Rupture anticipée : 26 octobre 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 21/14068

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Rupture anticipée : 26 octobre 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 21/14068
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Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 4 – Chambre 3

ARRET DU 26 OCTOBRE 2023

(n° , 11 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/14068 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CEET5

Décision déférée à la Cour : Jugement du 18 Juin 2021 -Juge des contentieux de la protection de PARIS

APPELANT

Monsieur [T] [R]

[Adresse 5]

[Localité 1]

Représenté par Me Anne GRAPPOTTE-BENETREAU de la SCP GRAPPOTTE BENETREAU, avocats associés, avocat au barreau de PARIS, toque : K0111

Assisté par Me Karine JAULIN de la SCP PECH de LACLAUSE, avocat au barreau de NARBONNE

INTIME

Monsieur [H] [F]

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représenté par Me Christophe VAZQUEZ, avocat au barreau de PARIS

Assisté par Me Michaël MOUHRIZ, avocat au barreau de NICE, case 686

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 20 Septembre 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme Anne-Laure MEANO, Présidente de chambre, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

François LEPLAT, président

Anne-Laure MEANO, président

Aurore DOCQUINCOURT, conseiller

Greffier, lors des débats : Mme Joëlle COULMANCE

ARRET :

– contradictoire

– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Anne-Laure MEANO en lieu et place de François LEPLAT, Président de chambre et par Joëlle COULMANCE, Greffière, présente lors de la mise à disposition.

*****

EXPOSÉ DU LITIGE

Par acte sous seing privé en date du 1er mai 2001, M. [T] [R] a donné à bail à M. [H] [F] des locaux sis [Adresse 2].

Par acte d’huissier en date du 16 février 2015, M. [H] [F] a fait assigner M. [T] [R] devant le juge des référés du tribunal d’instance de Paris 16ème arrondissement aux fins d’obtenir notamment sa condamnation à lui communiquer les quittances locatives, à lui communiquer les modes de répartition des charges et à remettre en état les lieux loués.

Il est constant que le loyer réactualisé avoisine 600 euros.

Par ordonnance rendue le 3 juillet 2015, le juge des référés du tribunal d’instance de Paris 16ème arrondissement, saisi par M. [F] a notamment :

– ordonné à M. [R], sous astreinte provisoire de 20 euros par jour de retard passé un délai d’un mois à compter de la signification de la décision, la délivrance à M. [F] des quittances locatives conformes pour les années 2010 à 2014 incluse,

– ordonné à M. [R], sous astreinte provisoire de 100 euros par jour de retard passé un délai de trois mois à compter de la signification de la décision, d’effectuer les travaux suivants:

– mise aux normes de l’installation électrique et de la plomberie,

– remplacement du robinet du radiateur défectueux

– remplacement des serrures de la porte d’entrée,

– ordonné la consignation des loyers, hors provision sur charges, auprès de la Caisse des dépôts et consignation, à compter de la signification de la décision et jusqu’à la complète exécution des travaux mis à la charge de M. [R] aux termes de la décision.

M. [R] a interjeté appel de cette décision.

Dans un arrêt du le 11 octobre 2016, la Cour d’appel de Paris a confirmé l’ordonnance entreprise, sauf en ce qu’elle a ordonné la consignation des loyers ; statuant à nouveau, elle a ordonné la suspension du paiement du loyer, hors provision pour charges, à compter de la signification de l’ordonnance jusqu’à complète exécution des travaux mis à la charge de M. [R].

En exécution de cet arrêt de référé, diverses décision ont été rendues:

-Par jugement du 15 décembre 2016, le juge de l’exécution du tribunal de grande instance de Narbonne a liquidé à la somme de 37.500 euros l’astreinte aux fins d’exécution des travaux, pour la période du 23 octobre 2015 au 3 novembre 2016 et a fixé une nouvelle astreinte de 200 euros par jour de retard aux fins d’exécution des travaux mis à la charge de M. [R].

