Rupture de concours bancaires : la responsabilité de la banque

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Rupture de concours bancaires : la responsabilité de la banque
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La rupture brutale des concours financiers prêtés par la banque à son client, sans préavis, engage sa responsabilité.

La notification écrite

Aux termes des dispositions de l’article L 313-12 du code monétaire et financier, tout concours à durée indéterminée, autre qu’occasionnel, qu’un établissement de crédit ou une société de financement consent à une entreprise, ne peut être réduit ou interrompu que sur notification écrite et à l’expiration d’un délai de préavis fixé lors de l’octroi du concours.

Le préavis de 60 jours

Ce délai ne peut, sous peine de nullité de la rupture du concours, être inférieur à soixante jours. Dans le respect des dispositions légales applicables, l’établissement de crédit ou la société de financement fournit, sur demande de l’entreprise concernée, les raisons de cette réduction ou interruption, qui ne peuvent être demandées par un tiers, ni lui être communiquées. L’établissement de crédit ou la société de financement ne peut être tenu pour responsable des préjudices financiers éventuellement subis par d’autres créanciers du fait du maintien de son engagement durant ce délai.

La faute grave du client

L’établissement de crédit ou la société de financement n’est pas tenu de respecter un délai de préavis, que l’ouverture de crédit soit à durée indéterminée ou déterminée, en cas de comportement gravement répréhensible du bénéficiaire du crédit ou au cas où la situation de ce dernier s’avérerait irrémédiablement compromise.

Le non-respect de ces dispositions peut entraîner la responsabilité pécuniaire de l’établissement de crédit ou de la société de financement.

Responsabilité de la banque écartée

En l’espèce, au titre des concours octroyés à Mme [F], se trouvaient deux cartes avec octroi d’un concours mensuel de 15 000 euros renouvelable chacune au début du mois de février 2018, un découvert autorisé de 30 000 euros et un billet de trésorerie à échéance.

Les conventions d’octroi desdits concours ou moyens financiers ne sont aucunement produites aux débats, lequel évoque la rupture des « contrats monétiques » et non des concours financiers, ni de déterminer avec précision quelle eût été le préavis contractuel envisagé entre les parties, celui de trois mois évoqué résultant du contrat monétique et aucun élément n’établissant qu’un tel délai s’appliquait également à l’ensemble des concours octroyés. La rupture brutale a donc été écartée par la juridiction.


République Française

Au nom du Peuple Français





COUR D’APPEL DE DOUAI



CHAMBRE 2 SECTION 2



ARRÊT DU 29/06/2023





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N° de MINUTE :

N° RG 21/03787 – N° Portalis DBVT-V-B7F-TXOY

& N° RG 21/6281 (joints par ordonnance du 17 novembre 2022)



Jugement (N° 2019001039) rendu le 16 mars 2021 par le tribunal de commerce de Valenciennes





APPELANTS



Maître [S] [X] ès qualités de liquidateur de Madame [W] [F], exploitant sous l’enseigne ‘Victoria Kha’, fonction à laquelle il a été désigné suivant jugement rendu par le tribunal de commerce de Valenciennes en date du 26 mars 2018.

demeurant [Adresse 2]



Monsieur [C] [L]

né le [Date naissance 4] 1970 à [Localité 7], de nationalité française

demeurant [Adresse 8] (Belgique)

ès qualités de représentant légal de son fils mineur, Monsieur [B] [L], né à [Localité 6] (Belgique) le [Date naissance 5] 2002, de nationalité belge,



Monsieur [B] [L],

né le [Date naissance 5] 2002 à [Localité 6] (Belgique), de nationalité belge

demeurant [Adresse 8]



représentés par Me Vincent Speder, avocat au barreau de Valenciennes, avocat constitué, substitué par Me Pauline Maillard, avocat au barreau de Valenciennes



INTIMÉES



SA BNP Paribas, agissant poursuite et diligence de son représentant légal en exercice, domicilié en cette qualité audit siège.

ayant son siège social, [Adresse 3]



représentée par Me Jonathan Da Ré, avocat au barreau de Valenciennes, avocat constitué





DÉBATS à l’audience publique du 04 avril 2023 tenue par Nadia Cordier magistrat chargé d’instruire le dossier qui a entendu seule les plaidoiries, les conseils des parties ne s’y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 805 du code de procédure civile).

Les parties ont été avisées à l’issue des débats que l’arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.



GREFFIER LORS DES DÉBATS : Marlène Tocco



COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Samuel Vitse, président de chambre

Nadia Cordier, conseiller

Agnès Fallenot, conseiller



ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 29 juin 2023 (date indiquée à l’issue des débats) et signé par Samuel Vitse, président et Marlène Tocco, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.



ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 14 mars 2023



****





Mme [W] [F] exploitait, depuis 2006, un site de ventes d’articles de mode, bijoux fantaisie et lingerie sur internet sous le nom commercial et l’enseigne Victoria Kha.



Le 15 février 2008, celle-ci a déclaré sa cessation des paiements.

Par jugement du 19 février 2018, le tribunal de commerce de Valenciennes a prononcé son redressement judiciaire, ledit jugement ayant désigné Me [S] [X] en qualité de mandataire judiciaire.

Dans les jours qui ont suivi, Mme [W] [F] n’a pu ouvrir de compte bancaire, ni obtenir les moyens de paiement afférents à ce compte.



