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COUR D’APPEL DE BORDEAUX
QUATRIÈME CHAMBRE CIVILE
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ARRÊT DU : 04 JANVIER 2023
N° RG 20/02057 – N° Portalis DBVJ-V-B7E-LSF5
Madame [Y] [U] EPOUSE [W]
c/
S.A.R.L. MER ET GOLF RESIDENCES
S.A.R.L. SEFISO AQUITAINE
Nature de la décision : AU FOND
Grosse délivrée le :
aux avocats
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 02 avril 2020 (R.G. 18/04973) par le TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de BORDEAUX suivant déclaration d’appel du 18 juin 2020
APPELANTE :
Madame [Y] [U] EPOUSE [W], née le 10 Août 1966 à [Localité 4], de nationalité Française, demeurant [Adresse 1]
représentée par Maître Thibault LAFORCADE, avocat au barreau de BORDEAUX et assistée par Maître Sylvie LAMOURET, avocat au barreau de MONT DE MARSAN
INTIMÉES :
S.A.R.L. MER ET GOLF RESIDENCES, prise en la personne de son représentant légal, domicilié en cette qualité au siège sis, [Adresse 2]
non représentée
S.A.R.L. SEFISO AQUITAINE, prise en la personne de son représentant légal, domicilié en cette qualité au siège sis, [Adresse 2]
représentée par Maître Pierre RAVAUT de la SELARL BIROT-RAVAUT ET ASSOCIES, avocat au barreau de BORDEAUX
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l’article 805 du Code de Procédure Civile, l’affaire a été débattue le 09 novembre 2022 en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame Marie GOUMILLOUX, Conseiller chargé du rapport,
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Madame Nathalie PIGNON, Présidente,
Madame Elisabeth FABRY, Conseiller,
Madame Marie GOUMILLOUX, Conseiller,
Greffier lors des débats : Monsieur Hervé GOUDOT
ARRÊT :
– réputé contradictoire
– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.
EXPOSE DU LITIGE :
Par acte notarié des 6 et 26 février 1998, la société Sefiso Aquitaine a cédé à Mme [M], un appartement constituant le lot n°12 de la Résidence Eugénie située à [Localité 3] affectée exclusivement, et pour une durée minimale de 20 ans, à un usage de résidence de tourisme classée ou à un usage d’hôtel de tourisme classé.
L’acte précisait :
– que l’acquéreur avait donné à bail à la société Mer et Golfe Socoa par acte sous-seing privé le bien objet de la vente pour une durée de onze ans à compter de la livraison de celui-ci,
– que le vendeur se portait garant du paiement de toute indemnité d’éviction que le preneur pourrait solliciter à l’acquéreur en cas de refus du renouvellement du bail.
Mme [M] a payé une partie du prix de vente au moyen des fonds que lui a remis la société preneuse, la société Mer et Golfe, au titre des onze années de loyers payés par avance, soit la somme de 127 996,80 euros.
Les consorts [J] [B], héritiers de Mme [M], ont cédé cet appartement à Mme [W] par acte notarié du 9 octobre 2012. Celle-ci a fait signifier le 30 mai 2018 un congé à effet au 31 octobre 2018 avec refus de renouvellement du bail et offre d’indemnité d’éviction à hauteur de 15 000 euros.
La société Mer et Golf résidences a pris acte de ce congé mais a contesté le montant de l’indemnité d’éviction proposée estimant que l’indemnité due, calculée au regard des chiffres d’affaires des années 2015 à 2017, devait être évaluée à 53 101,95 euros.
Par acte du 1er juin 2018, la société Mer et Golf résidence a fait assigner devant le tribunal de grande instance de Bordeaux, Mme [W] en paiement d’une indemnité d’éviction de 53 101,95 euros. Mme [W] a appelé en garantie la société Sefiso Aquitaine.
