Rupture anticipée : 31 juillet 2023 Cour d’appel de Nouméa RG n° 22/00217

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Rupture anticipée : 31 juillet 2023 Cour d’appel de Nouméa RG n° 22/00217
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N° de minute : 162/2023

COUR D’APPEL DE NOUMÉA

Arrêt du 31 juillet 2023

Chambre civile

Numéro R.G. : N° RG 22/00217 – N° Portalis DBWF-V-B7G-TGT

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 11 juillet 2022 par le tribunal de première instance de NOUMEA (RG n° 21/1522)

Saisine de la cour : 1er août 2022

APPELANTS

Mme [E] [G] épouse [B]

née le [Date naissance 1] 1981 à [Localité 6] (WALLIS et FUTUNA)

M. [Z] [B]

né le [Date naissance 2] 1964 à [Localité 5] (WALLIS et FUTUNA)

demeurant ensemble : [Adresse 3]

Tous deux représentés par Me Fabien MARIE, membre de la SELARL D’AVOCATS CALEXIS, avocat au barreau de NOUMEA

INTIMÉ

S.A. BANQUE CALEDONIENNE D’INVESTISSEMENT, prise en la personne de son représentant légal en exercice

Siège social : [Adresse 4]

Représentée par Me Céline DI LUCCIO, membre de la SELARL CABINET D’AVOCATS BOISSERY-DI LUCCIO-VERKEYN, avocat au barreau de NOUMEA

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 15 juin 2023, en audience publique, devant la cour composée de :

M. Philippe ALLARD, Président de chambre, président,

Mme Marie-Claude XIVECAS, Conseillère,

Mme Béatrice VERNHET-HEINRICH, Conseillère,

qui en ont délibéré, sur le rapport de Mme Marie-Claude XIVECAS.

Greffier lors des débats : Mme Isabelle VALLEE

Greffier lors de la mise à disposition : Mme Isabelle VALLEE

ARRÊT :

– contradictoire,

– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 451 du code de procédure civile de la Nouvelle-Calédonie,

– signé par M. Philippe ALLARD, président, et par Mme Isabelle VALLEE, greffier, auquel la minute de la décision a été transmise par le magistrat signataire.

***************************************

PROCÉDURE DE PREMIÈRE INSTANCE

La Banque Calédonienne d’Investissement dite BCI a consenti à M. [Z] [B] et Mme [E] [G] épouse [B] trois prêts immobiliers :

– le premier, selon offre du 13/07/2007 contenue dans un acte notarié du 14/09/2007, porte sur la somme de 10 310 000 Fcfp destinée à l’acquisition d’un terrain, remboursable en 300 mensualités de 66 743 Fcfp au taux de 5,3 % l’an ;

– le deuxième, selon offre du 06/5/2008 contenue dans un acte notarié du 07/08/2008, porte sur la somme de 20 200 000 Fcfp destinée au financement de la construction d’une villa, remboursable en 300 mensualités de 66 743 Fcfp au taux de 5,3 % l’an ;

– le troisième, selon offre du 10/07/2017, d’un montant de 31 300 000 Fcfp remboursable en 234 échéances de 173 999 Fcfp au taux de 2,45 %, était destiné à financer l’achat d’un appartement en VEFA .

A compter de 2020, les époux [B] ont connu des retards dans le règlement et ont cessé d’honorer les échéances de deux derniers prêts. La BCI a prononcé la déchéance du terme par courrier du 08/04/2021, après mise en demeure du 18/03/2021 ; que pour le dernier prêt, la mise en demeure a été formalisée le 29/03/2021 et la déchéance du terme est intervenue en suivant.

Par requête introductive d’instance déposée le 21 juin 2021, la BCI a poursuivi les époux [B] devant le tribunal de première instance de Nouméa pour obtenir le remboursement des trois prêts.

Par jugement du 11/07/2022, le tribunal de première instance de Nouméa a :

– condamné solidairement M. [B] et Mme [G] à payer à la BCI les sommes suivantes :

* au titre du prêt immobilier n° 20702804, 6.778.259 Fcfp avec intérêts à compter du 8 avril 2021 sur la somme de 6.624.773 Fcfp au taux contractuel de 5,3 % et sur la somme de 20.000 F CFP au taux légal,

* au titre du prêt immobilier n° 20802236, 15.229.067 Fcfp avec intérêts à compter du 8 avril 2021 sur la somme de 14.180.526 Fcfp au taux contractuel de 5,65 % et sur la somme de 20.000 F CFP au taux légal,

* au titre du prêt immobilier n° 21703173, 29.177.369 Fcfp avec intérêts à compter du 29 mars 2021 sur la somme de 27.637.622 Fcfp au taux contractuel de 2,45 % et sur la somme de 20.000 F CFP au taux légal,

– dit n’y avoir lieu à capitalisation des intérêts échus,

– débouté la BCI du surplus de ses demandes,

– débouté les époux [B] de leur demande de dommages et intérêts,

– dit n’y avoir lieu à l’application de l’article 700 du code de procédure civile,

– ordonné l’exécution provisoire de la décision,

– condamné in solidum M. [B] et Mme [G] épouse [B] aux dépens de I’instance, avec application de l’article 699 du code de procédure civile au profit du cabinet d’avocats BOISSERY-DI LUCCIO-VERKEYN.