Par une ordonnance de référé du 20 mars 2018, le président du tribunal de commerce de Valenciennes a, au visa des dispositions des articles L. 622-13 du code de commerce, 1134 du code civil, 872 et 873 du code de procédure civile :

– dit et jugé Mme [F] recevable en ses demandes :

– condamné la Banque nationale de Paris BNP Paribas sous astreinte de 1 500 € par jour de retard à compter de la signification de la décision, à mettre en place sur le compte RJ le contrat monétique dont Madame [F] disposait antérieurement de telle sorte qu’elle puisse recevoir les paiements par carte bleue de ses clients ;

– condamné la Banque nationale de Paris BNP Paribas sous astreinte de 1 500 € par jour de retard à compter de la signification de la décision, à remettre à Madame [F] des moyens de paiement sur le compte RJ, à savoir un chéquier et une carte bleue et les codes pour qu’elle puisse accéder par internet à son compte RJ et connaître le solde de celui-ci ;

– condamné la Banque nationale de Paris BNP Paribas sous astreinte de 1 500 € par jour de retard à compter de la signification de la décision, à reverser sur le compte RJ toute somme qui aurait été mise au crédit de l’ancien compte postérieurement au 19 février 2018 ;

– condamné la Banque nationale de Paris BNP Paribas à verser à Mme [F] la somme de 1 500 € en application de 1’article 700 du code de procédure civile ;

– condamné la Banque nationale de Paris BNP Paribas aux entiers frais et dépens, les frais de greffe sont liquidés à la somme de 65,17 euros.



Par jugement du 26 mars 2018, le tribunal de commerce de Valenciennes a converti la procédure de redressement judiciaire en liquidation judiciaire, ledit jugement ayant désigné Me [X] en qualité de liquidateur judiciaire.



Par acte d’huissier de justice en date du 10 janvier 2019, Mme [W] [F] a fait assigner la banque BNP Paribas par-devant le tribunal de commerce de Valenciennes.



Mme [W] [F] est décédée le [Date décès 1] 2020. M. [C] [L] est intervenu en qualité de représentant légal de leur fils mineur, [B] [L].



Par jugement contradictoire et en premier ressort du 16 mars 2021, le tribunal de commerce de Valenciennes a :

Vu l’article L 313-12 du code monétaire et financier ;

Vu les articles 622-7 et 622-13 du code de commerce ;

– pris acte que la société BNP Paribas ne soutient plus sa fin de non-recevoir ;

– accueilli partiellement Maître [X] en ses demandes ;

En conséquence ;

– condamné la Banque nationale de Paris BNP Paribas à payer à Maître [X], es-qualités de liquidateur judiciaire à la liquidation judiciaire de feu Mme [W] [F] la somme de 10 000 euros ;

– débouté Maître [S] [X], ès qualités de liquidateur judiciaire à la liquidation judiciaire de feu Mme [W] [F] de sa demande en réparation au titre de la perte de chance ;

– débouté Monsieur [C] [L], ès qualités, de représentant légal de son fils mineur [B] [L], de sa demande en réparation du préjudice moral de Mme [F] ;

– dit y avoir lieu à exécution provisoire ;

– dit n’y avoir lieu en l’état d’allouer de part et d’autre d’indemnité sur le fondement des dispositions de1’article 700 du code de procédure civile ;

– laissé à chacune des parties la charge des dépens par elle engagé.



Par déclaration en date du 8 juillet 2021, Me [X], ès qualités de liquidateur judiciaire de Mme [F] et M. [C] [L], ès qualités de représentant légal de son fils mineur, ont interjeté appel de la décision en ce qu’elle a : « – CONDAMNER la BANQUE NATIONALE DE PARIS, BNP PARIBAS à payer à Maître [X], es-qualités de liquidateur judiciaire à la liquidation judiciaire de feu Madame [W] [F] la somme de 10 000 euros ;

-DEBOUTER Maître [S] [X], es-qualités de liquidateur judiciaire à la liquidation judiciaire de feu Madame [W] [F] de sa demande en réparation au titre de la perte de chance ;

– DEBOUTER Monsieur [C] [L], es-qualités, de représentant légal de son fils mineur [B] [L], de sa demande en réparation du préjudice moral de Madame [F] ;

– DIT n’y avoir lieu en l’état d’allouer de part et d’autre d’indemnité sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

– LAISSER à chacune des parties la charge des dépens par elle engagé, les frais de greffe sont liquidés à la somme de 95,62 euros.

Il est demandé à la Cour, statuant à nouveau de :

– CONDAMNER la BANQUE NATIONALE DE PARIS PARIBAS à verser à Maître [S] [X], es-qualités de liquidateur de Madame [W] [F], exploitant sous l’enseigne « VICTORIA KHA », la somme de 15 000 euros pour rupture des concours financiers sans préavis écrit ;

– CONDAMNER la BANQUE NATIONALE DE PARIS PARIBAS à verser à Maître [S] [X], ès-qualités de liquidateur de Madame [W] [F], exploitant sous l’enseigne « VICTORIA KHA », la somme de 50 000 euros en réparation de la perte de chance de sauver son fonds de commerce ;

– CONDAMNER la BANQUE NATIONALE DE PARIS PARIBAS à verser à Monsieur [C] [L], es-qualité de représentant légal de son fils mineur [B] [L] la somme de 15 000 euros en réparation du préjudice moral de Madame [F] ;

– CONDAMNER la BANQUE NATIONALE DE PARIS PARIBAS à verser à Monsieur [C] [L], es-qualité de représentant légal de son fils mineur [B] [L] et Maître [S] [X], es-qualités de liquidateur de Madame [W] [F], exploitant sous l’enseigne « VICTORIA KHA », la somme de 3 000 euros, chacun, en application des dispositions de l’article 700 du Code de Procédure Civile ;

– CONDAMNER la BANQUE NATIONALE DE PARIS PARIBAS aux entiers dépens ».

Cette déclaration a été enregistré sous le n° RG 21-3787.



Par déclaration en date du 16 décembre 2021, M. [B] [L] a interjeté appel de la décision précitée, ladite déclaration ayant été enregistrée sous le n° RG 21-6281.



Dans le cadre de ce dernier dossier, le conseiller de la mise en état a notamment, par ordonnance du 17 novembre 2022, rejeté :

Exposé du litige


– la fin de non-recevoir opposée au prétendu appel en date du 16 décembre 2021 de Me [X], ès qualités de liquidateur judiciaire de [W] [F], puisque hormis l’appel du 8 juillet 2021, dont la recevabilité et la régularité n’étaient pas contestées, aucun appel en date du 16 décembre 2021 n’avait été régularisé par le liquidateur,

– la fin de non-recevoir opposée à l’appel interjeté le 16 décembre 2021 par M. [B] [L], lequel devenu majeur pouvait agir et faire appel, faute d’appel régulier, directement ou par représentation, formé avant cette date par lui-même ou par son auteur, M. [C] [L].