Par décision du 2 avril 2020, le tribunal de grande instance de Bordeaux a :
– déclaré que Mme [U] épouse [W] était redevable d’une indemnité d’éviction à l’égard de la société Mer et Gold résidences,
– avant-dire droit sur le montant de l’indemnité d’éviction, a ordonné une expertise confiée à Mme [X],
– débouté Mme [X] de ses demandes dirigées à l’encontre de la société Sefiso Aquitaine,
– condamné Mme [W] à payer à la société Sefiso Aquitaine la somme de 1500 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
Le tribunal a jugé que Mme [W] était bien tenue au paiement d’une indemnité d’éviction. Il a par ailleurs considéré qu’il était de l’intention commune des parties de limiter la garantie due par la société Sefiso à l’acquéreur à l’indemnité d’éviction susceptible d’être versée à l’issue du premier bail de onze ans.
Par déclaration du 18 juin 2020 Mme [U] épouse [W] a interjeté appel de cette décision, énonçant les chefs de la décision expressément critiqués, intimant la société Mer et Golf Résidences et la société Sefiso Aquitaine.
MOYENS ET PRETENTIONS :
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 30 mai 2022, Mme [U] épouse [W] demande à la cour de :
– voir déclarer recevable et fondé l’appel interjeté par Madame [U] épouse [W],
– voir infirmer le jugement en ce qu’il a :
– débouté Madame [Y] [U] épouse [W] de ses demandes dirigées contre la SARL Sefiso Aquitaine alors que Madame [Y] [U] épouse [W] sollicitait la condamnation de la SARL Sefiso Aquitaine à la garantir de toutes condamnations au paiement de toute indemnité d’éviction et de toutes condamnations au titre de l’article 700 du code de procédure civile et des dépens ainsi que la condamnation de la société Sefiso Aquitaine à lui verser une indemnité de 2 000,00 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et des dépens,
– condamné Madame [Y] [U] épouse [W] à payer à la Société Sefiso Aquitaine la somme de 1 500,00 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ainsi que les dépens.
En conséquence,
– voir condamner la Société Sefiso Aquitaine à garantir et relever indemne Madame [U] épouse [W] de toute condamnation au paiement de toute indemnité d’éviction qui pourrait être prononcée à son encontre.
– condamner la Société Sefiso Aquitaine à verser à Madame [U] épouse [W] une indemnité de 3.000,00 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile,
– condamner la Société Sefiso Aquitaine en tous les dépens en ce compris les frais d’expertise.
L’appelante ne conteste pas le principe de sa condamnation à payer une indemnité d’éviction mais sollicite la garantie de la société Sefiso Aquitaine compte tenu de l’engagement prise par cette dernière dans l’acte passé en 1998 et repris dans l’acte du 9 octobre 2012. Selon elle, le tribunal a fait une application inexacte de la commune intention des parties, qui était d’appliquer cette garantie aux acquéreurs successifs du bien, l’engagement n’étant pas stipulé intuitu personae. Elle ajoute que si les parties avaient entendu limiter l’applicabilité de cette clause de garantie aux termes des onze années initiales, elles l’auraient mentionné expressément; que les sociétés Sefiso et Mer et Golfe avaient le même dirigeant; que la société Sefiso n’avait pas intérêt à limiter son engagement; qu’une résiliation anticipée, avant le délai de 20 ans, ne présente aucun intérêt pour le bailleur; que l’acte précise par ailleurs que l’acquéreur est déchargé définitivement de l’obligation de régler une indemnité d’éviction.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 26 octobre 2020, la société Sefiso Aquitaine, demande à la cour de :
– confirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Bordeaux le 02/04/2020 en toutes ses dispositions,
en conséquence,
– débouter Madame [U] épouse [W] de sa demande visant à voir condamner la Société Sefiso Aquitaine à la garantir et la relever indemne de toute condamnation au paiement d’une indemnité d’éviction,
– condamner Madame [U] épouse [W] au paiement d’une indemnité de 5.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens de l’instance.
L’intimée soutient que le premier juge a, à bon droit, limité l’engagement de garantie à la durée du bail initial; qu’en effet, la société Sefiso Aquitaine a entendu limiter sa garantie au premier bail et au premier acquéreur; que le bail renouvelé est un nouveau bail; que si les parties avaient souhaité étendre l’applicabilité de la clause de garantie au delà des onze premières années et à l’ensemble des propriétaires successifs, elles l’auraient clairement stipulé dans l’acte.
