Your cart is currently empty!
Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 5 – Chambre 4
ARRET DU 28 JUIN 2023
(n° 124 , 9 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : 21/04685 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CDIN5
Décision déférée à la Cour : Jugement du 15 Février 2021 – Tribunal de Commerce de PARIS, 13ème chambre – RG n° 2019023943
APPELANTE
S.A.R.L. INDIAN ORLEANS agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux en exercice, domiciliés en cette qualité audit siège
immatriculée au RCS d’ORLEANS sous le numéro 791 764 392
[Adresse 4]
[Localité 2]
représentée par Me Sandra OHANA de l’AARPI OHANA ZERHAT CABINET D’AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : C1050
INTIMEE
S.A.R.L. TRIUMPH prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
immatriculée au RCS de MEAUX sous le numéro 382 521 813
[Adresse 1]
[Localité 3]
représentée par Me Jeanne BAECHLIN de la SCP SCP Jeanne BAECHLIN, avocat au barreau de PARIS, toque : L0034, Me André BRICOGNE, avocat au barreau de PARIS
assistée de Me André BRICOGNE, avocat plaidant du barreau de PARIS, toque : D177, avocat plaidant
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 23 mai 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Monsieur Julien Richaud, conseiller, chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Madame Marie-Laure Dallery, présidente de chambre
Madame Sophie Depelley, conseillère
Monsieur Julien Richaud, conseiller
Greffier, lors des débats : Madame Saoussen Hakiri
ARRÊT :
– contradictoire
– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Madame Mme Marie-Laure Dallery, présidente de la chambre 5.4 et par Monsieur Martinez, greffier, auquel la minute du présent arrêt a été remise par le magistrat signataire
FAITS ET PROCEDURE
La SARL Indian Orléans, anciennement dénommée Triumph Orléans, a pour activité principale le commerce et la réparation de motocycles [Localité 2] dans le Loiret ([Localité 2]).
La SAS Triumph, filiale de la société de droit anglais Triumph Motorcycles Overseas Ltd, importe en France des motocycles de marque Triumph qu’elle distribue sur tout le territoire par l’intermédiaire d’un réseau de concessionnaires.
Le 20 mars 2013, ces deux sociétés ont conclu un contrat de concession exclusive à durée indéterminée sur le territoire de “l’arrondissement d'[Localité 5]”. L’acte stipulait une clause de résiliation ainsi rédigée (article 17) :
17.2 – Chacune des parties pourra notifier à tout moment, par lettre recommandée avec accusé de réception son intention de mettre fin à la présente convention. La résiliation prendra effet six mois après la réception de cette lettre [‘].
17.4 – En aucun cas le concessionnaire ne pourra prétendre au versement d’aucune indemnité à la fin du présent contrat et ce, qu’elle qu’en soit la cause.
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 30 septembre 2016 la SAS Triumph a notifié à la SARL Indian Orléans la rupture du contrat avec un préavis de 15 mois expirant le 23 décembre 2017 à raison de la faiblesse de ses résultats commerciaux et de ses difficultés de financement.
Les trois associés de la SARL Indian Orléans, messieurs [Y] et [B] et la société Financière de Coulvreux ont alors envisagé de modifier son actionnariat en faisant de cette dernière son associé unique moyennant le rachat des parts des premiers pour la somme de 10 500 euros. Informée de ce projet, la SAS Triumph a, par courrier du 22 février 2017, précisé sa position en ces termes :
TRIUMPH ne s’oppose pas à ce projet de changement d’associés de la société TRIUMPH ORLEANS :
– sous réserve des conditions indiquées dans le protocole de vente daté du 6 février 2017 que vous nous avez transmis,
– sous réserve de la mise en place d’une ligne d’encours TRIUMPH de 350.000 € auprès de Wells Fargo.
En conséquence, en cas de réalisation de l’opération avant le 31 mars 2017, la décision de résiliation du contrat de concession qui avait été notifié à TRIUMPH ORLEANS le 30 septembre 2016 sera non avenue et le contrat de concession à durée indéterminée actuellement en cours entre TRIUMPH SAS et TRIUMPH ORLEANS se poursuivra normalement.