Il était pointé par ailleurs qu’aucune irrecevabilité ou nullité de fond à l’encontre de l’appel de M. [C] [L] n’était sollicitée et qu’il convenait d’ordonner la jonction des procédures enregistrées sous les n° RG 21-3787 et RG 21-6281 sous le n° RG 21-3787.

Moyens






MOYENS ET PRÉTENTIONS



Par conclusions remises au greffe et adressées entre parties par voie électronique le 15 mars 2022, Me [X], ès qualités de liquidateur judiciaire de [W] [F], et M. [B] [L], dans le RG n° 21-6281, demandent à la cour de :

Vu les dispositions des articles L 313-12 du Code Monétaire et Financier et L 622-13 du Code de Commerce,

– INFIRMER le jugement du Tribunal de Commerce de Valenciennes en date du 16 mars 2021,



Statuant à nouveau :

– DEBOUTER la BANQUE NATIONALE DE PARIS de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

– CONDAMNER la BANQUE NATIONALE DE PARIS PARIBAS à verser à Maître [S] [X], es-qualités de liquidateur de Madame [W] [F], exploitant sous l’enseigne « VICTORIA KHA », la somme de 15.000 euros pour rupture des concours financiers sans préavis écrit ;

– CONDAMNER la BANQUE NATIONALE DE PARIS PARIBAS à verser à Maître [S] [X], es-qualités de liquidateur de Madame [W] [F], exploitant sous l’enseigne « VICTORIA KHA », la somme de 50.000 euros en réparation de la perte de chance de sauver son fonds de commerce ;

– CONDAMNER la BANQUE NATIONALE DE PARIS PARIBAS à verser à Monsieur [B] [L] la somme de 15.000 euros en réparation du préjudice moral de Madame [F] ;

– CONDAMNER la BANQUE NATIONALE DE PARIS PARIBAS à verser à Monsieur [B] [L] et Maître [S] [X], es-qualités de liquidateur de Madame [W] [F], exploitant sous l’enseigne « VICTORIA KHA », la somme de 5.000 euros, chacun, en application des dispositions de l’article 700 du Code de Procédure Civile ;

– CONDAMNER la BANQUE NATIONALE DE PARIS PARIBAS aux entiers dépens.



Me [X] ès qualités et M. [B] [L] font valoir que :

– l’activité de Mme [F] a été soumise à des tensions de trésorerie, en lien avec des difficultés contextuelles tenant à un dysfonctionnement du site Facebook, difficultés temporaires dont la société BNP Paribas avait été informée ;

– pourtant cette dernière a résilié, sans préavis, plusieurs concours et notamment deux cartes avec octroi d’un concours mensuel de 15 000 € renouvelable pour chacune au début du mois de février 2018, avec un débit différé, attitude qui a contraint au dépôt de bilan ;

– compte tenu de l’immédiateté caractéristique du commerce sur internet, il a été demandé la mise en place d’un compte RJ très rapidement auprès de la banque, et la bascule du contrat monétique sur ce compte, condition indispensable pour que l’activité puisse se poursuivre ;

– peu de réponses ont été obtenues de la part de la banque, qui n’a pas délivré les moyens sollicités, Mme [F] faisant le constat de ce que des paiements postérieurs à l’ouverture avaient été crédités sur l’ancien compte et n’étaient pas transférés sur le compte RJ, privant la société de toute trésorerie ;

– l’inertie de la banque a justifié une assignation d’heure à heure, qui a donné lieu à une ordonnance de référé en date du 20 mars 2018, contraignant la banque sous astreinte à mettre en place sur le compte RJ le contrat monétique, à délivrer les moyens de paiement sur le compte RJ et à reverser sur le compte RJ toute somme qui aurait été mise au crédit de l’ancien compte postérieurement au 19 février 2018 ;

– en raison de la totale inertie de la banque, la situation économique de Madame [F] était devenue catastrophique, cette dernière ayant été privée d’une trésorerie particulièrement importante pour une entreprise en procédure collective ;

– cette attitude a entraîné la dégradation de l’image et de la réputation du site, faute de pouvoir disposer des moyens permettant un remboursement des clients, ou encore de pouvoir faire de la publicité sur Facebook, d’autant qu’en l’absence de carte bleue, la société Shopify qui héberge le site a fermé l’accès à celui-ci.



Les appelants en concluent que l’inertie de la société BNP Paribas et les manquements à ses obligations légales sont directement à l’origine de la liquidation judiciaire de Madame [F], les répercussions de la perte du fonds de commerce qu’elle avait créé douze ans plus tôt étant dramatiques puisque Mme [F] a été contrainte de vendre son immeuble à usage d’habitation pour répondre de ses dettes et est rapidement tombée gravement malade. Elle est décédée le [Date décès 1] 2020.



Ils estiment que la responsabilité de la banque est engagée à raison d’une rupture des concours financiers sans préavis, mentionnant un courriel en date du 3 février 2008 marquant la rupture de ces derniers. La société BNP Paribas ne peut se méprendre sur l’article L 650-1 du code de commerce qui vise l’octroi et non la rupture des concours, comme évoqué en l’espèce, qui demeure encadrée par les dispositions de l’article L 313-12 du code monétaire et financier.

Ils contestent la possibilité pour la société BNP Paribas d’arguer de l’alinéa 2 de ce texte, la situation de Mme [F] n’étant pas irrémédiablement compromise au début du mois de février 2018. L’ouverture d’une procédure judiciaire établit même la preuve contraire. La société BNP Paribas ne peut soutenir avoir octroyé un délai de préavis à hauteur de trois mois, et ce, par courrier en date du 23 février 2018, lequel intervient quatre jours après l’ouverture de la procédure de redressement judiciaire et est sans lien avec la rupture des concours de 15 000 € par carte laquelle est intervenue début février par courriel et sans aucun respect d’un préavis.

