Rupture anticipée : 28 septembre 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 22/07574

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Rupture anticipée : 28 septembre 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 22/07574
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REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 5 – Chambre 5

ARRET DU 28 SEPTEMBRE 2023

(n° 170 , 1 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : 22/07574 – N° Portalis 35L7-V-B7G-CFU2Y

Décision déférée à la Cour : Arrêt du 21 Mars 2019 – Cour d’Appel de PARIS RG n° 16/23583

DEMANDEUR A LA REQUÊTE

S.A.S. DARTESS agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux en exercice, domiciliés en cette qualité audit siège

immatriculée au RCS de Bordeaux sous le numéro 424 185 544

[Adresse 4]

[Localité 2]

Représentée par Me Frédéric INGOLD de la SELARL INGOLD & THOMAS – AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : B1055, avocat postulant

Assistée de Me Olivier PLACKTOR, avocat au barreau de PARIS, toque : D2036, avocat plaidant

DÉFENDEUR À LA REQUÊTE

S.A.S. BERNARD MAGREZ SES VIGNOBLES DU SUD anciennement dénommée BERNARD MAGREZ GRANDS VIGNOBLES DU SUD, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

immatriculée au RCS de Bordeaux sous le numéro 433 611 167

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée par Me Alexandra PERQUIN, avocat au barreau de PARIS, toque : B0970, avocat postulant

Assistée de Me Pierre LANÇON de la SCP LEXIA, avocat au barreau de BORDEAUX, avocat plaidant

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 20 Avril 2023, en audience publique, devant la Cour composée de :

Madame Marie-Annick Prigent, présidente de la chambre 5.5

Madame Nathalie Renard, présidente de chambre

Madame Christine Soudry, conseiller

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l’audience par Madame Marie-Annick Prigent dans les conditions prévues par l’article 804 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Monsieur Maxime Martinez

ARRET :

– contradictoire

– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Madame Nathalie Renard, présidente de chambre, le président empêché et par Monsieur Martinez, greffier auquel la minute du présent arrêt a été remise par le magistrat signataire.

FAITS ET PROCÉDURE :

La société Dartess, filiale de la société Groupe Dartess, anciennement dénommée Naos investissement, exerçant dans la région bordelaise une activité de stockage et logistique, a repris, en octobre 2010, les actifs de la société Groupe Mitsui. Elle a ainsi repris un contrat du 1er avril 2005 avec la société Bernard Magrez crus et d’exception, aux droits de laquelle vient la société Bernard Magrez grands vignobles du Sud (la société Magrez), ayant pour activité l’achat et la distribution de vins. Cette convention, portant sur des prestations de stockage et de logistique, avait été conclue pour une durée de trois ans renouvelable par tacite reconduction par périodes de trois ans, sauf dénonciation par l’une des parties six mois avant l’arrivée du terme.

L’ancien dirigeant du groupe Mitsui, M. [Z], a, en vertu d’une convention signée le 30 septembre 2010 entre la société mère et une société Subway, dont il était le dirigeant, continué à exercer une activité d’animation et de pilotage pour les sociétés du groupe, une clause de non-concurrence lui faisant interdiction de fournir, pendant l’exécution de cette convention et pendant cinq ans après sa rupture, des services de logistique en matière de vin dans un rayon de 300 kilomètres.

Les 31 décembre 2012 et 17 juin 2013, les sociétés Magrez et Dartess ont conclu deux protocoles d’accord afin de régler les litiges les opposant, prévoyant le paiement par la société Dartess de diverses sommes. Le 21 octobre 2013, la société Magrez a informé la société Dartess que, compte tenu de ses difficultés financières, et notamment du coût des

prestations de la société Dartess du mois de juin 2013, elle allait se doter d’un outil de stockage propre dans lequel elle souhaitait intégrer un prestataire logistique et qu’elle restait en attente des propositions tarifaires de la société Dartess à ce titre. Elle lui a, alors, notifié qu’elle déménagerait le stock des produits finis d’ici la fin du mois de janvier 2014 et que l’activité logistique, via ses commandes, irait en décroissant durant toute cette période.

