Rupture brutale de relation commerciale : 5 juillet 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 21/03736

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Rupture brutale de relation commerciale : 5 juillet 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 21/03736
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Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 5 – Chambre 4

ARRET DU 05 JUILLET 2023

(n° 135 , 15 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : 21/03736 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CDFWL

Décision déférée à la Cour : Jugement du 01 Février 2021 – Tribunal de Commerce de PARIS – RG n° 2018043511

APPELANTE

S.A.S. COFISANTE agissant poursuites et diligences en la personne de son gérant, domicilié en cette qualité audit siège

immatriculée au RCS de PARIS sous le numéro 399 851 161

[Adresse 3]

[Localité 2]

Représentée par Me Belgin PELIT-JUMEL de la SELEURL BELGIN PELIT-JUMEL AVOCAT, avocat au barreau de PARIS, toque D1119, avocat postulant

Assistée de Me Frédéric BELLANCA de DARTEVELLE DUBEST BELLANCA AARPI, avocat au barreu de PARIS, toque L0015, avocat plaidant

INTIMEE

S.A.S. BIOGARAN agissant poursuites et diligences en la personne de son gérant, domicilié en cette qualité audit siège

immatriculée au RCS de NANTERRE sous le numéro 405 113 598

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentée par Me Patricia HARDOUIN de la SELARL 2H Avocats à la cour, avocat au barreau de PARIS, toque L0056, avocat postulant

Assistée de Me Hugues VILLEY DESMESERETS de BCTG AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque T01, avocat plaidant

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 14 Mars 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame Brigitte Brun-Lallemand, première présidente de chambre, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Madame Brigitte Brun-Lallemand, première présidente de chambre

Madame Marie-Laure Dallery, présidente de chambre,

Madame Sophie Depelley, conseillère

Greffière, lors des débats : Madame Claudia Christophe

ARRÊT :

– Contradictoire

– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Madame Brigitte Brun-Lallemand, première présidente de chambre et par Monsieur Martinez, Greffier auquel la minute du présent arrêt a été remise par le magistrat signataire.

FAITS ET PROCÉDURE

La société Cofisanté est une société de conseils et de services pour, d’une part, des officines de pharmacies indépendantes (qui adhérent au groupement et bénéficient d’avantages en lien) et d’autre part, des laboratoires pharmaceutiques (qui souhaitent pouvoir toucher des dizaines d’officines en une seule négociation).

Biogaran est un laboratoire pharmaceutique spécialisé dans le développement et la distribution principalement des médicaments génériques.

La substitution pratiquée par les pharmaciens étant aujourd’hui très élevée (88, 4 % en 2018), il existe une concurrence importante entre les laboratoires proposant des génériques pour accéder aux officines.

Ce référencement est obtenu soit par l’entremise des délégués commerciaux du laboratoire, qui recherchent un accord pharmacie par pharmacie, soit par un accord entre le laboratoire et des groupements de pharmacies (les uns et les autres contractant parallèlement avec plusieurs partenaires).

Les sociétés Cofisanté et Biogaran ont noué des relations commerciales, organisées par des contrats, conclus chaque année, afin de contribuer à la croissance de Biogaran sur le marché des médicaments génériques, notamment en fidélisant des clients existants ou en recrutant de nouveaux clients au sein de ce groupement de pharmacies, et en favorisant le développement du volume des ventes de Biogaran au travers d’actions de promotion commerciale et institutionnelle à l’égard des pharmacies adhérentes.

Ces contrats, qui ne sont pas soumis à l’article L.441-7 du code de commerce, contiennent un certain nombre de clauses reproduites chaque année, ainsi celles définissant les adhérents comme “les officines déclarant à Biogaran adhérer au groupement”.

Les négociations annuelles portent essentiellement sur la structure et le niveau de rémunération en tenant compte des prestations réalisées, de la conjoncture économique et de l’état du marché.

Pour l’année 2015, la rémunération de Cofisanté contractuellement convenue au titre de la prestation de référencement a correspondu à un forfait fixe en fonction du chiffre d’affaires réalisé par Biogaran avec les adhérents de Cofisanté si ce dernier dépassait 7,4 millions d’euros et à 5,4 % du chiffres d’affaires s’il excédait 9 millions d’euros.

Au 31 décembre 2015, Cofisanté a indiqué à Biogaran avoir 101 adhérents. 90 ont confirmé l’avoir été pour toute l’année. Biogaran a par ailleurs pris en compte les 17 officines qui avaient quitté le groupement en 2015.

Bien que le chiffre d’affaires généré ait été inférieur au premier seuil fixé, Biogran a accepté de lui verser la somme forfaitaire de 200 000 euros en contrepartie des prestations réalisées.

Pour l’année 2015, la rémunération de Cofisanté contractuellement convenue au titre de la prestation de référencement a correspondu à un pourcentage du chiffre d’affaires dès 6 millions d’euros.

Au 31 décembre 2016, Cofisanté a indiqué à Biogaran avoir 122 adhérents. 94 ont confirmé l’avoir été pour toute l’année. Biogaran a par ailleurs pris en compte les 26 officines qui avaient quitté le groupement en 2016.

Le chiffres d’affaires réalisé étant de l’ordre de 8,4 millions d’euros, Cofisanté a perçu la somme de 252 645 euros.

Pour l’année 2017, la rémunération de Cofisanté contractuellement convenue le 28 mars 2017 au titre de la prestation de référencement a correspondu à un pourcentage du chiffre d’affaires dès 7 millions d’euros.

Courant 2017, Biogaran s’est inquiété des démarches de Cofisanté auprès des pharmacies qui se fournissant jusque-là en direct auprès de Biogaran, ce qui, selon les échanges informels entre les partenaires, a été analysé par Biogaran comme une “pratique assimilable à de l’hébergement de flux”. Cofisanté s’est prévalu avoir le droit, de “chasser chez les non groupés”, le but étant de les fidéliser afin d’augmenter la part de marché de Biogaran (l’objectif n’étant pas “juste un effet parc”). Elle a aussi évoqué le départ de pharmacies du groupement “qui n’ont pas toutes changé de génériqueur, améliorant immédiatement la rentabilité de Biogaran”.