Ils soulignent que ce courrier marque bien plus l’incurie de la banque puisque par l’effet de l’ouverture de la procédure judiciaire, le compte courant ne pouvait plus être actionné et les contrats monétiques étaient eux-mêmes paralysés, tandis que n’était pas mise en place l’ouverture du compte RJ.



Les appelants estiment que la responsabilité de la banque ne peut être limitée aux dommages et intérêts alloués à Maître [X], ès qualités, à 10 000 €, la rupture des concours sans préavis ni notification écrite ayant précipité Madame [F] en procédure collective. Il convient de prendre en compte le coût d’une telle procédure, qui est de l’ordre de 5 000 € correspondant aux frais de greffe et aux frais des organes de la procédure, auxquels il convient d’ajouter les frais d’assistance de l’ordre de 3000 €, outre le temps et le stress induits par chacune des audiences, pour indemniser le préjudice de la débitrice.



Les appelants font valoir que malgré la connaissance du caractère vital du contrat monétique pour l’activité, la banque a décidé de le rompre lors de l’ouverture du redressement judiciaire.

La banque ne peut invoquer les termes du contrat, qui l’autoriserait à rompre le concours en cas de redressement judiciaire, ne les produisant pas, étant observé que si la disposition contractuelle qu’elle allègue existe bien, elle est nulle et de nul effet, comme contraire aux dispositions d’ordre public du code de commerce.

Ne pouvant plus utiliser le contrat monétique rattaché au compte bloqué par l’effet de l’ouverture de la procédure collective, et la banque refusant catégoriquement la mise en place d’un contrat monétique rattaché au compte RJ, l’activité de Mme [F] a été condamnée, ce qui est de la responsabilité de la banque et à l’origine d’un préjudice conséquent, la débitrice ayant perdu une chance de conserver son fonds de commerce.



Ils soulignent également que la banque a refusé de transférer les fonds crédités à tort, post RJ, sur le compte professionnel Victoria Kha vers le compte RJ, ce qui constitue un manquement supplémentaire et a eu pour conséquence de priver Madame [F] de toute trésorerie, ce qui a engendré la conversion de la procédure de redressement judiciaire en liquidation judiciaire.



Ils sollicitent réparation des conséquences du retard de la banque dans la délivrance des cartes et chéquier, indiquant que dans une situation d’extrême urgence, dûment signalée par le mandataire judiciaire, il a fallu 19 jours à la BNP pour passer une commande de carte bleue et de chéquiers. La première commande n’a été faite que le 8 mars, mais les moyens de paiement commandés étaient attachés à l’ancien compte. Une nouvelle commande a été faite, en urgence, semble-t-il le 13 mars, et les moyens de paiement sur le compte RJ seraient arrivés le 20 mars. Privée de tout moyen de paiement pendant un mois, Madame [F] n’avait plus d’autre choix que de solliciter la conversion de son redressement judiciaire en liquidation judiciaire le 22 mars 2018.



Les appelants reviennent, au vu des nombreux manquements, sur l’évaluation de chacun des préjudices subis, notamment celui de la perte du fonds de commerce, dont il est demandé réparation. Madame [F] disposait bien d’un fonds de commerce directement sur internet, pour l’évaluation duquel doivent être pris en considération l’ensemble des éléments composant l’activité sur Internet. Doivent notamment être examinés, outre les éléments corporels et incorporels le constituant, les intervenants, personnes physiques ou personnes morales de cette activité.

Ils soulignent que les manquements de la banque n’ont pas eu que des conséquences professionnelles (perte de fonds de commerce) pour Madame [F], sa vie personnelle ayant également été impactée. Cette période de stress intense a eu des répercussions très lourdes sur sa santé. Elle a dû faire face à des problèmes financiers l’obligeant à mettre en vente sa maison à usage d’habitation. Depuis, la maladie a emporté Madame [F], et Monsieur [B] [L], son fils, sollicite réparation à ce titre du préjudice moral subi.



Les mêmes demandes et les mêmes moyens sont présentés dans le RG 21-3787 par M. [C] [L], ès qualités de représentant légal de son fils mineur [B] [L] par conclusions en date du 22 septembre 2021, dont la cour demeure saisie.



Par conclusions remises au greffe et adressées entre parties par voie électronique le 15 juin 2022, la banque BNP Paribas dans le RG 21-6281 demande à la cour de :

« Vu l’article L. 650-1 du Code de commerce,

Vu l’article de l’article L. 313-12 du Code Monétaire et Financier

Sans avoir égard aux fins, demandes et conclusions des appelants,

Les en débouter,

Recevoir la société BNP PARIBAS en son appel incident,

Infirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le tribunal de commerce de Valenciennes,

Statuant à nouveau,

Dire et juger que la société BNP PARIBAS ne peut être tenu pour responsable des préjudices subis du fait des concours consentis, conformément aux dispositions de l’article L. 650-1 du Code de commerce

Dire et juger que la Société BNP PARIBAS a parfaitement respecté ses obligations,

En conséquence,

Débouter Maître [S] [X], es qualité de liquidateur de Mme [F], et M. [B] [L], de l’ensemble de leurs demandes, fins et conclusions.



A titre subsidiaire,

Confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le tribunal de commerce de Valenciennes

En toute hypothèse

Condamner Maître [S] [X], es qualité de liquidateur de Mme [F], et M. [B] [L], au paiement de la somme de 2.000 € au titre de l’article 700 du Code de Procédure Civile

Condamner Maître [S] [X], es qualité de liquidateur de Mme [F], et M. [B] [L] en tous les frais et dépens d’appel.



La banque BNP Paribas conclut à l’absence de responsabilité au titre de la rupture des concours financiers, se prévalant de l’article L 650-1 du code de commerce, lequel pose un principe de non-responsabilité du créancier, sauf fraude ou immixtion caractérisée dans la gestion du débiteur.