Par courrier du 19 octobre 2017, la SAS Triumph, dénonçant la non-réalisation des conditions évoquées en février 2017, a notifié à la SARL Indian Orléans la confirmation de la rupture de la relation contractuelle en reportant l’expiration du préavis au 30 avril 2018. Cette décision était contestée par la SARL Indian Orléans par lettre du 24 octobre 2017 itérée le 15 janvier 2018.
C’est dans ces circonstances que, par acte d’huissier signifié le 12 avril 2019, la SARL Indian Orléans a assigné la SAS Triumph devant le tribunal de commerce de Paris en réparation des préjudices causés par la rupture brutale de leurs relations commerciales établies (perte de marge brute et des investissements) et, à défaut, par la résiliation abusive du contrat.
Par jugement du 15 février 2021, le tribunal de commerce de Paris a rejeté les demandes de la SARL Indian Orléans et l’a condamnée à payer à la SAS Triumph la somme de 3 500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.
Par déclaration reçue au greffe le 10 mars 2021, la SARL Indian Orléans a interjeté appel de ce jugement.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 10 juin 2021, la SARL Indian Orléans demande à la cour, au visa des articles 1100 et suivants du code civil dans sa rédaction postérieure au 1er octobre 2016, 1240 et suivants du code civil dans leur rédaction postérieure au 1er octobre 2016 et L 442-6 I 5° du code de commerce dans son ancienne rédaction, de :
– dire la SARL Indian Orléans recevable et bien fondée en son appel ;
– réformer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le tribunal de commerce de Paris du 15 février 2021 ;
– en conséquence, et statuant de nouveau,
– à titre principal :
* constater le caractère insuffisant du préavis contractuel de 6 mois pour rompre la relation commerciale établie entre la SAS Triumph et la SARL Indian Orléans ;
* constater que la SAS Triumph avait préalablement accordé un préavis de 15 mois à la SARL Indian Orléans ;
* dire et juger en conséquence que le préavis contractuel de 6 mois ne respecte pas la durée minimale applicable à la relation commerciale établie entre la SAS Triumph et la SARL Indian Orléans ;
* dire et juger que le préavis suffisant applicable à la rupture de la relation commerciale établie entre la SAS Triumph et la SARL Indian Orléans est fixé à 24 mois et en tout état de cause à 15 mois ;
* constater les préjudices de gain manqué et de perte subie causés à la SARL Indian Orléans par la rupture brutale de leur relation par la SAS Triumph ;
* dire et juger que la responsabilité délictuelle de la SAS Triumph est engagée à l’égard de la SARL Indian Orléans sur le fondement du préjudice financier causé par la faute qu’elle a commise en rompant brutalement le contrat de concession sans respecter le préavis de 24 mois ou en tout état de cause 15 mois ;
* condamner la SAS Triumph à verser à la SARL Indian Orléans la somme de :
¿ 234 563,40 euros à titre de dommages et intérêts au titre de la perte de la marge brute dans le cadre d’un préavis de 24 mois ;
¿ ou en tout état de cause et à tout le moins, 140 738,40 euros à titre de dommages et intérêts au titre de la perte de la marge brute dans le cadre d’un préavis de 15 mois ;
¿ y ajoutant, 200 000 euros à titre de dommages et intérêts au titre des investissements effectués à perte ;
– à titre subsidiaire :
* constater le comportement déloyal de la SAS Triumph dans les circonstances entourant la rupture du contrat de concession ;
* dire et juger que la SAS Triumph a manqué à son obligation contractuelle d’exécution de bonne foi au titre des modalités entourant la rupture du contrat de concession ;
* constater les préjudices de perte subie et de gain manqué causés à la SARL Indian Orléans par le caractère abusif de la résiliation du contrat de concession ;
* dire et juger que la responsabilité contractuelle de la SAS Triumph est engagée à l’égard de la SARL Indian Orléans sur le fondement du préjudice financier causé par la faute qu’elle a commise en agissant de mauvaise foi ;
* condamner la SAS Triumph à verser à la SARL Indian Orléans la somme de :
¿ 234 563,40 euros à titre de dommages et intérêts au titre de la perte de la marge brute dans le cadre d’un préavis de 24 mois ;
¿ ou en tout état de cause et à tout le moins, 140 738,40 euros à titre de dommages et intérêts au titre de la perte de la marge brute dans le cadre d’un préavis de 15 mois ;
¿ y ajoutant, 200 000 euros à titre de dommages et intérêts au titre des investissements effectués à perte ;
– en tout état de cause :
* débouter la SAS Triumph de ses demandes ;
* condamner la SAS Triumph à payer à la SARL Indian Orléans la somme de 10 000 euros conformément à l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.