Biogaran a constaté en septembre 2017 que le chiffre d’affaires Biogagan de Cofisanté (sur la période janvier à juillet 2017) avait augmenté de 54 %, mais que le chiffre d’affaires des (anciens et nouveaux) adhérents Cofisanté commandant des produits Biogaran n’avait cru que de 1 %.

Biogaran a rencontré Cofisanté le 15 septembre 2017 puis en novembre 2017 et en janvier 2018 pour discuter les conditions économiques et financières du contrat pour l’année 2018.

Au 31 décembre 2017, Cofisanté a indiqué à Biogaran avoir 207 adhérents. 145 ont confirmé l’avoir été pour toute l’année. Biogaran a par ailleurs pris en compte les 17 officines qui avaient quitté le groupement en 2017.

Le chiffre d’affaires réalisé étant de l’ordre de 14,7 millions d’euros, Cofisanté a perçu la somme de 486 547 euros.

Biogaran a transmis une dernière proposition le 25 janvier 2018 comprenant une part fixe (150 000 euros) si le chiffre d’affaires de 2018 était supérieur au chiffre d’affaires de 2017 et une part variable calculée en fonction de la croissance du chiffre d’affaires réalisé avec les adhérents de Cofisanté.

Les parties n’ont pas réussi à se mettre d’accord sur les conditions de la poursuite de leurs relations commerciales.

Le 30 mars 2018, la société Cofisanté a mis la société Biogaran en demeure de lui payer la somme de 1 108 000 euros correspondant au gain manqué sur la période de préavis de 24 mois dont elle aurait dû bénéficier, et une somme de 100 000 euros au titre de la rémunération qu’elle prétend ne pas avoir perçue en 2017.

Le 23 juillet 2018, la société Cofisanté a assigné la société Biogaran devant le tribunal de commerce de Paris sur le fondement de l’article L. 442-6, I, 5° du code de commerce.

Par jugement du 1er février 2021, le tribunal de commerce de Paris a :

– Jugé que la SAS Biogaran a rompu brutalement la relation commerciale qu’elle entretenait avec la SAS Cofisanté en ne lui accordant aucun préavis effectif ;

– Dit que la SAS Biogaran aurait dû accorder un délai de préavis de 6 mois à la SAS Cofisanté ;

– Condamné la SAS Biogaran à payer à la SAS Cofisanté la somme de 66 212 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait d’une rupture brutale des relations commerciales établies par application de l’article L. 442-6, I, 5° du code de commerce ;

– Débouté la SAS Cofisanté de sa demande tendant à la condamnation de la SAS Biogaran au paiement d’une rémunération complémentaire pour l’année 2017 et de ses demandes subséquentes de fourniture de justificatifs sous astreinte ;

– Débouté la SAS Biogaran de sa demande visant à la condamnation de la SA Cofisanté au paiement d’une somme de 206 132 euros sur le fondement de l’article L. 442-6, I, 1° du code de commerce ;

– Condamné la SAS Biogaran à payer à la SAS Cofisanté la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– Débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires ;

– Ordonné l’exécution provisoire du présent jugement ;

– Condamné la SAS Biogaran aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 74,50 euros dont 12,20 euros de TVA.

Aux termes de ses dernières conclusions déposées et notifiées le 28 février 2023, la société Cofisanté demande à la Cour de :

Vu les articles L. 441-7 et L. 442-6 du code de commerce (dans leur version en vigueur au moment des faits),

Vu les articles 1231-1 et 1240 du code civil,

Vu les pièces versées aux débats,

Vu la sommation et l’itérative sommation de communiquer,

– Juger la société Cofisanté recevable et bien fondée en son appel ;

– Juger la société Biogaran mal fondée en son appel incident ;

– Débouter la société Biogaran de son appel incident ainsi que de toutes ses demandes fins et conclusions ;

– Confirmer le jugement du tribunal de commerce de Paris, en date du 1er février 2021, en ce qu’il a :

* Jugé que la société Biogaran a rompu brutalement la relation commerciale qu’elle entretenait avec la société Cofisanté en ne lui accordant aucun préavis effectif ;

* Condamné la société Biogaran à payer à la société Cofisanté la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

* Débouté la société Biogaran de toutes ses autres demandes ;

– Infirmer ledit jugement en ce qu’il a :

* Dit que la société Biogaran aurait dû accorder un délai de préavis de six mois à la société Cofisanté ;

* Condamné la société Biogaran à payer à la société Cofisanté la somme de 66 212 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait d’une rupture brutale des relations commerciales établies par application de l’article L.442-6, I, 5° du code de commerce ;

* Débouté la société Cofisanté de sa demande tendant à la condamnation de la société Biogaran au paiement d’une rémunération complémentaire pour l’année 2017 et de ses demandes subséquentes de fourniture de justificatifs sous astreinte ;

* Limité à la somme de 3 000 euros les frais irrépétibles alloués à la société Cofisanté ;

Statuant de nouveau de ces chefs :

Sur les préjudices résultant de la rupture brutale des relations commerciales établies :

– Juger que la société Biogaran aurait dû accorder un délai de préavis de vingt-quatre mois minimum à la société Cofisanté ;

– Condamner la société Biogaran à payer à la société Cofisanté la somme totale de 2 194 239 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de la rupture brutale des relations commerciales établies ;

Sur le préjudice résultant de la rémunération due et non versée au titre de l’année 2017 :

– Condamner la société Biogaran à payer à la société Cofisanté la somme de 135.094 euros au titre du manque à gagner relatif au chiffre d’affaires de trente-six pharmacies adhérentes au Groupement abusivement exclues par la société Biogaran du périmètre de calcul du chiffre d’affaires en violation du contrat de partenariat conclu entre les parties le 28 mars 2017 ;

– Ordonner la communication, par la société Biogaran, dans un délai de quinze jours à compter de la date de signification de l’arrêt à intervenir, et ce sous astreinte d’un montant de 500 euros par jour de retard à compter de cette date, du détail du chiffre d’affaires réalisé avec les cinquante-deux pharmacies abusivement exclues par celle-ci aux fins de calcul de la rémunération due à la société Cofisanté en vertu du contrat de partenariat conclu entre ces dernières, le 28 mars 2017, et se réserver la liquidation de l’astreinte ;

– Rouvrir les débats et renvoyer à la mise en état sur la seule rémunération que la société Biogaran reste devoir à la société Cofisanté au titre de l’année 2017 afin que les parties puissent conclure sur l’évaluation de l’intégralité du préjudice subi sur la base des éléments qui seront communiqués par la société Biogaran ;

En tout état de cause :

– Débouter la société Biogaran de l’intégralité de ses demandes, fins et conclusions ;

– Condamner la société Biogaran au paiement de la somme de 100 000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

– Condamner la même aux entiers dépens de première instance et d’appel en admettant la SELARLU Pelit-Jumel au recouvrement de ces derniers.