Elle estime que Mme [F] ne peut tenter de lui faire endosser la responsabilité de l’ouverture de la procédure collective dont sa société a fait l’objet, consécutivement à l’effondrement de son chiffre d’affaires au cours des mois de septembre et octobre 2017. Aucun manquement à ses obligations contractuelles ne peut lui être reproché. Son professionnalisme ne s’est pas éteint avec les difficultés financières rencontrées, puisqu’elle a assumé ses responsabilités dans le cadre de la procédure collective qui s’en est suivie, et que le dénouement malheureux de cette procédure est davantage dû à l’incurie de Madame [F] qu’à ses supposés manquements.



La banque souligne que les contrats ont fait l’objet d’une résiliation par lettre du 23 février 2018, les concours devant cesser au 23 mai 2018. Un préavis a donc bien été octroyé. Aucun texte n’impose à la banque, contrairement à ce que soutient Mme [F], de mettre en demeure le débiteur de combler le déficit avant de sanctionner le dépassement du découvert par la clause résolutoire. La résiliation d’un concours financier n’est pas une « sanction ». Aucune mise en demeure préalable n’est exigée dès lors que la notification est opérée par écrit, et qu’un délai de préavis est respecté.



Elle s’oppose à la présentation faite par Madame [F] selon laquelle cette résiliation serait l’unique déclencheur de l’ouverture de la procédure de redressement judiciaire dont elle a fait l’objet. Elle rappelle que la situation économique de la société Victoria Kha était indiscutablement irrémédiablement compromise, si bien que la société BNP Paribas a été mise dans l’obligation de mettre fin aux concours financiers qu’elle accordait jusque-là avec la plus grande célérité, afin de ne pas voir ces concours qualifiés de soutien abusif, notion découlant de l’application de l’article L 650-1 du code de commerce, comme le prévoit l’alinéa 2 de l’article L 313-12 du code monétaire et financier. Elle n’a fait que respecter les dispositions légales applicables dans une telle situation.

Malgré le contrat monétique, qui prévoyait la résiliation sans préavis en cas de redressement judiciaire, elle indique avoir laissé un délai de trois mois avant la clôture définitive des contrats pour permettre à Madame [F] de prendre ses dispositions. La clôture du service monétique est intervenue le 23 mai 2018, soit postérieurement à la conversion du redressement judiciaire en liquidation judiciaire.



Elle fait valoir que ses règles internes imposent une évaluation des risques, et tant la mise en place du nouveau contrat monétique, que le transfert des fonds sur le nouveau compte créé pour l’imputation des opérations réalisées au cours de la procédure de redressement judiciaire, nécessitaient une évaluation incompatible avec les délais déraisonnables imposés par Madame [F]. Elle a tenté au mieux de respecter les délais imposés par la procédure, et a assuré Madame [F] de son implication dans son dossier, ainsi qu’en témoignent les échanges versés au débat. Elle a été très diligente dans la mesure où le contrat prévoit la résiliation sans délai en cas de redressement judiciaire, en laissant un délai de préavis de 3 mois à compter de la lettre de résiliation.



Elle souligne avoir respecté les délais requis nécessaires à la fabrication d’une nouvelle carte bleue et d’un chéquier. Ces moyens de paiement ont été mis à disposition respectivement dès le 12 mars 2018 pour le chéquier et dès le 13 mars 2018 pour la carte bleue. Elle pointe que Mme [F] n’est venue chercher ses moyens en agence que le 20 mars 2018.

Concernant le débit, sans autorisation, du compte personnel, la situation a été régularisée dès le 15 mars 2018 par virement de la somme sur le compte post RJ de Madame [F]. Le mandataire judiciaire a d’ailleurs été informé de cette régularisation. Aucun préjudice n’a été subi.



Elle plaide que, si par impossible la cour devait retenir sa responsabilité dans la disparition du fonds de commerce litigieux, il ne pourra en revanche que constater le caractère disproportionné des demandes formulées au titre des dommages-intérêts.

Elle estime que l’évaluation de la valeur d’un fonds de commerce numérique ne peut être réalisée sur les mêmes bases que l’évaluation d’un fonds de commerce traditionnel. Les appelants forment une demande de réparation du préjudice liée à la disparition du site Victoria Kha sans fournir aucune preuve de l’existence même d’un fonds de commerce, ni de la valorisation de ses éventuels éléments constitutifs.

De plus Mme [F] avait un passif déclaré selon l’état des créances vérifiées de 55 135,23 euros dont 17 280 euros à titre provisionnel, aucune preuve n’étant apportée qu’elle aurait présenté des perspectives de redressement. Il n’est pas démontré de lien de causalité entre les problèmes de santé et le fonds de commerce.





***



L’ordonnance a été rendue le 14 mars 2023.



À l’audience du 4 avril 2023, le dossier a été mis en délibéré au 29 juin 2023.



****



Par note en délibéré, la cour a invité les parties à présenter leurs observations sur :

– le moyen relevé d’office de l’irrecevabilité des demandes de M. [C] [L], en sa qualité de représentant légal de son fils mineur [B] [L] ;

– le moyen relevé d’office de l’irrecevabilité des demandes de M. [B] [L] pour solliciter la réparation du préjudice moral de Mme [F].



Par message RPVA, la banque BNP Paribas a indiqué ne pas avoir d’observations à formuler.







Par message RPVA, le conseil des appelants indiquent que s’agissant de droits propres, extra-patrimoniaux, [B] [L] a qualité à solliciter réparation, ce domaine échappant au liquidateur judiciaire et visant à réparer le préjudice subi par Mme [F], dans sa chair et son esprit. Il a qualité entant qu’héritier de cette dernière.

Motivation






MOTIVATION



La cour ne peut que constater que les parties n’ont pas régularisé de nouvelles écritures, pour tenir compte de la majorité de M.[B] [L] et des conséquences de cette dernière sur la présence à l’instance de M. [C] [L], lequel ne pouvait relever appel en sa qualité de représentant de son fils mineur, d’ores et déjà majeur à la date de l’appel.