En réponse, dans ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 9 août 2021, la SAS Triumph demande à la cour de :
– confirmer le jugement de première instance en toutes ses dispositions ;
– juger que la résiliation du contrat intervenue n’a pas été brutale ;
– juger que la résiliation du contrat intervenue n’a pas été abusive ;
– en conséquence, débouter la SARL Indian Orléans de l’ensemble de ses demandes tant principales que subsidiaires ;
– subsidiairement :
* juger que le préjudice allégué n’est justifié ni dans son principe ni dans son montant ;
* en conséquence, débouter la SARL Indian Orléans de l’ensemble de ses demandes tant principales que subsidiaires ;
– plus subsidiairement, limiter la condamnation de la SAS Triumph au seul préjudice incontestablement démontré ;
– en tout état de cause :
* débouter la SARL Indian Orléans de l’ensemble de ses demandes ;
* condamner la SARL Indian Orléans à payer à la SAS Triumph la somme de 10 000 euros au titre des frais irrépétibles ;
* condamner la SARL Indian Orléans aux entiers dépens.
Conformément à l’article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie à la décision entreprise et aux conclusions visées pour un exposé détaillé du litige et des moyens des parties.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 11 avril 2023. Les parties ayant régulièrement constitué avocat, l’arrêt sera contradictoire en application de l’article 467 du code de procédure civile.
MOTIVATION
1°) Sur la rupture brutale des relations commerciales établies
Moyens des parties
Au soutien de ses prétentions, la SARL Indian Orléans expose que la résiliation notifiée le 30 septembre 2016 a été privée d’objet par l’accord donné le 22 février 2017 par la SAS Triumph sur la poursuite des relations commerciales, l’unique condition posée ayant été satisfaite le 31 mars 2017, et en déduit que le préavis de six mois finalement accordé était insuffisant au regard de la durée de la relation, de son statut de PME s’approvisionnant exclusivement auprès de la SAS Triumph et de sa situation de dépendance économique à son égard, la commercialisation de produits sous marque distributeur impliquant en outre un doublement légal du préavis. Elle précise que la brutalité de la rupture lui cause un préjudice résidant dans la perte de sa marge brute jusqu’à l’expiration du préavis dû, d’une durée de deux ans et à défaut de 15 mois, et dans l’impossibilité d’amortir ses investissements spécifiques.
En réponse, la SAS Triumph, qui ne conteste pas le caractère établi des relations commerciales, expose que la SARL Indian Orléans ne commercialisait pas de produits sous marque distributeur mais fournisseur et n’était pas en situation de dépendance économique. Elle en déduit que le préavis accordé, dont la durée a été portée à 19 mois au total, était suffisant. Elle ajoute n’avoir renoncé à la résiliation notifiée le 30 septembre 2016 que sous la condition, notamment, que la SARL Indian Orléans mette en place une ligne d’encours Triumph de 350 000 euros auprès de la banque Wells Fargo, ce qui n’a jamais été fait. Elle ajoute que le préjudice allégué n’est démontré ni en son principe ni en sa mesure.
