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Nos Conseils:
– Il est essentiel de prouver que les manoeuvres dolosives de l’autre partie ont été déterminantes dans la conclusion du contrat. Assurez-vous d’avoir des preuves solides pour étayer vos allégations de dol. |
→ Résumé de l’affaireM. [N] a été engagé par la société Sec en tant que spécialiste d’entretien en décembre 1981. En juin 2018, une rupture conventionnelle a été conclue entre la société Sec et M. [N], prévoyant son départ de l’entreprise en septembre 2018 avec le versement d’une indemnité de rupture. La société Ciec, qui a repris les actifs de la société Sec, a contesté la validité de la rupture conventionnelle et a saisi le conseil de prud’hommes de Paris pour demander le remboursement de l’indemnité de rupture. Le conseil de prud’hommes a rejeté les demandes de la société Ciec et l’a condamnée aux dépens. La société Ciec a interjeté appel du jugement, demandant à la cour de reconnaître que son consentement avait été vicié lors de la signature de la rupture conventionnelle en raison de manœuvres dolosives de la part de M. [N]. M. [N], de son côté, a demandé à la cour de rejeter l’appel de la société Ciec et de la condamner à lui verser des indemnités sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile. L’affaire est en attente de jugement, l’instruction ayant été déclarée close en janvier 2024.
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REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 6 – Chambre 7
ARRÊT DU 13 JUIN 2024
(n° 236 , 6 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/03893 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CDTTV
Décision déférée à la Cour : Jugement du 31 mars 2021 – Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de PARIS – RG n° 19/02278
APPELANTE
S.A.S.U. CIEC, venant aux droits de la société SEC
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentée par Me Jérôme WATRELOT, avocat au barreau de PARIS, toque : K0100
INTIMÉ
Monsieur [V] [N]
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représenté par Me Pauline BLANDIN, avocat au barreau de PARIS, toque : D0586
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 27 mars 2024, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Monsieur Laurent ROULAUD, conseiller, chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :
Madame Bérénice HUMBOURG, présidente de chambre
Madame Marie SALORD, présidente de chambre
Monsieur Laurent ROULAUD, conseiller
Greffier, lors des débats : Madame Alisson POISSON
ARRÊT :
– CONTRADICTOIRE,
– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Madame Bérénice HUMBOURG, présidente de chambre et par Madame Alisson POISSON, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Par contrat de travail à durée indéterminée non produit, M. [V] [N] a été engagé par la société Sec à compter du 21 décembre 1981 en qualité de spécialiste d’entretien.
Le 19 juin 2018, la société Sec et M. [N] ont conclu une rupture conventionnelle prévoyant un départ de l’entreprise le 30 septembre 2018 et le versement d’une indemnité de rupture d’un montant de 131.826 euros. Le terme du délai de rétractation était stipulé au 4 juillet 2018.
La société Ciec, qui est venue aux droits de la société Sec dans le cadre d’un apport d’actifs du 1er juillet 2020, a une activité de prestation de service auprès d’une clientèle d’entreprises en matière de maintenance, de dépannage d’installations thermiques et d’études dans le domaine de la performnce énergétique. Elle était soumise à la convention collective nationale des équipements thermiques.
La société Ciec soutenant que son consentement avait été vicié lors de la signature de la rupture conventionnelle, elle a saisi le conseil de prud’hommes de Paris afin que M. [N] soit condamné à lui rembourser l’indemnité de rupture versée.
Par jugement du 31 mars 2021, le conseil de prud’hommes a :
Débouté la société Ciec de l’ensemble de ses demandes et l’a condamnée aux entiers dépens,
Condamné la société Ciec à verser à M. [N] la somme de 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
Débouté M. [N] du surplus de ses demandes.
Le 20 avril 2021, la société Ciec a interjeté appel du jugement.