Le 4 novembre 2013, la société Dartess a informé la société Magrez qu’elle ne pouvait s’aligner sur les tarifs proposés par cette dernière au titre de la logistique de son entrepôt dédié et a invoqué sa situation de dépendance économique, qui ne lui permettait pas de faire face à un changement de prestataire précipité. Par lettres des 7 et 12 novembre suivant, la société Magrez a informé la société Dartess qu’elle avait pris la décision de repousser la date d’effet de la résiliation au 21 avril 2014.

Par acte d’huissier de justice du 14 mars 2015, la société Dartess a assigné la société Magrez aux fins d’obtenir la réparation des préjudices causés par la rupture du contrat dans ces conditions et par une complicité de la violation de la clause de non-concurrence.

Par jugement du 21 octobre 2016, le tribunal de commerce de Bordeaux a :

– Jugé que le contrat a été résilié hors délai par la société Bernard Margez ;

– Jugé que la rupture du contrat par la société Bernard Margez est brutale au sens de l’article L 442-6 du code de commerce ;

– Débouté la société Dartess de sa demande de dommages et intérêts faute de pouvoir en définir le quantum ;

– Jugé que les protocoles d’accord signés par les parties en décembre 2012 et juin 2013 sont caducs ;

– Jugé par conséquent que la créance déclarée par la société Bernard Magrez au passif de la société Dartess n’est pas recevable ;

– Condamné la société Bernard Magrez à payer à la société Dartess la somme de 3.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

– Débouté les parties du surplus de leurs demandes ;

– Condamné la société Bernard Margrez aux dépens de l’instance.

Par déclaration du 25 novembre 2016, la société Dartess a interjeté appel de cette décision.

Par arrêt du 21 mars 2019, la cour d’appel de Paris a :

– Infirmé le jugement rendu par le tribunal de commerce de Bordeaux le 21 octobre 2016 dans l’intégralité de ses dispositions ;

Statuant à nouveau,

– Débouté la société Dartess de l’ensemble de ses demandes au titre de la rupture brutale de la relation commerciale établie ;

– Dit la société Dartess irrecevable à agir au titre de la violation de la clause de non-concurrence ;

– Condamné la société Dartess à payer à la société Bernard Magrez Ses Vignobles du Sud une somme de 8000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

– Débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ;

– Condamné la société Dartess aux dépens exposés en première instance et en cause d’appel.

La société Dartess a régularisé un pourvoi en soumettant à la cour deux moyens de cassation.

Par arrêt en date du 14 avril 2021, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi et condamné la société Dartess à payer à la société Bernard Magrez Ses Vignobles du Sud la somme de 3.000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens.

S’agissant du premier moyen de cassation de la société Dartess, elle précise que ce moyen n’est pas recevable au motif que sous le couvert des griefs de défaut de réponse à conclusions et défaut de base légale, celle-ci dénonce en réalité une omission de statuer, laquelle peut être réparée suivant la procédure prévue à l’article 463 du code de procédure civile.

Par déclaration du 8 avril 2022, la société Dartess a saisi la cour d’appel de Paris et a déposé une requête en réparation d’omission de statuer de l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 21 mars 2019.

Dans ses dernières conclusions, notifiées par le RPVA le 7 avril 2023, la société Dartess, demande à la cour, au visa de l’article 463 du code de procédure civile, de :

– Rejeter l’exception d’irrecevabilité formée par la société Bernard Magrez Ses Vignobles Du Sud au visa de l’autorité de la chose jugée ;

– Rejeter l’exception d’irrecevabilité tardivement formée par la société Bernard Magrez Ses Vignobles Du Sud au visa du principe de non-cumul des responsabilités contractuelle et délictuelle ;

– Constater que la société Dartess a entendu mettre en cause la responsabilité contractuelle de la société la société Bernard Magrez Ses Vignobles Du Sud dans ses Conclusions d’appelante n°5 (signifiées par RPVA le 17 janvier 2019 dans l’instance N° RG 16/23583), au visa des articles 1134 et 1147 du code civil alors applicables, à la fois dans les motifs (pages 22 à 26 et 48, 49 et suivantes) mais aussi dans le visa et le dispositif desdites conclusions (pages 56 et 57) ;

– Constater l’absence d’examen dans les motifs et l’omission de statuer dans le dispositif de l’arrêt du 21 mars 2019 des prétentions de l’appelante concernant la responsabilité contractuelle de la société Bernard Magrez Ses Vignobles Du Sud à raison de la résiliation anticipée du contrat qui liait les parties ;