Réponse de la cour
En application de l’article L 442-6 I 5° du code de commerce dans sa version applicable au litige, engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels. Lorsque la relation commerciale porte sur la fourniture de produits sous marque de distributeur, la durée minimale de préavis est double de celle qui serait applicable si le produit n’était pas fourni sous marque de distributeur. Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d’inexécution par l’autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure.
Au sens de ce texte, la relation, notion propre du droit des pratiques restrictives de concurrence qui n’implique aucun contrat (en ce sens, Com., 9 mars 2010, n° 09-10.216) et n’est soumise à aucun formalisme quoiqu’une convention ou une succession d’accords poursuivant un objectif commun puisse la caractériser, peut se satisfaire d’un simple courant d’affaires, sa nature commerciale étant entendue plus largement que la commercialité des articles L 110-1 et suivants du code de commerce comme la fourniture d’un produit ou d’une prestation de service (en ce sens, Com., 23 avril 2003, n° 01-11.664). Elle est établie dès lors qu’elle présente un caractère suivi, stable et habituel laissant entendre à la victime de la rupture qu’elle pouvait raisonnablement anticiper, pour l’avenir, une certaine continuité du flux d’affaires avec son partenaire commercial (en ce sens, Com., 15 septembre 2009, n° 08-19.200 qui évoque “la régularité, le caractère significatif et la stabilité de la relation commerciale”).
Par ailleurs, L 442-6 I 5° du code de commerce sanctionne non la rupture, qui doit néanmoins être imputable à l’agent économique à qui elle est reprochée, mais sa brutalité qui résulte de l’absence de préavis écrit ou de préavis suffisant. Ce dernier, qui s’apprécie au moment de la notification de la rupture sans égard pour les évènements qui lui sont postérieurs (en ce sens, Com., 1er juin 2022, n° 20-18.960), doit s’entendre du temps nécessaire à l’entreprise délaissée pour se réorganiser, soit pour préparer le redéploiement de son activité, trouver un autre partenaire ou une solution de remplacement. Les critères pertinents sont notamment l’ancienneté des relations et les usages commerciaux, le degré de dépendance économique, le volume d’affaires réalisé, la progression du chiffre d’affaires, les investissements effectués, l’éventuelle exclusivité des relations et la spécificité du marché et des produits et services en cause ainsi que tout obstacle économique ou juridique à la reconversion. La rupture peut être totale ou partielle, la relation commerciale devant dans ce dernier cas être modifiée substantiellement (en ce sens, Com. 31 mars 2016, n° 14-11.329 ; Com 20 novembre 2019, n° 18-11.966, qui précise qu’une modification contractuelle négociable et non imposée n’est pas la marque d’une rupture partielle brutale).
La SAS Triumph ne conteste ni le caractère établi de la relation commerciale ni l’imputabilité de la rupture.
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 30 septembre 2016, elle a notifié à la SARL Indian Orléans la rupture du contrat avec un préavis de 15 mois expirant le 23 décembre 2017 à raison de la faiblesse de ses résultats commerciaux et de ses difficultés de financement (pièce 4 de l’appelante).
La SARL Indian Orléans, qui date la rupture du 19 octobre 2017 et réduit le préavis accordé à six mois, estime cette notification privée d’effet par la poursuite de la relation commerciale qu’aurait autorisée la SAS Triumph dans son courrier du 22 février 2017. Cependant, aux termes de celui-ci (pièce 5 de l’appelante), la SAS Triumph a clairement précisé qu’elle ne s’opposait pas au projet de rachat des parts sociales par la société Financière de Coulvreux et qu’elle ne réputerait non-avenue sa décision de résilier le contrat qu’à la double condition que le protocole du 6 février 2017 soit exécuté (pièce 6 de l’appelante) et que la SARL Indian Orléans mette en place “une ligne d’encours Triumph de 350 000 euros auprès de Wells Fargo”, et ce avant le 31 mars 2017, la formule “en cas de réalisation de l’opération avant le 31 mars 2017” renvoyant nécessairement à la levée des deux réserves qui la précédaient immédiatement. Or, si la SARL Indian Orléans démontre que la cession de parts sociales a été régularisée dans les délais, elle ne justifie pas de l’existence d’une ligne d’encours dans la mesure souhaitée par la SAS Triumph, les échanges de courriels de juillet et novembre 2017 qu’elle produit révélant au contraire que, peu important les causes de cette défaillance, le seuil de 350 000 euros n’a jamais été atteint et que sa ligne est restée plafonnée à 100 000 euros malgré le soutien de la SAS Triumph (pièces 11 et 13 de l’appelante et pièce 10 de l’intimée). De ce fait, certaines commandes n’ont pu être honorées (pièces 9 et 10 de la SAS Triumph et pièce 11 de la SARL Indian Orléans), signe que l’exigence de la SAS Triumph était fondée et réaliste.