Dans ses dernières conclusions transmises par la voie électronique le 8 juin 2021, la société Ciec demande à la cour de :
Infirmer le jugement dans toutes ses dispositions,
Constater que son consentement a été vicié lors de la signature de la rupture conventionnelle du contrat de travail de M. [N] du fait des man’uvres dolosives de ce dernier,
Infirmer le jugement en ce qu’il a estimé que son consentement n’avait pas été vicié du fait des man’uvres dolosives de M. [N],
Condamner M. [N] à lui payer une indemnité d’un montant de 131.826 euros en réparation du préjudice découlant des man’uvres dolosives commises par ce dernier lors de la rupture conventionnelle de son contrat de travail,
Condamner M. [N] au versement d’une indemnité d’un montant de 3.000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
Dans ses dernières conclusions transmises par la voie électronique le 29 juin 2021, M. [N] demande à la cour de :
Débouter la société Ciec de son appel,
Confirmer le jugement sauf en ce qui concerne les condamnations au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
Débouter la société Ciec de l’ensemble de ses demandes,
Condamner la société Ciec à lui verser la somme de 2.500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile de première instance,
Condamner la société Ciec à lui payer la somme de 2.500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile d’appel,
Condamner la société Ciec aux entiers dépens.
Pour un exposé des moyens des parties, la cour se réfère expressément aux conclusions transmises par la voie électronique.
L’instruction a été déclarée close le 31 janvier 2024.
Sur la demande pécuniaire de la société Ciec :
La société Ciec entend démontrer que son consentement a été vicié lors de la signature de la rupture conventionnelle de M. [N] le 19 juin 2018 en raison des manoeuvres dolosives de ce dernier qui a délibéremment menti sur le projet professionnel qu’il entendait réaliser. Elle expose ainsi que M. [N] a motivé sa demande de rupture conventionnelle par le souhait d’aider sa fille à développer et agrandir un magasin de fleurs en Seine-et-Marne. Elle précise que ce motif a été exprimé par le salarié tant lors de l’entretien préparatoire du 19 avril 2018 faisant suite à sa demande de rupture conventionnelle qu’à l’occasion de la signature de la convention de rupture le 19 juin 2018 et du pot de départ le 27 septembre 2018. Elle expose que le véritable motif de la rupture conventionnelle est le recrutement du salarié par une entreprise concurrente (la société Idex Energies) auprès de laquelle il a été engagé dès le lendemain de sa sortie des effectifs de la société Ciec le 30 septembre 2018. Elle indique que du fait des problèmes de recrutement qu’elle rencontre, elle n’accède que très rarement aux demandes de rupture conventionnelle et précise que le salarié savait qu’au vu du contexte concurrentiel avec la société Idex Energies, elle n’aurait jamais accepté de lui verser une indemnité de rupture conventionnelle d’un montant de 131.826 euros si elle avait su qu’il allait rejoindre une entreprise concurrente.
Sur le fondement des seuls articles 1130 et 1137 du code civil, la société Ciec demande ainsi à la cour de condamner M. [N] à lui payer une indemnité de 131.826 euros en réparation du préjudice découlant des manoeuvres dolosives commises par ce dernier lors de la rupture conventionnelle de son contrat de travail.
A l’appui de ses allégations, la société CIEC se réfère aux éléments suivants :
– les attestations par lesquelles M. [E] (cadre), M. [I] (chef de centre opérationnel), Mme [S] (responsable des ressources humaines), Mme [L] (assistante de travaux) ont déclaré que M. [N] leur avait indiqué que la rupture conventionnelle de son contrat de travail était motivée par le désir d’aider sa fille à développer son activité de fleuriste,
– l’attestation par laquelle M. [F] (directeur général de la société Sec) a indiqué : ‘je n’ai consenti à accepter la demande de rupture conventionnelle de M. [V] [N] uniquement parce que ce dernier souhaitait se consacrer à une activité professionnelle dans un secteur d’activité différent de la Sec. Je n’aurais jamais accepté la demande de rupture conventionnelle si j’avais su que M. [N] allait rejoindre Idex, a fortiori dans un contexte de débauchage massif du personnel par ce concurrent’,
– deux courriers des 31 janvier et 19 juin 2018 par lesquels la société Sec a mis en demeure la société Idex Energies de cesser le débauchage de son personnel,
– plusieurs lettres de démission de salariés de la société Sec employés par la suite par la société Idex Energies,
– une assignation du 23 novembre 2018 par laquelle la société Sec a engagé devant le tribunal de commerce de Nanterre la responsabilité pécuniaire de la société Idex Energies pour ‘débauchage massif de son personnel’,
– une fiche d’engagement de personnel de la société Idex conclue entre cette dernière et M. [N] le 7 octobre 2018.