– Réparer en conséquence l’omission de statuer relevée par la cour de cassation dans son arrêt du 14 avril 2021, au visa de l’article 463 du code de procédure civile ;

A cet effet :

– Examiner, dans les motifs de la décision à intervenir, et comme elle y a été expressément invitée par la société Dartess dans ses écritures d’appelante n° 5 du 17 janvier 2019 et par la cour de cassation dans son arrêt susvisé, la responsabilité contractuelle de la société Bernard Magrez Ses Vignobles Du Sud du fait de la résiliation anticipée et l’inexécution du contrat à durée déterminée qui liait les parties pour une durée renouvelée de 36 mois expirant au terme contractuel du 1er avril 2017, avec toutes les conséquences préjudiciables qui en découlent ;

– Statuer, en conséquence, sur les chefs de demandes suivants de la société Dartess tels que repris du dispositif de ses conclusions n°5 d’appelante (à l’exclusion des chefs du dispositif de ces conclusions visant l’article L.442-6 du code de commerce) tendant à l’indemnisation des préjudices subis du fait de la résiliation anticipée du contrat ;

– confirmer 1e jugement en ce qu’il a :

– jugé que le contrat entre la société Dartess et la société Bernard Magrez a été résilié hors

délai par la société Bernard Magrez,

– jugé que les protocoles d’accord signés par les parties en décembre 2012 et juin 2013 sont

caducs,

– jugé par conséquence que la créance déclarée par la société Bernard Magrez au passif de

la société Dartess n’est pas recevable,

– condamné la société Bernard Magrez à la société Dartess la somme de 3.000,00

euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamné la société Bernard Magrez aux dépens d’instance,

– réformer en revanche le jugement en ce qu’il l’a déboutée de sa demande de dommages

et intérêts faute de pouvoir en définir le quantum,

Statuant à nouveau,

– condamner la société Bernard Magrez à lui payer à titre de dommages et intérêts une

somme de 1.500.000 euros, se décomposant comme suit :

– 10.000 euros au titre des conséquences de la caducité du protocole d’accord du

31 décembre 2012 (article 1 du protocole),

– 53.820 euros au titre des conséquences de la caducité du protocole d’accord du 31 décembre 2012, pour les sommes versées en 2012,

– 1.335.000 euros au titre des pertes d’exploitation,

– 101.180 euros complémentaires, au titre du retard de développement consécutif ;

En tout état de cause,

– condamner la société Bernard Magrez à lui payer une somme de 8.000 euros sur

le fondement de1’article 700 du code de procédure civile,

– condamner la société Bernard Magrez aux entiers dépens.

-Ordonner qu’il soit fait mention de cette rectification en marge de la minute de l’arrêt et des expéditions qui en seront délivrées ;

-Condamner la société Bernard Magrez Ses Vignobles Du Sud Sas à payer à la société Dartess la somme de 5.000 € au titre de l’article 700.

Dans ses dernières conclusions, notifiées par le RPVA le 5 avril 2023, la société Bernard Magrez Ses Vignobles du Sud, demande à la cour, au visa des articles 122 à 125 et 463 du code de procédure civile, de :

En toute hypothèse :

– Prononcer l’irrecevabilité des demandes de la société Dartess tendant à ce qu’il soit à nouveau jugé de la confirmation du jugement entrepris en tout ou partie de ses dispositions, ledit jugement ayant été infirmé par la cour en toutes ses dispositions par l’arrêt du 21 mars 2019 de ce chef assorti de l’autorité de la chose jugée,

A titre principal :

– Dire et juger que l’omission de statuer relevée par la Cour de cassation porte exclusivement sur le défaut de mention dans le dispositif de l’arrêt du débouté des demandes de la société Dartess fondées sur la résiliation hors délai du contrat liant les parties par la concluante, et compléter, en conséquence, le dispositif de l’arrêt en mentionnant que la cour déboute la société Dartess de l’ensemble de ses demandes au titre de la rupture de la relation commerciale établie et au titre de la résiliation hors délai du contrat liant les parties,

A titre subsidiaire :