PROCÉDURE D’APPEL

Par requête du 01/08/2022, M. [B] et Mme [G] ont fait appel de la décision et demandent à la Cour, dans leur mémoire ampliatif du 04/10/2022 et leurs dernières écritures du 24/01/2023, d’infirmer le jugement et, statuant à nouveau, de :

– dire que les paiements s’imputeront en priorité sur le capital ;

– débouter la BCI de sa demande de capitalisation ;

– dire que la BCI a manqué à son obligation contractuelle d’information et la condamner en conséquence à payer la somme de 30 000 000 Fcfp à titre de dommages et intérêts, outre une indemnité de 200 000 Fcfp sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Ils font valoir qu’à l’époque de la signature des premiers prêts , M. [B] exerçait une activité de charpentier-couvreur et son épouse une activité de peintre ; que les revenus du couple, avec deux enfants mineurs, s’élevaient à 706 000 Fcfp en 2006 et 1 446 000 Fcfp en 2007 ; qu’ils ont pu supporter la charge des remboursements jusqu’en 2021 soit pendant douze ans ; que toutefois en 2015, lorsque M. [B] a créé sa société de charpente sous forme de SARL les revenus ont chuté à 663 293 Fcfp en 2016, avec une charge d’emprunt mensuelle de 205 000 Fcfp ; qu’en 2017, lors de la souscription du dernier prêt, les charges d’emprunt s’élevaient à 379 365 FCFP représentant près de 60 % de leurs revenus ; dans le même temps, la trésorerie de la société de M. [B] devenait exsangue, ce que la BCI ne pouvait ignorait puisque la société y domiciliait ses revenus.

M. [B] et Mme [G] estiment que le dernier emprunt était de trop au vu de la fragilité de leur situation financière due à des revenus irréguliers ; que la banque a failli à son obligation de conseil en n’attirant pas leur attention sur l’endettement qui allait être le leur, alors au surplus qu’elle n’a pas sollicité de renseignements actualisés.

Par conclusions responsives du 06/12/2022, la BCI sollicite la confirmation du jugement en toutes ses dispositions, excepté en ce qu’il a réduit la clause pénale à 20 000 Fcfp pour chacun des prêts ; statuant à nouveau, la BCI demande de condamner M. [B] et Mme [G] à lui payer les sommes de :

– 486 440 Fcfp au titre du prêt du 14/09/2007 n° 20702804

– 1 038 778 Fcfp au titre du prêt du 07/08/2008 n° 20802236

– 2 039 711 Fcfp au titre du prêt du 13/10/2017 n° 21703173.

Elle sollicite par ailleurs la condamnation solidaire des appelants à lui payer la somme de 300 000 Fcfp sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Elle réplique qu’elle a parfaitement rempli ses obligations en accordant les concours bancaires en adéquation avec le capcités financières des emprunteurs, lesquelles doivent s’apprécier à la date de conclusion des contrats ; qu’elle a procédé à la vérification de la solvabilité des emprunteurs mais ne pouvait anticiper les conséquences de la crise du Covid qui est à l’origine des difficultés financières des époux [B] ; qu’en 2017, l’investissement que représentait l’achat d’un logement en VEFA ne présentait pas de risques particuliers.

Elle reproche par ailleurs au premier juge d’avoir réduit les indemnités contractuelles de résiliation anticipée, la clause pénale prévue au contrat n’étant pas excessive.

Vu l’ordonnance de clôture

Vu l’ordonnance de fixation.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la créance de la BCI au titre des trois prêts

1/ Sur les condamnations

La créance de la banque relative aux trois prêts échus en principal et intérêts n’est contestée ni dans son principe dans son montant. Le jugement sera dès lors confirmé de ce chef.

2/ Sur les indemnités de résiliation

Le premier juge a réduit la clause pénale à 20 000 Fcfp pour chacun des prêts.

Considérant d’une part, la durée des remboursements déjà réalisée, d’autre part, la bonne foi des époux [B]/[G] et la crise sanitaire qui a mis en difficulté nombre de secteurs de l’économie dont le BTP, il n’est pas critiquable de réduire la clause pénale de chacun des prêts qui apparaît excessive compte tenu des paiements déjà effectués et du contexte économique exceptionnel dans lequel la résiliation est intervenue. Le jugement sera confirmé.

Sur la demande en dommages et intérêts pour manquement à l’obligation de conseil

L’établissement prêteur doit s’assurer que le prêt souhaité correspond réellement aux possibilités de remboursement de l’emprunteur et si le crédit demandé comporte des risques spécifiques par rapport à sa situation financière. Il doit vérifier notamment le risque de surendettement, la solvabilité et les capacités de remboursement de son client.

En cas de manquement au devoir de mise en garde, l’emprunteur peut engager la responsabilité contractuelle du banquier, en prouvant que le prêt accordé encourait des risques relatifs à sa situation patrimoniale et financière. À l’inverse, afin de s’exonérer, la banque devra démontrer que l’obligation du devoir de mise en garde a bien été remplie envers le client.