Aux termes de ses dernières conclusions déposées et notifiées le 27 février 2023, la société Biogaran demande à la Cour de :

Vu les articles L 442-6, I, 1° et L 442-6, I, 5° du code de commerce,

Vu les articles 1104 et 1302 du code civil,

Vu les pièces versées au débat,

À titre principal :

– Recevoir Biogaran en son appel incident et y faisant droit ;

– Déclarer irrecevable car tardive la pièce n°18 produite par Cofisanté à l’audience du 14 février 2023 (rapport de Sorgem sur l’estimation du préjudice subi), et en conséquence l’écarter des débats ;

– Infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a jugé que Biogaran a rompu brutalement la relation commerciale qu’elle entretenait avec Cofisanté en ne lui accordant aucun préavis effectif ;

En conséquence,

– Infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a fixé à 6 mois le délai de préavis que Biogaran aurait dû accorder à Cofisanté ;

– Infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a condamné Biogaran à payer à Cofisanté la somme de 66.212 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait d’une rupture brutale des relations commerciales établies ;

– Réformer le jugement entrepris en ce qu’il a débouté Biogaran de sa demande visant la condamnation de Cofisanté au paiement d’une somme de 206.132 euros sur le fondement de l’article L.442-6, I, 1° du code de commerce ;

– Confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a débouté Cofisanté de sa demande tendant à la condamnation de Biogaran au paiement d’une rémunération complémentaire pour l’année 2017 ;

Et, partant, statuant à nouveau,

– Juger que la fin des relations commerciales entre Cofisanté et Biogaran ne s’analyse pas en une rupture brutale des relations commerciales établies ;

– Juger que Biogaran n’est redevable d’aucune indemnité au titre de la rupture brutale des relations ;

– Condamner Cofisanté à payer la somme de 206.132 euros au titre des rémunérations indument payées par Biogaran à Cofisanté au titre de l’année 2017 ;

– Débouter Cofisanté de l’ensemble de ses demandes à ce titre ;

– Juger que Cofisanté a intentionnellement manqué à ses obligations contractuelles ;

A titre subsidiaire, si par extraordinaire la Cour considérait que la rupture des relations commerciales entre Cofisanté et Biogaran est brutale :

– Juger que le délai de préavis que Biogaran aurait dû accorder à Cofisanté ne peut excéder 6 mois ;

– Juger que Cofisanté n’apporte aucun élément permettant de justifier sa demande d’indemnisation ;

En conséquence :

– Débouter Cofisanté de ses demandes d’indemnisation au titre du préjudice du fait de la rupture brutale des relations commerciales établies et plus généralement de l’ensemble de ses demandes ;

En tout état de cause,

– Débouter Cofisanté de l’ensemble de ses demandes formulées à l’encontre de la société Biogaran ;

– Condamner Cofisanté à payer la somme de 206.132 euros au titre des rémunérations indument payées par Biogaran à Cofisanté au titre de l’année 2017 ;

– Condamner Cofisanté à verser à Biogaran la somme de 25.000 € en exécution de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens de l’instance dont le recouvrement sera poursuivi par la SELARL 2H Avocats, en la personne de Maître Patricia Hardouin par application des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 7 mars 2023.

A l’audience du 14 mars 2023, Cofisanté a sollicité, sur le fondement de l’article 784 du code de procédure civile, la révocation de l’ordonnance de clôture au motif que le 6 mars 2023 à 20h 45, Biogaran avait une nouvelle fois conclu, la mettant dans l’impossibilité d’en prendre connaissance en temps utiles. Elle a demandé, à défaut, que ces ultimes écritures (n°5) soient écartées des débats sur le fondement de l’article 16 du code de procédure civile et 6§1 de la Convention européenne des droits de l’homme.

La Cour constate que Biogaran a en réponse rappelé que Cofisanté a produit un rapport économique le 14 février 2023, soit deux ans après sa déclaration d’appel. L’intimée s’en est par ailleurs remise à la sagesse de la Cour.

La Cour ne fait pas droit à la révocation de l’ordonnance de clôture, en l’absence de cause grave le justifiant, le contradictoire étant respecté par non prise en compte des conclusions tardives de Biogaran du 6 mars 2023 auxquelles Cofisanté n’a pas été mise en mesure de répliquer.

La Cour renvoie à la décision attaquée et aux conclusions susvisées pour un exposé détaillé du litige et des prétentions des parties, conformément à l’article 455 du code de procédure civile.

MOTIVATION

I- Sur la rupture brutale des relations commerciales établies

La Cour rappelle que les ruptures brutales intervenues avant le 26 avril 2019 sont soumises à l’ancien article L. 442-6, I, 5e du code de commerce, lequel dispose :

“Engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice causé par le fait, pour tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au registre des métiers :

(…) 5° de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels.

(…) Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis en cas d’inexécution par l’autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure.”

Sur la date à laquelle la relation commerciale établie a débuté

Exposé du moyen :

La société Cofisanté soutient que les relations commerciales entre les deux sociétés ont débuté en 2001 et ont duré 17 ans.

