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République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D’APPEL DE DOUAI
CHAMBRE 2 SECTION 1
ARRÊT DU 05/10/2023
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N° de MINUTE :
N° RG 21/04108 – N° Portalis DBVT-V-B7F-TYLT
Jugement n° 2020001340 rendu le 09 juin 2021 par le tribunal de commerce de Douai
APPELANTE
SAS Société Commerciale de Télécommunication (SCT Telecom), prise en la personne de son représentant légal, président, domicilié en cette qualité audit siège
ayant son siège social [Adresse 2]
[Adresse 2]
représentée par Me Guilhem d’Humières, avocat au barreau de Lille, avocat constitué
INTIMÉE
SA Oceinde représentée par son représentant légal domicilié audit siège
ayant son siège social [Adresse 1]
représentée par Me Alain Cockenpot, avocat constitué et substitué par Me Juliette Darlois, avocats au barreau de Douai
assistée de Me David Reingewirtz et Me Stéphanie Resche, avocats au barreau de Paris, avocats plaidant
DÉBATS à l’audience publique du 07 juin 2023 tenue par Clotilde Vanhove magistrat chargé d’instruire le dossier qui a entendu seule les plaidoiries, les conseils des parties ne s’y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 805 du code de procédure civile).
Les parties ont été avisées à l’issue des débats que l’arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Valérie Roelofs
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
Dominique Gilles, président de chambre
Pauline Mimiague, conseiller
Clotilde Vanhove, conseiller
ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 5 octobre 2023 (date indiquée à l’issue des débats) et signé par Dominique Gilles, président et Valérie Roelofs, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 17 mai 2023
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EXPOSE DU LITIGE
La société Commerciale de télécommunication (ci-après société SCT) est un courtier en fourniture de services et de matériels téléphoniques, tant dans la téléphonie mobile que fixe. Son activité consiste notamment à acheter d’importants volumes de temps de télécommunication aux différents opérateurs en vue de les revendre à ses clients.
La société Oceinde exerce différentes activités en matière de chimie du bâtiment, de produits de la mer, de nouvelles technologies et de médias.
Le 30 octobre 2012, la société SCT et la société Oceinde ont conclu un contrat de service de téléphonie fixe portant sur la ligne 01 56 81 14 14 pour une durée de 48 mois.
Par courrier du 25 septembre 2015, la société Oceinde notifiait à la société SCT la résiliation du contrat en raison de la rupture unilatérale par la société SCT des conditions commerciales convenues après un préavis de huit semaines.
Par courrier en réponse du 14 octobre 2015, la société SCT prenait acte de la résiliation du contrat et sollicitait la somme de 5 812,29 euros HT au titre de l’indemnité de résiliation anticipée.
Par acte d’huissier de justice du 9 juillet 2020, la société SCT a fait assigner la société Oceinde devant le tribunal de commerce de Douai afin notamment d’obtenir le paiement de l’indemnité de résiliation.
Par jugement contradictoire du 9 juin 2021, le tribunal de commerce de Douai a :
-déclaré irrecevable l’action en paiement des frais de résiliation du contrat conclu avec la société Oceinde comme prescrite,
condamné la société SCT à payer à la société Oceinde la somme de 1 500 euros au titre du caractère abusif de la procédure,
condamné la société SCT à payer à la société Oceinde la somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
condamné la société SCT aux dépens,
liquidé les frais de greffe à la somme de 73,22 euros,
ordonné l’exécution provisoire de la décision à intervenir.
Par déclaration reçue au greffe de la Cour le 23 juillet 2021, la société SCT a relevé appel du jugement en toutes ses dispositions.
Par conclusions remises au greffe et notifiées par la voie électronique le 20 juin 2022, la société SCT demande à la cour de :
infirmer le jugement en toutes ses dispositions,
statuant à nouveau,
déclarer bien fondées ses demandes à l’encontre de la société Oceinde,
constater la résiliation du contrat de téléphonie aux torts exclusifs de la société Oceinde,
en conséquence,
débouter la société Oceinde de l’intégralité de ses demandes, fins et conclusions,
condamner la société Oceinde au paiement de la somme de 6 974,75 euros TTC au titre de ses indemnités de résiliation,
condamner la société Oceinde au paiement de la somme de 4 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,
condamner la société Oceinde aux frais de première instance et d’appel.
Elle fait valoir, s’agissant de la prescription soulevée, que l’article L. 34-2 du code des postes et communications électroniques prévoyant une prescription d’un an ne s’applique pas, ne s’agissant pas d’une action tendant au paiement du prix d’une prestation de communication électronique, rappelant que les textes spéciaux doivent s’interpréter strictement. Elle précise que la prescription de droit commun de cinq ans s’applique.
