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Madame [W] [E] a signé un contrat d’agent commercial immobilier avec la SARL Civ Conseil le 21 juillet 2014. Le 5 juin 2019, la SARL Civ Conseil a dénoncé ce contrat avec un préavis de trois mois, sans fournir de motifs. Le 29 mai 2020, Madame [E] a demandé une indemnité compensatrice, qui a été refusée par la SARL Civ Conseil. En conséquence, elle a assigné la société en justice le 26 mars 2021, réclamant 73 000 euros pour le préjudice subi suite à la rupture du contrat. Le tribunal de commerce de Toulouse a rendu un jugement le 27 juin 2022, déboutant Madame [E] de ses demandes et la condamnant à verser 1 200 euros à la SARL Civ Conseil. Madame [E] a fait appel de cette décision le 20 juillet 2022.
Dans ses conclusions, elle a demandé la réformation du jugement, le paiement de 73 000 euros en indemnité compensatrice, ainsi que 5 000 euros pour les frais de justice. Elle a soutenu qu’elle n’avait pas commis de faute grave et a produit des éléments concernant son chiffre d’affaires. De son côté, la SARL Civ Conseil a demandé le rejet des demandes de Madame [E], affirmant qu’elle avait commis une faute grave et que l’indemnisation n’était pas due. La cour a finalement infirmé le jugement initial, condamnant la SARL Civ Conseil à verser à Madame [E] 72 750,49 euros au titre de l’indemnité de rupture, tout en déboutant la société de sa demande de délai de paiement et en lui imposant de couvrir les dépens de la procédure. |
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
ARRÊT N°379
N° RG 22/02742 – N° Portalis DBVI-V-B7G-O5CC
VS AC
Décision déférée du 27 Juin 2022 – Tribunal de Commerce de TOULOUSE – 2021J00174
M RIGAUD
[W] [E]
C/
S.A.R.L. CIV CONSEIL
INFIRMATION
Grosse délivrée
le
à
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
***
COUR D’APPEL DE TOULOUSE
2ème chambre
***
ARRÊT DU QUINZE OCTOBRE DEUX MILLE VINGT QUATRE
***
APPELANTE
Madame [W] [E]
[Adresse 3]
[Localité 1]
Représentée par Me Stéphane ROSSI-LEFEVRE, avocat au barreau de TOULOUSE
INTIMEE
S.A.R.L. CIV CONSEIL prise en la personne de son représentant légal, M. [V] [T], domicilié en cette qualité au siège social de la société
[Adresse 4]
[Localité 2]
Représentée par Me Juliane POINTEAUX, avocat au barreau de TOULOUSE
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 805 et 907 du Code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 05 Mars 2024, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant V. SALMERON, Conseillère chargée du rapport. Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
V. SALMERON, présidente
I. MARTIN DE LA MOUTTE, conseillère
S. MOULAYES, conseillère
Greffier, lors des débats : A. CAVAN
ARRET :
– contradictoire
– prononcé publiquement par mise à disposition au greffe après avis aux parties
– signé par V. SALMERON, présidente, et par A. CAVAN, greffier de chambre.
Par contrat du 21 juillet 2014, Madame [W] [E] a souscrit un contrat d’agent commercial immobilier auprès de la SARL Civ Conseil.
Par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 5 juin 2019, la SARL Civ Conseil a dénoncé le contrat d’agent commercial conclu avec Madame [E] en mentionnant une durée de préavis de 3 mois et sans évoquer de motifs de rupture.
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 29 mai 2020, Madame [E] a adressé une demande d’indemnité compensatrice prévue par l’article L134-12 du code de commerce à la SARL Civ Conseil.
Le versement de cette indemnité a été refusé par la SARL Civ Conseil.
Par acte d’huissier en date du 26 mars 2021, [W] [E] a assigné la SARL Civ Conseil devant le tribunal de commerce de Toulouse aux fins de condamnation au paiement de 73 000 euros au titre de l’indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi à l’occasion de la rupture du contrat d’agent commercial.