Outre le fait que cet évènement, dont la réalisation conditionnait explicitement et sans la moindre équivoque l’anéantissement de la notification du 30 septembre 2016 et dont la SAS Triumph a rappelé l’importance en cours d’exécution du préavis sans susciter la moindre critique de la SARL Indian Orléans (sa pièce 10, courriel du 5 mai 2017 : “pour le futur et dans ces conditions, vous ne pourrez pas travailler correctement sans une ligne a minima de 350 K€”), n’est pas survenu, le courrier du 19 octobre 2017 n’introduit ni contradiction ni ambiguïté (pièce 12 de la SAS Triumph) puisqu’il précise clairement qu’il ne constitue pas une nouvelle rupture et confirme celle d’ores et déjà consommée en accordant une simple prolongation du préavis initial :
Par lettre du 30 septembre 2016, nous vous avons notifié la résiliation du contrat de concession à effet du 23 décembre 2017.
En février 2017, nous avions envisagé de revenir sur cette résiliation sous réserve de conditions qui n’ont pas été satisfaites si bien que la résiliation n’a jamais été annulée.
Nous vous notifions le report de la résiliation du contrat à échéance du 30 avril 2018, date à laquelle le contrat prendra fin.
Aussi, rien ne permet d’interpréter cette lettre, sauf à en dénaturer la lettre et l’esprit, comme se substituant à la précédente notification de la rupture du contrat et de la relation commerciale : la rupture a été notifiée le 30 septembre 2016 avec un préavis de 15 mois, le report opéré le 19 octobre 2017 ne pouvant être pris en compte puisqu’il est postérieur à l’annonce de la cessation des relations commerciales. Seule la suffisance de ce préavis demeure en débat.
Au jour de la rupture, la relation, relativement brève, avait duré 42 mois et était encadrée par un contrat de concession exclusive ne comportant aucune obligation d’approvisionnement exclusif (pièce 3 de la SARL Indian Orléans, article 6.1 : ” Le concessionnaire est libre de commercialiser des produits concurrents des produits contractuels et d’assurer pour ces mêmes produits les services visés à l’article 3), peu important que la SARL Indian Orléans ait librement fait le choix de ne commercialiser que des produits de marque Triumph.
A ce titre, l’état de dépendance économique, pour l’essentiel défini pour les besoins de l’application de l’article L 420-2 du code de commerce qui n’est pas en débat mais devant être apprécié de manière uniforme, est, en tant que situation de fait servant ici, non de condition préalable mais d’élément d’évaluation de la durée du préavis éludé, s’entend de l’impossibilité, pour une entreprise, de disposer d’une solution techniquement et économiquement équivalente aux relations contractuelles qu’elle a nouées avec une autre entreprise (en ce sens, Com., 12 février 2013, n° 12-13.603). Son existence s’apprécie en tenant compte notamment de la notoriété de la marque du fournisseur, de l’importance de sa part dans le marché considéré et dans le chiffre d’affaires du revendeur, ainsi que de l’impossibilité pour ce dernier d’obtenir d’autres fournisseurs des produits équivalents (en ce sens, Com., 12 octobre 1993, n° 91-16988 et 91-17090). La possibilité de disposer d’une solution équivalente s’entend de celle, juridique mais aussi matérielle, pour l’entreprise de développer des relations contractuelles avec d’autres partenaires, de substituer à son donneur d’ordre un ou plusieurs autres donneurs d’ordre lui permettant de faire fonctionner son entreprise dans des conditions techniques et économiques comparables (Com., 23 octobre 2007, n° 06-14.981).