Elle fait observer que les factures émises depuis 2001, dont elle justifie, ont porté sur tout le spectre de la prestation (référencement, recherche de nouveaux clients, promotion de Biogaran et de ses produits) et non pas seulement sur la prise en charge de frais liés à l’organisation de ses propres évènements, manifestation et actions promotionnelles. Elle donne l’exemple d’une facture datant de 2001, qui ne distingue pas les prestations réalisées, ou encore d’une facture de 2002, qui vise expressément une prestation de référencement.

La société Biogaran répond que leurs relations commerciales ont débuté en 2007 et ont duré 11 ans, ainsi qu’il a été jugé en première instance. Selon elle, les factures ne sont, jusqu’en 2007, pas suffisamment régulières car elles portent sur des frais liés à l’organisation interne de ses propres évènements pour les années 2001 à 2007. De plus, elles ne portent pas sur des montants assez significatifs pour qu’il soit possible de qualifier la relation de suivie, stable et habituelle.

Réponse de la Cour :

La Cour retient qu’un flux d’affaires existe entre les parties à compter de 2001, le montant facturé s’élevant à 26 406, 67 euros HT la première année et à plus de 100 000 euros HT dès 2004.

Il n’y a pas lieu de différencier les types de prestations fournies, lesquelles ont la même finalité, la promotion de Biogaran auprès des pharmacies en vue de la fidélisation de ces dernières à l’égard de ce laboratoire.

Cofisanté observe de façon pertinente, de surcroît, que la croissance du montant des factures émises entre 2001 et 2007 s’explique par des circonstances temporelles (lancement du marché des médicaments génériques en France, démarrage récent d’activité pour chacune de ces sociétés, partenariat progressivement renforcé entre Cofisanté et Biogaran).

La Cour retient en conséquence que l’antériorité des relations litigieuses remonte à 2001.

Sur l’inexécution contractuelle et les agissements déloyaux allégués par Biogaran

Exposé du moyen :

La société Biogaran, rappelant que l’article L. 442-6, I, 5° du code de commerce réserve la possibilité pour l’auteur de la rupture de mettre fin à la relation sans préavis en cas d’inexécution par l’autre partie de ses obligations, soutient que Cofisanté a intentionnellement violé ses obligations essentielles en mettant en place, en 2017, en toute connaissance de cause, un mécanisme déloyal et illicite de recrutement des clients historiques de Biogaran ne faisant pas partie d’un groupement, et ce pour maximiser sa rémunération au détriment de Biogaran.

Elle rappelle que dans un courrier du 18 septembre 2017 (pièce Biogaran n°17), Cofisanté reconnait que son partenaire est opposé à ce qu’il considère être un “hébergement d’adhérents” et que plusieurs discussions ont eu lieu entre les parties relativement au recrutement massif mis en place par Cofisanté, mais que cela est selon elle de nature compenser le départ depuis plusieurs années d’officines n’ayant pas toutes changé de génériqueur, l’ensemble constituant donc un partenariat “win-win”.

Biogaran ajoute que le contrat comporte un article 11 qui, en conformité avec les dispositions de l’article L. 4113-6 du code de la santé publique, interdit explicitement à Cofisanté de reverser à ses adhérents tout ou partie de la rémunération perçue de Biogaran. Or la rémunération supplémentaire au titre du référencement octroyée par Cofisanté (1% du CA réalisé avec Biogaran) en application du contrat Lite conclu avec ses nouveaux adhérents ne comporte aucun engagement de la part de la pharmacie, donc aucune contrepartie réelle (pièce n°7 Biogaran : “offre exceptionnelle réservée aux pharmaciens non groupés : aucune contrainte, pas d’adhésion à un groupement, pas de droit d’entrée, pas de cotisation ou d’abonnement, indépendance totale, maitrise de vos achats, pas de réunion, pas de perte de temps, seulement une remise additionnelle en plus de vos conditions en acceptant de recevoir notre newsletter mensuelle”).

Biogaran se réfère enfin à la définition des “nouveaux clients” prévue à l’article 3.1.2 du contrat (“un adhérent ayant réalisé un chiffre d’affaires inférieur à 30.000 euros brut HT en 2016 et un chiffre d’affaires supérieur à 70.000 euros brut HT en 2017”) qui montre selon elle que le challenge, dont les modalités sont précisément décrites au contrat, impliquait un effort de recrutement auprès des “petits clients” afin d’augmenter les parts de marché de Biogaran et qu’il n’était en aucun cas prévu que Cofisanté puisse aller recruter massivement des gros clients historiques de Biogaran afin de maximiser sa rémunération.

La société Cofisanté répond que la société Biogaran ne démontre pas la moindre inexécution contractuelle de la part de Cofisanté.

S’agissant de la violation alléguée des dispositions de l’article L. 4113-6 du code de la santé publique (grief formulé par Biogaran pour la première fois dans le cadre de la présente instance), la société Cofisanté argue qu’elle ne rétrocédait pas aux pharmacies adhérentes des sommes reçues de Biogaran, mais procédait à l’achat de prestations (envoi de données permettant la mise en place des services statistiques et de la participation aux animations commerciales) qu’elle réglait au moyen de sa trésorerie propre.

S’agissant de la prétendue rémunération supplémentaire promise par Cofisanté (1% du CA réalisé avec Biogaran), elle soutient qu’il est allégué à tort que Cofisanté accorderait des “avantages” qui seraient sans contrepartie, dans la mesure où pour bénéficier des tarifs négociés et remises concernées, les pharmacies doivent accepter de devenir partenaires de Cofisanté. Le fait de faire bénéficier les pharmacies référencées par Cofisanté des tarifs négociés avec Biogaran ne saurait tomber sous le coup des interdictions de l’article L. 4113-6 du code de la santé publique. Elle ajoute que le document critiqué dont l’en-tête est “offre exceptionnelle réservée aux pharmaciens non groupés” a une portée exclusivement commerciale, ainsi qu’il ressort de la mention apposée (“un commercial vous contractera dans les meilleurs délais (garanti sans harcèlement)”).