Par jugement du 27 juin 2022, le tribunal de commerce de Toulouse a :
-débouté Madame [W] [E] de ses demandes,
-condamné Madame [W] [E] au versement de la somme de 1 200 euros à la SARL Civ Conseil au titre de l’article 700 du code de procédure civile (cpc),
-condamné Madame [W] [E] aux dépens.
Par déclaration en date du 20 juillet 2022, Madame [W] [E] a relevé appel du jugement aux fins d’en voir réformés les chefs de dispositif ayant :
– débouté Madame [E] de l’intégralité de ses demandes,
-condamné Madame [E] à payer à la société Civ Conseil une somme de 1.200 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
-condamné Madame [E] aux entiers dépens.
La clôture est intervenue le 5 février 2024 et l’affaire a été appelée à l’audience du 5 mars 2024.
Prétentions et moyens des parties :
Par conclusions notifiées le 20 septembre 2022 auxquelles il est fait expressément référence pour l’énoncé du détail de l’argumentation, de Madame [W] [E] demande de :
– réformer le jugement du tribunal de commerce de Toulouse du 27 juin 2022 en toutes ses dispositions,
– par conséquent,
– condamner la société Civ Conseil à payer à Madame [E] une somme de 73 000 euros à titre de dommages et intérêts à titre d’indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi à l’occasion de la rupture du contrat d’agent commercial signé entre les parties le 21 juillet 2014 ;
– condamner la société Civ Conseil à payer à Madame [E] une somme de 5000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamner la société Civ Conseil aux entiers dépens de première instance et d’appel et aux éventuels frais d’exécution de la décision à intervenir.
Madame [E] soutient ne pas avoir commis de faute grave la privant de son droit à indemnité compensatrice de la rupture du contrat d’agent commercial.
Elle rappelle que le contrat souscrit en matière de résiliation fait référence aux usages de la profession d’agent commercial et non à ceux d’agent immobilier et demande deux années de commissions d’indemnisation alors qu’elle avait une ancienneté importante et produit son chiffre d’affaires en 2018 et 2019.
Par conclusions d’intimée notifiées le 6 décembre 2022 auxquelles il est fait expressément référence pour l’énoncé du détail de l’argumentation, de la SARL Civ Conseil demande, au visa des articles L314-11 du code de commerce, de :
– rejetant toutes conclusions contraires comme injustes et mal fondées,
– à titre principal,
– débouter Madame [E] de toutes ses demandes, fins et prétentions,
– confirmer le jugement dont appel en toutes ses dispositions,
– y ajoutant,
– condamner Madame [E] à payer à la Sarl Civ Conseil une somme de 3.000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner Madame [E] aux entiers dépens de la procédure de première instance et d’appel
– à titre subsidiaire, si par extraordinaire, le jugement dont appel était réformé,
– confirmer le jugement dont appel en ce qu’il a débouté Madame [W] [E] de ses demandes, le réformer pour le surplus et statuant à nouveau:
– allouer à Madame [E] la somme de 10.000 euros à titre d’indemnité compensatrice,
– autoriser la Sarl Civ Conseil à s’acquitter de cette somme en trois règlements, le 1er devant intervenir un mois après que la décision sera devenue définitive,
– débouter Madame [E] de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile car succombant partiellement,
– dire et juger que chaque partie conservera ses dépens,
– en tout état de cause,
– rejeter la demande de condamnation de Madame [E] de voir condamner la Sarl Civ Conseil « aux éventuels frais d’exécution de la décision à intervenir ».
La SARL Civ Conseil soutient le fait que Madame [E] a commis une faute grave pendant l’exécution du contrat d’agent commercial, découverte postérieurement à la rupture de celui-ci, la privant de son droit à indemnité compensatrice.
Subsidiairement, elle estime que l’indemnisation n’est pas due à défaut de préjudice certain subi par [W] [E] et ne pourrait dépasser 10.000 euros.