– Et dans l’hypothèse où la cour jugerait la société Dartess fondée à solliciter un nouvel examen de ses prétentions sur le fondement de la responsabilité contractuelle de la concluante, prononcer l’irrecevabilité de ses demandes en vertu du principe du non-cumul des responsabilités contractuelles et délictuelles,

A titre infiniment subsidiaire :

– Statuer au vu des conclusions n° 7 signifiées par la concluante le 21 janvier 2019 dont la cour était régulièrement saisie et dont le dispositif est ainsi libellé :

– constatant, d’une part, que la relation commerciale établie entre les parties a fait l’objet d’un réaménagement rendu nécessaire par le contexte économique, situation expressément prévue à l’article 10.3 du contrat, constatant, d’autre part, que la Sas Bernard Magrez Grands Vignobles Du Sud a tenté d’y associer la Sa Dartess au cours des mois précédant sa mise en ‘uvre, constatant, encore, que cette dernière n’a pas été en mesure de proposer une offre correspondant aux besoins de son cocontractant, dire et juger que la Sas Bernard Magrez Ses Vignobles Du Sud, anciennement dénommée Bernard Magrez Grands Vignobles Du Sud, n’a jamais brutalement mis fin à la relation commerciale établie qui la liait à la Sa Dartess ;

– La débouter, en conséquence, de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions présentées à ce titre, en ce compris celles, accessoires, relatives aux accords conclus les 31 décembre 2012 et 17 juin 2013, qu’aucune caducité ne saurait affecter, et donc à la créance de 75.000,00 € déclarée au passif, qui ne saurait être réduite ;

– constatant, subsidiairement, que la Sa Dartess échoue à rapporter la preuve de la réalité comme du quantum d’un préjudice direct lié à la brutalité de la rupture alléguée, compte tenu du délai contractuel de six mois qui lui a été de fait accordé avant que cette prétendue rupture ne soit effective, la débouter, encore, de sa demande indemnitaire et dire et juger, en toute hypothèse, que la prétendue caducité de ces protocoles n’emporterait nullement extinction de la dette mais bien l’exigibilité des créances initiales de la Sas Bernard Magrez Ses Vignobles Du Sud, anciennement dénommée Bernard Magrez Grands Vignobles Du Sud ;

– constatant, encore plus subsidiairement, que l’article 11 de la convention litigieuse, dont la Sa Dartess prétend demander une stricte application, prévoit de mettre à la charge de la partie à l’origine de la rupture avant le terme prévu une indemnité de 5.000,00 € par année de contrat non honorée, dire et juger que l’éventuelle condamnation de la Sas Bernard Magrez Ses Vignobles Du Sud, anciennement dénommée Bernard Magrez Grands Vignobles Du Sud, ne saurait excéder la somme de 12.500,00 €, correspondant à l’indemnisation des deux ans et six mois qui restaient à courir ;

– constatant, à titre infiniment subsidiaire, qu’en toute hypothèse, la prétendue violation du délai de préavis contractuel n’impliquerait évidemment pas la condamnation de la Sas Bernard Magrez Ses Vignobles Du Sud, anciennement dénommée Bernard Magrez Grands Vignobles Du Sud, au paiement de la rémunération de la Sa Dartess jusqu’à l’issue de la période triennale suivante, mais conduirait seulement à une évaluation des dommages et intérêts susceptibles de lui être versés sur le seul fondement de la perte de chance de remplacer la concluante par d’autres clients, calculés exclusivement en terme de perte de marge brute, débouter encore la société Dartess, qui ne justifie de rien à ce titre, de sa demande indemnitaire ;

En toute hypothèse :

– Débouter la société Dartess de ses demandes sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et la condamner au paiement de la somme de 10.000,00 € de ce chef, ainsi qu’aux entiers dépens.

La cour renvoie, pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, en application des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS

Sur l’autorité de la chose jugée

La société Bernard Magrez soutient que la demande de la société Dartess se heurte à l’autorité de la chose jugée par la cour aux termes de son arrêt du 21 mars 2019 en ce qu’elle vise à obtenir, sous le couvert d’une requête en réparation d’une omission de statuer, une nouvelle décision contraire à celle qui a été rendue par la cour ;

La société Dartess réplique que la Cour de cassation, dans son arrêt du 14 avril 2021, a considéré qu’il y avait une omission de statuer. Elle ajoute que d’une part, l’arrêt ne contient pas de motif sur le chef de prétention relatif à la responsabilité contractuelle, et d’autre part, ne répond, dans son dispositif, que par la formule générale “infirme le jugement dans l’intégralité de ses dispositions”.

La Cour de cassation a retenu l’existence d’une omission de statuer ce qui signifie que la cour d’appel n’a pas répondu à l’une des prétentions de la société Dartess.

Si la cour d’appel de Bordeaux a indiqué dans l’arrêt : “La société BERNARD MAGREZ a ainsi notifié, le 21 octobre 2013, à la société DARTESS qu’elle délocalisait son stock et mettait fin à l’activité de stockage des produits finis et à l’activité de logistique afférente confiée à l’appelante au mois de janvier 2014, terme que l’intimée a prorogé au 21 avril 2014 par courriers des 12 et 17 novembres 2013, faisant ainsi bénéficier la société Dartess d’un délai de préavis de six mois’”, cette motivation a été exposée dans le cadre de l’examen de la demande relative à la rupture de la relation commerciale établie et non dans le cadre de la responsabilité contractuelle invoquée par la société Dartess.

La cour d’appel n’ayant statué ni dans les motifs ni dans le dispositif de l’arrêt du 21 mars 2019 sur les demandes au titre de la responsabilité contractuelle, il n’y a pas autorité de la chose jugée de ce chef.

Le fait que la cour d’appel ait infirmé le jugement rendu par le tribunal de commerce de Bordeaux le 21 octobre 2016 dans l’intégralité de ses dispositions, ne prive pas la société Dartess de former à nouveau, dans le cadre, d’une requête en omission de statuer, les prétentions auxquelles il n’a pas été répondu.

Sur le principe du non-cumul des responsabilités contractuelle et délictuelle

La société Dartess fait valoir que la société Bernard Magrez n’a pas soulevé l’irrecevabilité des demandes sur ce fondement dans ses dernières conclusions d’appelante et qu’elle est donc irrecevable à le faire dans le cadre de la présente instance en omission de statuer.

Elle ajoute que les demandes indemnitaires qu’elle a formées avaient pour seul fondement la résiliation anticipée du contrat, et ce même si elle avait aussi visé l’article L.442-6 du code de commerce. Elle précise que cette demande de réparation sur un fondement purement contractuel (à savoir le non-respect de la durée de 36 mois qui restait à courir jusqu’au terme du contrat renouvelé) est clairement distincte et sans aucun rapport avec une demande de réparation au titre d’une rupture dite “brutale” de relations commerciales établies au visa de l’article L.442-6, I, 5° du code de commerce dans sa rédaction applicable au litige.

La société Bernard Magrez réplique que la société Dartess a toujours invoqué et continue d’invoquer, dans sa requête, un double fondement cumulatif, à la fois contractuel et délictuel, à ses demandes, sans faire de distinction entre les chefs de préjudice qu’elle a subis.

Le principe du non-cumul des responsabilités contractuelle et délictuelle peut être invoqué dans le cadre d’une requête en omission statuer, le tribunal de commerce ayant fait valoir la difficulté de statuer sur le préjudice en raison de l’absence de demande distincte selon le fondement juridique. La société Dartess, elle-même, aux termes de sa requête, a invoqué les limites de ce principe du non-cumul de responsabilité, ce qui autorisait la société Bernard Magrez à répondre à ce moyen.

Le principe du non-cumul des responsabilités contractuelle et délictuelle interdit seulement au créancier d’une obligation contractuelle de se prévaloir, contre le débiteur de cette obligation, des règles de la responsabilité délictuelle et n’interdit pas la présentation d’une demande distincte, fondée sur l’article L. 442-6, I, 5° du code de commerce, qui tend à la réparation d’un préjudice résultant non pas d’un manquement contractuel mais de la rupture brutale d’une relation commerciale établie.

Des demandes peuvent être formées tant sur le fondement contractuel que sur le fondement de l’article L442 – 6, I, 5° du code de commerce à la condition qu’elles indemnisent un préjudice différent.

S’agissant de demandes distinctes reposant sur des griefs différents, la société Dartess a bien précisé d’une part que le délai de préavis contractuel n’aurait pas été respecté et d’autre part que la rupture aurait été brutale du fait de l’insuffisance du préavis accordé.