Dans sa décision 89-D-16 du 30 mai 1989 citée par la SAS Triumph, l’Autorité de la concurrence, alors Conseil de la concurrence, précisait, dans le cadre d’une relation entre un concessionnaire et un fabricant automobile, que même si le premier avait réalisé la totalité de son chiffre d’affaires avec le second, dont la marque (Mercedez) disposait d’un taux de notoriété élevé, la renommée, au sens non juridique, des marques des constructeurs concurrents, la faiblesse des parts de marché du fabricant, la liberté d’affiliation aux différents réseaux structurant le marché et les multiples possibilités de reconversion qu’il offre au partenaire évincé excluait l’état de dépendance économique.
Or, il n’est pas contesté que la SAS Triumph représentait moins de 5 % du marché français de la vente de motocycles et que la SARL Indian Orléans, libre de s’approvisionner comme elle l’entendait, disposait de nombreuses possibilités de reconversion, telles celle qu’elle a mise en ‘uvre ainsi qu’en témoigne son changement de dénomination sociale et que le prouvent son aveu judiciaire au sens de l’article 1383-2 du code civil (page 17 de ses écritures) et les statistiques de son chiffre d’affaires (sa pièce 19). Aussi, sa dépendance économique, réelle mais voulue, est très sérieusement tempérée.
Enfin, l’analyse des correspondances entre les parties révèle que la SAS Triumph n’a pas entretenu la SARL Indian Orléans dans l’illusion d’une poursuite inconditionnelle des relations commerciales et qu’elle ne l’a pas incitée à procéder à de nouveaux investissements. Cet argument est d’autant moins pertinent que ces derniers, à les supposer établis en leur principe et en leur mesure, ont été réalisés par l’associé de la société Financière de Coulvreux qui, doté d’une personnalité juridique distincte, a seul intérêt à se prévaloir de leur inutilité et de leur perte corrélative (pièces 7, 17 et 18 de la SARL Indian Orléans).
Aussi, au regard de ces éléments combinés et du caractère inopérant du doublement légal de la durée du préavis invoqué par la SARL Indian Orléans puisque la relation commerciale ne portait pas sur la fourniture de produits sous marque de distributeur mais sous marque fournisseur, un préavis de 15 mois était très suffisant ainsi que l’a justement jugé le tribunal de commerce.
En conséquence, le jugement entrepris sera confirmé de ce chef.
2°) Sur la rupture abusive du contrat
Moyens des parties
Au soutien de ses demandes subsidiaires, la SARL Indian Orléans expose que la SAS Triumph l’a entretenue dans l’illusion d’une poursuite des relations commerciales en donnant son accord le 22 février 2017 et en l’incitant à engager d’importants investissements avant de rompre le contrat, sans alerte préalable et sans constater la permanence de difficultés quelconques depuis le rachat des parts qu’elle avait agréé.
En réponse, la SAS Triumph expose que les évènements conditionnant la poursuite des relations contractuelles étaient clairement définis et objectivement fondés sur les difficultés financières rencontrées par la SARL Indian Orléans. Contestant la réalité des investissements allégués et la possibilité pour cette dernière, qui n’en est pas l’auteur, de se prévaloir de l’impossibilité de les amortir, elle estime que les conditions de la rupture sont exclusives de tout abus.
Réponse de la cour
Le contrat de concession litigieux ayant été conclu le 20 mars 2013, les textes applicables sont ceux antérieurs à l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 conformément à son article 9. En application des articles 12 et 16 du code de procédure civile, les textes pertinents seront appliqués d’office sans réouverture des débats dont les termes sont inchangés.