La cour, malgré la jonction qui ne crée pas une procédure unique, et en dépit de ces éléments pointés dans l’ordonnance du conseiller de la mise en état demeure, saisie des demandes de M. [C] [L], ès qualités de représentant légal de son fils mineur, qualité qu’il a perdu depuis la majorité de ce dernier.

Les demandes de ce dernier en sa qualité de représentant légal de son fils mineur ne peuvent donc qu’être déclarées irrecevables, étant observé que ces demandes ont été reprises à son compte par M.[B] [L] dans les écritures qu’il développe aux côtés de Me [X].





– Sur la responsabilité de la banque 



Malgré l’extrême confusion des écritures tant des appelants que de l’intimée, il s’en déduit qu’est envisagée par les appelants, la responsabilité de la banque, au titre de trois comportements allégués comme fautifs consistant en la rupture des concours bancaires sans préavis, la rupture du contrat monétique, et l’inertie dans la mise en ‘uvre du compte RJ et des moyens y afférents.



C’est sans aucune cohérence et pertinence que la banque consacre des développements à l’article L 650-1 du code de commerce, texte dont la finalité n’est pas de régir la rupture des concours, mais au contraire l’existence d’un octroi de concours et un soutien abusif.



A) la faute



1) sur la rupture des concours financiers sans préavis



Aux termes des dispositions de l’article L 313-12 du code monétaire et financier, tout concours à durée indéterminée, autre qu’occasionnel, qu’un établissement de crédit ou une société de financement consent à une entreprise, ne peut être réduit ou interrompu que sur notification écrite et à l’expiration d’un délai de préavis fixé lors de l’octroi du concours. Ce délai ne peut, sous peine de nullité de la rupture du concours, être inférieur à soixante jours. Dans le respect des dispositions légales applicables, l’établissement de crédit ou la société de financement fournit, sur demande de l’entreprise concernée, les raisons de cette réduction ou interruption, qui ne peuvent être demandées par un tiers, ni lui être communiquées. L’établissement de crédit ou la société de financement ne peut être tenu pour responsable des préjudices financiers éventuellement subis par d’autres créanciers du fait du maintien de son engagement durant ce délai.

L’établissement de crédit ou la société de financement n’est pas tenu de respecter un délai de préavis, que l’ouverture de crédit soit à durée indéterminée ou déterminée, en cas de comportement gravement répréhensible du bénéficiaire du crédit ou au cas où la situation de ce dernier s’avérerait irrémédiablement compromise.

Le non-respect de ces dispositions peut entraîner la responsabilité pécuniaire de l’établissement de crédit ou de la société de financement.



Malgré le caractère elliptique des argumentations de chacune des parties et la pauvreté des pièces produites au soutien des prétentions, il s’extrait qu’au titre des concours octroyés à Mme [F], se trouvaient deux cartes avec octroi d’un concours mensuel de 15 000 euros renouvelable chacune au début du mois de février 2018, un découvert autorisé de 30 000 euros et un billet de trésorerie à échéance de fin février, comme évoqué dans le mail du 3 février 2018.



Les conventions d’octroi desdits concours ou moyens financiers ne sont aucunement produites aux débats, ce qui ne permet ni de s’assurer que les concours précités seraient ceux envisagés dans le courrier de la banque du 23 février 2018, lequel évoque la rupture des « contrats monétiques » et non des concours financiers, ni de déterminer avec précision quelle eût été le préavis contractuel envisagé entre les parties, celui de trois mois évoqué résultant du contrat monétique et aucun élément n’établissant qu’un tel délai s’appliquait également à l’ensemble des concours octroyés.



Les appelants, sur qui pèse la charge de la preuve de démontrer l’existence d’une rupture sans préavis, ne peuvent sérieusement se limiter à la production du mail du 3 février 2018 de la banque.



En effet, ce mail, difficilement lisible au regard de la taille de la police et dont les phrases sont tronquées à droite, fait état d’un refus de virement, de la gestion désormais directement réalisée par la direction, et poursuit : « malgré les éléments que M. [L] a apportée, et le fait que la situation soit transitoire, élément que j’ai mis en avant, tant que des éléments chiffrés et une’. (tronqué) s’engageant sur le montant et le délai de mise à disposition je ne peut laisser passer aucune opération. En possession de ces éléments la situation serait susceptible d’être réétudiée.

De ce fait la seule issue possible à aujourd’hui, au regard des éléments : le débit en compte actuel ne peut être dépassé soit sous réserve de confirmation (…manquant) devra être régularisé et le découvert sera clos, le billet de trésorerie ne pourra être renouvelé à fin février, les plafonds des cartes vont être revus à la baisse ( manquant)votre activité et dans la limite du débit de compte toléré. Un courrier reprenant ces éléments va vous être envoyé d’ici début de semaine prochaine ».



Versé seul, sans aucun relevé de compte permettant de déterminer le fonctionnement du compte et des concours litigieux à compter de la date d’émission de ce mail, il ne peut en être déduit, au vu de l’emploi dans ledit mail du futur, que la rupture de l’ensemble des concours aurait été immédiate.



En outre, dès le 20 février 2018, à la suite du prononcé du redressement judiciaire de Mme [F], la résiliation desdits concours a justement été sollicitée par le mandataire, et la lettre du 23 février 2018, à supposer qu’elle envisage les deux cartes avec concours mensuels de 15 000 euros, ce que rien n’établit, offre un préavis de 3 mois, jusqu’au 23 mai 2018 et est postérieure à la demande de résiliation du mandataire judiciaire.



En conséquence, ces éléments sont insuffisants à établir l’existence d’une rupture, et encore plus d’une rupture fautive de la part de la banque, des concours litigieux, dès le début février 2018, qui aurait concouru à l’ouverture de la procédure collective de Mme [F].