En l’espèce, l’octroi des deux prêts de 2007 et 2008 ne fait pas vraiment débat. A l’époque de leurs souscriptions, les deux emprunteurs travaillaient et le couple percevait des revenus de plus de 1 000 000 Fcfp par mois avec une charge d’endettement de 206 049 Fcfp au titre des emprunts souscrits. La banque avait procédé aux vérifications exigées (consultation du fichier FICP) et aux prises de renseignements sur la situation de M. [B] et de Mme [G]. Au demeurant, les mensualités des prêts ont été remboursées pendant près de douze ans, démontrant ainsi que la capacité de remboursement des époux [B] leur permettait d’absorber le paiement des échéances sans difficultés.

De fait, les appelants recherchent la responsabilité de la banque dans l’octroi du prêt de 2017 considérant que ce troisième prêt était de trop et est à l’origine des difficultés de paiement qu’ils rencontrent aujourd’hui. Ils font grief à la BCI d’avoir ignoré leurs situation de fragilité due au fait qu’ils étaient artisans avec des revenus irréguliers ; que la bulle liée à la défiscalisation ne pouvait durer et qu’avec la souscription de ce dernier prêt, le remboursement des échéances représentait un taux d’endettement de 60 %. Ils font valoir en outre qu’à cette époque la banque ne s’est pas renseignée sur leur capacité de financement alors que leurs revenus baissaient compte tenu de la conjoncture économique.

Il ressort des pièces versées au dossier que les revenus des époux [B] s’élevaient en 2016 à 1 000 000 Fcfp par mois au vu de la déclaration d’impôts sur le revenu et leur déclaration de patrimoine. Par ailleurs, à la date de mise en location du bien nouvellement acquis, les emprunteurs devaient percevoir un revenu locatif de 125 000 Fcfp pour une échéance mensuelle de 174 000 Fcfp, soit un déficit de 50 000 Fcfp. Au vu de ces éléments et considérant le gain fiscal procuré par la défiscalisation, les risques étaient absorbables compte tenu d’une charge d’emprunt de 380 048 Fcfp pour un revenu de 1 125 000 Fcfp. La banque a par ailleurs consulté le FICP pour s’assurer que les intéressés n’étaient pas fichés à la Banque de France et exigé que M. [B] et Mme [G] remplissent une déclaration des revenus et de patrimoine avant d’accorder le crédit.

M. [B] et Mme [G] ont pu régler les trois prêts jusqu’en février 2020 où les premières difficultés sont apparues avec des retards de règlement qui ont été régularisés jusqu’en février 2021 où les époux [B] ont cessé tout paiement. La banque n’en est pas responsable.

Comme souligné par le premier juge, rien ne permettait d’imaginer et d’anticiper la récession qui toucherait pratiquement tous les secteurs économiques et particulièrement le secteur du bâtiment à la suite de la crise sanitaire du Covid, qui était inconnue. L’établissement bancaire qui n’était pas non plus tenu de garantir la rentabilité de l’investissement locatif n’a commis aucune faute dans l’octroi des trois prêts. Les crédits accordés étaient conformes aux capacités financières des intéressés. Le jugement qui a écarté la responsabilité de la BCI sera dès lors confirmé.

Sur la demande d’imputation des règlements sur le capital

M. [B] et Mme [G] demandent de juger que les paiements s’imputeront en priorité sur le principal.

L’article 1244 du code civil, dans sa rédaction applicable en Nouvelle- Calédonie, dispose que :

« Toutefois, compte tenu de la situation du débiteur et en considération des besoins du créancier, le juge peut, dans la limite de deux années, reporter ou échelonner le paiement des sommes dues.

Par décision spéciale et motivée, le juge peut prescrire que les sommes correspondant aux échéances reportées porteront intérêt à un taux réduit qui ne peut être inférieur au taux légal ou que les paiements s’imputeront d’abord sur le capital.

En outre, il peut subordonner ces mesures à l’accomplissement, par le débiteur, d’actes propres à faciliter ou à garantir le paiement de la dette.

Les dispositions du présent article ne s’appliquent pas aux dettes d’aliments. » 

Le premier juge a écarté la demande en l’absence d’actualisation de la situation financière des époux. En appel, les époux [B] ne produisent aucune pièce concernant leur revenus actuels. Aucun avis d’impôt n’est versé aux débats, il n’est pas justifié de la location du logement acquis en Vefa même si dans leur conclusions, les appelants relèvent que le loyer versé à hauteur de 116 000 Fcfp est perçu par la BCI et affecté au paiement de la dette. En l’état et faute d’éléments à jour, la demande sera rejetée.

Sur l’article 700

Il n’est pas inéquitable de débouter la BCI de sa demande sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Sur les dépens

M. [B] et Mme [G] succombant supporteront les dépens d’appel.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Confirme la décision en toutes ses dispositions,

Déboute la BCI de sa demande sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamne solidairement M. [B] et Mme [G] aux dépens de la procédure d’appel.

Le greffier, Le président.

 


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