En défense, M. [N] expose avoir demander la rupture conventionnelle de son contrat de travail afin d’aider sa fille à développer son activité de fleuriste. Il précise cependant qu’en juillet 2018, sa fille a accepté une proposition de rachat du bail de sa boutique, ce qui l’a incité à chercher un nouvel emploi au cours de l’été 2018. Ayant reçu une offre d’embauche de la société Idex Energies en septembre 2018, il a conclu un engagement avec cette dernière le 7 octobre 2018. Il soutient ainsi n’avoir jamais menti à l’employeur sur le motif de la rupture conventionnelle. Il précise en outre que son contrat de travail ne stipule aucune clause de non-concurrence et que l’employeur n’a nullement mentionné dans le contrat de la rupture conventionnelle que le motif de rupture allégué par lui (à savoir l’aide devant être apportée à l’activité de fleuriste de sa fille) était un élément essentiel de son consentement à la rupture.
M. [N] sollicite ainsi la confirmation du jugement qui a débouté la société de sa demande pécuniaire.
En premier lieu, la cour constate que l’employeur fonde uniquement sa demande indemnitaire sur les deux textes suivants (pris dans leur version applicable à la date de la rupture conventionnelle) :
– d’une part, l’article 1130 du code civil qui dispose : ‘L’erreur, le dol et la violence vicient le consentement lorsqu’ils sont de telle nature que, sans eux, l’une des parties n’aurait pas contracté ou aurait contracté à des conditions substantiellement différentes. Leur caractère déterminant s’apprécie eu égard aux personnes et aux circonstances dans lesquelles le consentement a été donné’,
– d’autre part, l’article 1137 du même code qui prévoit : ‘Le dol est le fait pour un contractant d’obtenir le consentement de l’autre par des man’uvres ou des mensonges. Constitue également un dol la dissimulation intentionnelle par l’un des contractants d’une information dont il sait le caractère déterminant pour l’autre partie. Néanmoins, ne constitue pas un dol le fait pour une partie de ne pas révéler à son cocontractant son estimation de la valeur de la prestation’.
La cour constate également que la société Ciec ne sollicite pas dans le dispositif de ses écritures (qui seul saisit la cour conformément à l’article 954 du code de procédure civile) la nullité de la rupture conventionnelle pour dol en application de l’article 1131 du code civil qui dispose : ‘Les vices du consentement sont une cause de nullité relative du contrat’. Par suite, l’indemnité réclamée ne peut être allouée en raison de la nullité de la rupture et sur le fondement des trois premiers alinéas de l’article 1178 du code civil qui dispose : ‘Un contrat qui ne remplit pas les conditions requises pour sa validité est nul. La nullité doit être prononcée par le juge, à moins que les parties ne la constatent d’un commun accord.
Le contrat annulé est censé n’avoir jamais existé.
Les prestations exécutées donnent lieu à restitution dans les conditions prévues aux articles 1352 à 1352-9″.
Il ressort au contraire du dispositif des écritures de la société que celle-ci entend engager, dans le cadre de la présente instance, la responsabilité civile pour dol du salarié, réclamant ainsi que ce dernier lui verse des dommages-intérêts en réparation du préjudice subi à hauteur du montant de l’indemnité payée au titre de la la rupture conventionnelle.
Par suite, même si l’employeur ne le précise pas dans ses écritures, sa demande est nécessairement fondée sur les dispositions du dernier alinéa de l’article 1178 du code civil susmentionné qui dispose : ‘Indépendamment de l’annulation du contrat, la partie lésée peut demander réparation du dommage subi dans les conditions du droit commun de la responsabilité extracontractuelle’.