2) sur la rupture des contrats monétiques



Si les communications de pièces sont tout autant parcellaires de ce chef, le courrier du 23 février 2018, adressé concomitamment à l’ouverture de la procédure collective, vise une résiliation avec un préavis de trois mois des contrats monétiques, soit au 23 mai 2018, peu important que l’ensemble des stipulations contractuelles ne soient pas produites aux débats par la banque, dès lors qu’il n’est pas soutenu et encore moins établi que ces instruments relevaient de préavis différents.



Il ne peut être raisonnablement soutenu que la banque aurait résolu de manière inopportune lesdits concours monétiques, alors même que le mandataire sollicitait la clôture du compte auquel ils étaient adossés dès le 20 février 2023 et qu’il précisait : « je n’ai aucune cause d’opposition à ce que Madame [W] [F] ouvre un nouveau compte bancaire en redressement judiciaire auprès de votre agence, lequel compte pourra fonctionner normalement avec l’ensemble des moyens de paiement que vous voudrez bien lui accorder ».



Les développements des appelants quant à la validité de la clause permettant une rupture de plein droit et immédiate par l’ouverture du redressement judiciaire des contrats monétiques sont sans emport, dès lors qu’il n’en a pas été fait application.



Il sera d’ailleurs noté que les propres argumentaires des parties et les pièces font état de sommes venues, alors même que le redressement judiciaire était prononcé, en paiement d’achats effectués par les clients, grâce aux contrats monétiques litigieux, abonder l’ancien compte courant, ce qui démontre qu’ils n’ont pas été, immédiatement et sans préavis, rompus du fait de l’ouverture du redressement judiciaire, comme le prétendent les appelants.



La faute de la banque n’est donc pas établie de ce chef.



3) sur l’ouverture du compte RJ, son fonctionnement et la délivrance des moyens de paiements y afférents



Comme le rappellent justement les premiers juges, au vu des principes énoncés à l’article L 622-7 du code de commerce, et notamment les règles d’ordre public d’interdiction du paiement des créances antérieures et de la poursuite des contrats en cours, les établissements bancaires ont, afin d’isoler les créances postérieures au jugement d’ouverture des créances antérieures, pris l’habitude d’ouvrir un compte de procédure et doivent le faire avec diligence afin de ne pas obérer la situation par leur comportement et par là même compromettre la situation d’un débiteur déjà fragilisé.



Dès le 20 février 2018, le mandataire judiciaire a donné à la banque son aval pour l’ouverture d’un compte « RJ », lequel devait fonctionner avec les moyens de paiement que la banque souhaitait accorder, cette dernière n’ayant nullement fait état de sa volonté de mettre un terme à la relation contractuelle. Dès le 26 février 2018, les documents signés pour l’ouverture du compte ont été retournés par Mme [F].



Il a été sollicité un chéquier et une carte bleue, ainsi qu’un accès en ligne pour pouvoir consulter et contrôler les opérations effectuées sur ce nouveau compte, la banque ayant, dès le 22 février 2018, noté que le tout était en cours de traitement. Dès cette date, la banque précisait qu’il était impossible de mettre en place un contrat monétique, ce qui nécessitait la réorientation des flux vers Paypal.



Le choix de ne pas vouloir, en présence d’une société connaissant une situation délicate, mettre en place un contrat monétique ne saurait être reproché à la banque, laquelle dispose de la possibilité de circonscrire le soutien qu’elle souhaite apporter à l’entreprise, d’autant qu’aucun retard dans la transmission de cette information ne peut être déploré, la banque ayant rapidement avisé Mme [F] de ce choix, dont il n’est pas démontré qu’il résulte d’un abus, permettant à celle-ci de prendre toutes dispositions pour pallier cette difficulté.



Par contre, alors que la banque a été avisée du redressement judiciaire dès le 20 février 2018 et a accepté de poursuivre les relations dès le 22 février 2018, les moyens de paiements ont été mis à disposition pour le chéquier à compter du 12 mars 2018 et pour la carte bancaire à compter du 13 mars 2018. Mme [F] reconnaît avoir reçu également les accès internet par courrier simple le 12 mars 2018, informant la banque dès le 13 mars 2018 qu’ils ne fonctionnaient pas, sans être valablement contredite par l’établissement.

Dans ce même courrier, elle mentionnait l’existence d’une réinitialisation au 8 mars, en urgence, visible sur le site, de chéquier et de carte bleue qu’elle ne comprenait pas et précisait ne pas disposer des relevés de comptes tant de l’ancien compte que du compte RJ, n’ayant pour toute visibilité que le solde du compte RJ.



Au vu de la nature même du commerce en question, s’agissant d’un site de vente en ligne, élément connu de longue date par la banque, qui soutenait Mme [F] dans sa démarche entrepreneuriale depuis de nombreuses années, nécessitant une réactivité importante pour permettre un fonctionnement adéquat du commerce exercé, l’existence d’un délai de plus de 15 jours à compter de la demande faite par le mandataire pour délivrer les moyens de fonctionnement du compte apparaît manifestement excessive, d’autant que l’affirmation de Mme [F], selon laquelle les moyens obtenus le 12 mars correspondaient à ceux de l’ancien compte, n’est pas contestée par la banque, ce qui explique la réinitialisation faite en urgence le 8 mars, dont elle fait état dans son courrier du 13 mars.

Il ne saurait dès lors lui être fait grief d’un quelconque retard dans l’entrée en possession le 20 mars 2018, Mme [F] ayant pu attendre la réédition des bons moyens de paiement. La conversion en liquidation judiciaire intervenait le 22 mars 2018.



La décision des premiers juges est donc infirmée sur ce point, en ce qu’il est suffisamment justifié par les pièces du dossier que la banque n’a pas tout mis en ‘uvre pour répondre avec diligence aux besoins de son interlocuteur, alors même que la nature du commerce et la situation délicate connue par l’entreprise nécessitaient une réponse adaptée et sans retard, ce manquement ayant rendu délicate la poursuite d’une activité d’ores et déjà fragilisée, ce qui n’a pu que faire perdre à Mme [F] une chance de se redresser.