Sur le fond, sur le fondement de l’ancien article 1134 du code civil, elle soutient que :
la société Oceinde a reconnu expressément avoir pris connaissance des conditions générales de vente et les avoir acceptées et était donc tenue de respecter les termes des contrats,
la mention figurant dans les conditions particulières signées par le souscripteur d’un contrat, par laquelle ce dernier reconnaît avoir reçu un exemplaire du contrat, composé des conditions particulières et des conditions générales désignées par leur référence, établit que ces conditions générales, bien que non signées, ont été portées à la connaissance du souscripteur et lui sont opposables.
Elle souligne que le contrat a été conclu pour 48 mois le 30 octobre 2012, que la société Oceinde a sollicité la résiliation du contrat le 25 septembre 2015, en se prévalant d’une augmentation tarifaire, étant toutefois précisé que cette augmentation est intervenue suite à une augmentation imposée par les opérateurs, qu’elle a proposé à titre commercial à la société Oceinde de bénéficier d’une offre illimitée fixe plus avantageuse, qu’en tout état de cause l’article 5.11 des conditions générales prévoit l’augmentation tarifaire et que la société Oceinde a en réalité bénéficié de tarifs constants. La société Oceinde ne peut en aucun cas soutenir que la résiliation anticipée est intervenue du fait de la société SCT.
La société Oceinde n’a pas réglé l’indemnité de résiliation prévue contractuellement à l’article 14.3.1 des conditions particulières du service de téléphonie fixe. Cette clause doit être qualifiée de clause de dédit, qui se distingue de la clause pénale et n’est pas susceptible de modération par le juge. Subsidiairement, si la clause devait être qualifiée de clause pénale, elle met en avant son absence de caractère manifestement excessif.
Enfin, elle soutient que sa procédure n’est aucunement abusive, et la société Oceinde ne démontre avoir subi aucun préjudice.
Par conclusions remises au greffe et notifiées par la voie électronique le 13 février 2023, la société Oceinde demande à la cour de :
confirmer le jugement en ce qu’il a déclaré l’action de la société SCT irrecevable, condamné la société SCT à lui payer la somme de 1 500 euros au titre du caractère abusif de la procédure et la somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
en tout état de cause,
rejeter l’intégralité des demandes formées par la société SCT,
condamner la société SCT à lui payer une indemnité de 3 000 euros à raison du caractère abusif de la procédure,
condamner la société SCT à lui payer la somme de 4 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
condamner la société SCT aux dépens.
Elle fait valoir qu’en matière de télécommunications, une prescription abrégée d’un an, prévue par l’article L.34-2 du code des postes et des télécommunications, s’applique en l’espèce, la prescription étant acquise depuis le 15 janvier 2017.
Subsidiairement, au fond, elle soutient, sur le fondement de l’article 1119 du code civil, que les conditions générales et particulières sur lesquelles se fonde la société SCT ne lui sont pas opposables, la preuve de son acceptation n’étant pas rapportée en raison du caractère illisible du bulletin de souscription produit par la société SCT. En outre, elle estime que la mention de la reconnaissance de l’acceptation, noyée dans une cartouche d’un document intitulé « service téléphonie fixe » constitue un procédé peu loyal et se heurte au principe de bonne foi contractuelle, ne pouvant ainsi faire la preuve de l’acceptation expresse des conditions générales et particulières. En outre, rien ne démontre que la version produite par la société SCT est celle qui était en vigueur lors de la souscription du contrat.
Plus subsidiairement encore, elle soutient que la résiliation est intervenue aux torts exclusifs de la société SCT, de sorte que celle-ci ne peut se prévaloir d’une indemnité contractuelle de résiliation. Elle souligne que la société SCT a tenté de la soumettre à de nouvelles conditions tarifaires entraînant une augmentation substantielle et si elle a reconnu dans un premier temps ne pas pouvoir imposer cette augmentation d’office en procédant à une régularisation, elle lui a néanmoins indiqué qu’elle appliquerait les nouveaux tarifs pour la suite et lui a proposé soit de souscrire une nouvelle offre moins avantageuse, soit d’accepter l’augmentation. Cette modification, contraire aux dispositions de l’article 1134 du code civil, équivaut à une résiliation du contrat par la société SCT. La société SCT ne démontre aucunement qu’une augmentation lui aurait été imposée par l’un de ses fournisseurs.
Elle expose également que la clause prévoyant une indemnité de résiliation au bénéfice de la société SCT revêt un caractère de clause pénale et doit être modérée par le juge.
Enfin, elle s’estime bien fondée à former une demande de dommages et intérêts pour procédure abusive, ayant subi un préjudice financier résultant du temps passé par son conseil et elle à dialoguer en vain avec la société SCT, alors que cette dernière, qui sait de longue date qu’elle est mal fondée à lui réclamer une quelconque somme, multiplie les procédures et s’obstine jusqu’en appel. Une telle mauvaise foi associée à son obstination déloyale caractérise la procédure abusive.
L’ordonnance de clôture est intervenue le 17 mai 2023. Plaidé à l’audience du 7 juin 2023, le dossier a été mis en délibéré au 5 octobre 2023.