Réponse de la Cour :

C’est à raison que le tribunal a retenu, dans la décision attaquée, qu’aucune disposition du contrat ne prévoit la situation des clients “non groupés” en relation directe avec la société Biogaran et qu’il n’est expressément spécifié aucune interdiction faite à Cofisanté de démarcher les pharmacies qui seraient en relation d’affaires avec la société Biogaran, alors même que la mise en place d’une telle prohibition appellerait des dispositions contractuelles circonstanciées, ne serait-ce que parce qu’elle suppose que Biogaran communique à son partenaire son fichier clients.

La Cour ajoute que Bogaran produit différents mails et documents qui montrent qu’elle s’est interrogée en interne mais aussi dans des échanges avec Cofisanté sur cette nouvelle politique de recrutement, laquelle a créé de fait une augmentation artificielle de l’assiette de la rémunération de Cofisanté, mais que l’irrespect des obligations contractuelles n’a jamais été explicitement évoqué et qu’il n’a pas non plus été envisagé de se référer à l’article 15-clause de révision du contrat (“en cas de bouleversement de l’équilibre du contrat pendant la durée du contrat, les parties conviennent de se rapprocher afin de discuter de bonne foi des modifications éventuelles à apporter au contrat”).

Le tribunal a justement considéré, en outre, que la production d’un document vierge intitulé “convention de référencement Cofisanté Lite” et de documents d’information que la société Cofisanté aurait diffusé à ses adhérents en 2018 et 2019, soit postérieurement à la rupture, ne peuvent suffire à étayer l’allégation selon laquelle Cofisanté n’aurait pas respecté les dispositions de l’article 11 du contrat qui stipule que “(l)e groupement déclare et garantit que la rémunération versée par Biogaran en contrepartie de la réalisation des Prestations ne sera en aucun cas reversée, sous quelque forme que ce soit, directement ou indirectement, à ses adhérents, à des professionnels de santé, à des associations de professionnels de santé ou à des étudiants se destinant aux professions de santé au sens de l’article 4113-6 du code de la santé publique “. Il s’en suit que les pièces versées aux débats ne permettent pas d’établir que Cofisanté a rétrocédé une partie de sa rémunération à ses adhérents.

La Cour confirme en conséquence la décision attaquée en ce qu’elle a considéré que les conditions de la résiliation sans préavis visées à l’article L. 442-6, I, 5° du code de commerce in fine n’étaient pas réunies.

Sur les conditions de la rupture

Exposé du moyen :

La société Cofisanté affirme que la rupture des relations commerciales entre Cofisanté et Biogaran a été brutale.

S’agissant du recrutement de pharmacies non groupées, elle rappelle que le contrat de 2017 ne prévoit pas d’interdiction à l’encontre de Cofisanté de démarcher des pharmaciens qui auraient déjà des relations d’affaires avec Biogaran. Elle ajoute que sa rémunération correspondait pour l’essentiel à des prestations de référencement et d’animation et non pas de l’apport de nouveaux clients. Elle fait valoir que si le comportement de Cofisanté avait été déloyal (ce qu’elle réfute), il aurait été question d’une résiliation du contrat de 2017 par Biogaran sur le fondement de l’article 6-résiliation du contrat et pas d’une renégociation des modalités de rémunération.

Elle estime ne pas être à l’origine de la rupture puisque Biogaran n’était pas, de fait, dans une posture de négociation. Elle fait valoir que dans la lettre du 31 janvier 2018 versée aux débats, Biogaran affirme que si Cofisanté n’accepte pas de conclure le contrat pour l’année 2018 suivant les conditions commerciales exposées par Biogaran, le partenariat prendra fin. Elle ajoute que dans l’hypothèse où l’on aurait appliqué, pour l’année 2017, les nouvelles modalités de rémunération, Cofisanté aurait perçu une rémunération de 294 160,03 euros au lieu de celle négociée, soit une minoration de l’ordre de 40 %, dégradation est en réalité bien supérieure (de l’ordre de 60%) si l’on tient compte des pharmacies adhérentes abusivement exclues du périmètre par Biogaran pour l’exercice 2017.

Biogaran répond que la rupture de la relation n’était pas brutale.

Elle fait valoir que dès le mois d’avril 2017, Biogaran a informé Cofisanté de la nécessité de revoir les conditions de rémunération pour l’année 2018 en raison de son désaccord avec la nouvelle politique de recrutement et a sollicité que Cofisanté cesse ses agissements déloyaux. Elle ajoute que Cofisanté ne pouvait ignorer que les conditions de rémunération allaient être modifiées du fait de son attitude déloyale.

Biogaran soutient qu’elle n’a pas contraint Cofisanté à accepter sa proposition et que c’est cette dernière qui a refusé de négocier de bonne foi avec Biogaran de nouvelles modalités de rémunération afin de retrouver un équilibre contractuel. Elle ajoute avoir, en novembre 2017 et janvier 2018, soumis deux propositions commerciales distinctes à Cofisanté qui les a déclinées sans formuler de contre-proposition. Elle dit avoir relancé Cofisanté jusqu’en mars 2018, sans réponse de sa part. Le nouveau mode de calcul proposé est pourtant cohérent avec l’historique des relations entre les parties qui prenait en compte le chiffre d’affaires. Elle ajoute que la rémunération octroyée à Cofisanté devait être la contrepartie de réels efforts de référencement équivalents à ceux réalisés les années précédentes.

Réponse de la Cour :

La Cour retient que même s’il ressort des pièces du dossier que Cofisanté a respecté la lettre du contrat signé en 2017, le recrutement massif d’adhérents déjà clients de Biogaran auquel elle a procédé a incontestablement modifié l’économie générale de ce dernier.

Dans le cadre des négociations annuelles, elle pouvait donc raisonnablement s’attendre à ce que son partenaire envisage soit une modification des éléments non financiers de la relation (notion d’adhérent), soit une modification des modalités de fixation de sa rémunération.

L’année 2017 ayant incontestablement été atypique au regard de l’historique des relations entre les parties et le mode de calcul de la rémunération n’étant pas figé d’année en année, c’est en vain qu’elle reproche à Biogaran d’avoir proposé de nouvelles modalités de rémunération afin de retrouver un équilibre contractuel.