B) le préjudice



La demande de dommages et intérêts à hauteur de 15 000 euros fondée sur la rupture des concours ne peut qu’être rejetée, aucune faute n’ayant été retenue à cet égard, ce qui justifie l’infirmation de la décision de ce chef.



S’agissant de la demande au titre de la perte du fonds de commerce en lien avec l’inertie de la banque, malgré les dénégations de la banque, il ne peut être contesté que par le biais d’un site e-commerce, Mme [F] avait développé une activité commerciale de vente de prêt-à-porter, disposant d’éléments d’actifs, et notamment d’un stock, de moyens, tels que le site, ledit fonds étant toutefois grevé d’un passif et connaissant une situation délicate, comme en attestent les éléments recueillis dans le cadre du rapport de Me [X], au soutien de la conversion du redressement judiciaire en liquidation judiciaire.



Les comptes annuels qui y sont recensés font état pour l’année 2014 de résultats d’exploitation de 766 071 euros avec des charges d’exploitation de 746 997 euros, et un résultat net positif de 9 873 euros. L’année 2015 était marquée par une baisse des produits d’exploitation (587 973 euros), et des charges d’exploitations de 658 657 euros, conduisant à un résultat net de – 85 756 euros. Le résultat net était également négatif pour l’année 2016 ( – 59 248 euros) et l’était tout autant pour le dernier exercice connu avant RJ à hauteur de -34 723 euros, avec des produits d’exploitation sensiblement équivalents à l’année précédente (984 316 euros, contre en 2016 916 403 euros) et des charges d’exploitation à hauteur de 1 015 649 contre en 2016 962 594 euros. Une amélioration des résultats était constatable.



Les éléments repris mettaient aussi en lumière l’existence d’un passif déclaré limité, à hauteur de 55 135,23 euros dont 17 280 euros à titre provisionnel.



Au vu du passif limité, quand bien même les résultats de la société étaient depuis plusieurs années délicats, il ne saurait être soutenu qu’à la date du 20 février 2018, la situation était de toute évidence irrémédiablement compromise, comme le prétend la banque pour se dédouaner.



Cependant, aucune démonstration, étayée par des pièces précises, n’est esquissée par les appelants pour évaluer la valeur du fonds de commerce réclamée, alors même que le tribunal de commerce a pointé l’absence de toute preuve venant corroborer l’affirmation d’une valeur de 50 000 euros du fonds de commerce perdu.

En outre, le préjudice en lien avec le manquement de la banque ne peut être, en cette hypothèse, que celui résultant de la perte de la possibilité de poursuivre l’activité sereinement en période d’observation et ainsi envisager la présentation d’un plan pour permettre de redresser l’entreprise ce qui aurait peut-être permis, à l’issue du plan éventuellement mis en place, de conserver le fonds de commerce.



Or, ce préjudice tenant à la perte de chance de pouvoir prendre les mesures permettant de redresser l’entreprise n’est pas invoqué par les appelants en tant que tel, lesquels reprochent à la banque la perte du fonds de commerce.









Cette perte du fonds de commerce n’est nullement en lien direct avec le manquement de la banque, mais avec le prononcé de la liquidation judiciaire, étant précisé qu’il n’est invoqué et encore moins établi qu’un plan eût été possible au vu des résultats ci-dessus exposés.



Dans ces conditions, la demande de Me [X] en qualité de liquidateur de Mme [F] ne peut qu’être rejetée.



S’agissant du préjudice invoqué par M. [B] [L], ce dernier vise à solliciter la réparation, non de son propre préjudice moral, en tant que victime par ricochet des agissements de la banque, mais de celui de sa mère.

Il n’indique toutefois jamais intervenir en qualité de représentant, dûment habilité, de la succession, laquelle n’est évoquée par aucune des parties et serait, selon les mentions de la requête en conversion de Me [X] composée à tout le moins de deux enfants.



En conséquence, la demande de dommages et intérêts de M. [B] [L] ne peut qu’être déclarée irrecevable. La demande formulée par son père, en qualité de représentant légal de son fils mineur, ne peut qu’être tout autant déclarée irrecevable, [B] [L] étant majeur selon le droit belge depuis le 21 décembre 2020.





– Sur les dépens et accessoires



En application des dispositions de l’article 696 du code de procédure civile, Me [X], en qualité de liquidateur judiciaire de Mme [F] succombant principalement en ses demandes, il convient de le condamner aux dépens.



L’équité commande de ne pas faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.



La demande d’indemnité procédurale de la banque BNP Paribas est rejetée.




Dispositif

PAR CES MOTIFS



La cour,



INFIRME le jugement du tribunal de commerce de Valenciennes en ce qu’il a :

– accueilli partiellement Maître [X] en ses demandes ;

En conséquence ;

– condamné la Banque nationale de Paris BNP Paribas à payer à Maître [X], ès qualités de liquidateur judiciaire à la liquidation judiciaire de feu Mme [W] [F], la somme de 10 000 euros ;

– débouté Monsieur [C] [L], ès qualités de représentant légal de son fils mineur [B] [L], de sa demande en réparation du préjudice moral de Mme [F] ;



Statuant à nouveau,



DEBOUTE Me [X] de sa demande de dommages et intérêts pour rupture fautive des concours sans préavis ;



DECLARE irrecevable M. [B] [L] à solliciter réparation du préjudice moral subi par Mme [F] ;



DECLARE irrecevable M. [C] [L] en ses demandes présentées en qualité de représentant légal de son fils mineur ;



CONFIRME le jugement pour le surplus,



Y ajoutant,



DIT n’y avoir lieu à application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;



DEBOUTE les parties de leurs demandes respectives d’indemnité procédurale ;



CONDAMNE Me [X], en qualité de liquidateur judiciaire de Mme [F] aux dépens d’appel.







Le greffier







Marlène Tocco







Le président







Samuel Vitse


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