La déclaration d’appel a été signifiée à la société Mer et Golf résidences par acte d’huissier de justice du 24 août 2020. Les dernières conclusions de Mme [U] lui ont été notifiées le 15 septembre 2020.
La société Mer et Golf résidences n’a pas constitué avocat.
L’affaire a été clôturée par ordonnance du 26 octobre 2022 et a été fixée à l’audience du 9 novembre 2022.
Il conviendra de se reporter aux conclusions des parties pour un plus ample exposé de leurs moyens et de leurs prétentions.
MOTIFS :
L’appelante ne conteste pas le principe de son obligation de payer une indemnité d’éviction au preneur.
L’appel ne porte en effet que sur la portée de la garantie donnée par la société Sefiso Aquitaine et plus précisément sur l’interprétation à donner de la clause de garantie incluse dans l’acte de vente des 6 et 26 février 1998 dans un paragraphe intitulé ‘ propriété commerciale’.
Aux termes des articles 1156 et suivant dans leur version applicable à ce litige, on doit dans les conventions rechercher quelle a été la commune intention des parties contractantes, plutôt que de s’arrêter au sens littéral des termes. Lorsqu’une clause est susceptible de deux sens, on doit plutôt l’entendre dans celui avec lequel elle peut avoir quelque effet, que dans le sens avec lequel elle n’en pourrait produire aucun.
La clause litigieuse stipule :
‘Le bail commercial que l’acquéreur a consenti à la société Mer et Golf Socoa aux termes de l’acte sous-seing privé dont il est parlé ci-dessus, confère à ladite société Mer et Golf Socoa un droit de renouvellement qui ne pourrait être refusé par le propriétaire, sauf pour ce dernier à supporter le coût d’une éventuelle indemnité d’éviction.
Compte tenu de ce droit, il est expressément stipulé ce qui suit entre l’acquéreur et le représentant de la sarl Mer et Golf [Localité 3] intervenant aux présentes comme dit ci-après :
A l’issue du bail, l ‘acquéreur pourra renouveler le bail.
Il aura également la faculté de refuser le renouvellement de ce bail.
Dans cette hypothèse, et afin d’assurer toutes garanties à l’acquéreur, la ‘SARL SEFISO AQUITAINE ‘, venderesse aux présentes, s’engage, par son représentant, et vis-à-vis de l”acquéreur, à supporter seule toutes les conséquences pécuniaires qui pourraient résulter d’une demande d’indemnité d’éviction réclamée par la SARL ‘MER et GOLF SOCOA – [Localité 3] ‘, et, en conséquence, à payer pour le compte de l ‘acquéreur l’indemnité qui pourrait lui être réclamée.
L’acquéreur donne des à présent tous pouvoirs au vendeur pour transiger avec le locataire afin d’assurer, le cas échéant, de manière effective, la libération des locaux à l’expiration du bail. Le représentant de la SARL MER & GOLF SOCOA intervenant aux présentes aprés avoir pris connaissance de ce qui précède, par la lecture que lui en a donné le Notaire soussigné, déclare obligée la Société qui le représente à accepter, en tant que de besoin, cette substitution de redevable d’une éventuelle indemnité, et décharger en conséquence définitivement l’acquéreur aux présentes du paiement de cette indemnité ‘.
Cette clause prévoit la garantie du vendeur dans l’hypothèse où ce dernier refuserait le renouvellement du bail, sans opérer de distinction selon que ce refus interviendrait à l’issue de la période initiale ou après que le bail ait fait l’objet d’une reconduction tacite en l’absence de demande de renouvellement ou de délivrance de congé.
L’intimée soutient qu’à l’issue de la période initiale, le premier bail a cessé pour laisser la place à un bail renouvelé, le bail initial indiquant qu’ ‘à l’expiration du présent bail, un nouveau contrat sera renouvelé entre le bailleur et le preneur pour une nouvelle période de 9 ans’.
Cette formulation n’est pas conforme aux textes relatifs aux baux commerciaux qui sont d’ordre public. En effet, l’article L 145-9 du code de commerce dispose qu’à défaut de congé ou de demande de renouvellement, le bail fait par écrit se prolonge tacitement au-delà du terme fixé par le contrat. Au cours de la tacite prolongation, le congé doit être donné au moins six mois à l’avance et pour le dernier jour du trimestre civil.
