Rupture anticipée : 24 octobre 2023 Cour d’appel de Reims RG n° 22/00861

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Rupture anticipée : 24 octobre 2023 Cour d’appel de Reims RG n° 22/00861
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ARRET N°

du 24 octobre 2023

N° RG 22/00861 – N° Portalis DBVQ-V-B7G-FFIW

Société SOPHOS HOTELS SA

c/

S.A.S. CATHEDRALE

Formule exécutoire le :

à :

la SCP DELVINCOURT – CAULIER-RICHARD – CASTELLO AVOCATS ASSOCIES

la SELAS BDB & ASSOCIÉS

COUR D’APPEL DE REIMS

CHAMBRE CIVILE-1° SECTION

ARRET DU 24 OCTOBRE 2023

APPELANTE :

d’un jugement rendu le 29 mars 2022 par le Tribunal de Commerce de REIMS

Société SOPHOS HOTELS SA

[Adresse 5]

0 [Localité 3] (SUISSE)

Représentée par Me Mélanie CAULIER-RICHARD de la SCP DELVINCOURT – CAULIER-RICHARD – CASTELLO AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de REIMS, avocat postulant, et Me Julien HERLEMONT de la SELAS CABINET LEGALPS AVOCATS – HERLEMONT ET ASSOCIÉS, avocat au barreau d’ANNECY, avocat plaidant

INTIMEE :

S.A.S. CATHEDRALE

Au capital de 1 215 320 €, immatriculée au RCS de PARIS sous le numéro 813 487 592, dont le siège social est sis [Adresse 2], [Localité 1], représentée par son président en exercice, Monsieur [R] [T], domicilié en cette qualité audit siège,

[Adresse 2]

[Localité 1]

Représentée par Me Lorraine DE BRUYN de la SELAS BDB & ASSOCIÉS, avocat au barreau de REIMS, avocat postulant, et Me Laurent COTRET de la SCP AUGUST & DEBOUZY, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DEBATS :

Madame MAUSSIRE, conseillère, et Madame MATHIEU, conseillère, ont entendu les plaidoiries, les parties ne s’y étant pas opposées. Elles en ont rendu compte à la cour lors de son délibéré.

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :

Madame Elisabeth MEHL-JUNGBLUTH, présidente de chambre

Madame Véronique MAUSSIRE, conseillère

Madame Florence MATHIEU, conseillère

GREFFIER :

Madame Yelena MOHAMED-DALLAS, greffière

DEBATS :

A l’audience publique du 18 septembre 2023, où l’affaire a été mise en délibéré au 24 octobre 2023

ARRET :

Contradictoire, prononcé par mise à disposition au greffe le 24 octobre 2023 et signé par Madame Elisabeth MEHL-JUNGBLUTH, présidente de chambre, et Madame Yelena MOHAMED-DALLAS, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

La société Sophos Hôtels, société suisse spécialisée dans l’expertise et la gestion hôtelière, a conclu le 21 octobre 2015 en qualité de prestataire (accrédité Marriott) avec la société Cathédrale en qualité de franchisé, un contrat de prestations de services et de management hôtelier portant sur la gestion de l’hôtel de la Cathédrale (hôtel Marriott 5 étoiles) pour une durée de dix ans.

Le 31 août 2018, la société Sophos Hôtels a signé un avenant au contrat aux termes duquel la date d’ouverture de l’hôtel ayant été reportée au 1er mai 2019, il était convenu entre les parties que la société Cathédrale s’engageait à verser une rémunération complémentaire au prestataire égale à 4 000 euros par mois du 1er septembre 2018 au 30 avril 2019, la société Sophos Hôtels renonçant à ses honoraires pour l’exercice 2017 et jusqu’au 31 août 2018.

Il était également prévu dans cet avenant que le contrat était prorogé jusqu’au 31 octobre 2027.

L’hôtel a ouvert le 26 août 2019.

La société Cathédrale a ensuite formulé à l’encontre de son cocontractant un certain nombre de griefs.

Elle a adressé à la société Sophos Hôtels le 30 novembre 2019 une lettre par laquelle elle s’est plainte d’erreurs commises par le prestataire (pas d’équipement de lève-lits électriques dans les chambres, omission de caves à vin dans le restaurant, insuffisance du budget technologies de l’information).

La société Sophos Hôtels a contesté les griefs reprochés par une réponse du 12 décembre 2019.

La société Cathédrale a adressé à cette dernière le 28 février 2020 une lettre de résiliation du contrat sans préavis ni indemnité.

La société Sophos Hôtels a contesté le 3 avril 2020 la rupture du contrat et les motifs allégués, a adressé par la voie de son conseil le 10 juin 2020, une lettre par laquelle elle réitérait sa volonté de contester la rupture abusive et brutale du contrat et a mis en demeure la société Cathédrale sous quinze jours de procéder au règlement de :

– la somme de 160 000 euros à titre de dommages et intérêts en application de l’article 7.4 du contrat de prestations de services,

– la somme de 9 846,96 euros au titre de factures d’honoraires impayées.

Aucun règlement amiable n’étant intervenu, la société Sophos Hôtels a assigné la société Cathédrale devant le tribunal de commerce de Reims aux fins de voir juger que la société Cathédrale n’a pas adressé de mise en demeure préalable à la résiliation du contrat, que les motifs de résiliation ne sont pas fondés et que le contrat doit être en conséquence résilié aux torts exclusifs de la société Cathédrale avec condamnation de cette dernière à lui payer la somme de 32 000 euros à titre de dommages et intérêts pour absence de mise en demeure et 160 000 euros à titre de dommages et intérêts conventionnels, outre le paiement des factures pour un montant de 9 846,96 euros et des frais irrépétibles.

Les demandes ont été contestées et la société Cathédrale a sollicité par demande reconventionnelle des dommages et intérêts contractuels à hauteur de 64 706,25 euros pour le préjudice causé par l’inexécution du contrat.

Par jugement rendu le 29 mars 2022, le tribunal a :

– dit que la société Cathédrale avait valablement mis en demeure la société Sophos d’exécuter les obligations résultant du contrat conclu le 21 octobre 2015,

– jugé suffisamment graves les inexécutions contractuelles commises par la société Sophos,

– jugé que la société Cathédrale avait valablement mis en oeuvre le processus de résiliation du contrat,

– débouté la société Sophos de l’intégralité de ses demandes,

– jugé que la société Cathédrale s’était acquittée des sommes dues au titre des factures d’honoraires des mois de janvier et février 2020 pendant la validité du contrat,

– jugé que la société Cathédrale n’était pas tenue des frais de déplacement ou factures d’honoraires exécutés en mars 2020 hors de la validité du contrat,

– condamné la société Sophos à verser à la société Cathédrale la somme de 4 565,76 euros à titre de réparation du préjudice subi au titre d’un passe-plat sous-dimensionné,

– rejeté les autres demandes de la société Cathédrale à l’encontre de la société Sophos,

– condamné la société Sophos à verser à la société Cathédrale la somme de 4 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

– rappelé que l’exécution provisoire était de droit,

– condamné la société Sophos aux dépens.

Par déclaration reçue le 15 avril 2022, la société Sophos Hôtels a formé appel de cette décision.

Les parties sont entrées en voie de médiation mais celle-ci n’a pas abouti.

Par conclusions notifiées le 23 décembre 2022, l’appelante demande à la cour de :

Vu les articles 1134 et 1184 du code civil (dans leur version antérieure au 1er octobre 2016),

Vu la Jurisprudence et les pièces versées aux débats ;

– DECLARER recevable et bien fondé la société SOPHOS son appel ;

– INFIRMER le jugement rendu le 29 mars 2022 par le tribunal de commerce de Reims, en ce qu’il a :

* Déclaré mal fondée la société SOPHOS en ses demandes,

* Dit et jugé que la société CATHEDRALE a valablement mis en demeure la société SOPHOS HOTELS d’exécuter les obligations qu’elle a contractées au titre du contrat conclu le 21 octobre 2015,

* Dit et jugé suffisamment graves les inexécutions contractuelles commises par la société SOPHOS HOTELS au titre du contrat conclu le 21 octobre 2015,

* Dit et jugé que la société CATHEDRALE a valablement mis en ‘uvre le processus de résiliation du contrat conclu le 21 octobre 2015 avec la société SOPHOS,

* Rejeté les demandes de la société SOPHOS visant à condamner la société CATHEDRALE,

* Dit et jugé que la société CATHEDRALE s’est acquittée des sommes dues au titre des factures d’honoraires des mois de janvier et février 2020 pendant la validité du contrat,

* Dit et jugé que la société CATHEDRALE n’est pas tenue par des frais de déplacements ou factures d’honoraires exécutés en mars 2020 hors de la validité du contrat,

* Condamné la société SOPHOS HOTELS à verser à la société CATHEDRALE la somme de 4.565,76 euros à titre de réparation d’un préjudice subi à propos d’un passe-plat sous-dimensionné,

* Condamné la société SOPHOS à verser à la société CATHEDRALE la somme de 4.000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

* Rejeté toutes autres demandes, fins et conclusions de la société SOPHOS,

* Rappelé que l’exécution provisoire est de droit,

* Condamné la société SOPHOS aux entiers dépens de l’instance.

Y FAISANT DROIT ET STATUANT A NOUVEAU :

– DIRE ET JUGER que la résiliation anticipée et unilatérale du contrat est intervenue de manière irrégulière et abusive ;

– DIRE ET JUGER que la société CATHEDRALE ne s’est pas acquittée des frais de déplacement engagés par la société SOPHOS HOTELS en mars 2020 ;

En conséquence,

– CONDAMNER la société CATHEDRALE à payer à la société SOPHOS HOTELS une somme de 160 000 euros au titre des dommages et intérêts conventionnels, outre intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 10 juin 2020 et ce, sous astreinte de 300 euros par jour de retard à compter d’un délai de 60 jours suivant la signification de la décision à intervenir ;

– CONDAMNER la société CATHEDRALE à payer à la société SOPHOS HOTELS une somme de 32 000 euros au titre des dommages et intérêts pour mauvaise foi, et notamment absence de mise en demeure et de préavis, outre intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 10 juin 2020 et ce, sous astreinte de 300 euros par jour de retard à compter d’un délai de 60 jours suivant la signification de la décision à intervenir ;

– ORDONNER la capitalisation des intérêts ;

– CONDAMNER la société CATHEDRALE à payer à la société SOPHOS HOTELS une somme de 269,60 euros, outre intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 10 juin 2020 ;

– ORDONNER la capitalisation des intérêts ;

– DEBOUTER la société CATHEDRALE de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions dirigées à l’encontre de la société SOPHOS HOTELS et des fins de son appel incident,

– CONDAMNER la société CATHEDRALE à payer à la société SOPHOS HOTELS une somme de 5 000 Euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

– CONDAMNER la même aux entiers dépens.

Par conclusions notifiées le 30 août 2023, la société CATHEDRALE, ayant formé appel incident, demande à la cour de :

Vu la jurisprudence citée,

Vu l’article 1139, 1146, 1147,1149 et 1151 du code civil issu de la loi promulguée le 17 février 1804,

Vu les articles 2, 9 et 1226 du code civil,

Vu l’article 700 du code de procédure civile,

Vu le contrat de prestations de services et de management hôtelier du 21 octobre 2015,

Vu les pièces produites à la présente procédure,

– confirmer le jugement du tribunal de commerce de Reims en ce qu’il a :

* DIT et JUGE que la société CATHEDRALE a valablement mis en demeure la société SOPHOS d’exécuter les obligations qu’elle a contractées au titre du contrat conclu le 21 octobre 2015,

* DIT et JUGE suffisamment graves les inexécutions contractuelles commises par la société SOPHOS au titre du contrat conclu le 21 octobre 2015 pour justifier de la résiliation dudit contrat sans préavis, ni indemnité,

* DIT et JUGE que la société CATHEDRALE a valablement mis en ‘uvre le processus de résiliation du contrat conclu le 21 octobre 2015 avec la société SOPHOS, notamment en réclamant une première fois l’exécution dudit contrat à la société SOPHOS,

* REJETE les demandes de la société SOPHOS visant à condamner la société CATHEDRALE,

* DIT et JUGE que la société CATHEDRALE s’est acquittée des sommes dues au titre des factures d’honoraires des mois de janvier et février 2020 pendant la validité du contrat,

* DIT et JUGE que la société CATHEDRALE n’est pas tenue par des frais de déplacements ou factures d’honoraires exécutés en mars 2020 hors de la validité du contrat,

* CONDAMNE la société SOPHOS à verser à la société CATHEDRALE la somme de 4 565,76 euros à titre de réparation d’un préjudice subi à propos d’un plat sous dimensionné,

A titre incident, infirmer le jugement du tribunal de commerce de Reims en ce qu’il a:

– REJETE les autres demandes de la société CATHEDRALE à l’encontre de la société SOPHOS,

– CONDAMNE la société SOPHOS à verser à la société CATHEDRALE la somme de 4 000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

Y faisant droit et statuant à nouveau :

– CONDAMNER la société SOPHOS à verser à la société CATHEDRALE la somme de 64 706,25 euros à titre de dommages et intérêts contractuels en raison de l’inexécution de la société SOPHOS du contrat conclu le 21 octobre 2015 et de son défaut d’accomplissement des obligations auxquelles elle était soumise au titre dudit contrat,

– CONDAMNER la société SOPHOS au paiement d’une somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile,

– CONDAMNER la société SOPHOS aux entiers dépens.

MOTIFS DE LA DECISION :

Sur les dispositions contractuelles relatives au formalisme à respecter en matière de résiliation anticipée :

Aux termes de l’article 1134 ancien du code civil applicable au litige, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.

Elles doivent être exécutées de bonne foi.

En l’espèce, le contrat de prestations de services et de management hôtelier signé le 21 octobre 2015 entre la société Cathédrale représentée par M. [T] et la société Sophos Hôtels représentée par M. [P], d’une durée de dix ans (prorogée jusqu’en 2027 par avenant) prévoit en son article 7.3, s’agissant des modalités de résiliation du contrat, qu’en cas de défaillance de l’une ou l’autre des parties dans l’exécution des obligations qui lui incombent en vertu du présent contrat, et si une demande d’exécution a été envoyée par courrier recommandé avec accusé de réception et est restée sans effet après 30 jours ou, s’il n’est pas possible de remédier à ladite défaillance dans un délai de 30 jours, pendant la période supplémentaire qui sera jugée raisonnable pour remédier à ladite défaillance, sous réserve que la partie défaillante ait pris des dispositions et continue de prendre des dispositions pour remédier à ladite défaillance, l’autre partie sera en droit, sans préjudice d’aucun autre droit ou recours dont elle pourrait disposer, de résilier le contrat sans autre avis ni indemnité, en adressant une notification écrite à l’autre partie par courrier recommandé avec accusé de réception.

Le contrat a été résilié unilatéralement et de manière anticipée par la société Cathédrale le 28 février 2020.

L’appelante soutient que son cocontractant n’a pas respecté les conditions attachées à la clause résolutoire conventionnelle prévues au contrat, aucune mise en demeure préalable ne lui ayant été adressée, le courrier du 30 novembre 2019 ne pouvant être considéré comme tel et qu’en tout état de cause, la demande d’exécution du contrat telles qu’elle est contenue dans ce courrier n’est pas restée sans effet.

Il est constant que la volonté contractuelle des parties fait loi et que celles-ci n’ont pas conditionné la résiliation anticipée du contrat à une mise en demeure mais seulement à une demande d’exécution du contrat, ce qui n’est formellement pas la même chose.

Le courrier adressé par la société Cathédrale à la société Sophos Hôtels le 30 novembre 2019 préalable à la résiliation est libellé comme suit (pièce n° 7 de l’appelante) :

“Il faut maintenant, au bout de trois mois d’exploitation, que nous puissions constater un effet concret et la valeur ajoutée de votre intervention car, sinon, et comme le prévoit d’ailleurs notre accord, nous devrons envisager la résiliation du contrat.

Nos réunions et les rencontres avec le Comité stratégique et le management de l’hôtel doivent aboutir à des améliorations tangibles sur la partie hébergement comme sur la partie restauration.

Nous souhaiterions ainsi, par exemple, en réponse au présent courrier, que vous nous indiquiez enfin quelles actions concrètes vous proposez et que celles-ci aillent au-delà des actions déjà envisagées ou mises en place par les équipes opérationnelles :

* pour améliorer la présence de la clientèle Business qui permet de remplir le début de semaine notamment et apporte une récurrence de fréquentation les mois difficiles ;

* pour faire en sorte d’améliorer la rationalisation des charges de personnel ;

* pour faire en sorte que la partie restauration puisse améliorer sa rentabilité et puisse encore progresser tout en affirmant encore davantage son concept ;

* pour améliorer l’organisation en place en apportant un regard critique et en suggérant des pistes d’économie et d’optimisation.’

Il ressort de cette correspondance que le formalisme imposé par le contrat, soit la demande d’exécution du contrat qui contient des requêtes précises pour améliorer certains secteurs d’activité de l’hôtel, a été respecté par la société Cathédrale, la question de savoir si la réponse qui a été apportée par la société Sophos Hôtels le 12 décembre 2019 à cette correspondance était satisfactoire ou non ressortant du fond du litige.

Par ailleurs, la résiliation du contrat est explicitement évoquée dans ce courrier comme une menace en cas d’inexécution de ses obligations par la société Sophos Hôtels.

Compte tenu de ces éléments, il y a lieu de considérer que le formalisme de la rupture anticipée du contrat a été respecté et que le courrier du 30 novembre 2019 comporte une interpellation suffisante de la société Sophos Hôtels quant à la survenance d’une résiliation avant son terme du contrat liant les parties.

Sur le bien fondé de la résiliation anticipée du contrat :

Le contrat conclu entre la société Cathédrale, dénommée “franchisé” et la société Sophos Hôtels dénommée “prestataire” prévoit la possibilité d’une résiliation unilatérale et anticipée en son article 7.3.

Les manquements reprochés doivent être suffisamment graves pour justifier la résiliation du contrat.

La charge de la preuve incombe à celui qui se prévaut des manquements.

En l’espèce, la lettre de résiliation du 28 février 2020 fait état de griefs qui renvoient à la demande d’exécution du 30 novembre 2019.

La société Cathédrale reproche à son cocontractant un défaut de conseil lors de la phase de conception de l’hôtel mais également lors de sa phase d’exploitation, griefs suffisamment graves pour justifier la résiliation unilatérale du contrat aux torts exclusifs de la société Sophos Hôtels.

L’établissement a ouvert au public le 26 août 2019 dans l’après-midi.

La phase de conception de l’hôtel :

Il est tout d’abord relevé que contrairement à ce que soutient la société Cathédrale, aucun reproche clair et formalisé n’a été adressé à son cocontractant dans les manquements à son obligation de conseil lors de cette phase avant la lettre du 30 novembre 2019, les échanges antérieurs entre les parties, empreints de cordialité, ne pouvant recevoir cette qualification, à l’exception d’un mail de M. [T] du 30 août 2019 (pièce n° 19 de l’appelante) mais qui ne comporte aucun grief précis qui serait imputé à la société Sophos Hôtels sinon des rapports qualifiés de très superficiels sans que ce point soit développé et surtout étayé par des éléments objectivisés.

La société Sophos Hôtels a répondu point par point aux reproches qui lui étaient faits dans une lettre du 12 décembre 2019 (sa pièce n° 8), soit la décision de ne pas équiper les chambres de lève-lits électriques, l’omission des caves à vin dans le restaurant et l’insuffisance du budget “technologies de l’information”) pour les griefs tenant à la phase de conception de l’hôtel.

S’agissant du premier point, aucun élément ne permet d’imputer à faute ce défaut d’équipement qui résulte d’une demande particulière non de la clientèle mais de la société de nettoyage des chambres, requête qui a été acceptée par la société Cathédrale et pour laquelle il est permis de considérer que l’article 2.1 du contrat rédigé comme suit : toutes les décisions liées à l’exploitation quotidienne seront prises uniquement par le représentant désigné dans l’hôtel assisté du prestataire donne compétence exclusive au directeur de l’hôtel, l’appelante faisant au surplus justement observer sans être contredite qu’il n’existe aucune disposition dans les standards Mariott qui oblige un hôtel à en disposer.

Ce grief ne peut donc être retenu.

S’agissant du second point, il ressort de la pièce n° 25 de l’appelante que la société Eurocave a transmis à M. [T] le 13 décembre 2018 un devis pour l’achat de caves à vin par mail du 13 décembre 2018, soit bien avant l’ouverture de l’hôtel, ce qui démontre que le nécessaire avait été fait en temps utile, l’ouverture de l’hôtel n’ayant été effective qu’en août 2019 soit plusieurs mois après.

Il n’est en tout état de cause pas démontré que l’omission initiale de cet équipement est de la responsabilité de la société Sophos Hôtels dans le cadre d’une obligation de conseil qui aurait été enfreinte.

Ce grief ne peut donc davantage être retenu.

S’agissant du troisième point, s’il apparaît qu’il y a effectivement eu des errements informatiques avant l’ouverture de l’hôtel que la société Sophos Hôtels reconnaît d’ailleurs implicitement en évoquant dans sa réponse du 12 décembre 2019 un sujet complexe chez Marriott, ainsi que des problèmes de téléphonie, le choix a été fait par M. [T] de faire appel à la société IPVIP et ce dès 2018, en écartant le devis proposé par Marriott.

Hormis le fait que le budget informatique a été manifestement sous-évalué par le prestataire à l’origine mais que ce manquement a par la suite été régularisé par l’appel à un autre prestataire en la matière, il n’est pas démontré un manquement d’une gravité telle qu’il justifierait à lui seul une résiliation anticipée du contrat aux torts exclusifs du prestataire.

Par ailleurs, la société Cathédrale s’est plainte a posteriori d’une absence du prestataire le jour de l’ouverture de l’hôtel le lundi 26 août 2019 mais un représentant de la société Sophos Hôtels était présent les lendemain et surlendemain, la position de celle-ci étant de considérer que les problèmes surviennent généralement le lendemain de l’ouverture; force est de constater que cette position a été validée par M. [T] lui-même par mail du 25 août 2019 (pièce n° 29 de l’appelante).

Enfin, s’agissant d’un point qui n’avait pas même été évoqué dans le courrier de demande d’exécution du 30 novembre 2019, il est constant et reconnu par la société Sophos Hôtels que le passe plat dans le restaurant était sous-dimensionné.

Pour autant, ce grief qui apparaît isolé et relativement mineur ne justifie pas une résiliation anticipée du contrat aux torts exclusifs du prestataire.

La phase d’exploitation de l’hôtel :

Les griefs sont relatifs à des manquements de la société Sophos Hôtels dans la politique marketing, d’une manière générale dans la gestion financière et commerciale et dans la recherche de pistes d’économie et d’optimisation de rentabilité de l’établissement.

Il est tout d’abord observé que la lettre du 30 novembre 2019 est envoyée trois mois seulement après l’ouverture de l’hôtel, temps insuffisamment long pour pouvoir tirer des conséquences fiables en terme de rentabilité de l’hôtel, le prestataire soutenant à juste titre que celle-ci ne peut s’apprécier de manière affinée qu’après une année d’activité et qu’en tout état de cause, en cette matière, il n’est soumis qu’à une obligation de moyen et non de résultat, d’autres paramètres que celui de l’intervention du prestataire entrant nécessairement en ligne de compte (la jurispruducence citée par l’intimée pour considérer que la société Sophos Hôtels était tenue d’une obligation de résultat n’est pas transposable au cas d’espèce puisqu’il concernait un contrat qui comportait des tâches précises présentant un caractère matériel à réaliser dans un délai convenu).

Ce constat avait d’ailleurs été rappelé dans un courrier de la société Sophos Hôtels adressé à la société Cathédrale le 25 octobre 2019.

Ensuite, il est établi par les pièces que la société Sophos Hôtels verse aux débats que des réunions, audits et visites ont eu lieu jusqu’au 21 février 2020, soit quelques jours avant la résiliation et que si des ajustements étaient encore nécessaires, ce qui peut se concevoir compte tenu de la date récente d’ouverture de l’établissement, un plan d’action avait été décidé dont il convenait d’attendre à tout le moins les résultats avant de mettre fin de manière anticipée à un contrat qui courait jusqu’en 2027 et ce d’autant qu’à plusieurs reprises, le prestataire avait dû rappeler à la société Cathédrale qu’elle devait lui remettre les rapports journaliers faisant remonter les informations afin qu’elle puisse y répondre.

L’audit réalisé le 6 février 2020 soit quelques jours avant la résiliation n’a d’ailleurs révélé aucun dysfonctionnement majeur.

La société Cathédrale ne peut au surplus reprocher à son cocontractant une absence de réunion en présentiel alors là encore que c’est elle-même qui a validé les réunions en visioconférence (pièce n° 31 de l’appelante).

Il en est de même du constat fait en terme de vacance de personnel due à des démissions et à des difficultés relationnelles dans les équipes dont ne peut être tenu pour responsable le prestataire.

Enfin, si la société Cathédrale soutient que la société Sophos Hôtels aurait diminué le montant de ses notes d’honoraires en raison de défaillances qu’elle aurait reconnues, elle n’apporte aucune preuve à cette allégation et il apparaît plutôt qu’elle lui a consenti un tarif préférentiel en raison des difficultés financières avérées de l’établissement.

Il ressort de l’ensemble de ces éléments que c’est de manière injustifiée que la société Cathédrale, qui échoue à rapporter la preuve de manquements suffisamment graves pour entraîner la résiliation avant son terme du contrat, a mis fin de manière unilatérale à celui-ci.

La décision sera infirmée de ce chef.

Sur les préjudices :

La résiliation unilatérale et injustifiée du contrat se fait aux risques et périls de celui qui en prend l’initiative.

* Les dommages et intérêts conventionnels :

Il est prévu dans l’article 7.4 du contrat qui fait la loi des parties la disposition suivante:

“Si le franchisé résilie le contrat avant la 8ème année d’exploitation de la durée, sans défaillance du prestataire, le franchisé devra payer au prestataire, dans un délai de 60 jours après la date de la résiliation, à titre de dommages et intérêts conventionnels, un montant équivalent à la somme des honoraires de base (HB) et de la prime d’incitation des 24 mois civils complets immédiatement précédents.

Si l’installation a été ouverte pendant moins de 24 mois, le montant correspondra alors à la moyenne mensuelle des honoraires de base (HB) et de la prime d’incitation depuis la date d’ouverture, multipliée par 24. Les indemnités de résiliation seront calculées à partir de la 9ème année d’exploitation comme la moyenne mensuelle des honoraires de base (HB) et de la prime d’incitation des 24 mois civils complets immédiatement précédents, multipliée par le nombre de mois restant jusqu’à l’expiration de la durée. Le franchisé paiera également tous les impôts et taxes dus au titre de ce paiement.

Les dommages et intérêts conventionnels sont destinés à indemniser le prestataire, qui ne pourra alors plus faire valoir aucune prétention au titre d’honoraires récurrents à venir en vertu du présent contrat”.

L’honoraire de base est prévu à l’article 5.2.

La facturation a commencé le 1er septembre 2019 et s’est achevée fin février 2020.

Sur la base des facturations opérées, il en ressort sur la période une moyenne mensuelle de 5 393,22 euros, soit des dommages et intérêts conventionnels de

129 437,28 euros (5 393,22 x 24).

Néanmoins, le contrat prévoit dans le même article que les honoraires annuels sont au minimum de 80 000 euros ht, soit pour deux années 160 000 euros ht.

Ce montant n’est pas contesté par la partie adverse même à titre subsidiaire.

La société Sophos Hôtels est par conséquent bien fondée à solliciter la somme de 160.000 euros au paiement de laquelle la société Cathédrale sera condamnée.

Cette somme produira intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 16 juin 2020, date à laquelle la débitrice en a accusé réception.

La capitalisation des intérêts, de droit, sera ordonnée.

En revanche, il n’apparaît pas nécessaire pour garantir l’exécution de cette décision, que soit prononcée une astreinte de sorte que la demande formée à ce titre sera rejetée.

* Les dommages et intérêts complémentaires :

La société Sophos Hôtels sollicite en sus des dommages et intérêts à hauteur de 32 000 euros pour mauvaise foi et notamment absence de mise en demeure et de préavis.

Il a été précédemment jugé que le formalisme contractuel avait été respecté.

Par ailleurs, il n’est pas démontré la mauvaise foi de la société Cathédrale dans la rupture du contrat qui résulte plutôt d’une appréciation erronée de l’exercice de ses droits dans ce cadre.

La demande sera par conséquent rejetée.

* La somme de 269,60 euros :

Suite à l’assignation en justice, la société Cathédrale a procédé au règlement des factures d’honoraires impayées.

Rest en litige une somme de 269,60 euros correspondant aux frais de déplacement d’un collaborateur de la société Sophos Hôtels (M. [M]) qui s’est déplacé à [Localité 4] le 2 mars 2020 comme il était convenu initialement.

Si la société Cathédrale n’a pas répondu au mail adressé le 29 février 2020 par lequel la société Sophos Hôtels lui demandait si le rendez-vous était maintenu, la prudence aurait voulu qu’informée de la résiliation du contrat, elle ne délègue pas une personne pour un déplacement entrant dans le cadre de l’exercice du contrat qui n’avait plus de raison d’être compte tenu de la résiliation qui était actée.

La société Sophos Hôtels sera par conséquent déboutée de sa demande à ce titre.

* La demande reconventionnelle de dommages et intérêts formée par la société Cathédrale à hauteur de 64 706,25 euros :

Ayant été déboutée de ses prétentions, l’intimée ne peut prétendre à l’indemnisation des préjudices allégués au titre de l’inexécution par la société Sophos Hôtels de ses obligations contractuelles.

En revanche, elle est légitime à solliciter le remboursement de la facture du 28 août 2019 des Ateliers de [Localité 4] pour un montant de 4 565,76 euros ttc qui correspond au changement du passe plat dans le restaurant dont la société Sophos Hôtels avait admis qu’il était sous-dimensionné.

La société Sophos Hôtels sera par conséquent condamnée à payer à la société Cathédrale la somme de 4 565,76 euros à ce titre.

L’article 700 du code de procédure civile :

La décision sera infirmée en ce qu’elle a condamné la société Sophos Hôtels à payer à la société Cathédrale la somme de 4 000 euros.

L’équité commande qu’il lui soit alloué la somme de 4 500 euros pour l’ensemble des frais irrépétibles qu’elle a dû engager pour faire reconnaître la légitimité de son droit.

Succombant pour l’essentiel en ses prétentions, la société Cathédrale ne peut être indemnisée à ce titre.

Les dépens :

La décision sera infirmée.

La société Cathédrale sera condamnée aux dépens de première instance et d’appel.

PAR CES MOTIFS :

Statuant publiquement et par arrêt contradictoire ;

Infirme le jugement rendu le 29 mars 2022 par le tribunal de commerce de Reims.

Statuant à nouveau ;

Dit que la résiliation anticipée et unilatérale du contrat opérée par la société Cathédrale est injustifiée.

En conséquence,

Condamne la société Cathédrale à payer à la société Sophos Hôtels la somme de 160.000 euros ht à titre de dommages et intérêts conventionnels avec intérêts au taux légal à compter du 16 juin 2020 et capitalisation des intérêts.

Déboute la société Sophos Hôtels de sa demande d’astreinte et de ses demandes complémentaires.

Condamne la société Sophos Hôtels à payer à la société Cathédrale la somme de 4.565,76 euros au titre du préjudice subi généré par le remplacement du passe plat sous-dimensionné.

Déboute la société Cathédrale de sa demande de dommages et intérêts pour le surplus.

Condamne la société Cathédrale à payer à la société Sophos Hôtels la somme de 4.500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Déboute la société Cathédrale de sa demande à ce titre.

Condamne la société Cathédrale aux dépens de première instance et d’appel.

Le greffier La présidente

 


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