Pour autant, le dirigeant de Cofisanté allègue de façon fondée, dans un mail du 4 décembre 3017 (pièce Biogaran n°16) : “en 2011, nous disposions d’un budget de 240 000 euros minimum ou 9 % du CA net au-dessus de 4, 3 millions d’euros de volume représenté. En 2017, le palier d’objectif était de 8, 5 millions d’euros, preuve de notre constante progression, et pas seulement celle de 2017 que tu remets en cause”, en appelant de ses v’ux “un accord cohérent avec les années précédentes, les résultats obtenus et le chiffre d’affaires représenté”.

C’est à raison que le tribunal a observé qu’un système de rémunération fondé sur les perspectives de croissance dans un marché mature et stable, comme celui des génériques, créait un réel élément d’incertitude pour Cofisanté et que dans ces conditions, Biogaran ne pouvait déduire du refus de Cofisanté d’accepter ces nouvelles conditions une rupture à l’initiative de cette dernière, la dispensant de l’octroi d’un préavis raisonnable. Il lui appartenait en conséquence d’accorder à son partenaire un délai suffisant pour se réorganiser si ce dernier ne souhaitait pas souscrire aux conditions auxquelles elle avait subordonné la poursuite de la relation.

Sur la durée du préavis

Exposé du moyen :

Cofisanté soutient qu’elle aurait dû bénéficier, au minimum, d’un préavis d’une durée de 24 mois.

Elle fait valoir avoir été dépendante économiquement de Biogaran d’une part en raison de la structuration du marché des médicaments génériques qui impose une quasi-exclusivité avec un fournisseur principal de médicaments génériques, d’autre part car elle réalisait en 2017 près de 65 % de son chiffre d’affaires avec Biogaran. Elle estime qu’en mettant fin aux relations commerciales établies à la fin du mois de janvier 2018, Biogaran savait que Cofisanté serait dans l’incapacité de conclure un nouvel accord avec l’autre fournisseur de médicaments génériques n°1 (la société Mylan) en raison de la baisse de son chiffre d’affaires et dans la mesure où les pharmacies avaient, selon elle, l’obligation légale de conclure leurs accords au plus tard le 1er mars 2018. Elle ajoute qu’il était très difficile, après avoir promu pendant 17 ans auprès des pharmacies adhérentes les mérites de Biogaran, de les faire basculer vers un laboratoire de médicaments génériques concurrent, a fortiori sans bénéficier d’un délai de préavis raisonnable et suffisant pour cela. Du fait de l’agenda des négociations annuelles entre fournisseurs de médicaments génériques et pharmacies, il était inconcevable, enfin, qu’un nouveau partenaire accepte de s’engager avec Cofisanté.

Biogaran soutient, dans son subsidiaire, que la Cour ne saurait le cas échéant retenir un préavis supérieur à 6 mois.

Elle fait valoir qu’en France le prix des médicaments génériques est fixé par l’administration et que les remises pour ces produits sont plafonnées à 40 % du prix fabricant HT (article L.138-9 du Code de la sécurité sociale). Les laboratoires génériques sont donc tous dans la même situation et n’ont que très peu de latitude sur la négociation du prix de leurs médicaments. Biogaran se réfère par ailleurs à l’avis n°13-A-24 du 19 décembre 2013 de l’Autorité de la concurrence sur la substituabilité des génériques entre eux et rappelle que ces derniers sont identiques entre eux : même molécule, mêmes principes actifs, même forme, même bioéquivalence, mêmes effets thérapeutiques, même procédure d’autorisation de mise sur le marché, même dénomination.

Elle ajoute que Cofisanté ne justifie pas que les adhérents auraient quitté son groupement du seul fait de la fin de sa relation avec Biogaran, d’une part, et qu’elle reconnait avoir signé un contrat avec Mylan le 8 novembre 2018, d’autre part. Biogaran observe que Cofisanté reste par ailleurs taisante sur l’activité qu’elle a eu avec ce laboratoire en cours d’année 2018. Elle soutient enfin que Cofisanté, lorsqu’elle s’est contentée fin 2017 et début 2018 de refuser les propositions, sans faire de contre-proposition, jouait de manière évidente la montre.

Réponse de la Cour :

Le délai de préavis suffisant, qui s’apprécie au moment de la notification de la rupture, doit s’entendre du temps nécessaire à l’entreprise délaissée pour se réorganiser en fonction de la durée, de la nature et des spécificités de la relation commerciale établie, du produit ou du service concerné.

Le tribunal a considéré à raison que Cofisanté n’apportait aucun élément permettant de démontrer son état de dépendance économique à l’égard de Biogaran, étant observé qu’aucune exclusivité ne lui était imposée et que le marché lui permettait de trouver des solutions alternatives équivalentes.

La Cour ajoute qu’il ressort des éléments versés aux débats que l’offre générique en France est multiple et provient de nombreux acteurs (Mylan, lequel est de rang équivalent à Biogaran, mais aussi Teva Santé, Sandoz, Arrow Génériques, EG Labo, Ranbaxy et Zydus France), les produits étant totalement substituables sans effet de marque.

Cofisanté était en conséquence en capacité de développer aisément ses relations avec d’autres partenaires ou une solution de remplacement, contrairement à ce qu’elle allègue.

Les parties ont l’une et l’autre entendu poursuivre les négociations courant janvier 2018 si bien qu’il n’y a pas lieu de prendre en compte de façon spécifique les éventuelles difficultés inhérentes à un changement de fournisseur en cours d’année.

En l’état des éléments soumis à la Cour, le jugement attaqué sera confirmé en ce qu’il a fixé le préavis nécessaire à 6 mois.

Sur le préjudice subi par Cofisanté

Exposé du moyen :

– Préjudice résultant de la rupture brutale par Biogaran des relations commerciales établies au titre du gain manqué pendant la période de préavis dont Cofisanté aurait dû bénéficier

Cofisanté soutient, sur la base du rapport d’expertise qu’elle a versé le 14 février 2023 (pièce n°18) et en appliquant un préavis de 24 mois et une marge sur coûts variables de 87%, que le préjudice résultant de la rupture brutale par Biogaran des relations commerciales établies doit être fixé à la somme de 955 890 euros.