En l’espèce, il n’y a pas eu de renouvellement du bail mais une reconduction tacite comprenant une nouvelle indexation envisagée dès la signature du bail. Dès lors, le moyen tiré du fait qu’un nouveau contrat de bail aurait remplacé l’ancien est inopérant.
La société Sefiso Aquitaine soutient encore qu’il ne peut être retenu qu’il était dans la commune intention des parties de faire produire un effet à cette clause au delà de la période initiale du bail, au regard du caratère économique irréaliste de la charge financière qu’elle aurait à supporter.
Or, il convient de noter que la résidence dans laquelle se situe l’appartement litigieux étant affectée exclusivement, et pour une durée minimale de 20 ans, à un usage de résidence de tourisme classée et l’acte de vente faisant interdiction à l’acquéreur ou mais aussi à ses ayant droits de conclure un contrat de bail avec une autre société exerçant une activité de gestion de résidence de tourisme, sans l’accord de la société Mer et Golf Socoa, l’acquéreur ou ses ayant droits ne pouvait de fait, avant ce délai incompressible de 20 ans:
– ni occuper à titre personnel ni louer le bien à un usage d’habitation,
– ni le donner à bail à une autre société.
Ainsi, s’il s’opposait au renouvellement du bail à l’issue de la période initiale, l’acquéreur pouvait certes prétendre à une prise en charge de la garantie d’éviction par le vendeur mais ne pouvait ni occuper ni percevoir des loyers pour ce bien, ce qui rendait l’opération d’investissement déficitaire.
Il en ressort que ce projet immobilier avait été pensé, comme le soutient à juste titre l’appelante, pour que les acquéreurs confient leur bien à la société Mer et gestion, pendant une durée de 20 ans sans s’opposer au renouvellement du bail.
La clause de garantie n’a ainsi aucune utilité si on suit l’interprétation restrictive qu’en propose l’intimée selon laquelle la garantie serait limitée à une durée de onze années.
Il sera ajouté encore que la clause litigieuse précise que l’acquéreur est ‘définitivement’ déchargée du paiement de cette indemnité, formulation qui va également dans le sens d’une interprétation extensive de cette clause.
Enfin, même si l’acte de cession emploie le terme générique ‘acquéreur’, il ne peut en être déduit que cette garantie était ‘intuitu personae’ à défaut de précision claire et précise en ce sens dans l’acte.
Il sera dès lors jugé que la commune intention des parties n’était pas de limiter l’application de cette clause à la première période du bail ou au premier acquéreur du bien, sans qu’il y ait besoin que la société Sefiso Aquitaine intervienne à chaque cession du bien, la garantie suivant la chose lors de sa cession.
La décision de première instance sera ainsi infirmée et il sera jugé que la garantie de la société Sefiso Aquitaine est bien due.
La société Sefiso Aquitaine qui succombe sera condamnée aux dépens de première instance et d’appel. Il n’y a pas lieu à ce stade de la procédure de statuer sur les frais d’expertise. Ceux-ci ne seront donc pas inclus dans les dépens.
Elle sera condamnée à verser la somme de 3000 euros à Mme [U] épouse [W] au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant publiquement, par décision réputée contradictoire et en dernir ressort,
Infirme la décision rendue le 2 avril 2020 par le tribunal judiciaire de Bordeaux en ses seules dispositions soumises à la cour,
et statuant à nouveau,
Condamne la société Sefiso Aquitaine à garantir et relever indemne Madame [U] épouse [W] de toute condamnation au paiement de toute indemnité d’éviction qui pourrait être prononcée à son encontre dans le cadre de la procédure l’opposant à la société Mer et Golf résidences,
Condamne la société Sefiso Aquitaine aux dépens de première instance et d’appel, qui comprendront les frais d’expertise judiciaire,
Condamne la société Sefiso Aquitaine à verser la somme de 3000 euros à Mme [U] épouse [W] au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
Le présent arrêt a été signé par Mme Pignon, présidente, et par M. Goudot, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.