-par jugement du 7 juin 2018, le même juge a condamné M. [R] à payer à M. [F] la somme de 30.000 euros au titre de la liquidation de l’astreinte fixée par le jugement du 15 décembre 2016 aux fins d’exécution des travaux mis à sa charge par l’ordonnance de référé du 3 juillet 2015 confirmée par arrêt de la Cour d’appel de Paris du 11 octobre 2016, pour la période du 1er septembre 2017 au 15 février 2018,

-fixé une nouvelle astreinte définitive de 200 euros par jour de retard, commençant à courir 15 jours suivant la signification de la décision aux fins d’exécution des travaux non encore exécutés et mis à la charge de M. [R], à savoir la mise aux normes de la plomberie et le remplacement du robinet du radiateur défectueux, ladite astreinte courant sur une période de 6 mois.

-Par jugement du 3 octobre 2019, le juge de l’exécution du tribunal de grande instance de Narbonne a :

– condamné M. [R] à payer à M. [F] la somme de 36.000 euros au titre de la liquidation de l’astreinte définitive fixée dans le jugement du 7 juin 2018,

– débouté M. [F] de sa demande en renouvellement d’astreinte.

M. [R] a interjeté appel de cette décision.

-Par arrêt rendu le 4 mars 2021, la Cour d’appel de Montpellier a :

-confirmé le jugement entrepris, sauf en ce qu’il a rejeté la demande formée par M. [H] [F] aux fins de fixation d’une nouvelle astreinte aux fins de procéder au remplacement du robinet de radiateur de son appartement,

Statuant à nouveau, a :

– fixé une nouvelle astreinte définitive de 200 euros par jour de retard à la charge de M. [R], astreinte qui commencera à courir à l’expiration d’un délai d’un mois suivant la signification de l’arrêt aux fins d’exécution des travaux de remplacement du robinet défectueux du radiateur de l’appartement de M. [F] non encore exécutés et mis à la charge de M. [R] en vertu de l’ordonnance de référé du président du tribunal d’instance de Paris 16ème du 3 juillet 2015 confirmée par l’arrêt de la Cour d’appel de Paris du 11 octobre 2016, ladite astreinte courant sur une période de six mois.

Parallèlement, par acte d’huissier en date du 20 décembre 2019, M. [T] [R] a fait assigner M. [H] [F] devant le tribunal d’instance de Paris aux fins de :

-dire et juger qu’en raison du fait que le studio loué par contrat en date du 5 mai 2001 par M. [T] [R] à M. [H] [F] ne constitue pas l’habitation principale de ce dernier, les dispositions législatives et réglementaires relatives au logement décent sont inapplicables,

– dire et juger que les dysfonctionnements constatés en date du 16 février 2015 par huissier à la demande de M. [H] [F] relèvent des réparations locatives telles que prévues par le contrat de bail en date du 5 mai 2001,

-dire et juger que M. [T] [R] n’a jamais manqué à son obligation de délivrance telle que circonscrite par le bail en date du 5 mai 2001,

-dire et juger que M. [H] [F] a fait preuve de déloyauté en exécution du contrat de bail en date du 5 mai 2001,

– le condamner au paiement de la somme de 21.677,76 euros au titre des loyers impayés depuis janvier 2015 à parfaire jusqu’à la date de résiliation judiciaire du contrat,

– ordonner la résiliation du contrat pour manquement de M. [H] [F] à son obligation d’exécuter avec loyauté le contrat en date du 5 mai 2001,

– ordonner son expulsion dans un délai de 15 jours,

– le condamner au paiement d’une indemnité d’occupation d’un montant mensuel de 600 euros,

– ordonner l’exécution provisoire du jugement à intervenir,

– le condamner aux entiers dépens ainsi qu’à 4.000 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile.

M. [H] [F], représenté par son avocat, a pour sa part demandé au tribunal de débouter M. [T] [R] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions, de le condamner à lui payer une somme de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive, et à lui verser une somme de 5.000 euros en application des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile ainsi qu’aux dépens.

Par jugement contradictoire entrepris du 18 juin 2021, le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire de Paris a ainsi statué :

Dit que le contrat de location consenti à M. [F] le 1er mai 2001 est régi par les dispositions de la loi du 6 juillet 1989 ;

Déboute M. [T] [R] de l’ensemble de ses demandes ;

Rejette la demande de dommages et intérêts présentée à titre reconventionnel par M. [H] [F] ;

Condamne M. [T] [R] à verser à M. [H] [F] une somme de 1.200 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ;

Condamne M. [T] [R] aux dépens

Ordonne l’exécution provisoire de la décision.

PRÉTENTIONS DES PARTIES

Vu l’appel interjeté le 20 juillet 2021 par M. [T] [R]

Vu les dernières conclusions remises au greffe le 4 avril 2022 par lesquelles M. [T] [R] demande à la cour de :

Réformer le jugement du juge des contentieux de la protection près le tribunal judiciaire de Paris en date du 18 juin 2021.

Statuant à nouveau,

Dire et juger qu’en raison du fait que le bien loué par contrat en date du 1 mai 2001 par M. [T] [R] à M. [H] [F] ne constitue pas l’habitation principale de ce dernier, les dispositions législatives et réglementaires relatives au logement décent consacrées par la loi du 6 juillet 1989 sont inapplicables ;

Dire et juger que les dysfonctionnements constatés en date du 7 août 2014 et 14 novembre 2018 par huissier à la demande de M. [H] [F] relèvent des réparations locatives telles que prévues par le contrat de bail en date du 1 mai 2001 ;

Dire et juger que M. [T] [R] n’a jamais manqué à son obligation de délivrance telle que circonscrite par le bail en date du 1 mai 2001 et plus généralement à toutes ses obligations contractuelles nées dudit bail ;

Dire et juger que M. [H] [F] a fait preuve de déloyauté en exécution du contrat de bail en date du 1 mai 2001 et a manqué à l’obligation d’obtenir une autorisation écrite préalable du bailleur pour procéder à l’aménagement d’une cuisine au sein du bien loué ;

Le condamner au paiement de la somme de 21 677,76 euros au titre des loyers impayés depuis janvier 2015 à parfaire jusqu’à la date de résiliation judiciaire du contrat ;

Ordonner la résiliation du contrat aux torts exclusifs de M. [H] [F] ;

Ordonner son expulsion du studio situé [Adresse 3] au besoin avec le concours de la force publique et ceci 15 jours à compter de la signification du jugement à intervenir ;

Le condamner au paiement d’une indemnité d’occupation d’un montant mensuel de 600 euros qui commencera à courir à compter de la date de résiliation du contrat en date du 1 mai 2001 et ceci jusqu’à parfaite libération des lieux ;

Confirmer le jugement du juge du contentieux de la protection en date du 18 juin 2021 en ce qu’il a rejeté la demande de dommages et intérêts de M. [H] [F] sur le fondement de l’abus de droit d’ester en justice.

Le condamner aux entiers dépens dont distraction au profit de la SCP Grappotte Benetreau en application de l’article 699 du CPC, ainsi qu’à 4000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Vu les dernières conclusions remises au greffe le 13 janvier 2022 au terme desquelles M. [H] [F] demande à la cour de :

Confirmer le jugement dont appel en ce qu’il a débouté M. [R] de toutes ses demandes, fins et conclusions,

L’infirmer partiellement en ce qu’il n’a pas fait droit à la demande de dommages et intérêt de M. [F] pour procédure abusive.

En conséquence, en statuant de nouveau de ce chef, accueillir la demande de dommages et intérêts de M. [F] pour procédure abusive, et condamner ainsi M. [R] au règlement de la somme de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts.

Condamner en toute hypothèse M. [R] à la somme de 5.000 euros au visa de l’article 700 du Code de procédure civile au titre des frais irrépétibles d’appel, outre les entiers dépens de l’instance.

Pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens des parties, la cour, conformément à l’article 455 du code de procédure civile, renvoie aux conclusions remises au greffe et au jugement déféré.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur l’applicabilité au bail litigieux de la loi n°89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs

M. [R] demande l’infirmation du jugement en ce qu’il a retenu que l’article 2 de la loi n°89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs, était applicable au litige ; il soutient, comme devant le premier juge, que le local loué n’étant pas la résidence principale du locataire et relève donc du droit commun.

Dans sa version en vigueur à la date du contrat cet article disposait :

“Les dispositions du présent titre sont d’ordre public. Elles s’appliquent aux locations de locaux à usage d’habitation principale ou à usage mixte professionnel et d’habitation principale ainsi qu’aux garages, places de stationnement, jardins et autres locaux, loués accessoirement au local principal par le même bailleur.”