Biogaran rappelle que Cofisanté s’était intentionnellement abstenue de fournir ses comptes annuels en première instance et observe que le rapport dont elle se prévaut en cause d’appel a été versé aux débats 5 ans après l’introduction du contentieux et un mois seulement avant la date de plaidoiries, ce qui la conduit en premier lieu à solliciter l’irrecevabilité de la production de cette pièce en raison du caractère tardif de sa production.

En second lieu, Biogaran soutient que les demandes indemnitaires de Cofisanté sont fluctuantes en montant et en justification et que ce rapport sert seulement à pallier ses carences documentaires devant la Cour. Cofisanté a fourni à trois reprises des chiffres d’affaires différents. De même, le taux de marge sur coûts variables passe de 81,5 (attestation de l’expert-comptable de Cofisanté du 20 mai 2021) à 87% (rapport Cogem).

– Préjudice résultant de la perte du chiffre d’affaires que Cofisanté réalisait avec ses autres laboratoires partenaires concernant les pharmacies adhérentes ayant quitté le groupement à compter de 2018

Selon Cofisanté, la brutalité de la rupture a contraint les pharmacies à cesser de travailler avec son groupement puisque qu’il n’était plus en mesure de faire bénéficier les pharmacies adhérentes d’un fournisseur générique n°1. En outre, elle a perdu son chiffre d’affaires réalisé avec d’autres laboratoires partenaires concernant les pharmacies adhérentes ayant quitté le groupement. Elle sollicite la somme de 1 238 349 euros au titre de ce préjudice.

Biogaran affirme que cette demande d’indemnisation, qui est nouvelle, ne résulte pas de la brutalité de la rupture mais de la rupture elle-même et ne constitue donc pas un préjudice indemnisable. De plus, Cofisanté ne prouve pas que la perte du chiffre d’affaires serait causée par des agissements fautifs de Biogaran.

Biogaran constate que l’affirmation d’une désaffiliation massive de pharmacies après la cessation de la collaboration avec Biogaran ayant entrainé par conséquent la perte de la rémunération sur le chiffre d’affaires enregistré avec les autres laboratoires partenaires n’a fait l’objet d’aucun contrôle de la part du cabinet Sorgem. Aucun élément n’est en outre fourni permettant de vérifier l’absence d’activité avec le nouveau génériqueur (Mylan).

Bigaran ajoute que dans sa communication externe, Cofisanté affirme, à rebours de sa position dans le présent dossier qu’”avec 220 pharmacies en France, Cofisanté représente 30 millions d’euros d’achat par an, en croissance de + 30 % vs 2017″ (communication sur LinkedIn/compagny/cofisante/about)

Réponse de la Cour :

S’agissant, tout d’abord, du préjudice résultant de la rupture brutale par Biogaran des relations commerciales établies au titre du gain manqué pendant la période de préavis dont Cofisanté aurait dû bénéficier, la Cour constate en premier lieu que les parties ont été en mesure de débattre contradictoirement du rapport intitulé “avis sur le préjudice subi par Cofisanté du fait de la rupture brutale des relations commerciales établies avec Biogaran” versé le 14 février 2023. Aucune fin de non-recevoir n’est caractérisée. Il y a donc lieu de prendre en compte cette pièce.

En second lieu, la Cour observe que le cabinet Sorgem justifie de quelle manière a été calculé le chiffre d’affaires réalisé par Cofisanté avec Biogaran entre 2016 et 2018 et qu’il énumère p. 25 de son rapport quelles ont été, sur les trois derniers exercices, les éléments chiffrés relatifs tant aux charges variables (prestations pharmacie / sous-traitance générale – variable) qu’aux les charges fixes (salaires et traitements, charges sociales, impôts et taxes, locations immobilières, honoraires’) à prendre en compte, l’ensemble étant une extraction fidèle de données communiquées dans l’annexe 2 du rapport.

Il s’ensuit que la Cour est en mesure de retenir un chiffre d’affaires annuel de 414 268 euros HT et une marge sur cout variable de 87 %.

Les gains manqués pendant le préavis de 6 mois qui n’a pas effectués s’élèvent en conséquence à la somme arrondie de 180 200 euros.

S’agissant, ensuite, du préjudice résultant de la perte du chiffre d’affaires que Cofisanté réalisait avec ses autres laboratoires partenaires concernant les Pharmacies Adhérentes ayant quitté le Groupement après la rupture, force est de constater que la démonstration développée dans le rapport s’appuie exclusivement sur des affirmations de Cofisanté quant à des désaffiliations qu’elle considère comme générées par la fin des relations avec Biogaran (p. 27 : “les représentants de Cofisanté nous ont indiqué que” , “d’après les représentants de Cofisanté”, p. 28 : “d’après nos échanges avec les représentants de Cofisanté”, p. 29 : “les représentants de Confisanté nous ont indiqué que “‘), hypothèses qui ne sont pas étayées.

Les biais méthodologiques suivants de ce rapport de partie peuvent en outre être recensés :

– Cette consultation fonde son analyse sur le fichier de suivi analytique des ventes de produits de 8 autres laboratoires partenaires et les factures et avoirs les concernant (annexes 3, 5 et 6) sans comprendre Mylan dans son analyse ;

– Elle apprécie l’impact préjudiciable sur une durée de 7 ans en limitant son analyse à cinq des plus importantes pharmacies (annexe 4) ;

– Les calculs auxquels il est procédé reposent sur l’affirmation d’un chiffre d’affaires, en principe stable, entre les pharmacies adhérentes et les autres laboratoires partenaires, sans analyser l’impact de la liberté des pharmacies partenaires de commercialiser ou non les produits de ces laboratoires et de rattacher ou non leur chiffre d’affaires avec ces laboratoires à Cofisanté.

La Cour retient que Cofisanté, qui s’appuie sur ce seul élément pour formuler cette demande nouvelle, ne rapporte pas la preuve de la réalité de son préjudice et qu’elle doit en conséquence être déboutée de sa demande d’indemnisation à hauteur de 1 238 349 euros.