MOTIVATION
Sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription de la demande en paiement de l’indemnité de résiliation
Aux termes de l’article 122 du code de procédure civile, constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d’agir, tel le défaut de qualité, le défaut d’intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.
L’article L. 34-2 du code des postes et des communications électroniques prévoit que la prescription est acquise, au profit de l’usager, pour les sommes dues en paiement des prestations de communications électroniques d’un opérateur appartenant aux catégories visées au précédent alinéa lorsque celui-ci ne les a pas réclamées dans un délai d’un an courant à compter de la date de leur exigibilité.
En l’espèce, la demande en paiement formée par la société SCT à hauteur de 6 974,75 euros TTC porte sur l’indemnité de résiliation.
Les dispositions relatives aux courtes prescriptions étant d’application stricte et ne pouvant être étendues à des cas qu’elles ne visent pas expressément, l’indemnité de résiliation du contrat, qui est étrangère dans son objet à la fourniture des prestations de communications électroniques, n’est pas soumise à la prescription annale sus-visée mais est régie par la prescription de cinq ans édictée à l’article L. 110-4 I du code de commerce applicable aux actes passés entre commerçants.
(Com., 29 mars 2023, pourvoi n°21-23.104)
La demande de ce chef n’est ainsi pas prescrite, le jugement devant être réformé sur ce point et la demande en paiement formée par la société SCT déclarée recevable.
Sur l’opposabilité à la société Oceinde des conditions générales et particulières sur lesquelles se fonde la société SCT
En application de l’article 1134 du code civil, dans sa version antérieure à l’entrée en vigueur de l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016, les conditions particulières et générales d’un contrat ne peuvent être invoquées à l’encontre d’une partie à ce contrat que si celle-ci en a eu pleine et entière connaissance et qu’elle en a accepté le contenu avant de conclure le contrat, ce qui implique nécessairement que ces conditions générales soient lisibles.
En l’espèce, il ressort des pièces produites que la société Oceinde a signé un bulletin de souscription le 30 octobre 2012 portant un service de téléphonie fixe, un mandat de portabilité ainsi qu’une autorisation de prélèvement.
Le contrat comprend aussi selon la société SCT des conditions générales et des conditions particulières, qui ne comportent pas la signature de la société Oceinde.
Si la société SCT se prévaut de mentions qu’elle indique figurer en page 2 du bulletin de souscription, aux termes desquelles la société Oceinde atteste avoir pris connaissance des conditions générales et particulières et les avoir acceptées, la cour constate, ainsi que le soulève la société Oceinde, que les mentions dactylographiées figurant sur la copie du bulletin de souscription produite par la société SCT sont toutes complètement illisibles, en dehors des gros titres. La société SCT, qui soutient qu’elles sont parfaitement lisibles, n’a pas produit l’original du contrat permettant à la cour d’apprécier la lisibilité des mentions sur le document original, alors pourtant que cette question était dans le débat.
En conséquence, il ne peut qu’être constaté que faute pour la société SCT de rapporter la preuve de la connaissance et de l’acceptation par la société Oceinde tant des conditions générales que des conditions particulières relatives au contrat souscrit, ces conditions lui sont inopposables.
Dès lors, la demande de la société SCT tendant à la condamnation de la société Oceinde à lui payer l’indemnité de résiliation, qui repose sur les clauses contenues dans les conditions générales et particulières, ne peut qu’être rejetée.
Sur la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive
En vertu des dispositions des articles 1240 et 1241 du code civil, l’exercice d’une action en justice constitue en principe un droit et nécessite que soit caractérisée une faute faisant dégénérer en abus le droit d’agir en justice pour que puissent être octroyés des dommages et intérêts à titre de réparation.
Le comportement procédural de la société SCT dans le cadre de la présente instance ne révèle aucun abus.
Le jugement sera ainsi réformé en ce qu’il a condamné la société SCT à payer à la société Oceinde la somme de 1 500 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive.
4) Sur les prétentions annexes
Le jugement sera confirmé en ce qu’il a statué sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile.
La société SCT supportera également les dépens d’appel.
Elle sera, en équité, condamnée à payer à la société Oceinde la somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, au titre de la procédure d’appel.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Réforme le jugement en ce qu’il a déclaré irrecevable la demande de la société SCT et en ce qu’il l’a condamnée à payer à la société Oceinde la somme de 1 500 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive ;
Le confirme pour le surplus ;
Statuant à nouveau sur les chefs réformés et y ajoutant,
Déclare recevable la demande en paiement formée par la société SCT ;
Rejette la demande de la société SCT de condamnation de la société Oceinde à lui payer la somme de 6 974,75 euros TTC au titre de l’indemnité de résiliation du contrat ;
Rejette la demande de la société Oceinde de condamnation de la société SCT à lui payer des dommages et intérêts pour procédure abusive ;
Condamne la société SCT aux dépens d’appel ;
Condamne la société SCT à payer à la société Oceinde la somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile au titre de la procédure d’appel.
Le greffier
Valérie Roelofs
Le président
Dominique Gilles