En deuxième lieu, selon les textes précités, le dol est une cause de mise en jeu de la responsabilité civile de son auteur lorsque les manoeuvres pratiquées par l’une des parties sont telles qu’il est évident que, sans ces manoeuvres, l’autre partie n’aurait pas contracté; il ne se présume pas et doit être prouvé. Il appartient ainsi à l’employeur d’établir que le salarié avait exercé des manoeuvres dolosives à son égard en lui mentant sciemment sur les raisons de son départ.
Il ressort des éléments produits que :
– d’une part, le 19 juin 2018, la société Sec et M. [N] ont conclu une rupture conventionnelle prévoyant un départ de l’entreprise le 30 septembre 2018 et le versement d’une indemnité de rupture d’un montant de 131.826 euros. Le terme du délai de rétractation était stipulé au 4 juillet 2018,
– d’autre part, M. [N] a signé le contrat de travail avec la société Idex Energies le 7 octobre 2018.
Il s’en déduit que ce n’est que plus de 3 mois après la date de conclusion de la rupture conventionnelle litigieuse que M. [N] a été engagé par la société Idex Energies. Or, il ne résulte d’aucun élément versé aux débats que des négociations sont intervenues entre cette dernière et le salarié avant le 19 juin 2018, voire avant le 4 juillet 2018 (date à laquelle le délai de rétractation de la rupture conventionnelle prenait fin).
De même, il ressort des éléments produits par le salarié que Mme [C] avait proposé fin juillet 2018 à sa fille la reprise du bail de sa boutique, ce qui corrobore la version de l’intimé selon laquelle il n’avait cherché un nouvel emploi qu’à compter de l’été 2018 et, par suite, postérieurement à la date de signature de la rupture conventionnelle.
Il se déduit de ce qui précède que les manoeuvres dolosives alléguées par la société Ciec ne sont pas établies.
En troisième lieu, il appartient à l’employeur d’établir que le projet de reconversion professionnelle présenté par le salarié à son employeur a déterminé le consentement de ce dernier à la rupture conventionnelle.
Or, cette preuve ne se déduit ni des termes de la rupture conventionnelle ni des autres éléments produits, la société Ciec n’ayant d’ailleurs pas conditionnée cette rupture à une reconversion professionnelle du salarié au titre de l’activité de fleuriste de sa fille.
En outre, si la société Ciec justifie avoir engagé un contentieux devant le tribunal de commerce avec la société Idex Energies en raison du débauchage par cette dernière de son personnel, force est de constater qu’il n’est ni allégué ni justifié que l’employeur a conditionné le départ du salarié à l’absence de recrutement de ce dernier par son concurrent.
Il se déduit de ce qui précède que la société Ciec n’établit pas que le projet de reconversion professionnelle présenté par M. [N] a déterminé son consentement à la rupture conventionnelle.
Eu égard à ce qui a été dit dans les développements précédents, le dol du salarié n’est pas établi et, par suite, la demande pécuniaire de la société Ciec doit être rejetée. Le jugement sera confirmé en conséquence.
En dernier lieu et au surplus, il est rappelé que la responsabilité pécuniaire d’un salarié à l’égard de son employeur ne peut résulter que de sa faute lourde, qui est une faute d’une particulière gravité, révélant une intention de nuire du salarié à l’égard de l’employeur.
Or, à supposer que les manoeuvres dolosives soient établies, ce qui n’est pas le cas en l’espèce comme il a été dit dans les développements précédents, force est de constater qu’il n’est ni allégué ni justifié par la société Ciec que ces manoeuvres seraient liées à une intention de nuire du salarié à son égard. Dès lors, la responsabilité civile de ce dernier ne pouvait être engagée.
Sur les demandes accessoires :
La société qui succombe, est condamnée à verser à M. [N] la somme de 1.500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile pour la procédure d’appel.
Le jugement sera confirmé en ce qu’il a condamné la société Ciec à payer à M. [N] la somme de 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
La société doit supporter les dépens d’appel et sera déboutée de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile.