Rupture brutale de relation commerciale : 27 juin 2023 Cour d’appel de Poitiers RG n° 22/02860

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Rupture brutale de relation commerciale : 27 juin 2023 Cour d’appel de Poitiers RG n° 22/02860
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ARRET N°315

CL/KP

N° RG 22/02860 – N° Portalis DBV5-V-B7G-GVQ2

S.A.S. STRADA

C/

S.A.S. ADDINN GROUP

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE POITIERS

2ème Chambre Civile

ARRÊT DU 27 JUIN 2023

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 22/02860 – N° Portalis DBV5-V-B7G-GVQ2

Décision déférée à la Cour : ordonnance du 08 novembre 2022 rendu(e) par le Président du TC de NIORT.

APPELANTE :

S.A.S. STRADA prise en la personne de son Président, en exercice, et de tous autres représentants légaux domiciliés ès-qualité audit siège.

[Adresse 4]

[Localité 3]

Ayant pour avocat postulant Me Jérôme CLERC de la SELARL LEXAVOUE POITIERS-ORLEANS, avocat au barreau de POITIERS

Ayant pour avocat plaidant Me Laurent MARVILLE, avocat au barreau de PARIS.

INTIMEE :

S.A.S. ADDINN GROUP prise en la personne de son président en exercice domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 1]

[Localité 2]

Ayant pour avocat postulant Me Frédéric CUIF de la SARL DESCARTES AVOCATS, avocat au barreaua de POITIERS

Ayant pour avocat plaidant Me Valérie MORALES, avocat au barreau de PARIS.

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des articles 805 et 907 du Code de Procédure Civile, l’affaire a été débattue le 16 Mai 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant :

Monsieur Cédric LECLER, Conseiller

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Monsieur Claude PASCOT, Président

Monsieur Fabrice VETU, Conseiller

Monsieur Cédric LECLER, Conseiller

GREFFIER, lors des débats : Madame Véronique DEDIEU,

ARRÊT :

– CONTRADICTOIRE

– Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,

– Signé par Monsieur Claude PASCOT, Président, et par Madame Véronique DEDIEU, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

*****

La société par actions simplifiée Strada est une société spécialisée dans l’édition de logiciels pour le transport et la logistique.

La société par actions simplifiées Addinn Group (la société Addinn) est une société spécialisée dans le développement et les services informatiques.

Le 1er septembre 2019, les sociétés Addinn et Strada ont conclu un contrat de prestations de services, par lequel la société Strada a confié à la société Addinn Group la réalisation de missions d’accompagnement informatique.

La société Addinn a réclamé le paiement des factures impayées correspondant aux prestations exécutées.

Par requête en date du 19 juillet 2022, la société Addinn a sollicité du président du tribunal de commerce de Niort l’autorisation de pratiquer une saisie conservatoire de la somme de 2.311.809,60 euros sur les comptes bancaires de la société Strada.

Par ordonnance du 19 juillet 2022, rectifiée par ordonnance du 26 juillet 2022 à la suite d’une erreur matérielle, il a été fait droit à sa demande.

La somme de 44.537, 83 euros a été saisie à titre conservatoire sur le compte bancaire de la société Strada auprès de la banque Bnp Paribas.

Cette saisie conservatoire a été dénoncée à la société Strada le 20 septembre 2022.

Le 10 octobre 2022, la société Strada a sollicité par requête la mainlevée de la saisie conservatoire.

Parallèlement, le 14 octobre 2022, la société Addinn Group a saisi le tribunal de commerce de Paris d’une action au fond.

Par ordonnance en date du 08 novembre 2022, le président du tribunal de commerce de Niort a :

– constaté que, conformément à l’article L. 511-1 du code des procédures civiles d’exécution, la créance de la société Addinn d’un montant de 2.311.809,60 euros en principal paraissait fondée en son principe et que les circonstances menaçant son recouvrement résultaient de la situation financière de la société Strada ‘conformée'(sic) par cette dernière ;

– confirmé donc en toutes ses dispositions l’ordonnance du 19 juillet 2022, rectifiée par ordonnance du 26 juillet 2022 à la suite d’une erreur matérielle, autorisant la société Addinn à pratiquer une saisie conservatoire de somme d’argent sur le(s) compte(s) bancaire(s) de la société Strada, pour garantie de la somme de 2.311.809,60 euros en principal ;

– débouté la société Strada de l’intégralité de ses demandes dont celle en mainlevée de la saisie conservatoire;

– débouté les sociétés Strada et Addinn en leurs demandes au titre des frais irrépétibles.

Le 17 novembre 2022, la société Strada a relevé appel de cette ordonnance, en intimant la société Addinn.

Le 19 avril 2023, la société Strada a demandé :

– d’infirmer l’ordonnance déférée en ce qu’elle a constaté que, conformément à l’article L. 511-1 du Code de procédure civile d’exécution, la créance de la société Addinn, d’un montant de 2 311 809,60 euros en principal, paraissait fondée en son principe, et que les circonstances menaçant son recouvrement résultaient de la situation financière de la société Strada ;

Et statuant à nouveau :

A titre principal,

– d’ordonner la mainlevée totale de la saisie-conservatoire pratiquée sur ses comptes bancaires le 19 septembre 2022 ;

A titre subsidiaire,

– d’ordonner la mainlevée partielle de la saisie-conservatoire pratiquée sur ses comptes bancaires le 19 septembre 2022 à due concurrence des sommes cédées par la société Addinn à la société Bnp Paribas (461.363,68 euros) d’une part, et des sommes réglées à la société BlueSoft au titre de la reprise des travaux (801.288,30 euros), d’autre part ;

En tout état de cause, et à titre reconventionnel, de :

– condamner la société Addinn à lui verser la somme de 50 000 euros à titre de dommages-intérêts pour saisie abusive ;

– débouter la société Addinn de toutes ses demandes ;

– condamner la société Addinn à lui verser la somme de 15 000 euros au titre des frais irrépétibles.

Le 3 mars 2023, la société Addinn a demandé de:

– confirmer intégralement l’ordonnance déférée en ce qu’elle a:

– confirmé en toutes ses dispositions l’ordonnance du 19 juillet 2022, rectifiée par ordonnance du 26 juillet 2022 à la suite d’une erreur matérielle, l’autorisant à pratiquer une saisie conservatoire de somme d’argent sur le(s) compte(s) bancaire(s) de la société Strada, pour garantie de la somme de 2.311.809,60 euros en principal;

– débouté la société Strada de l’intégralité de ses demandes dont celle en mainlevée de la saisie conservatoire;

– débouté la société Strada de sa demande au titre des frais irrépétibles;

– condamné la société Strada aux dépens;

Et, en tout état de cause,

– débouter la société Strada de l’intégralité de ses demandes;

– condamner la société Strada à lui payer 50 000 euros pour résistance abusive;

– condamner la société Strada à lui payer 15 000 euros au titre des frais irrépétibles ;

– condamner la société Strada aux entiers dépens d’appel.

Le 02 mai 2023, a été ordonnée la clôture de l’instruction de l’affaire.

Par message sur le réseau privé virtuel avocat en date du 17 mai 2023, les parties ont été invitées à présenter pour le 31 mai 2016 au plus tard leurs observations sur le moyen relevé d’office par la cour, tenant à l’incompétence territoriale et matérielle des juridictions du ressort pour connaître d’un litige ayant trait à la rupture brutale des relations commerciales établies, par application des articles L. 442-1 II, L. 442-4, L. 442-6 III et D. 442-3 du code de commerce et R. 311-3 du code de l’organisation judiciaire, en ce qu’un tel moyen était dirigé à l’encontre des postes de la saisie conservatoire litigieuse au titre du préjudice financier et du préjudice moral.

Les 23 mai 2023, puis le 31 mai 2023, la société Addinn a déposé des notes en délibéré.

Les 30 mai 2023 et 1er juin 2023, la société Strada a déposé des notes en délibéré.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

De manière liminaire, il y aura lieu d’écarter des débats la note en délibéré déposée le 1er juin 2023 par la société Strada, alors qu’il lui était imparti un délai pour ce faire jusqu’au 31 mai 2023.

Selon les articles L. 511-1 et R. 512-1 du code des procédures civiles d’exécution, la personne qui justifie d’une créance fondée en son principe et de circonstances susceptibles d’en menacer le recouvrement peut obtenir du juge de l’exécution l’autorisation de pratiquer une mesure conservatoire sur les biens de son débiteur.

Selon l’article L. 512-1 du même code,

Le juge peut, à tout moment, au vu des éléments qui sont fournis par le débiteur, le créancier entendu ou appelé, donner mainlevée de la mesure conservatoire s’il apparaît que les conditions prescrites par l’article L. 511-1 ne sont pas réunies.

La saisie conservatoire litigieuse, pratiquée par la société Addinn, pour un total de 2.311.809,60 euros, se décompose en :

– 1848 095,60 euros au titre de factures impayées ;

– 363 714 euros à titre de préjudice financier résultant d’une rupture brutale des relations commerciales établies ;

– 100 000 euros à titre de préjudice moral.

Sur l’exécution par la société Addinn, des prestations litigieuses facturées à la société Stradda :

Par contrat en date du 1er septembre 2019, les parties ont conclu un contrat de prestations de service par lequel la société Strada a confié à la société Addinn Group la réalisation de missions d’accompagnement informatique, précisant notamment :

– en son article 3.2, que les prestations seraient conduites par les consultants d’Addinn selon leurs profils et taux journaliers moyens figurant en annexe 2 du contrat ;

– en son article 4.1, que les prestations feraient l’objet d’un tarif au temps passé en application de cette même annexe 2 ;

– en son article 4.2, que les prestations devaient être facturées par Addinn après leur réalisation, les factures étant payables 30 jours fin de mois à compter de leur date d’émission.

La société Addinn se prévaut de factures pour un total de 1 848 095,600 euros impayées, pour des prestations réalisées d’avril 2021 à mars 2022, l’essentiel de ses prestations ayant été réalisées en décembre 2021.

Il ressort des écritures des parties, concordantes sur ce point, que les prestations que la société Strada avait confiées à la société Addinn consistaient :

– en une mission principale de réécrire les codes informatiques des logiciels Strada existants, afin de permettre leur mise en service sur une plate-forme de software as a service (Saas) intitulée Stradaworld ;

– et de manière annexe, de réaliser certaines prestations marketing.

* * * * *

La preuve d’une obligation appartient à celui qui s’en prévaut, et celle de son paiement à celui qui prétend s’en être libéré.

C’est à celui qui se prévaut d’une exception d’inexécution d’en rapporter la preuve.

La société Strada soutient que la société Addinn n’apporte pas la preuve de l’exécution de prestations facturées objet de la saisie litigieuse, de telle sorte que la créance alléguée ne serait pas en apparence justifiée en son principe.

Mais il ressort des écritures et pièces des parties que les relations, initiées par le contrat susdit, se sont poursuivies sur les mêmes bases au terme de celui présentement en litige, de telle sorte que la créance dont la société Addinn entend se prévaloir ne repose pas uniquement sur ses seules factures.

Et alors qu’il n’est ni allégué, ni justifié d’une rupture des relations contractuelles avant la période objet de la facturation, c’est à la société Strada qu’il appartient de démontrer que les prestations objet des facturations litigieuses n’auraient pas été réalisées, ou auraient été insatisfaisantes.

* * * * *

La société Strada entend faire valoir que le montant réclamé soit 1 848 095,60 euros :

– doit être comparé aux près de 2 millions dont la société Addinn reconnaît avoir déjà reçus ;

– a trait, pour l’essentiel, à 120 factures pour des prestations du mois de décembre 2021 pour un total de 918 395 euros hors taxes ;

– de sorte que la facturation des prestations prétendument réalisées en décembre 2021 seraient plus élevée que le chiffre d’affaire réalisé entre les parties en 2020 (812 402 euros ht) et correspond à 80 % du chiffre d’affaire que Addinn a réalisé avec la société Strada en 2021 (1 137 705,98 euros ht).

L’appelante entend invoquer une surfacturation au regard de la quantité et de la qualité des prestations qui lui ont été fournies.

Mais la quantification chiffrée ainsi que la relative concentration dans le temps des prestations objet des facturations litigieuses sont en elles-mêmes indifférentes à l’établissement, comme à la critique du bien fondé des obligations qu’elles sous-tendent.

Et il sera renvoyé aux développements figurant plus bas s’agissant de l’examen de la qualité des prestations.

* * * * *

Selon l’article 1219 du Code civil,

Une partie peut refuser d’exécuter son obligation, alors même que celle-ci est exigible, si l’autre n’exécute pas la sienne et si cette inexécution est suffisamment grave.

Selon l’article 1220 du même code,

Une partie peut suspendre l’exécution de son obligation dès lors qu’il est manifeste que son cocontractant ne s’exécutera pas à l’échéance et que les conséquences de cette inexécution sont suffisamment graves pour elle. La suspension doit être notifiée dans les meilleurs délais.

La société Strada fait observer, exactement, qu’en vertu de l’article 18 du contrat, les parties avaient écarté expressément et irrévocablement l’application des dispositions de l’article 1220 du code civil.

Elle entend en voir déduire que ces stipulations contractuelles n’autorisaient pas la société Strada à suspendre l’exécution de ses obligations, quand bien même aurait-elle des griefs sur la qualité de ses propres travaux.

Mais pour critiquer l’absence de bien fondée de la saisie conservatoire de la société Addinn, la société Strada lui oppose une exception d’inexécution, et cette exception se fonde sur l’article 1219 du code civil, à l’application duquel elle n’a pas contractuellement renoncé.

Ainsi, le moyen opposé par la société Addinn tiré de la renonciation contractuelle est non seulement inopérant, mais se trouve à l’évidence dépourvu de tout caractère sérieux.

* * * * *

La société Strada avance que depuis 2021, elle se plaint régulièrement d’un grave défaut de qualité des prestations réalisées par la société Addinn.

Les mails émanant de la société Strada font ainsi ressortir des doléances sur les prestations de la société Addinn :

– le 10 juin 2021, sur une mauvaise livraison du matin sur staging ;

– le 6 septembre 2021, sur 19 difficultés, classées par ordre de priorité ;

– le 11 octobre 2021, sur l’absence de mise en oeuvre d’actions qui auraient déjà dû l’être, et qui ne l’étaient pas encore, ainsi que sur une mise en production qui restait encore beaucoup trop manuelle ;

– le 12 octobre 2021, des retours négatifs de sa propre équipe de développement sur de nombreuses problématiques énumérées ;

– le 21 décembre 2021, sur l’impossibilité de ‘scaler’ le nombre de client au vu de tous les points encore non résolus ;

– le 28 mars 2022, sur de graves dysfonctionnements affectant l’application Sinsta, objet de l’intervention de la société Addinn.

Il ressort certes des réponses de la société Addinn que les bugs ont été réglés au fur et à mesure; les bugs du 10 juin 2021 ont été traités le 11 juin 2021, les soucis de production du 11 octobre 2021 ont été traités le 12 octobre 2021 par la société Addinn, et il s’agissait d’un sujet d’organisation et opérationnel relavant en réalité de la responsabilité de la société Wildcard.

Mais ces réponses laissent sans observation ni réaction les graves dysfonctionnements signalés par la société Strada le 28 mars 2022.

Plus spécialement, l’appelante soutient que les codes informatiques réalisés par la société Addinn étaient tout simplement inexploitables, car ne fonctionnant pas une fois mis en service sur la plate-forme Saas Stradaworld, à tel point qu’elle a été obligée de recourir à la société Bluesoft pour pallier les graves manquements de la société Addinn dans l’exécution de ses prestations.

Il ressort en effet de l’attestation en date du 2 février 2023 émanant de Monsieur [W], directeur des opérations de la société Bluesoft :

– le rappel que sa société avait été missionnée par bons de commande des mois de décembre 2021 et mars 2022 par la société Strada dans le cadre du même projet de migration de ses logiciels avec une plate-forme de type Saas intitulé StradaWord que celui confié avant elle à la société Addinn ;

– que les prestations de taxonomie confiées à sa société étaient distinctes de celles fournies par la société Addinn, mais intervenaient en aval des prestations fournies par cette dernière; et présupposaient que les logiciels développés sur la plate-forme Saas fonctionnaient correctement ;

– que la société Addinn était notamment en charge du bon fonctionnement des logiciels sur la plate-forme de production Stradaworld, et de faire réaliser en amont un certain nombre de tests ;

– le constat, par sa société, que les travaux préalables de la société Addinn étaient totalement inopérants, les tests permettant de s’assurer du bon fonctionnement en situation sur la plate-forme Stradaworld n’ayant notamment pas été réalisés ;

– le constat que les codages requis aux termes de la mission confiée à la société Addinn soit n’avaient pas été réalisés, soit lorsqu’ils avaient été réalisés, n’étaient pas exploitables dans l’environnement de la société Strada ;

– la précision que cette défectuosité n’avait pu être révélée qu’au stade de la programmation des codages livrés en situation réelle, après leur mise en service sur la plate-forme, même si ces codages livrés par la société Addinn fonctionnaient a priori lorsqu’ils avaient été livrés en local en mode démonstration ;

– la contrainte, pour sa société, à la demande de la société Strada, de reprendre l’intégralité du travail de codage réalisé par la société Addinn, car les applications de la société Strada ne fonctionnaient pas en situation réelle, pour un coût total de 801 288,30 euros ;

– la concession que les seules prestations exploitables de la société Addinn concernaient les éléments marketing (maquettes, présentations, masques), totalement indépendantes du codage.

Il ressort en outre de l’avis technique de la société Bluefluent du 14 février 2022, après entretien avec les préposés de la société Strada, mais encore consultation de documents envoyés à ce technicien à sa demande :

– l’absence de personnes spécialisées en test au sein des équipes d’Addinn ;

– l’inexistence de plan de tests, de scénarios de tests ou de rapports de tests ;

– son appréciation d’un faible niveau de validation et d’un faible niveau de qualité des prestations de la société Addinn ;

– le constat, par la société Strada, que certains développements de la société Addinn n’avaient pas été versionnés, ou que pour accélérer l’intégration, les tests unitaires avaient été parfois mis en commentaires dans le code source, sans le dire ;

– le constat global d’un manque de professionnalisme et de méthodes immatures d’un point de vue méthodologique de la part de la société Addinn.

Il ressort de ces avis techniques, en particulier du premier, le décalage dans le temps avec lequel se révèlent les insuffisances des prestations confiées à la société Addinn.

Ainsi, celle-ci est mal fondée à se prévaloir des mails de son adversaire au cours des mois de mars 2022, desquels il ressort sa satisfaction quant à l’achèvement de la phase de développement, et son accord pour passer à la phase de production.

Et la circonstance que la société Strada utilise sur son propre site mail les travaux et livrables marketing réalisés par la société Addinn est sans emport, dans la mesure où d’une part, les prestations de marketing de la société Addinn n’encourent pas la critique, et d’autre part, les prestations de codage confiées à la société Addinn ont été intégralement reprises par la société Bluesoft.

La société Strada a ainsi présenté suffisamment d’éléments, établissant la défaillance de la société Strada dans l’exécution de ses prestations de codage, permettant d’accueillir son exception d’inexécution pour les prestations y afférentes.

* * * * *

La société Strada observe que parmi les 1 848 095,60 euros facturés objet de la saisie conservatoire, ont été intégrés 461 363,68 euros de factures pourtant cédées à Bnp Paribas Factor.

L’extrait de compte client de la société Addinn auprès de Bnp Paribas Factor, arrêté au 27 mai 2022, fait ainsi ressortir une cession d’un tel montant à cet établissement bancaire.

Au regard des décomptes produits, la cour constate l’exactitude des affirmations de la société Strada, à laquelle la société Addinn vient acquiescer (page 14 de ses écritures).

Mais si la société Addinn concède avoir cédé ces factures à la société d’affacturage, elle avance que cette dernière les lui auraient restituées, en raison de leur non-paiement par la société Strada selon l’extrait du 31 mai 2022.

Or, le procédé d’affacturage a précisément pour objet de générer une trésorerie immédiate en permettant le règlement, par le factor, d’une créance potentiellement irrecouvrable, moyennant une décote, rendant douteuse la rétrocession évoquée.

Au surplus, la société Addinn ne démontre pas la rétrocession qu’elle allègue

Au regard de ses éléments, il n’est pas suffisamment démontré que Bnp Paribas factor auraient restitué à la société Strada les factures initialement cédées pour un total de 461 363,68 euros.

Il y aura donc de retenir que la société Addinn n’a pas démontré l’apparence de bien fondé de sa créance pour le montant susdit.

* * * * *

Enfin, le décompte des factures produit par la société Addinn ne met pas la cour en mesure de faire le départ, pour chacune d’entre d’elles, entre ses prestations principales de codage, à l’égard desquels la société Strada a opposé avec succès l’exception d’inexécution, et les prestations accessoires de marketing, qui ne font l’objet d’aucune contestation.

Du tout, il sera retenu que la créance de la société Addinn, s’agissant du poste afférent à la facturation, ne présente aucune apparence de bien fondé.

Sur les postes afférents aux demandes indemnitaires :

Selon l’article L. 442-1 II du code de commerce,

Engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice causé le fait, par toute personne exerçant les activités de production, distribution ou de service de rompre brutalement, même partiellement une relation commerciale établie, en l’absence d’un préavis écrit qui tienne compte notamment de la durée de la relation commerciale, en référence aux usages du commerce et aux accords interprofessionnels.

En cas de litige entre les parties sur la durée du préavis, la responsabilité de l’auteur de la rupture ne peut être engagée du chef d’une durée insuffisante dès lors qu’il a respecté un préavis de 18 mois.

Selon l’article L. 442-4 du même code,

I. Pour l’application des articles L. 442-1, L. 442-2, L. 442-3, L. 442-7 et L. 442-8, l’action est introduite devant la juridiction civile ou commerciale compétente par toute personne justifiant d’un intérêt, par le ministère public, par le ministre chargé de l’économie ou par le président de l’Autorité de la concurrence lorsque ce dernier constate, à l’occasion des affaires qui relèvent de sa compétence, une pratique mentionnée aux articles précités.

Le juge des référés peut ordonner, au besoin sous astreinte, la cessation des pratiques abusives ou toutes autres mesures provisoires.

….

III. Les litiges relatifs à l’application des articles L. 442-1, L. 442-2, L. 442-3, L. 442-7 et L. 442-8 sont attribués aux juridictions dans le siège et le ressort sont fixées par décret.

Il résulte des articles L. 442-6, III et D. 442-3 du code de commerce et R. 311-3 du code de l’organisation judiciaire que seules les juridictions du premier degré spécialement désignées par le deuxième de ces textes sont investies du pouvoir de statuer sur les litiges relatifs à l’application du premier, que les recours formés contre les décisions rendues par ces juridictions spécialisées sont portées devant la cour d’appel de Paris, et que ceux formés contre les décisions rendues par des juridictions non spécialement désignées, quand bien même auraient-elles statué sur de tels litiges, sont portées devant la cour d’appel dans le ressort de laquelle elles sont situées.

Il incombe à la cour d’appel, saisie conformément à ces règles, d’examiner la recevabilité des demandes formées devant le tribunal, puis le cas échéant, de statuer dans les limites de son propre pouvoir juridictionnel (Cass. com., 29 mars 2017, n°15-17.659, Bull. 2017, IV, n° 49).

La spécialisation juridictionnelle en matière de pratiques anti-concurrentielles emporte renvoi obligatoire aux juridictions spécialisées, dès lors que les règles induisant la spécialisation sont invoquées, y compris comme moyen de défense à une demande (Cass. com. 9 novembre 2010, n°10-10.937, Bull. 2010, IV, n°169).

Selon l’article D 442-3 du même code et son annexe, s’agissant des actions relevant du ressort de la cour d’appel de céans, le tribunal de commerce désigné en application des textes précédents est celui de Rennes, et la cour d’appel compétente pour connaître des décisions rendues par cette juridiction est la cour d’appel de Paris.

Il ressort des écritures des parties que le contrat litigieux en date du 1er septembre 2019, a reçu constamment application jusqu’au mois de mars 2022.

Il en résulte donc l’existence de relations commerciales établies entre les deux parties.

La société Addinn a inclus dans le périmètre de la saisie conservatoire des créances à hauteur de :

– 363 714 euros à titre de préjudice financier résultant d’une rupture brutale des relations commerciales établies ;

– 100 000 euros à titre de préjudice moral.

S’agissant de son préjudice financier, elle fait grief à la société Strada d’avoir rompu brutalement toutes relations commerciales depuis le 28 mars 2022, coupant tous les accès à ses propres équipes, les empêchant de poursuivre leur mission et suspendant le paiement de toutes les factures.

Elle en réclame l’indemnisation sur la base de sa marge brute perdue pendant la période de préavis dont elle a été privée par suite de la rupture, qu’elle estime à une durée de 3 mois.

S’agissant du préjudice moral, elle soutient que celui-ci procède d’un préjudice de réputation du fait de la rupture brutale du contrat sans motif et de l’intervention d’un concurrent à sa suite, laissant ainsi entendre, tant en interne qu’en externe, que l’arrêt immédiat des relations serait lié à des faits graves excluant tout préavis mais encore toute explication, et que la reprise des travaux en urgence par la société Bluesoft accréditerait qu’elle-même aurait effectué des travaux de mauvaise qualité.

Ainsi, la société Addinn a inclus dans le périmètre de la saisie conservatoire l’indemnisation des préjudices tant financier que moral résultant de la rupture brutale des relations commerciales établies entre parties.

Les juridictions de la cour de céans sont donc incompétentes pour en connaître, de telle sorte que dans leur ressort, l’invocation d’une rupture brutale des relations commerciales établies ne peut fonder le bien fondé d’une créance aux fins de valider une saisie conservatoire.

Il s’en déduira que s’agissant de ces deux postes indemnitaires, la société Addinn n’a pas justifié du bien fondé de sa créance.

* * * * *

A l’issue de cette analyse, il y aura lieu d’infirmer l’ordonnance déférée en toutes ses dispositions, de débouter la société Addinn de ses demandes, et d’ordonner la mainlevée totale de la saisie conservatoire pratiquée le 19 septembre 2022 sur les comptes bancaires de la société Strada.

La société Addinn sera déboutée de sa demande de dommages-intérêts pour résistance abusive.

Sur la demande indemnitaire de la société Strada :

Selon l’article L. 121-2 du code de procédure civile exécution,

Le juge de l’exécution a le pouvoir d’ordonner la mainlevée de toutes mesures inutiles ou abusives et de condamner le créancier à des dommages-intérêts en cas de saisie.

La voie d’exécution litigieuse a conduit à la saisie injustifiée sur les comptes bancaires de la société Strada d’une somme de 44 537,83 euros.

Le caractère abusif de la saisie, qui a généré un préjudice tant dans sa composante morale, du fait de l’incidence sur la réputation de la société Strada, que de l’impossibilité injustifiée d’user des fonds saisis, sera, en l’état des justificatifs produits par celle-ci, entièrement réparé par une indemnité de 10 000 euros que la société Addinn sera condamnée à lui payer, et l’ordonnance sera infirmée de ce chef.

* * * * *

L’ordonnance sera confirmée en ce qu’elle a débouté la société Addinn de sa demande au titre des frais irrépétibles de première instance.

Elle sera infirmée en ce qu’elle a condamné la société Strada aux entiers dépens de première instance, et l’a déboutée de sa demande au titre des frais irrépétibles de première instance.

La société Addinn sera déboutée de sa demande au titre des frais irrépétibles d’appel, et sera condamné à payer à la société Strada la somme de 5000 euros au titre des frais irrépétibles des deux instances.

La société Addinn sera condamnée aux dépens des deux instances.

PAR CES MOTIFS:

La cour,

statuant publiquement par mise à disposition au greffe, contradictoirement et après en avoir délibéré conformément à la loi,

Ecarte des débats la note en délibéré remise le 1er juin 2023 par la société par actions simplifiée Strada ;

Infirme l’ordonnance déférée en toutes ses dispositions, sauf en ce qu’elle a débouté la société par actions simplifiée Addinn Group de sa demande au titre des frais irrépétibles de première instance ;

Confirme l’ordonnance déférée de ce seul chef ;

Statuant à nouveau dans cette limite et y ajoutant :

Ordonne la mainlevée totale de la saisie conservatoire pratiquée le 19 septembre 2022 sur les comptes bancaires de la société par actions simplifiée Strada ;

Déboute la société par actions simplifiée Addinn Group de sa demande de dommages-intérêts pour résistance abusive ;

Condamne la société par actions simplifiée Addinn Group à payer à la société par actions simplifiée Strada la somme de 10 000 euros à titre de dommages-intérêts pour saisie abusive ;

Déboute la société par actions simplifiée Addinn Group de sa demande au titre des frais irrépétibles d’appel ;

Condamne la société par actions simplifiée Addinn Group aux dépens de première instance et d’appel et à payer à la société par actions simplifiée Strada la somme de 5000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et d’appel.

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,

 


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