-Sur la rupture du contrat d’agent commercial d'[W] [E] et le droit à l’indemnité de rupture :
Aux termes de l’article L.134-4 du code de commerce « Les contrats intervenus entre les agents commerciaux et leurs mandants sont conclus dans l’intérêt commun des parties. Les rapports entre l’agent commercial et le mandant sont régis par une obligation de loyauté et un devoir réciproque d’information. L’agent commercial doit exécuter son mandat en bon professionnel ; le mandant doit mettre l’agent commercial en mesure d’exécuter son mandat ».
L’article L 134-11 du code de commerce dispose que« [..] Lorsque le contrat d’agence est à durée indéterminée, chacune des parties peut y mettre fin moyennant un préavis. [..] La durée du préavis est d’un mois pour la première année du contrat, de deux mois pour la deuxième année commencée, de trois mois pour la troisième année commencée et les années suivantes. [..] Ces dispositions ne s’appliquent pas lorsque le contrat prend fin en raison d’une faute grave de l’une des parties ou de la survenance d’un cas de force majeure ».
En application de l’article L134-12 du code de commerce « en cas de cessation de ses relations avec le mandant, l’agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi. [..]
Toutefois, l’article et L 134-13 indique que :« La réparation prévue à l’article L. 134-12 n’est pas due dans les cas suivants : 1° La cessation du contrat est provoquée par la faute grave de l’agent commercial ; 2° La cessation du contrat résulte de l’initiative de l’agent à moins que cette cessation ne soit justifiée par des circonstances imputables au mandant ou dues à l’âge, l’infirmité ou la maladie de l’agent commercial, par suite desquels la poursuite de son activité ne peut plus être raisonnablement exigée ; [..] ».
En l’espèce, la SARL Civ Conseil reproche à Madame [E] l’achat en direct d’un bien immobilier sous mandat de vente de la société.
[W] [E] demande le paiement de son indemnité de rupture. Elle conteste la faute grave retenue par les premiers juges et soutient d’une part que la lettre de cessation de son contrat d’agent commercial ne mentionne pas de motif de rupture et d’autre part qu’un délai de préavis de 3 mois est prévu de sorte que la société Civ Conseil ne peut s’en prévaloir pour refuser de lui verser l’indemnité de rupture. Elle ajoute que l’achat du bien immobilier sous mandat de vente avec l’agence immobilière Civ Conseil n’a pas été réalisé à l’insu de cette dernière qui avait en réalité renoncé au paiement de commissions.
La sarl Civ Conseil explique l’absence de motif de rupture dans la lettre par le fait qu’elle n’a eu connaissance de la faute grave, commise pendant l’exécution du contrat, que postérieurement à sa rupture . .
En application de l’article 9 du code civil, il appartient à la mandante de rapporter la preuve de la faute grave de son agent commercial qu’elle allègue, le privant de l’indemnité de rupture.
[W] [E] en achetant en direct le bien immobilier sous mandat de vente avec la société Civ Conseil a commis une faute grave dès lors qu’elle n’établit pas, comme elle le prétend, que son mandant, l’agence immobilière, était informé de son achat litigieux et qu’elle avait renoncé à toute commission.
Cependant la jurisprudence retient désormais que l’agent commercial qui a commis un manquement grave, antérieurement à la rupture du contrat, dont il n’a pas été fait état dans la lettre de résiliation et a été découvert postérieurement à celle-ci par le mandant, de sorte qu’il n’a pas provoqué la rupture, ne peut être privé de son droit à indemnité (Cf Com., 16 novembre 2022, pourvoi n° 21-17.423).
En l’espèce, le compromis de vente a été signé le 12 mars 2019 et le contrat d’agent commercial a été dénoncé par Civ Conseil le 5 juin 2019. sans y faire référence La société Civ Conseil dit avoir découvert l’achat du bien par [W] [E] courant juillet 2020, soit postérieurement à la fin du contrat.
Dès lors, [W] [E] ne peut être privée de son droit à indemnité en compensation de la rupture du contrat d’agent commercial..
Le jugement de première instance sera en conséquence infirmé de ce chef.
-Sur l’indemnité de rupture :
Aux termes de l’article L 134-12 du code de commerce, en cas de cessation de ses relations avec le mandant, l’agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi.
L’agent commercial n’a pas à justifier de l’existence d’un préjudice personnel spécifique.
L’agence Civ Conseil sera donc condamnée à verser à [W] [E] une indemnité de rupture.
Madame [E] sollicite le versement d’une indemnité de rupture en se référant aux usages de la profession d’agent commercial stipulés dans le contrat d’agent commercial. Sur ce fondement, elle prétend à une indemnité compensatrice de 73.000 € correspondant à deux années de commissions brutes.
La société Civ Conseil conteste les modalités de calcul de l’indemnité. Elle se réfère aux recommandations de la chambre nationale des agents commerciaux en immobilier (CNACIM) laquelle énonce que dans le secteur immobilier, l’indemnité des agents commerciaux ne saurait être supérieure à 3 ou 4 mois de commissions.
Cette recommandation ne constitue pas un usage suffisamment établi pour permettre à la cour de s’appuyer sur cette seule recommandation afin de calculer l’indemnité compensatrice.
Aux termes de l’article 1103 du code civil « les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits ».
L’article 8 du contrat d’agent commercial immobilier conclu entre la SARL Civ Conseil et [W] [E] stipule que l’indemnité compensatrice en cas de résiliation du présent contrat soit calculée selon « les usages de la profession d’agent commercial ».
Par ailleurs, il est de jurisprudence constante qu’en la matière, l’indemnité de rupture est calculée sur la base des deux dernières années de commissions brutes.
En l’espèce, le relevé des commissions extrait du livre de la société Civ Conseil produit par Madame [E] dans sa pièce n°9 mentionne un chiffre d’affaires de 35 624, 58 € pour l’année 2018 et de 37 125,91 € pour l’année 2019. Ce relevé ne fait l’objet d’aucune contestation de la part de la société Civ Conseil.
La cour évalue la commission moyenne annuelle sur ces deux années à 36.375,24 euros =( 35.624,58 + 37.125,91) / 2 .
Il résulte de l’ensemble de ces éléments que la société Civ Conseil sera condamnée à verser à Madame [E] la somme de 72.750,49€ (=2X 36.375,24 euros) au titre de l’indemnité de rupture.
-Sur les délais de grâce ;
Subsidiairement la sarl Civ Conseil demande des délais de paiement pour s’acquitter de sa dette en 3 fois mais elle ne précise pas la durée du dit délai.
Selon l’article 1343-5 du code civil, le juge peut accorder des délais de paiement en fonction de la situation du débiteur et des besoins du créancier. Il appartient au débiteur qui en fait la demande de justifier de ses difficultés financières et matérielles.
En l’espèce, la sarl Civ conseil n’apporte aucun élément sur sa situation actuelle et ses difficultés à répondre à son obligation de paiement ; elle sera donc déboutée de sa demande.
-Sur les demandes accessoires :
La sarl Civ Conseil qui succombe sera condamnée aux entiers dépens de première instance et d’appel et au versement de 3.000 euros à [W] [E] au titre des frais irrépétibles.
La cour statuant en dernier ressort, de manière contradictoire et par mise à disposition au greffe,
-Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau :
– Condamne la SARL Civ Conseil à verser à [W] [E] la somme de 72 750,49 euros au titre de l’indemnité de rupture,
– Déboute la sarl Civ Conseil de sa demande de délai de paiement
-Condamne la SARL Civ Conseil aux entiers dépens de première instance et d’appel,
-Condamne la SARL Civ Conseil à verser à [W] [E] 3.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles de première instance et d’appel.
Le greffier, La présidente,
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