La société Dartess motive sa demande sur ces deux fondements en invoquant la résiliation du contrat et en formant une demande commune de dommages-intérêts.

Le tribunal de commerce a indiqué dans la motivation du jugement : “la société Dartess sollicite une réparation globale des préjudices par un montant de dommages-intérêts qu’elle fixe à 1 500 000 € sans distinction des chefs de reproche… En globalisant le montant des dommages-intérêts qu’elle réclame, la société Dartess ne permet pas au tribunal de condamner la société Bernard Magrez Ses Vignobles Du Sud car il est dans l’incapacité de définir le montant de la condamnation propre à chaque préjudice, étant rappelé qu’il n’appartient pas au tribunal de se substituer aux parties dans la détermination du chiffrage des demandes.”

Le tribunal de commerce a débouté la société Dartess de sa demande de dommages intérêts faute de pouvoir en définir le quantum.

La société Dartess a néanmoins présenté la même réclamation indemnitaire globale au stade de l’appel.

Dès lors que le juge est saisi d’une demande d’indemnisation globale sur deux fondements juridiques différents, il lui appartient de déterminer le régime de responsabilité applicable afin de statuer sur cette demande (cass com. 29/092019, n°18-11.112).

Dans les motifs de ses conclusions du 17/01/2019, devant la cour d’appel de Bordeaux, la société Dartess indique que “son préjudice résulte de trois composantes :

– Il résulte en premier lieu, dans une moindre mesure, des conséquences attachées à la résiliation brutale du contrat litigieux par la société Bernard Magrez , qui devrait remporter toutes conséquences de droit sur la caducité des protocoles d’accord respectivement signé entre les parties les 31 décembres 2012 et 17 juin 2013.

– la rupture brutale et irrégulière du contrat d’origine lui-même, est directement à l’origine de pertes financières importantes dont la société Dartess est fondée à solliciter l’indemnisation à titre de dommages-intérêts.

– Il résulte enfin du retard de développement inhérent aux faits de concurrence déloyale dont la société Dartess a été victime.”

Si pour la demande au titre de la caducité des protocoles, la société Dartess invoque la brutalité de la rupture et pour le troisième préjudice qualifié de “retard de développement”, la société Dartess le relie aux faits de concurrence déloyale, pour le préjudice au titre des pertes d’exploitation, la société Dartess invoque indifféremment la rupture brutale et irrégulière du contrat.

Enfin la cour d’appel est tenue par le dispositif des conclusions des parties. Aux termes du dispositif de ses conclusions, la société Dartess formule des demandes indemnitaires sans aucune distinction du fondement juridique et donc n’invoque pas un préjudice résultant d’une résiliation irrégulière relevant de la responsabilité contractuelle distinct de celui résultant de la brutalité de la rupture relevant de l’article L. 442 – 6, 5° du code de commerce.

Compte tenu des prétentions de la société Dartess, la cour d’appel a fait le choix d’examiner la demande de la société Dartess sur le fondement invoqué de la rupture brutale prévue par l’article L442 – 6,5° du code de commerce ce qui était en son pouvoir.

La cour d’appel a considéré que sur ce fondement la société Dartess avait bénéficié d’un préavis suffisant et n’avait subi aucun préjudice ce qui l’a amenée à rejeter la demande d’indemnisation.

En conséquence, les demandes de la société Dartess au titre de la responsabilité contractuelle doivent être déclarées irrecevables en ce qu’il a été statué sur celles-ci sur le fondement de l’article L442 – 6,5° du code de commerce.

Sur les demandes accessoires

La société Dartess qui succombe sera condamnée aux dépens de la présente instance.

Il n’est pas inéquitable que chaque partie conserve la charge de ses frais irrépétibles dans la présente instance.

PAR CES MOTIFS

Déclare recevable la requête de la société Dartess en omission de statuer,

Déclare irrecevables les demandes de la société Dartess au titre de la responsabilité contractuelle,

Dit que chaque partie conservera la charge de ses frais irrépétibles dans la présente instance.

Condamne la société Dartess aux dépens de la présente instance.

LE GREFFIER P/LE PRESIDENT EMPÊCHÉ

 


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