II- Sur les demandes de Cofisanté en paiement d’une rémunération complémentaire pour l’année 2017 et de fourniture de justificatifs sous asteinte

Exposé du moyen :

Cofisanté sollicite la condamnation de Biogaran au paiement d’une somme globale de 135.094 euros, au titre du manque à gagner relatif au chiffre d’affaires des 36 pharmacies adhérentes abusivement exclues selon elle du périmètre par Biogaran sur la période 2016/2017 et elle demande la communication sous astreinte de l’ensemble des documents et informations permettant de calculer le montant de rémunération restant dûe à Cofisanté par Biogaran en vertu du contrat de 2017 au titre des 52 pharmacies adhérentes que le laboratoire reconnait avoir exclues du périmètre de calcul du chiffre d’affaires.

Biogaran demande à la Cour de confirmer le jugement attaqué en ce qu’il a débouté Cofisanté de cette demande. Elle fait valoir que tout comme en première instance, Cofisanté se contente de communiquer une liste de 36 pharmacies qu’elle a seule élaborée, et qui ne mentionnent que des estimations de chiffres d’affaires pour 32 d’entre elles. Elle ne fournit en outre aucun élément permettant de démontrer leur appartenance au groupement Cofisanté en 2017.

Réponse de la Cour :

Pour justifier sa demande, Cofisanté verse aux débats un tableau élaboré par ses soins qui ne repose sur des estimations de chiffres d’affaires, données à propos duquel Sogem mentionne dans son rapport p. 42 “avoir revu la cohérence arithmétique des calculs présentés par Cofisanté, qui n’appelle pas de commentaire particulier”. Si elle ne produit plus les attestations de rattachement, justifiant l’appartenance de ces officines au groupement Cofisanté, dont la pertinence était critiquée dans la décision attaquée (documents ne correspondant pas à l’année de facturation concernée, attestations incomplètes, informations n’étant pas cohérentes entre elles), elle ne fournit aucun élément s’y substituant qui soit de nature à prouver les faits nécessaires au succès de sa prétention.

Dans ces circonstances, la Cour ne peut que confirmer la décision du tribunal qui a, au visa des articles 9 du code de procédure civile et 1353 du code civil, débouté Cofisanté de la demande en paiement d’une rémunération complémentaire pour l’année 2017 et de ses demandes subséquentes de fourniture de justificatifs sous astreinte.

III- Sur la demande de Biogaran de dommages et intérêts sur le fondement de l’avantage sans contrepartie

Biogaran sollicite, au visa de l’article L. 442-6, I, 1° du code de commerce, la condamnation de Cofisanté au paiement d’une somme de 206.132 euros correspondant à la rémunération versée selon elle indument à Cofisanté au titre du chiffre d’affaires réalisé avec les clients existants de Biogaran en 2017. Elle fait valoir que sur 64 des recrutements effectués par Cofisanté en 2017, 52 des officines étaient déjà des clients historiques de Biogaran et que Cofisanté n’a donc recruté que 12 nouveaux clients pour Biogaran.

Cofisanté répond que l’adhésion au Groupement de pharmacies déjà clientes de Biogaran était expressément prévue par le contrat de 2017, ainsi au demeurant que par les accords antérieurs.

Réponse de la Cour :

Ainsi qu’il a déjà été exposé, le contrat liant les parties ne comporte pas interdiction pour Cofisanté de recruter comme adhérent de son réseau des officines dites “non groupées” qui étaient déjà en relation d’affaires avec Biogaran.

La Cour ajoute que le contrat n’évoque, en sa page 3, que le cas des officines figurant tout à la fois sur la liste transmise par Cofisanté et sur la liste transmise à Biogaran par un autre groupement, mais prévoit également, à son article 3.1.2, une rémunération “challenge nouveaux clients” dont le critère d’éligibilité (chiffres d’affaires Biogaran inférieur à 30 000 euros brut HT en 2016 et supérieur à 70 000 euros brut HT en 2017) est “apprécié au regard des achats effectivement réalisés par l’officine auprès de Biogaran en 2016, qu’elle ait été ou non adhérent du groupement en 2016″.

La Cour retient que la rémunération dont Biogaran s’est acquitté en 2017 correspond, conformément au contrat, au chiffre d’affaires réalisé par les pharmacies adhérentes de Cofisanté, étant entendu que le référencement implique pour Cofisanté de s’acquitter de prestations énumérées à l’annexe 1 du contrat (diffusion par e-mail de communications adressées par Biogaran selon son actualité, diffusion en début d”année d’une plaquette d’information sur le partenariat avec Biogaran, centralisation des interrogations des adhérents’)

En conséquence, la décision attaquée, qui a considéré qu’il n’y avait pas lieu d’allouer des dommages et intérêts sur le fondement de l’avantage sans contrepartie, sera confirmée.

IV- Sur l’article 700 du code de procédure civile et les dépens

Il serait inéquitable de laisser à la charge de la société Cofisanté les frais irrépétibles d’appel qu’elle a été contrainte d’exposer pour faire valoir ses droits devant la Cour.

La société Biogaran sera en conséquence condamnée à lui verser la somme de 15 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Elle est déboutée de sa demande formée à ce titre.

Biogaran, qui succombe, sera condamnée aux dépens d’appel.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

CONFIRME le jugement en ses dispositions qui lui sont soumises, sauf en ce qu’il a condamné la société Biogaran à payer à la société Cofisanté la somme de 66 212 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait d’une rupture brutale des relations commerciales établies par application de l’article L. 442-6, I, 5° du code de commerce ;

Statuant de nouveau du chef infirmé et y ajoutant,

Condamne la société Biogaran à payer à la société Cofisanté la somme de 180 200 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait d’une rupture brutale des relations commerciales établies par application de l’article L. 442-6, I, 5° du code de commerce ;

Condamne la société Biogaran à payer à la société Cofisanté la somme supplémentaire de 15 000 € par application de l’article 700 du code de procédure civile à hauteur d’appel,

Condamne la société Cofisanté aux dépens d’appel.

LE GREFFIER LA PRESIDENTE

 


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