Depuis il a été modifié par la loi dite Alur du 24 mars 2014 et dispose :

“Les dispositions du présent titre sont d’ordre public.

Le présent titre s’applique aux locations de locaux à usage d’habitation ou à usage mixte professionnel et d’habitation, et qui constituent la résidence principale du preneur, ainsi qu’aux garages, aires et places de stationnement, jardins et autres locaux, loués accessoirement au local principal par le même bailleur. La résidence principale est entendue comme le logement occupé au moins huit mois par an, sauf obligation professionnelle, raison de santé ou cas de force majeure, soit par le preneur ou son conjoint, soit par une personne à charge au sens du code de la construction et de l’habitation.”.

En application de l’article 82 II de la loi du 6 août 2015 ces dispositions, qui entérinent d’ailleurs essentiellement la jurisprudence antérieure sur la notion d’habitation principale, sont devenues applicables au contrat de bail litigieux, qui a été tacitement reconduit depuis la loi Alur.

L’habitation ou résidence principale s’entend comme le lieu du principal établissement, où une personne fixe centre de ses activités avec une certaine permanence (au moins huit mois par an).

La réalité de l’habitation à titre de résidence principale doit être établie par le locataire qui entend invoquer le bénéfice des prérogatives légales que ce statut implique.

En l’espèce, c’est par des motifs exacts et pertinents, qui ne sont pas utilement contredits par l’appelant, lequel ne produit en cause d’appel aucun élément nouveau de nature à remettre en cause l’appréciation faite par le tribunal, et que la cour adopte, que le premier juge a retenu en substance que:

– la volonté commune des parties d’exclure l’application des dispositions de la loi du 6 juillet 1989, qui est d’ordre public, n’est pas caractérisée en l’espèce, les termes du contrat faisant référence à plusieurs reprises à cette loi.

La cour ajoute que si, dans l’en-tête du contrat de bail, la mention de cette loi a été biffée, avec un ajout manuscrit de la mention « libre », aucun élément ne permet d’en déduire clairement quelle a été l’intention des parties ; en outre les locaux loués sont décrits comme une “studette” destinée à l’habitation ; M. [R] soutient que ce logement ne comprend pas de cuisine et ne saurait donc constituer une “résidence principale” ; il est exact que le bail ne mentionne pas l’existence d’une cuisine ; toutefois l’état des lieux d’entrée n’est pas produit par les parties de sorte qu’il n’est pas possible de tirer de conséquence particulière de l’absence de mention dans le bail d’une cuisine indépendante, ce qui n’est pas de nature, en soi, à empêcher l’habitation principale dans un tel local;

– Il résulte des éléments produits (carte de résident, déclaration pour le recensement de la population en 2020, pièces relatives à ses attaches familiales en région parisienne, prélèvements biologiques effectués régulièrement dans un laboratoire d’analyses médicales à proximité du domicile, présence constante et avérée dans ce local pendant le confinement nécessité par la pandémie de covid 19…) que M. [F] réside de façon effective régulière et continue dans le logement litigieux ; devant la cour, il produit en outre la copie de ses avis d’imposition concernant la taxe d’habitation de 2002 à 2017 qui font bien état de l’adresse litigieuse.

Il est certes constant que l’intéressé, de nationalité américaine, a été amené à effectuer très régulièrement des voyages professionnels à l’étranger et que sa compagne réside à [Localité 6], où se trouve son avocat et un médecin spécialiste qui l’a soigné pour un cancer, mais ces éléments ne suffisent pas à contredire la preuve suffisamment rapportée par le locataire de ce que sa résidence principale se trouve à [Localité 4], à l’adresse litigieuse, ni, au demeurant, à établir, à l’inverse, que sa résidence principale serait en réalité située dans un autre lieu.

Le jugement sera donc confirmé en ce qu’il a dit que le contrat location consenti à M. [F] le 1er mai 2001 est régi par les dispositions de la loi du 6 juillet 1989.

Sur la demande de résiliation judiciaire du bail

M. [R] demande l’infirmation du jugement en ce qu’il a rejeté sa demande de résiliation du bail. Comme devant le premier juge il invoque la mauvaise foi du locataire dans l’exécution de ses obligations et son manquement à l’article 7 k du contrat de bail lequel interdit au locataire de « faire aucun changement de distribution ou transformation sans l’accord préalable écrit du bailleur sous peine de remise en état des locaux frais du locataire ou de résiliation anticipée bail suivant la gravité de l’infraction” ; il soutient en effet que le locataire a procédé à des travaux d’installation d’une cuisine au détriment des règles de sécurité et sans l’autorisation du bailleur.

L’article 7 f) de la loi n°89-462 du 6 juillet 1989 dans sa version applicable au contrat litigieux, repris en substance dans le bail, interdit au locataire de transformer les locaux et équipements loués sans l’accord écrit du propriétaire.

Aux termes de l’article 1184 du code civil dans sa version applicable au litige (devenu 1224 du code civil), la résolution résulte soit de l’application d’une clause résolutoire soit, en cas d’inexécution suffisamment grave, d’une notification du créancier au débiteur ou d’une décision de justice.

Le juge peut donc prononcer la résiliation d’un bail dès lors qu’il est établi qu’un locataire a gravement manqué à ses obligations contractuelles.

M. [F] se borne à contester avoir effectué des travaux de réalisation d’une cuisine, soutenant qu’ “il y a bien une cuisine mais que celle-ci est le fruit d’aménagements amovibles tels que le bail le prévoit”.

Il affirme aussi que ces aménagements ont été réalisés dans l’”entrée vide s’y prêtant” et qu’il a ainsi réalisé d’autres aménagements courants tel « la pose de papier peint, de moquette, de tapis, rideaux…”.

Il soutient que “le bailleur est parfaitement au courant de ces aménagements puisqu’une partie est mentionnée dans l’état des lieux d’entrée (pièce 53)” (conclusions p 35).

Or, cette pièce 53 n’est pas le document prétendu; il s’agit d’un jugement du tribunal de Narbonne.

L’état des lieux d’entrée n’est en réalité pas produit par les parties et notamment pas par le locataire qui pourtant s’en prévaut sur ce sujet.

Le bail ne comporte l’indication d’aucune cuisine, qu’il s’agisse d’une pièce indépendante ou même d’une installation ou d’un espace, même réduit, pouvant en tenir lieu.

Les photos produites par le locataire démontrent qu’il a installé des éléments de cuisine impliquant des installations électriques adaptées (four, plaques de cuisson, réfrigérateur).

Il résulte de ses propres déclarations que ces aménagements ont été effectués dans l’entrée, ce qui n’est pas en principe l’usage d’un tel espace.

Au vu des photos produites le compteur électrique porte d’ailleurs la mention “cuisine” alors que le bail ne fait pas état d’une cuisine.

Aucune autorisation n’a été demandée par le locataire, lequel n’établit pas non plus avoir informé le bailleur ou avoir fait état d’une nécessité urgente à cet égard.

Par acte d’huissier du 28 avril 2020,M. [I], huissier de justice, a délivré à M. [F] sur demande de M. [R] , une sommation interpellative de donner le détail des travaux réalisés pour l’aménagement d’une cuisine, puisque ces travaux étaient mentionnés par le conseil de M. [F] dans des conclusions devant la cour d’appel de Montpellier et devant le tribunal judiciaire de Paris; il résulte de cet acte que M. [F] s’est opposé à cette démarche et a refusé de répondre à l’huissier pour des raisons peu intelligibles (rétrospectivement justifiées par son conseil comme relevant des règles sanitaires du confinement) mais indique être « à tout moment disposé à refaire ces constats au contradictoire en présence de mon huissier de justice et dès que je suis prévenu par écrit”; par courrier officiel entre avocats du même jour, puis du 4 mai 2020, le conseil de M. [R] a à nouveau demandé à son confrère de “le renseigner sur la nature des travaux de mise en ‘uvre d’une cuisine dans la chambre de bonne louée”.

M. [F] n’établit pas avoir apporté de réponse et de précision, ou à tout le moins suffisantes, à ces demandes légitimes et ce alors que, pour sa part, il s’est plaint abondamment de l’absence de réalisation de travaux et notamment de mise aux normes électriques du logement.

Au regard de l’ensemble de ces circonstances, l’installation à laquelle a procédé M. [F] est constitutive d’un changement de distribution et d’une transformation des lieux, sans commune mesure avec un changement de papier peint ou une installation de tapis, sans accord préalable écrit du bailleur ni même une simple information ; en outre le locataire a fait également preuve d’une mauvaise foi caractérisée dans le respect de son obligation contractuelle générale de loyauté à l’égard du cocontractant.

Ce manquement est d’une gravité suffisante pour justifier la résiliation judiciaire du bail.

A toutes fins utiles, la cour observe que le locataire n’allègue ni n’établit qu’il existerait en l’espèce une impossibilité d’utiliser les lieux conformément à leur destination, étant relevé qu’il cherche à s’y maintenir, en a fait son habitation principale et demande à ce que le bail se poursuive, de sorte que l’article 1719 alinéa 1 du code civil, aux termes duquel lorsque tel est le cas, le bailleur ne peut se prévaloir de la nullité du bail ou de sa résiliation pour demander l’expulsion de l’occupant, n’a pas vocation a être appliqué.

Il convient donc d’ordonner l’expulsion de M. [F] et de fixer l’indemnité d’occupation au montant de l’entier montant du loyer et des charges qui seraient dues si le bail s’était poursuivi, ce qui est conforme au caractère indemnitaire et compensatoire de cette indemnité.

Le jugement sera donc infirmé sur ces points.

S’agissant des conditions de l’expulsion, aux termes de l’article L. 412-1 du code des procédures civiles d’exécution :

“Si l’expulsion porte sur un lieu habité par la personne expulsée ou par tout occupant de son chef, elle ne peut avoir lieu qu’à l’expiration d’un délai de deux mois qui suit le commandement, sans préjudice des dispositions des articles L. 412-3 à L. 412-7. Toutefois, le juge peut, notamment lorsque la procédure de relogement effectuée en application de l’article L. 442-4-1 du code de la construction et de l’habitation n’a pas été suivie d’effet du fait du locataire, réduire ou supprimer ce délai.

Le délai prévu au premier alinéa du présent article ne s’applique pas lorsque le juge qui ordonne l’expulsion constate que les personnes dont l’expulsion a été ordonnée sont entrées dans les locaux par voie de fait.”.

Les éléments du dossier ne justifient pas la suppression de ce délai de deux mois, qui est nécessaire à l’intéressé pour trouver un autre logement ; la demande de M. [R] visant à réduire le délai d’expulsion à 15 jours à compter de la signification du « jugement à intervenir» sera donc rejetée.

Sur la demande de paiement des loyers

M. [R] demande l’infirmation du jugement en ce qu’il a rejeté sa demande de condamnation de M. [F] à lui verser la somme de 21.177,76 euros “au titre des loyers impayés depuis le mois de janvier 2015″ ” à parfaire” et réitère cette demande à l’identique devant la cour.

Il estime qu’il n’a pas manqué à son obligation de délivrance et que les réparations ordonnées dans le cadre de l’instance de référé en 2015 relevaient essentiellement de réparations locatives.

M. [F], qui ne demande pas à la cour d’ordonner la réalisation de travaux, une telle demande ne pouvant en tout état de cause qu’être rejetée du fait de la résiliation du bail prononcé par le présent arrêt, se borne à demander la confirmation du jugement qui a rejeté cette demande, sans discuter en tant que telle la somme demandée.

En outre, son argumentation, dans les détails de laquelle la cour n’est pas tenue de le suivre, ne fait ressortir aucune description claire, synthétique et intelligible de ce qu’il considère être l’état actuel du logement au regard des problèmes soulevés depuis 2015 et les travaux qu’il estimait devoir être faits.

Il résulte des articles 1719 du code civil et 6 de la loi n°89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs que le bailleur est obligé de délivrer au preneur la chose louée et, s’il s’agit de son habitation principale, un logement décent, en bon état d’usage et de réparation.

Le décret du 30 janvier 2002 relatif aux caractéristiques du logement décent prévoit que le logement doit satisfaire à un certain nombre de conditions au regard de la sécurité physique et de la santé des locataires.

En application des articles 1728, 2° du code civil et 7 a) de la loi du 06 juillet 1989, le locataire est tenu pour sa part de l’obligation essentielle et primordiale de payer le loyer et les charges au terme convenu sauf à démontrer que le logement est affecté de désordres si importants qu’il y a impossibilité d’utiliser les lieux conformément à leur destination ; des points d’indécence ne sont à cet égard pas suffisants pour caractériser une inhabitabilité et exonérer le locataire de son obligation de payer les loyers.

L’article 1730 du code civil dispose que « S’il a été fait un état des lieux entre le bailleur et le preneur, celui-ci doit rendre la chose telle qu’il l’a reçue, suivant cet état, excepté ce qui a péri ou a été dégradé par vétusté ou force majeure» et l’article 7 d) de la loi du 6 juillet 1989 prévoit que le locataire est obligé de prendre à sa charge l’entretien courant du logement, des équipements mentionnés au contrat et les menues réparations ainsi que l’ensemble des réparations locatives définies par décret en Conseil d’Etat, sauf si elles sont occasionnées par vétusté, malfaçon, vice de construction, cas fortuit ou force majeure.

S’agissant de la charge de la preuve, il appartient au bailleur, tenu de délivrer au preneur la chose louée, de prouver qu’il s’est libéré de son obligation mais celui qui invoque l’exception d’inexécution doit prouver la gravité de cette inexécution justifiant une suspension de l’exécution des obligations, en l’espèce la dispense de paiement des loyers.

Pour mémoire le paiement des loyers a été suspendu (hors provision pour charges) par arrêt rendu en référé par la cour d’appel de Paris le 11 octobre 2016 “jusqu’à complète exécution des travaux”.

En l’état des pièces produites, il apparaît que si des points d’indécence ont été relevés dans le logement litigieux, aucun état des lieux d’entrée n’est produit de sorte qu’ils sont présumés avoir été remis en bon état au locataire, ce qui n’est pas utilement contredit par celui-ci.

Le constat d’huissier du 7 août 2014, soit 13 ans après l’entrée dans les lieux, fait état en substance d’un dysfonctionnement de la serrure de la porte d’entrée, de traces d’infiltrations et de fuites de la cuvette des WC, d’écoulement et d’infiltrations depuis le robinet de la vasque de la baignoire, d’un état de vétusté avancée de la salle de bains, de dysfonctionnements électriques ainsi que d’un dysfonctionnement du robinet du radiateur.

Il résulte de diverses autres pièces du dossier que l’installation électrique était alors effectivement dangereuse et vétuste. Plus aucune mention n’est faite de cette situation dans le procès-verbal de constat établi par huissier de justice le 14 novembre 2018.

Les pièces produites et divers constats ne permettent pasd’établir la cause exacte et objective des désordres constatés et le locataire ne démontre pas avoir procédé à l’entretien courant qui lui incombait, selon le décret n°87-712 du 26 août 1987 pris en application de l’article 7 de la loi n°86-1290 du 23 décembre 1986 et relatif aux réparations locatives.

S’agissant des installations et problèmes de plomberie, selon ce décret, il appartient en effet au locataire de remplacer notamment les joints et colliers des canalisations d’eau, ainsi que les joints, clapets et presse-étoupes des robinets, les joints, flotteurs et joints cloches des chasses d’eau, de nettoyer et entretenir les éviers et appareils sanitaires.

Il doit cependant être observé que la remédiation à l’extrême vétusté du robinet de radiateur empêchant le fonctionnement normal du chauffage qui a été constaté incombe au propriétaire.

Il n’est en outre pas utilement prouvé par le locataire que la serrure de la porte d’entrée dysfonctionnait dès 2001 ; l’attestation d’un ancien locataire, M. [Z], au demeurant non conforme aux prescriptions des alinéas 3 et 4 de l’article 202 du code de procédure civile et établie 14 ans après les faits relatés, ne permet pas de suppléer à l’absence de production de l’état des lieux d’entrée, étant en outre rappelé qu’aux termes du décret de 1987 précité, le locataire est tenu des petites réparations et remplacement de petites pièces des serrures et verrous de sécurité.

À toutes fins utiles il résulte des éléments du dossier qu’au mois de mai 2019 aucune fuite d’eau telle que décrite par le juge des référés dans sa décision du 3 juillet 2015 n’était encore observée.

Il apparaît toutefois que l’installation électrique, qui était très vétuste, relevait bien des travaux incombant au propriétaire, dont il est constant qu’ils ont été effectués sans que la date en soit clairement établie.

Ainsi seuls quelques point d’indécence sont établis comme incombant au bailleur, et ils justifient seulement une dispense partielle et limitée du paiement des loyers et non une exonération complète.

En l’absence de précision des parties sur l’exécution des décisions judiciaires rappelées plus haut ayant ordonné la suspension des loyers, et de la moindre explication par M. [R] sur le calcul de la somme demandée, sa demande en paiement de “la somme de 21.177,76 au titre des loyers depuis le mois de janvier 2015 à parfaire jusqu’à la date de résiliation judiciaire du contrat ” sera rejetée.

Pour les motifs précités, la demande de M. [F] en rejet de toute demande de paiement de loyers du bailleur doit être également écartée, étant observé qu’il ne discute pas plus particulièrement de la somme demandée.

Au vu de l’ensemble de ces éléments, la cour retient que M. [F] ne sera redevable du loyer mensuel hors charge qu’à hauteur de 70% et ce pour la période de janvier 2015 jusqu’à la date de la présente décision.

Le jugement sera donc infirmé sur ce point.

Sur l’appel incident de M. [F]

M. [F] demande l’infirmation du jugement en ce qu’il a rejeté sa demande de condamnation de M. [R] à lui verser la somme de 5.000 euros à titre de dommages-intérêts pour abus de droit d’agir.

Cette demande ne pourra qu’être rejetée, la cour d’appel accueillant partiellement les demandes de M. [R].

La cour observe surabondamment que M. [F] est particulièrement malvenu à reprocher à M. [R] de « refaire tout le procès » bien que « la justice a tranché de nombreuses fois dans le cadre de ce contentieux” ; en effet les procédures auxquelles il est fait référence sont, d’une part, une procédure de référé, qui n’a pas, au principal, autorité de la chose jugée et, d’autre part, les décisions seulement relatives à l’exécution de ces décisions de référé.

Le jugement sera donc confirmé sur ce point.

Sur l’article 700 du code de procédure civile et les dépens

Le sens du présent arrêt conduit à infirmer le jugement entrepris en ce qui concerne le sort des dépens de première instance et l’application faite des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

Il est équitable de ne pas faire application de l’article 700 en première instance et en appel.

Les dépens de première instance et d’appel seront partagés par moitié entre les parties.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire,

Infirme, en ses dispositions frappées d’appel, le jugement entrepris, sauf en ce qu’il a dit que le contrat de location litigieux du 1er mai 2001 est régi par les dispositions de la loi du 6 juillet 1989 et en ce qu’il a rejeté la demande de dommages-intérêts de M. [H] [F] ;

Et statuant à nouveau,

Prononce la résiliation du bail conclu le1er mai 2001 entre M. [T] [R] et M. [H] [F] des locaux pour le logement situé [Adresse 2] ;

Condamne M. [H] [F] à payer à M. [T] [R] 70 % seulement du loyer mensuel (outre les charges locatives) à compter du 1er janvier 2015 et jusqu’au présent arrêt ;

Ordonne, à défaut de libération volontaire des lieux, l’expulsion de M. [H] [F] et de tous occupants de son chef hors du logement , avec le concours éventuel de la force publique et d’un serrurier, passé le délai de deux mois suivant la délivrance d’un commandement d’avoir à libérer les lieux, conformément aux dispositions des articles L.412-1 et suivants, R.411-1 et suivants, R.412-1 et suivants du code des procédures civiles d’exécution,

Dit que le sort des meubles sera réglé conformément aux articles L.433-1 et suivants et R.433-1 et suivants du code des procédures civiles d’exécution,

Fixe l’indemnité mensuelle d’occupation à une somme égale au montant du loyer révisé, augmenté des charges, qui aurait été dû si le bail s’était poursuivi,

Condamne M. [H] [F] à payer à M. [T] [R] cette indemnité mensuelle d’occupation et jusqu’à la libération effective des lieux,

Rejette toutes demandes plus amples ou contraires,

Et y ajoutant,

Dit que les dépens de première instance et d’appel seront partagés par moitié entre les parties;

Rejette toutes autres demandes.

La Greffière Pour le Président empêché

 


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