Aux termes de l’article 1184 du code civil, la condition résolutoire est toujours sous-entendue dans les contrats synallagmatiques, pour le cas où l’une des deux parties ne satisfera point à son engagement. Dans ce cas, le contrat n’est point résolu de plein droit. La partie envers laquelle l’engagement n’a point été exécuté, a le choix ou de forcer l’autre à l’exécution de la convention lorsqu’elle est possible, ou d’en demander la résolution avec dommages et intérêts. La résolution doit être demandée en justice, et il peut être accordé au défendeur un délai selon les circonstances.
Et, conformément à l’article 1134 du code civil, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise. Elles doivent être exécutées de bonne foi.
Enfin, en vertu de l’article 1147 du code civil, le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, toutes les fois qu’il ne justifie pas que l’inexécution provient d’une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu’il n’y ait aucune mauvaise foi de sa part.
Il est désormais acquis que :
– la SAS Triumph n’a pas entretenu son cocontractant dans l’illusion que seul le rachat des parts conditionnait l’anéantissement de la rupture notifiée le 30 septembre 2016 mais que la poursuite de la relation contractuelle supposait également la mise en place d’une ligne d’encours de 350 000 euros, ce qui n’a jamais été fait ;
– la pertinence de cette condition, dont la SAS Triumph a rappelé l’importance en cours d’exécution du préavis et dont l’absence de réalisation a entravé l’exécution des commandes, n’a jamais été contestée par la SARL Indian Orléans ;
– la SAS Triumph n’a pas fait obstacle à la réalisation de cette dernière qu’elle a au contraire tenté de favoriser (sa pièce 10 déjà citée) ;
– la SAS Triumph n’a pas incité la SARL Indian Orléans, ou l’associé de la société Financière de Coulvreux, à procéder à des investissements, ces derniers ayant été réalisés d’initiative, à les supposer établis en leur principe et leur montant ;
– la dépendance économique de la SARL Indian Orléans, en admettant qu’elle soit un critère pertinent pour apprécier la déloyauté imputée à la SAS Triumph, est toute relative au regard de la structure du marché et de ses propres choix non contraints ;
– le préavis accordé était de 15 mois alors que le contrat de concession, conclu pour une durée indéterminée (article 17), stipulait un préavis de six mois (article 17.2) et ne prévoyait aucun formalisme autre que l’envoi d’une lettre recommandée, la rupture n’ouvrant contractuellement droit à aucune indemnité (article 17.4).
Par ailleurs, le contrat ayant pris fin, la SAS Triumph était libre, faute de clause contraire, de concéder la vente de ses produits à un tiers, le procès-verbal de constat produit par la SARL Indian Orléans, dressé le 1er août 2018, soit trois mois après l’expiration du préavis prolongé (sa pièce 20), ne révélant aucune concession antérieure.
Dès lors, en considération de ces éléments combinés, ni déloyauté ni abus ne peuvent être imputés à la SAS Triumph qui n’avait pas à mettre en demeure la SARL Indian Orléans qui bénéficiait d’un préavis plus de deux fois supérieur à celui auquel elle pouvait contractuellement prétendre.
En conséquence, le jugement entrepris sera confirmé de ce chef.
3°) Sur les frais irrépétibles et les dépens
Le jugement entrepris sera confirmé en ses dispositions sur les frais irrépétibles et les dépens.
Succombant en son appel, la SARL Indian Orléans, dont la demande au titre des frais irrépétibles sera rejetée, sera condamnée à payer à la SAS Triumph la somme de 5 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’à supporter les entiers dépens d’appel.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant par arrêt contradictoire mis à la disposition des parties au greffe,
Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions soumises à la Cour ;
Y ajoutant,
Rejette la demande de la SARL Indian Orléans au titre des frais irrépétibles ;
Condamne la SARL Indian Orléans à payer à la SAS Triumph la somme de 5 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la SARL Indian Orléans à supporter les entiers dépens d’appel.
LE GREFFIER LA PRESIDENTE