux dépens de la procédure d’appel.
Déboute MM. [P] [S] et [D] [B] de leur demande d’annulation du jugement,
Constate qu’en exécution de la transaction conclue le 1er août 2023 entre, d’une part, la SCP [7] ès qualités, d’autre part, MM. [P] [S] et [D] [B], homologuée par ordonnance du conseiller de la mise en état du 9 janvier 2024, la SCP [7] ès qualités renonce au bénéfice du jugement dont appel en ce qui concerne la condamnation pécuniaire prononcée à l’encontre de MM. [P] [S] et [D] [B] au titre de leur responsabilité dans l’insuffisance d’actif de la société [8],
Pour le surplus, confirme le jugement, sauf en ce qu’il a fixé la durée de la faillite personnelle à dix ans,
Statuant du chef infirmé et y ajoutant,
Fixe la durée de la faillite personnelle à quatre ans et ordonne la modification de l’inscription de la durée de la sanction au Fichier national des interdits de gérer,
Condamne in solidum MM. [P] [S] et [D] [B] aux dépens de l’appel.
La greffière,
Liselotte FENOUIL
La présidente,
Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT