Rupture anticipée : 22 novembre 2023 Cour d’appel de Rennes RG n° 20/06084

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Rupture anticipée : 22 novembre 2023 Cour d’appel de Rennes RG n° 20/06084
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5ème Chambre

ARRÊT N°-350

N° RG 20/06084 – N° Portalis DBVL-V-B7E-RE4Z

S.E.L.A.R.L. GRAND OUEST PROTECTION MANDATAIRE JUDICIAIRE (GOPMJ)

S.A.R.L. LA MAISON DOUCE (1)

C/

S.C.I. LOPEVI

Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l’égard de toutes les parties au recours

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 22 NOVEMBRE 2023

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

Président : Madame Pascale LE CHAMPION, Présidente,

Assesseur : Madame Caroline BRISSIAUD, Conseillère,

Assesseur : Madame Virginie HAUET, Conseiller,

GREFFIER :

Madame Catherine VILLENEUVE, lors des débats et lors du prononcé

DÉBATS :

A l’audience publique du 27 Septembre 2023

devant Madame Pascale LE CHAMPION et Madame Virginie HAUET, magistrats rapporteurs, tenant seules l’audience, sans opposition des représentants des parties et qui ont rendu compte au délibéré collégial

ARRÊT :

Contradictoire, prononcé publiquement le 22 Novembre 2023 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l’issue des débats

****

APPELANTES :

S.E.L.A.R.L. GRAND OUEST PROTECTION MANDATAIRE JUDICIAIRE (GOPMJ)

immatriculée au RCS de RENNES sous le n°823 657 598 prise en la personne de Maître [R] [I], nommée en qualité de mandataire judiciaire, (INTERVENANTE VOLONTAIRE par conclusions du 31 mars 2021)

[Adresse 5]

[Localité 3]

Représentée par Me Frédérick JOUBERT DES OUCHES de la SCP CABES, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de SAINT-BRIEUC

S.A.R.L. LA MAISON DOUCE (1) (1) immatriculée au RCS de VANNES sous le n°419 796 354 prise en la personne de son gérant domicilié en cette qualité audit siège.

– anciennement assistée par l’Administrateur Judiciaire -La SELARL AJASSOCIES S- : [Adresse 2]

[Adresse 8] ;

– assistée par la SELARL GRAND OUEST PROTECTION MANDATAIRE JUDICIAIRE (GOPMJ), : [Adresse 4] prise en la personne de Maître [R] [I], nommée en qualité de mandataire judiciaire

[Adresse 10]

[Localité 3]

Représentée par Me Frédérick JOUBERT DES OUCHES de la SCP CABES, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de SAINT-BRIEUC

INTIMÉE :

S.C.I. LOPEVI immatriculée au RCS de LORIENT sous le n°803 475 870 prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège.

[Adresse 1]

[Localité 6]

Représentée par Me Antoine FEREZOU, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de NANTES

Par acte authentique en date du 25 octobre 2016 reçu par Maître [G], notaire à [Localité 9], la SCI Lopevi a donné à bail commercial à la SARL la Maison Douce un bâtiment sis [Adresse 7], afin qu’elle y exploite un fonds de commerce de vente de matériel d’ameublement sous 1’enseigne Château d’Ax.

Le bail était conclu pour une durée de neuf années, moyenant un loyer annuel de 54 000 euros HT la première année, 57 000 euros HT la deuxième année, 58 000 euros HT la troisième année.

Le bail contenait par ailleurs une clause résolutoire de plein droit.

Se prévalant du non-paiement par la société la Maison Douce de ses loyers pour un montant en principal de 33 851,16 euros, ainsi que de l’arrêt de son activité en méconnaissance des dispositions du bail, la société Lopevi a fait délivrer un commandement de payer visant la clause résolutoire en date du 6 novembre 2018, et un commandement d’avoir à reprendre l’activité dans les lieux loués en date du 9 novembre 2018.

Par acte d’huissier du 5 décembre 2018, la société la Maison Douce a fait assigner la société Lopevi devant le tribunal judiciaire de Lorient.

Par décision du tribunal de commerce de Rennes en date du 19 juin 2019, la société la Maison Douce a été placée en redressement judiciaire. La société AJAssocíes a été désignée en qualité d’administrateur et la société GOPMJ, en qualité de mandataire judiciaire.

Par courrier du 24 juin 2019, l’administrateur judiciaire a notifié à la société Lopevi sa décision de procéder à la résiliation du bail commercial et à la restitution immédiate des clefs, restitution qui est intervenue le 28 juin 2019.

Par assignation en intervention forcée du 26 juin 2019, la société Lopevi a fait intervenir les organes de la procédure collective dans le cadre de l’instance. La jonction des procédures a été ordonnée.

Par jugement en date du 18 novembre 2020, le tribunal judiciaire de Lorient a :

– donné acte à Maître [M], administrateur judiciaire de la société la Maison Douce, de son intervention,

– débouté la société la Maison Douce de sa demande de résiliation du bail aux torts de la société Lopevi,

– constaté la résiliation de plein droit, par le jeu de la clause résolutoire, du bail en date du 25 octobre 2016 aux torts de la société la Maison Douce, à la date du 6 décembre 2018,

– débouté la société la Maison Douce de ses demandes de dommages-intérêts,

– déclaré recevable la demande de la société Lopevi tendant à la fixation de sa créance au passif de la procédure de la société la Maison Douce,

– fixé l’indemnité d’occupation due à compter du 7 décembre 2018 et jusqu’à la libération des locaux le 28 juin 2019 à la somme de 7 861,76 euros HT par mois, soit 9 434 euros TTC,

– fixé à la somme de 99 540,86 euros la créance de la société Lopevi au passif de la procédure de la société la Maison Douce, au titre des loyers, indemnités d’occupation et accessoires impayés,

– jugé que cette somme s’imputera prioritairement sur le dépôt de garantie qui restera acquis à la société Lopevi et qu’elle portera intérêts au taux légal à comptée du 6 novembre 2018,

– condamné la société GOPMJ ès-qualités de mandataire de la société la Maison Douce à verser la somme de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles exposés par la société Lopevi,

– condamné la société GOPMJ ès-qualités de mandataire de la société la Maison Douce aux dépens,

– ordonné l’exécution provisoire.

Le 10 décembre 2020, la société la Maison Douce a interjeté appel de cette décision.

Par ordonnance du 10 juin 2021, saisi d’un incident, le conseiller de la mise en état a dit que l’appel de la société la Maison Douce assistée par la Selarl AJA en la personne de Me [X] [M] en qualité d’administrateur judiciaire et la Selarl GOPMJ prise en la personne de Me [R] [I] en qualité de mandataire judiciaire est recevable et a condamné la SCI Lopevi à payer à la Maison Douce assistée par la Selarl GOPMJ prise en la personne de Me [R] [I] en qualité de mandataire judiciaire la somme de 800 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens de l’incident.

Par arrêt de déféré du 15 octobre 2021, la cour a confirmé l’ordonnance du conseiller de la mise en état.

Par dernières conclusions notifiées le 27 juin 2023, la société la Maison Douce et la SELARL GOPMJ, prise en la personne de Maître [R] [I] en qualité de mandataire judiciaire, demandent à la cour de :

À titre liminaire :

– prononcer que l’appel est recevable,

– prononcer que la déclaration d’appel a bien été régularisée du chef de la société la Maison Douce et des organes de Ia procédure, la Selarl AJAssociés, agissant par l’interrnédiaire de Maître [X] [M], ès- qualités d’administrateur judiciaire, et la société GOPMJ, agissant en Ia personne de Maître [R] [I], la formule ‘en présence de’ ne signifiant pas que la société GOPMJ n’était pas partie à la procédure,

– prononcer que la société la Maison Douce est dorénavant assistée de Maître [M], ès-qualités d’administrateur du redressement judiciaire de ladite société, et ce aux termes du jugement du tribunal de commerce de Rennes du 19 juin 2019, lequel reprend et confrme en tant que de besoin la procédure et les conclusions déjà notifiées,

À titre principal :

– réformer le jugernent rendu le 18 novembre 2020 du tribunal judiciaire de Lorient,

– dire et juger recevable et bien fondée la présente opposition aux commandements susvisés,

Y faisant droit ;

– débouter la société Lopevi de l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions contraires,

– prononcer que la société Lopevi a manqué à son obligation d’information en dissimulant à la société la Maison Douce l’augmentation inattendue et considérable de la taxe foncière,

– condamner la société Lopevi à payer à la société la Maison Douce le surplus de taxe foncière mensuel réglé par le locataire jusqu’au jour du jugement à intervenir (6 455,25 euros de taxe foncière réglée – 1 681 euros de taxe foncière indiquée, soit 4 774,25 euros par mois jusqu’à la date du jugement à intervenir),

– prononcer que la société Lopevi a commis un dol au préjudice de la société la Maison Douce,

– prononcer que son consentement a été vicié,

– prononcer que le bailleur a manqué à son obligation d’assurer au preneur la jouissance paisible des locaux loués,

– prononcer que la société la Maison Douce subit des troubles anormaux de

voisinage, multiples et divers,

– ordonner la résiliation judiciaire du bail commercial aux torts du bailleur, compte tenu des troubles anormaux de voisinage subis, du manquement du bailleur a son obligation d’assurer la jouissance paisible des locaux loués, ainsi que pour n’avoir pas communiqué au preneur le montant de la taxe foncière qui lui avait été adressée par les impôts, et du vice du consentement en raison du dol dont la société la Maison Douce a été victime,

– prononcer que la résiliation judiciaire prendra effet à la date de cessation

d’exploitation, soit au 30 septembre 2018,

– prononcer que la société la Maison Douce ne sera pas contrainte de reprendre l’activité compte tenu de l’état de santé de son seul et unique salarié,

– condamner la société Lopevi à régler à la société la Maison Douce la somme de 300 000 euros au titre des dommages et intérêts, en réparation de son préjudice, sur le fondement des articles 1231-1, 1230 et 1237 du code civil,

– prononcer que la SCI Lopevi ne produit pas sa déclaration de créance, et qu’elle est irrecevable en sa demande reconventionnelle tendant à voir fixer une certaine somme au passif du prétendu débiteur,

En tout état de cause :

– condamner la société Lopevi au paiement de la somme de 15 000 euros en

application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, au titre des frais irrépétibles de première instance et d’appel, ainsi qu’aux entiers dépens de première instance et d’appel.

Par dernières conclusions notifiées le 17 juillet 2023, la société Lopevi demande à la cour de :

– débouter la société la Maison Douce, appelante, et les organes de la procédure collective, ainsi que GOPMJ « intervenante volontaire », de l’intégralité de l’appel, de leurs demandes, fins et conclusions,

– dire et juger la société Lopevi recevable et bien fondée en ses demandes,

– en conséquence, confirmer l’intégralité du jugement du 18 novembre 2020 dont appel,

En tant que de besoin :

À titre principal :

– constater l’acquisition de la clause résolutoire du bail commercial à la date du 6 décembre 2018, un mois après commandement de payer demeuré infructueux,

– constater que le bail commercial est résilié de plein droit depuis le 6 décembre 2018,

– constater que les clés n’ont été restituées que le 28 juin 2019,

– constater que la société la Maison Douce a occupé les locaux du 7 décembre 2018 au 28 juin 2019, soit pendant 200 jours, sans droit ni titre;

À titre subsidiaire :

– ordonner la résiliation judiciaire pour fautes du bail commercial à la date de la décision à intervenir, aux torts exclusifs de la société la Maison Douce,

À titre infiniment subsidiaire :

– constater que le bail commercial est a minima résilié depuis le 28 juin 2019, date de restitution des locaux après la notification par l’administrateur judiciaire de sa décision du 24 juin 2019 de ne pas poursuivre le contrat de bail,

En toute hypothèse :

– constater que les locaux et clés ont été finalement restitués par l’administrateur judiciaire le 28 juin 2019,

– fixer, conformément aux stipulations contractuelles, l’indemnité d’occupation « sur la base du loyer global de la dernière année de location majoré de cinquante pour cent (50%)», soit, au jour des présentes 7 861,76 euros HT par mois, c’est à dire 9 434 euros TTC par mois,

– dire et juger que la société la Maison Douce est débitrice de cette indemnité d’occupation, prorata temporis rétroactivement depuis le 7 décembre 2018, date de résiliation du bail de plein droit et jusqu’au 28 juin 2019, date de libération des locaux et restitution des clés,

– fixer au passif, à titre principal, de la société la Maison Douce la créance de la société Lopevi à hauteur de la somme de 99 540,89 euros TTC au titre du reliquat de loyers et indemnités d’occupation impayé jusqu’au 28 juin 2019 si le contrat est résilié au 6 décembre 2018,

– juger que, conformément aux stipulations contractuelles, que :

* les sommes dues s’imputeront par priorité sur le dépôt de garantie, dont

le montant restera intégralement acquis à la société Lopevi, puis sur les dettes les plus anciennes,

* les sommes dues produiront intérêts au taux légal depuis la date du commandement du 6 novembre 2018,

– condamner la société la Maison Douce à lui payer la somme de 15 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et fixer cette somme au passif,

– condamner la société la Maison Douce aux entiers dépens et fixer cette somme au passif.

L’ordonnance de clôture est intervenue le 27 septembre 2023.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Il n’y a pas lieu de statuer sur la recevabilité de l’appel déjà tranchée par la cour de céans.

La société la Maison Douce a fait l’objet d’un jugement du tribunal de commerce de Rennes en date du 24 février 2021, désignant en qualité de commissaire à l’exécution du plan la Selarl AJASSOCIES agissant par l’intermédiaire de Maître [X] [M], administrateur judiciaire, et la Selarl GOPMJ en la personne de Maître [R] [I] en qualité de mandataire judiciaire. Ces derniers interviennent dès lors à la procédure ès-qualités.

– sur les manquements reprochés à la bailleresse

Les appelants font grief à la bailleresse d’avoir caché volontairement à la société la Maison Douce l’existence de l’avis de taxe foncière 2016, la privant d’une information essentielle avant la conclusion du bail. Elles soutiennent que si la preneuse avait reçu communication de ce document, elle n’aurait pas signé le bail et qu’ainsi son consentement a été vicié de sorte qu’il peut être reproché un dol à la société Lopevi, de sorte que le contrat est frappé de nullité.

Ils indiquent que le bailleur avait déclaré une somme de 1 681 euros hors-taxes de taxe foncière, que la somme réclamée à ce titre a été multipliée par 4,5. Ils rappellent que la SCI Lopevi a reçu l’original de l’avis de taxe foncière le 23 septembre 2016 et qu’elle ne l’a adressé à la société la Maison Douce que le 7 novembre 2017, soit 14 mois plus tard. Selon elles, la SCI Lopevi a manqué à son devoir précontractuel d’information.

Elles reprochent également à la bailleresse de ne pas avoir assuré la jouissance paisible au preneur, à défaut de rappeler à l’ordre la société Netto, voisine de la société preneuse et également locataire de la SCI Lopevi, en raison des troubles anormaux de voisinage causés à la société la Maison Douce, malgré les invitations orales de cette dernière.

Elles rappellent que la société Netto s’autorise à divers agissements devant la vitrine de la preneuse : ranger ses chariots, installer sa poubelle, installer un drapeau, laisser les clients jeter des déchets etc.. mais également installer une rampe d’accès ne permettant pas au preneur de jouir pleinement de sa façade, installer un encart publicitaire cachant son enseigne.

Elles soutiennent ainsi que la clientèle de la preneuse se trouve nécessairement dissuadée d’entrer dans son magasin en raison de toutes les nuisances et désagréments décrits, qu’il s’agit là de dommages graves et anormaux par rapport à ce qu’il est convenu d’appeler les obligations ordinaires de voisinage.

Elles indiquent que la résiliation du bail du fait de ces troubles anormaux du voisinage d’un autre locataire du bailleur, subis pendant deux années, et du manquement du bailleur à son obligation d’assurer la jouissance paisible des locaux loués est parfaitement justifiée.

La SCI Lopevi demande à la cour de confirmer le jugement qui rejette les prétentions du preneur.

Elle fait tout d’abord valoir que les allégations de la société la Maison Douce, selon laquelle la bailleresse aurait été informée de l’augmentation de la taxe foncière et se serait abstenue d’en aviser le preneur dans le cadre de la négociation du bail commercial ne sont étayées par aucun élément objectif. Il s’agit là, selon elle, d’accusations graves totalement contraires à la réalité du dossier ; elle indique n’être en rien responsable de cette augmentation, qu’il n’est pas démontré en quoi cette augmentation constituerait un préjudice indemnisable, et affirme qu’il n’y a aucune faute de sa part. Elle rappelle que la preneuse était parfaitement informée 20 jours avant la signature du bail de l’évolution de la hausse de la taxe foncière, étant ainsi, contrairement à ce qu’elle prétend avec mauvaise foi, au courant tant de cette augmentation que de son montant.

Elle conteste tout manquement de sa part à son obligation d’information et déclare que la société la Maison Douce, en signant le bail en connaissance de cause, a fait le choix d’assumer cette augmentation.

En ce qui concerne les prétendues fautes au titre de troubles de jouissance et troubles de voisinage, la bailleresse entend rappeler qu’au jour de la signature du bail commercial du 25 octobre 2016, la société Netto était déjà présente et installée dans le local voisin, de sorte que la société la Maison Douce a signé le bail en parfaite connaissance de l’existence de l’enseigne Netto à proximité. Elle souligne également que la société la Maison Douce procède par voie d’affirmation sans prouver la matérialité de la prétendue récurrence et des prétendues conséquences des reproches formulés. Elle soutient que ni la réalité des troubles invoqués ni que ces troubles seraient imputables à la société Netto ou à la bailleresse ne sont démontrés.

Elle observe que la preneuse n’a jamais formulé le moindre reproche directement à l’enseigne Netto qu’elle n’a pas jugé nécessaire d’assigner en justice.

Elle indique que, contrairement à ce qu’affirme la société la Maison Douce, il n’y a jamais eu des rappels à l’ordre faits au bailleur, mais une litanie de reproches aux fondements hétéroclites formulés pour la première fois par courrier du 24 juillet 2018, auquel le bailleur a immédiatement répondu.

Selon elle, la demande de résiliation pour faute du bail aux torts du bailleur n’est absolument pas fondée et il conviendra de rejeter celle-ci et de confirmer le jugement.

Les appelantes fondent leurs demandes sur les articles 1719, 1103, 1112-1, et 1231-1 du code civil.

Les griefs formulés à l’encontre du bailleur, selon les prétentions exposées dans le dispositif de leurs conclusions, tendent au prononcé de la résiliation du bail aux torts de la SCI Lopevi. La nullité du contrat de bail n’est pas demandée. Il est donc vainement invoqué l’existence d’un dol, vice du consentement, à défaut pour les appelantes d’en tirer les conséquences légales. C’est donc à raison que le tribunal a rappelé que la demande de résiliation du bail fondée sur ce moyen ne pouvait prospérer.

Selon l’article 1103 du code civil les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à celles qui les ont faits.

L’article 1112-1 du code civil a trait au devoir d’information précontractuel pesant sur chaque cocontractant.

Il était convenu, s’agissant des accessoires du loyer, que le preneur rembourse au bailleur les impôts fonciers afférents aux locaux loués au prorata de la surface occupée, outre toutes surprímes d’assurance résultant de l’activité exercée, ainsi que l’assurance incendie souscrite par le propriétaire au prorata de la surface occupée.

Il est justifié par les appelants que l’avis de taxe foncière 2016 a été reçu par la bailleresse le 23 septembre 2016.

Antérieurement à la conclusion du bail, les parties ont échangé ; il résulte notamment de courriels entre elles, datés des 4 et 5 octobre 2016 (pièce 30 des appelantes) les éléments suivants :

‘On passe d’une provision de 1 681 euros hors taxes/an à 6 455,25 euros hors-taxes/an, on est bien loin de ce qui a été négocié : cela est dû à la taxe foncière qui a énormément augmenté. Nous avons contacté le centre des impôts, qui nous ont expliqué que cette taxe foncière était sous-évaluée pour l’ensemble immobilier et qu’ils l’ont réajustée à la valeur du marché. Beaucoup de taxes foncières vont avoir cette même hausse cette année, liée aux déclarations remplies par les propriétaires il y a deux ans.’

Les appelants soutiennent donc vainement que la preneuse n’a été informée que par un courrier du 8 novembre 2017 du montant augmenté des taxes foncières alors qu’information lui a été donnée avant la conclusion du bail signé le 25 octobre 2016 et qu’elle a donc signé le contrat en toute connaissance de cause.

Aucun manquement de la bailleresse aux dispositions de l’article 1112-1 du code civil n’est caractérisé.

En application de l’article 1719 du code civil, le bailleur est tenu d’assurer au preneur la jouissance paisible des locaux loués.

Par courriel du 24 juillet 2018, la société la Maison Douce s’est plainte auprès du bailleur de ne pouvoir jouir dans des conditions normales des lieux loués ; elle faisait valoir les éléments suivants :

‘- Netto, qui est un nouveau locataire se trouvant à côté de notre établissement a fait installer à ses frais une rampe d’accès ce qui ne nous permet pas de jouir pleinement de notre façade, Netto s’étant quasiment accaparé la pleine jouissance sur ce côté.

– Il considère d’ailleurs avoir la propriété exclusive sur ce côté. À cet égard, il s’autorise à ranger ses chariots le long de notre vitrine au seul motif qu’il le faisait déjà avant notre arrivée refusant ainsi de changer ses habitudes.

– la clientèle laisse et abandonne des emballages et autres contenants et reliefs de repas sur notre parking devant notre vitrine attirant ainsi nombre de mouettes et autres volatiles.

– une partie de la clientèle de Netto gare ses cycles devant notre vitrine ou pire devant la porte d’entrée ou abandonne parfois des bouteilles vide sans qu’il soit possible de leur faire la moindre remarque.

– je signale la descente fréquente des forces de l’ordre dans l’établissement Netto.

L’ensemble de ces faits est un trouble de jouissance manifeste qui nous empêche de jouir normalement des lieux loués. Notre clientèle se trouve dissuadée nécessairement d’entrer dans le magasin en raison de toutes les nuisances et les désagréments signalés plus haut.

L’image de « Château Dax » s’en trouve également fortement ternie. Comme vous le savez, cette enseigne jouit d’une notoriété haute gamme qui n’est pas compatible avec le voisinage d’une supérette malheureusement source de tant de nuisances.’

Il est observé que la SCI Lopevi a adressé le 18 octobre 2018 une lettre recommandée avec accusé de réception à la société Netto pour lui faire part des reproches formulés par la société la Maison Douce et la mettant en demeure, en tant que de besoin et à supposer avérée tout ou partie de ces reproches, de prendre toutes mesures permettant d’y remédier sans délai.

Il ne peut donc être affirmé comme le fait la société la Maison Douce que la bailleresse a manqué de diligence sur ce point à l’égard de son locataire Netto.

La cour relève que les appelants ne justifient par aucune pièce avoir fait état auprès de la bailleresse entre le 25 octobre 2016, date du bail, et le 24 juillet 2018, date du courriel précité, soit pendant près de deux ans, de quelconques troubles de voisinage subis par la preneuse du fait de son voisin.

La société la Maison Douce ne démontre pas non plus avoir entrepris de quelconques démarches à l’égard de la société Netto.

S’agissant des reproches formulés, il est constant que la société Netto était déjà présente avant que la société la Maison Douce ne prenne à bail les locaux de la bailleresse. Il a donc été justement relevé par le tribunal que les griefs formulés à l’encontre du magasin Netto dont la clientèle entacherait l’image de marque de la société la Maison Douce, ne peuvent être utilement retenus, la preneuse ayant consenti au contrat en connaissant la présence de ce commerce situé à proximité des locaux donnés à bail.

La société la Maison Douce entend rapporter la preuve des différents troubles de jouissance subis en produisant différentes photographies, dont le tribunal a justement souligné qu’elles n’étaient pas datées, et ne permettaient donc pas de caractériser la fréquence des désagréments allégués, ni d’ailleurs, le relève la cour, l’impact sur sa propre activité. Comme les premiers juges, la cour considère ces photographies comme non probantes. En tout état de cause, à défaut de pouvoir précisément dater les éléments photographiés, il ne peut être affirmé que ceux-ci sont postérieurs à la mise en demeure adressée par la bailleresse à la société Netto.

Si, par courrier du 31 juillet 2018 à la société la Maison Douce, la SASU Adelia a sollicité de celle-ci la résiliation anticipée du contrat de sous-location partielle les liant, au motif de troubles causés à son exploitation en raison des agissements de la société Netto ou de sa clientèle de nature à lui nuire, aucun effet probant de cette missive ne peut être retenu. En effet, les appelants indiquent eux-mêmes que le rédacteur de cette lettre, Mme [K], gérante du SASU Adelia, n’est autre que l’épouse de M. [F] [W], gérant de la société la Maison Douce, de sorte qu’il peut être douté de la sincérité des griefs rapportés, dont il convient de rappeler qu’ils ne sont pas caractérisés par les pièces produites.

La cour approuve donc le tribunal en ce qu’il retient, par des motifs très pertinents, l’absence de manquement du bailleur à son obligation d’assurer la jouissance paisible des lieux loués à la société la Maison Douce.

A défaut de tout manquement démontré de la SCI Lopevi, la cour confirme en conséquence le jugement qui déboute la société la Maison Douce de sa demande de résiliation du bail aux torts de la société bailleresse.

– sur les demandes de dommages et intérêts formées par la société la Maison Douce.

La preneuse ne peut prétendre subir un préjudice résultant d’une augmentation du coût de la taxe foncière, contractuellement mis à sa charge, et donc être fondée à solliciter condamnation de la société Lopevi à lui payer une indemnité correspondant au surplus de taxe foncière mensuelle, résultant de l’augmentation, en raison d’un défaut d’information précontractuelle sur ce point, un tel manquement n’étant pas établi.

En l’absence de démonstration d’un quelconque manquement de la bailleresse à ses obligations, c’est à raison que le tribunal a estimé infondée la demande en réparation de troubles occasionnés par l’exploitation de la société Netto, au travers d’une demande de dommages et intérêts représentant une perte de marge commerciale et du fonds de commerce.

La cour confirme le jugement en ce qu’il déboute la société la Maison Douce de sa demande de dommages-intérêts.

– sur l’acquisition de la clause résolutoire

La SCI LOPEVI demande à la cour de confirmer le jugement en ce qu’il retient que la clause résolutoire de plein droit a produit son plein effet et juge que le bail était définitivement résilié depuis le 6 décembre 2018.

Les parties appelantes entendent contester le commandement d’avoir à reprendre l’activité dans les lieux loués délivré le 9 novembre 2018 au motif que compte tenu de l’état de santé du seul et unique salarié de la société la Maison Douce et de l’impossibilité d’exploiter, un tel commandement n’était pas fondé.

Le bail contient une clause résolutoire permettant au bailleur de faire constater la résiliation de plein droit du bail pour défaut de paiement des loyers et charges.

Un commandement de payer la somme de 34’119,61 euros a été délivré par acte du 6 novembre 2018, visant la clause contractuelle précitée. La société preneuse ne conteste pas l’absence de paiement des sommes commandées ni la régularité formelle de ce commandement, de sorte qu’à raison, et à défaut de tout manquement du bailleur susceptible de lui être opposé pour prétendre à une inexécution par le preneur de ses obligations, le tribunal a constaté la résiliation de plein droit du bail à la date du 6 décembre 2018.

Les contestations des appelants portant sur le commandement délivré le 9 novembre 2018 sont inopérantes et sans effet sur la résiliation ainsi acquise.

Il n’y a pas lieu de statuer sur la demande formulée à titre subsidiaire par l’intimée, tendant au prononcé d’une résiliation judiciaire du bail pour faute aux torts du preneur.

– sur le montant de l’indemnité d’occupation

La SCI Lopevi rappelle que le bail commercial prévoit que le preneur qui refuse d’évacuer les lieux après résiliation du bail sera tenu d’une indemnité d’occupation établie forfaitairement sur la base du loyer global de la dernière année de location majorée de 50 %. Elle considère que pour la période du 7 décembre 2018 au 28 juin 2019, l’indemnité d’occupation correspond à une somme de 52’985,95 euros hors taxes soit 63’583,14 euros TTC.

En réponse aux objections formulées relativement à un projet de protocole transactionnel, elle demande à la cour d’écarter celles-ci, au motif que ce projet confidentiel n’a jamais été accepté par la société la Maison Douce, laquelle a fait durer pendant des mois des négociations verbales avec la bailleresse sans jamais avoir l’intention de le signer. Elle estime ce projet caduc et donc dénué de toute efficacité.

En réponse, les appelants considèrent qu’une demande d’indemnité d’occupation n’est pas fondée dans la mesure où la résiliation du bail doit intervenir à la date de la décision de la cour.

Ils entendent rappeler également que, selon un avis de la Cour de cassation du 4 juillet 2017, les juges du fond disposent d’un pouvoir d’appréciation s’agissant de l’évaluation du montant d’une indemnité d’occupation et demandent à la cour de ramener la somme réclamée à de plus justes proportions.

Ils font valoir que le loyer s’élevait à la somme de 58’000 euros hors-taxes/an soit 4 833,33 euros hors taxes par mois, que l’indemnité d’occupation ne peut donc être fixée à un montant de 3 000 euros supérieur. Elles ajoutent que la demande d’indemnité d’occupation est d’autant moins justifiée que la société la Maison Douce était disposée à rendre les clés à la bailleresse après le 6 décembre 2018, les parties ayant cherché à négocier comme il en est rapporté la preuve par un projet de protocole produit aux débats. Elles soutiennent que la société Lopevi a retardé de manière dilatoire la remise des clés.

Les appelants ne sont pas fondés à voir écarter les dispositions contractuelles prévues sur ce point au motif que la résiliation du bail ne peut intervenir qu’à compter de la décision de la cour, alors que confirmation de la résiliation du bail au 6 décembre 2018 a été décidée.

La cour considère, comme les premiers juges, que la clause contractuelle portant le montant de l’indemnité d’occupation au loyer global de la dernière année majorée de 50 % ne présente aucun caractère manifestement excessif.

Les parties appelantes ne discutent pas la restitution des clés à la date du 28 juin 2019. Ces dernières sont mal fondées à soutenir que la bailleresse aurait volontairement tardé à signer un protocole d’accord entre les parties devant permettre une libération plus rapide des lieux. En effet de telles allégations ne sont justifiées par aucun élément et, en tout état de cause, pas par le projet de protocole d’accord transactionnel qu’elles versent aux débats, qui n’est signé justement que par la bailleresse et non par la société la Maison Douce.

S’agissant du montant de l’indemnité d’occupation, les dispositions contractuelles prévoient précisément :

‘Il (le preneur) serait en outre débiteur d’une indemnité d’occupation établie forfaitairement sur la base du loyer global de la dernière année de location majorée de 50 %.’

S’agissant de la clause relative au loyer, les parties ont convenu ce qui suit:

‘Le bail est consenti et accepté moyennant un loyer annuel de 54’000 euros hors taxes la première année, 57’000 euros hors taxes la seconde année, 58’800 euros à compter de la troisième année.

Ce loyer correspond à la valeur locative et s’entend hors droits taxes et charges

Accessoires : le preneur remboursera au bailleur sur présentation de factures

A. les impôts fonciers afférents locaux loués au prorata de la surface occupée

B. toute surprime d’assurance résultant de l’activité exercée

C. l’assurance incendie souscrite par le propriétaire en ladite qualité au prorata de la surface occupée.

Cette provision sera ajustée chaque année en fonction des dépenses effectuées l’année précédente et sur présentation d’avis.

Le loyer sera payable d’avance les premiers de chaque mois et pour la première fois le 5 novembre 2016.’

Le loyer de 2018 est onc de 58 800 euros HT. La taxe foncière 2018 est de 7 249,31 euros HT, l’assurance est de 1 140,68 euros HT La période d’occupation du 7 décembre 2018 au 28 juin 2019 correspond à 204 jours.

L ‘indemnité d’occupation mensuelle est donc de :

4 900 (58 800 :12) + ( 4 900 x 50%) = 7 350 euros HT, ce qui représente pour 204 jours : (7 350 x 12) / 365 x 204 = 49 295,34 euros, somme à laquelle s’ajoutent celles dues prorata temporis pour les accessoires.

La SCI Lopevi sollicite paiement d’une somme de 52’985,95 euros hors-taxes soit 63’583,14 euros TTC. Celle-ci sera admise par la cour au titre de sa créance relative à l’indemnité d’occupation.

– sur la créance de la SCI Lopevi et sa fixation au passif de la société la Maison Douce

La société Lopevi demande à la cour de confirmer le jugement en ce qu’il fixe au passif de la société la Maison Douce la somme de 99 540,89 euros représentant :

-34’989,23 euros au titre des loyers non payés à la date du 6 décembre 2018,

– 63’583,14 euros au titre de l’indemnité d’occupation,

– 968,49 euros au titre de cinq actes d’huissier.

Elle ajoute que contrairement à ce qui lui est opposé, les déclarations de créances ont été produites.

Les déclarations de créances figurent effectivement au dossier de l’intimée; le moyen pour prétendre à une irrecevabilité de ses prétentions, tiré d’une absence de déclarations de créance, est écarté.

Les appelants indiquent ne pas contester que les loyers non payés s’élèvent à la somme de 34’989,23 euros. Compte tenu de ce qui précède, le montant de l’indemnité d’occupation due à la bailleresse et de 63’583,14 euros. Les frais d’huissier engagés par celle-ci, tel que réclamé, sont justifiés.

Les premiers juges ont donc fixé à bon droit au passif de la société la Maison Douce la créance de la bailleresse d’un montant de 99’540,86 euros TTC. Le jugement est confirmé.

Sont encore approuvées les dispositions du jugement prévoyant qu’en application des stipulations du bail, les sommes dues s’imputeront sur le dépôt de garantie qui restera acquis à la SCI Lopevi et que la somme précitée portera intérêts au taux légal à compter du 6 novembre 2018.

– sur les frais irrépétibles

Les dispositions du jugement relatives aux frais irrépétibles et aux dépens sont confirmées.

Les parties appelantes succombant en leur appel doivent supporter les dépens qui seront fixés au passif de la société la Maison Douce. L’équité commande de faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile au profit de l’intimée à hauteur de 3 000 euros, somme qui sera également fixée au passif de la société la Maison Douce.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, contradictoirement et par mise à disposition au greffe,

Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions ;

Y ajoutant,

Fixe au passif de la société la Maison Douce une somme de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles exposés par la SCI Lopevi en cause d’appel ;

Dit que les dépens d’appel doivent être supportés par la société la Maison Douce et fixe ceux-ci au passif de cette dernière.

Le Greffier La Présidente

 


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