Rupture anticipée : 22 novembre 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 21/12671

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Rupture anticipée : 22 novembre 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 21/12671
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REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 5 – Chambre 4

ARRET DU 22 NOVEMBRE 2023

(n° 196 , 11 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : 21/12671 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CD77X

Décision déférée à la Cour : Jugement du 27 Mai 2021 – Tribunal de Commerce de Rennes RG n° 2020F00295

APPELANTE

S.A.R.L. TERRE INTERIM agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux en exercice, domiciliés en cette qualité audit siège

immatriculée au registre national des entreprises de Douai sous le numéro 751 721 234

[Adresse 1]

[Adresse 1]

représentée par Me Christophe PACHALIS de la SELARL RECAMIER AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : K148

assistée de Me Jean LECLERCQ de la SARL THERET & ASSOCIES, avocat au barreau de LILLE, toque : 0280

INTIMEES

S.A.R.L. AGRI DEVELOPPEMENT prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège

immatriculée au registre national des entreprises de Rennes sous le numéro 523 940 096

[Adresse 4]

[Adresse 4]

[Adresse 4]

S.A.S. AGRI INTERIM prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés

en cette qualité au siège

immatriculée au registre national des entreprises de Rennes sous le numéro 444 394 191

[Adresse 4]

[Adresse 4]

[Adresse 4]

représentée par Me Audrey HINOUX de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477

assistée de Me Guillaume CHAUVEL, avocat au barreau de RENNES, toque : 87

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 11 Octobre 2023, en audience publique, devant la Cour composée de :

Madame Marie-Laure Dallery, présidente de la chambre 5.4

Madame Sophie Depelley, conseillère

Monsieur Julien Richaud, conseiller

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l’audience par Monsieur dans les conditions prévues par l’article 804 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Madame Mianta Andrianasoloniary

ARRET :

– contradictoire

– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Madame Marie-Laure Dallery, présidente de la chambre 5.4 et par Monsieur Maxime Martinez, greffier auquel la minute du présent arrêt a été remise par le magistrat signataire.

FAITS ET PROCEDURE

La société Agri Intérim a pour activité la mise à disposition de salariés intérimaires dans le secteur agricole, paysagiste et de travaux publics.

La société Agri Développement, quant à elle, a pour activité la gestion d’un réseau de franchise exploitant le concept Agri Intérim sous l’enseigne du même nom.

Le 11 avril 2012, la société Agri Développement et M [B] [J] ont signé un contrat de franchise en vue de l’exploitation d’une agence d’intérim à [Localité 2], avec prise d’effet à compter du 18 avril 2012 pour une durée de cinq ans, tacitement renouvelable pour une période de deux ans. Ce contrat prévoyait notamment le paiement par le franchisé d’une redevance d’assistance égale à 1 % de son chiffre d’affaires annuel HT ou de 1,20 % en cas de services supplémentaires.

La société Terre Intérim, dont le gérant est M. [B] [J], a été immatriculée au registre du commerce et des sociétés le 25 mai 2012.

A trois reprises, les 28 janvier 2015, 22 juillet 2016 et 7 novembre 2016, M. [B] [J], agissant en qualité de gérant de la société Terre Intérim, a demandé à la société Agri Développement une baisse de son taux de redevance à 0,8 % ; il n’a pas obtenu satisfaction.

Par lettre du 26 décembre 2017, signifiée par huissier de justice le 28 décembre suivant, la société Terre Intérim a informé la société Agri Développement de sa décision de résilier le contrat arrivant à terme le 31 mai 2017, conformément aux stipulations de son article 24.

Dans sa lettre recommandée du 13 janvier 2017, avec avis de réception, la société Agri Développement lui a répondu :

– que par application de l’article 24 du contrat, toute dénonciation de celui-ci devait être signifiée au moins six mois avant l’arrivée du terme,

– qu’elle-même souhaitait la poursuite de leur partenariat,

– qu’elle lui proposait un contrat de licence de la marque Agri Intérim sur le même territoire géographique, une prise de participation au capital de la société Terre Intérim et la prise de contrôle de cette société à moyen terme, selon un calendrier lui agréant.

Les discussions ultérieures entre les parties n’ont pas abouti, et, par lettre recommandée du 19 mai 2017, avec avis de réception, la société Agri Développement a confirmé à la société Terre Intérim que leur relation contractuelle se poursuivait depuis le 18 avril 2017 et qu’en l’absence de dénonciation effectuée au plus tard le 16 novembre 2016, il était reconduit pour une durée de deux ans, pour prendre fin le cas échéant le 17 avril 2019.

Puis, par lettre recommandée du 31 juillet 2017, avec avis de réception, la société Agri Développement a notifié à la société Terre Intérim la résiliation anticipée du contrat, à effet immédiat, lui reprochant divers manquements à ses obligations et en particulier le non paiement de redevances pour la somme de 17.482,41 €.

C’est dans ce contexte que le 23 juillet 2018, la société Agri Développement a fait assigner la société Terre Intérim devant le tribunal de commerce de Rennes. La société Agri Intérim est intervenue volontairement à l’instance.

Par jugement du 27 mai 2021, le tribunal de commerce de Rennes a :

– jugé recevable l’assignation,

– condamné la société Terre Intérim à payer la somme de 8.110 €, à titre de provision, à la société Agri Développement,

– fait droit au sursis sur cette demande (en paiement de la redevance 2017) et condamné la société Terre Intérim à verser aux débats le chiffre d’affaires certifié par expert-comptable, pour la période allant du 1er janvier 2017 au 31 juillet 2017, outre les éléments comptables pour l’année 2017, le tout sous astreinte de 100 € par jour à compter de 15 jours de la signification du jugement,

– dit que l’affaire sera rappelée à l’audience du 16 septembre 2021 à 14 h,

– débouté la société Terre Intérim de sa demande de nullité du contrat de franchise signé en avril 2012 par M. [J] pour le compte de la société en création Terre Intérim,

– jugé que la rupture des relations n’est pas du fait de la société Agri Développement mais de la société Terre Intérim,

– condamné la société Terre Intérim à cesser toute utilisation des logos, visuels, appellations de nature à créer la confusion entre elle et les sociétés Agri Développement et Agri Intérim, et à leur restituer tous outils de communication : plaquettes, affiches, panneaux publicitaires, ce sous astreinte de 300 € par jour de retard à compter de la publication du jugement,

– condamné la société Terre Intérim à verser à la société Agri Développement la somme de 10.000 €, à titre de dommages-intérêts,

– débouté la société Terre Intérim de toutes ses demandes,

– débouté les sociétés Agri Développement et Agri Intérim du surplus de leurs demandes,

– condamné la société Terre Intérim aux entiers dépens de l’instance et à payer la somme de 5.000 € aux sociétés Agri Développement et Agri Intérim par application de l’article 700 du code de procédure civile,

– rappelé que l’exécution provisoire était de droit.

La société Terre Intérim a relevé appel de ce jugement par déclaration reçue au greffe du 5 juillet 2021.

Par ordonnance du 15 février 2022 du conseiller de la mise en état, l’affaire a été radiée, puis rétablie sur déféré par arrêt du 1er février 2023.

Entre temps, par jugement du 5 juillet 2022, le tribunal de commerce de Rennes a liquidé des astreintes prononcées dans sa décision et condamné la société Terre Intérim à verser à la société Agri Développement la somme de 206 700 € de ce chef. Il a renouvelé les condamnations sous astreinte, à hauteur de 1000 € par jour de retard concernant la production du chiffre d’affaires et 300 € par jour de retard en ce qui concerne la cessation d’utilisation des logos visuels ou adresses Internet de nature à créer la confusion et la restitution des panneaux publicitaires, plaquettes, équipements professionnels.

Aux termes de ses dernières conclusions déposées et notifiées le 7 septembre 2023, la société Terre Intérim demande à la cour, au visa des articles L 330-3 et R 330-1 du code de commerce, de l’article 1147 (ancien) du code civil, de l’article L 442-6-1 5° (ancien) du code de commerce ainsi que du principe de la liberté du commerce et de l’industrie :

Prononcer la recevabilité des conclusions notifiées par la SARL Terre Intérim,

Infirmer le jugement du Tribunal de commerce de Rennes prononcé le 27 mai 2021 en toutes ses dispositions en ce qu’il :

– Condamne la Société Terre Intérim à payer à la société Agri Développement la somme de 8110 € à titre de provision.

– Fait droit au sursis à statuer sur cette demande et condamne la Société Terre Intérim à verser aux débats le chiffre d’affaires certifié par expert-comptable pour la période allant du 1er janvier 2017 au 31 juillet 2017, outre les éléments comptables pour l’année 2017, le tout sous astreinte de 1000 € par jour à compter de 15 jours de la signification du présent jugement,

– Déboute la société Terre Intérim de sa demande de nullité du contrat de franchise signé en avril 2012 par monsieur [J] pour le compte de la société en création Terre Intérim.

– Juge que la rupture des relations n’est pas du fait de la société Agri Développement mais de la société Terre Intérim,

– Condamne la société Terre Intérim à cesser toute utilisation de logos, visuels, appellations de nature à créer la confusion entre elle et les sociétés Agri Développement et Agri Intérim et à leurs restituer tous outils de communication : plaquettes, affiches, panneaux publicitaires ce, sous astreinte de 300 € par jour de retard 15 jours à compter de la publication du présent jugement,

– Condamne la société Terre Intérim à verser à la société Agri Développement la somme de 10.000 € au titre des dommages et intérêts,

– Déboute la société Terre Intérim de toutes ses demandes principales, subsidiaires, infiniment subsidiaires et reconventionnelles,

– Condamne la société Terre Intérim à verser aux sociétés Agri Développement et Agri Intérim la somme de 5.000 € en application des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile,

– Condamne la société Terre Intérim aux entiers dépens de l’instance.

Statuant à nouveau, à titre principal :

Constater l’exception de nullité et l’inopposabilité du contrat du 11 avril 2012 à la sarl Terre Intérim, immatriculée postérieurement le 25 mai 2012,

En conséquence,

Prononcer la nullité du contrat du 11 avril 2012,

Juger que le contrat non écrit ne peut être qualifié de contrat de franchise et qu’il ne peut y avoir lieu au règlement de droits d’entrée,

Condamner la sarl Agri Développement à rembourser à rembourser à la sarl Terre Intérim la somme de 55.000 € réglée au titre des droits d’entrée, avec intérêts au taux légal à compter du 1er juin 2012 sur la somme de 25.000 € et à compter du 22 novembre 2012 sur la somme de 30.000 €,

A titre subsidiaire :

Constater le défaut de communication du document d’information précontractuelle ainsi que la perte de chance de la société Terre Intérim de ne pas contracter avec la société Agri Développement,

Constater qu’elle n’a jamais contracté avec la société Agri Intérim,

En conséquence,

Condamner la société Agri Développement à payer la somme de 55.000 € à la société Terre Intérim pour perte de chance,

Si la cour devait juger la rupture contractuelle du 31 juillet 2017 à l’initiative de la société Agri Développement,

Condamner cette dernière à payer à la société Terre Intérim la somme de 183.908 € pour rupture brutale des relations commerciales établies,

Prononcer la compensation avec la somme de 8.195 € qui resterait due pour les mois de juin et juillet 2017,

En tout état de cause :

Acter le règlement par la société Terre Intérim de la somme de 14.910 € au titre des sommes dues pour les mois de janvier à mai inclus de l’année 2017,

Débouter les sociétés Agri Développement et Agri Intérim de leurs prétentions,

Les condamner solidairement à lui payer la somme de 12.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

Les condamner solidairement aux entiers dépens de première instance et d’appel, dont distraction dans les conditions de l’article 699 du code de procédure civile.

Aux termes de ses dernières conclusions déposées et notifiées le 15 mai 2023, la société Agri Développement et la société Agri Intérim demandent à la cour, au visa des articles 328 et suivants du code de procédure civile, 1231 et suivants du code civil, 1240 et suivants du code civil, de :

A titre principal,

– confirmer le jugement en toutes ses dispositions, sauf celles déclarant l’assignation recevable et rappelant que l’exécution provisoire était de droit,

– renvoyer l’affaire à telle date qu’il plaira à la cour pour statuer sur la demande de redevance au titre de l’année 2017,

– rejeter l’intégralité des demandes plus amples et contraires formulées par la société Terre Intérim,

A titre subsidiaire, pour le cas où le contrat de franchise ne serait pas opposable à la société Terre Intérim, surseoir à statuer afin de mise en cause de M. [B] [J] à titre personnel,

En tout état de cause, condamner la société Terre Intérim aux entiers dépens et à payer la somme de 10.000 € à la société Agri Développement au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 12 septembre 2023.

MOTIVATION

1°/ Sur les demandes de la société Terre Interim de nullité du contrat de franchise du 11 avril 2012 et de remboursement de la somme de 55 000 € au titre du droit d’entrée

La société Terre Intérim soulève la nullité d’un contrat produit par les intimées, portant la même date du 11 avril 2012 et dont l’entête mentionne la société Terre Intérim en qualité de franchisé. Elle allègue que cet exemplaire du contrat, signé sans en-tête, a été complété postérieurement par M. [N] [E], père des gérants de la société Agri Développement, qui dirige en fait cette société. Elle souligne que la société Terre Intérim n’a été immatriculée au registre du commerce et des sociétés que le 25 mai 2012. Elle en déduit que ce contrat conclu avec une société dépourvue de personnalité juridique est nul. Elle prétend que les relations contractuelles postérieures entre les parties, relevées par le tribunal, ne peuvent en aucun cas être qualifiées de contrat de franchise, mais doivent être requalifiées en simple contrat non écrit de partenariat avec concession de licence de marque, selon des conditions postérieures non expressément formalisées et acceptées par la société Terre Interim. Elle réclame en conséquence le remboursement de la somme de 55 000 € acquittée au titre du droit d’entrée.

Les sociétés Agri Développement et Agri Intérim concluent à l’absence de nullité de ce contrat en faisant valoir :

– qu’à aucun moment M. [B] [J], dirigeant de la société Terre Intérim, n’a contesté l’existence du contrat avec sa société et a fortiori la relation contractuelle de sa société avec la société Agri Développement,

– que ce n’est que par conclusions de décembre 2020, soit 8 ans et demi après la signature de la franchise et 2 ans et demi après l’introduction de la procédure que la société Terre Intérim s’est avisée d’invoquer la nullité du contrat de franchise,

– que la circonstance que la société Terre Intérim, son siège social et son capital ont été portés de façon manuscrite par M. [N] [E] est indifférente, M. [B] [J] ayant paraphé chaque page, daté et signé le contrat,

– que M. [B] [J] s’est comporté en mandataire apparent de la société Terre Intérim et l’a engagée à ce titre,

– qu’il a pu recevoir un mandat, donné dans les statuts de la société qui ne sont pas produits, et qu’une reprise de l’engagement a pu être faite ultérieurement.

Sur ce,

L’article L 210-6 du code de commerce dispose que “Les sociétés commerciales jouissent de la personnalité morale à dater de leur immatriculation au registre du commerce et des sociétés”.

La société Terre Intérim n’ayant été immatriculée au registre du commerce et des sociétés que le 25 mai 2012, le contrat daté du 11 avril 2012, qui porte en son en-tête la mention de cette société en qualité de franchisé, est nul comme conclu avec une société dépourvue de personnalité juridique.

Il demeure que le contrat du 11 avril 2012 mentionnant M. [B] [J] en qualité de franchisé est lui parfaitement valable et il y a lieu d’examiner les conditions dans lesquelles il a été exécuté.

Les pièces versées aux débats montrent :

– que les droits d’entrée ont été payés par la société Terre Intérim, à raison de 25.000 € le 1er juin 2012 et de 30.000 € le 22 novembre 2012 ainsi qu’il résulte du tableau d’amortissement produit par la société Terre Intérim en pièce 5,

– que c’est au nom et pour le compte de la société Terre Intérim que M. [B] [J] a signé le 10 mai 2012 un contrat de bail de courte durée sur des bureaux situés à [Localité 2],

– que c’est la société Terre Intérim qui, le 15 juin 2012, a souscrit la convention de garantie relative aux entreprises de travail temporaire,

– que c’est en sa qualité de gérant de la société Terre Intérim que M. [B] [J] a écrit à la société Agri Développement le 28 janvier 2015, puis les 22 juillet et 7 novembre 2016 pour lui demander une révision à la baisse de la redevance de franchise,

– que c’est la société Terre Intérim qui a informé la société Agri Développement, par lettre du 26 décembre 2016, signifiée par huissier de justice le 28 décembre 2016, qu’elle procédait à la résiliation du contrat de franchise conformément aux stipulations de son article 24

Il résulte de l’ensemble de ces éléments que c’est la société Terre Intérim qui a volontairement exécuté le contrat de franchise et qui en a accepté toutes les stipulations.

Dans le corps de ses conclusions, sous sa rubrique III.B.4, la société Terre Intérim invoque divers manquements de la société Agri Développement, notamment un défaut d’assistance lors de l’ouverture de son agence, des carences dans l’animation commerciale, l’absence de communication sur la croissance de Terre Intérim entre 2012-2015, le fait que Agri Développement lui a imposé un contrat de maintenance informatique, le prestataire choisi par elle se révélant défaillant. La société Terre Intérim souligne que ces manquements ont entraîné le départ de la quasi intégralité des franchisés et que le contrat ne peut être qualifié de franchise, les éléments constitutifs en étant manifestement absents.

Aussi les griefs formulés par la société Terre Intérim, contestés par la société Agri Développement, s’analysent en des reproches d’un franchisé à son franchiseur pour mauvaise exécution de ses obligations.

La relation nouée entre la société Terre Intérim au plus tard à compter de son début d’activité le 1er juin 2012 et la société Agri Développement s’analyse bien en des relations de franchisé à franchiseur. La société Terre Intérim est donc mal fondée à obtenir remboursement des droits d’entrée d’un montant total de 55.000 € et le jugement sera confirmé sur ce point.

2° Sur la demande de la société Terre Intérim en paiement de la somme de 55.000 € pour perte de chance

La société Terre Intérim expose que la société Agri Développement ne justifie pas lui avoir adressé le document d’information précontractuel 20 jours au moins avant le 11 avril 2012. Elle fait valoir que ce document constitue une information essentielle et déterminante de son engagement et que son absence lui a fait perdre une chance de ne pas contracter.

La société Agri Développement réplique qu’aucun préjudice n’est démontré.

Sur ce,

Il apparaît que la société Terre Intérim, dans sa lettre du 28 Janvier 2015 demandant une diminution de sa redevance à 0,8 %, se félicitait des bonnes relations entretenues avec son franchiseur et précisait avoir réalisé “un très bon exercice 2014”. Par attestation du 5 juillet 2021, son expert-comptable indique un chiffre d’affaires HT de 1.362.978 € pour la période du 1er janvier 2017 au 31 mai 2017.

En cet état, la preuve n’est aucunement rapportée que l’absence de remise du document d’information précontractuelle aurait causé préjudice à la société Terre Intérim en lui faisant perdre une chance de ne pas contracter. Sa demande de dommages-intérêts d’un montant de 55.000 € sera donc rejetée et le jugement confirmé sur ce point.

3°/ Sur la demande de la société Terre Intérim en paiement de la somme de 183.908 € pour rupture brutale des relations commerciales établies

La société Terre Intérim prétend que la rupture des relations, à l’initiative de la société Agri Développement les 31 juillet 2017, est intervenue de façon brutale et sans préavis. Elle réclame sur le fondement de l’article L. 442-6 du code de commerce une indemnisation à hauteur de cinq mois au titre du préavis non respecté sur la base de sa marge brute pendant 5 mois.

La société Agri Développement réplique que la société Terre Interim se plaint d’une rupture notifiée le 31 juillet 2017, alors que celle-ci souhaitait elle-même une rupture anticipée au 1er juin 2017 et ne peut dans ces conditions se prévaloir d’un préjudice. La société Agri Développement ajoute que cette rupture pouvait parfaitement être engagée en application de l’article 21 du contrat prévoyant une rupture anticipée du contrat en cas de non paiement des redevances à leur échéance.

Sur ce,

L’article L. 442-6, I, 5° du code de commerce dans sa version antérieure à l’ordonnance n°2019-359 du 24 avril 2019 dispose qu’engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels.

D’une part, la société Terre Interim n’explicite pas en quoi la relation qui la lie à la société Agri Développement en sa qualité de franchiseur est une relation commerciale établie au sens des dispositions précitées ni ne démontre de lien entre un préjudice de perte de marge sur son activité de mise à disposition provisoire de salariés spécialisés dans le métier de l’agriculture et la rupture brutale alléguée de sa relation avec son franchiseur.

D’autre part, il ressort des pièces du débat et notamment des courriers de la société Terre Interim des 26 décembre 2016, 26 janvier 2017 et 21 juin 2017 que celle-ci a notifié son intention de quitter le réseau agri développement. Par ailleurs, il est établi qu’à la date du 31 juillet 2017, la société Terre Interim restait redevable des sommes de 16 168,65 €TTC au titre des redevances 2016 et de 1313, 10 € TTC au titre des redevances 2015. Aussi, la rupture des relations est imputable à la société Terre Interim.

En conséquence, le jugement sera confirmé en ce qu’il a débouté la société Terre Interim de sa demande au titre d’une rupture brutale des relations commerciales.

4° Sur la demande de la société Agri Développement en paiement de la somme de 10.000 € à titre de dommages-intérêts :

La société Agri Développement fait grief à la société Terre Intérim d’entretenir la confusion entre elle et la marque Agri Intérim ; plus précisément, elle lui reproche :

– d’utiliser les mêmes couleurs verte, marron et blanche que celles du logo Agri Intérim,

– d’avoir indiqué dans un article paru sur internet que Agri Intérim changeait de nom pour devenir Terre Intérim et dans une proposition commerciale qu’elle n’était plus Agri Intérim mais maintenant Terre Intérim,

– d’avoir continué, alors qu’elle n’était plus franchisée à se servir sur les sites internet de l’image du franchiseur (sur sa page Facebook, sur son site internet pagesjaunes.fr, sur le site kompass.com),

– de ne toujours pas avoir régularisé la situation.

La société Terre Intérim conteste avoir entretenu un risque de confusion avec la marque Agri Developpement.

Sur ce,

Des pièces versées aux débats par la société Terre Interim (pièces 38 à 42, 73), la Cour constate que :

– La société Terre Interim n’a jamais indiqué qu’Agri Intérim s’était “transformée” en Terre Intérim, mais seulement précisé qu’elle cessait de communiquer avec le sigle Agri Intérim et ne communiquait plus que sous le sigle Terre Intérim ;

– Le 1er juin 2017, le service clients du site pagesjaunes.fr lui a confirmé la prise en compte des modifications demandées sur ses contenus informatifs, ajoutant que ces modifications seraient effectives entre 48 et 72 h dans ses media ;

– Dès le 21 juin 2017, la société Terre Interim avait demandé à la société Agri Développement de ne plus la faire apparaître sur son site internet ;

– Suite à la suppression du compte [email protected], la société Terre Intérim a demandé à Facebook la suppression du compte Agri-intérim [Localité 3] sur lequel elle apparaissait; elle a réitéré sa demande le 21 janvier 2022 en précisant qu’il s’agissait de son ancienne page facebook à laquelle elle n’avait plus accès; ses démarches n’ont pas abouti et elle en a conclu que cette page était gérée par son ancienne adresse mail contacts59@agri-intérim.fr à laquelle elle n’avait plus accès.

Il n’est pas contesté que l’intégralité des adresses de courrier électronique avec le nom de domaine agri-intérim.fr sont pilotées par la société Agri Développement ; la société Terre Intérim n’y ayant plus accès depuis la résiliation du contrat, il ne peut valablement lui être reproché de toujours y figurer.

Par ailleurs, le 7 mars 2018, la société Terre Intérim a déposé sa propre marque dont le graphisme est totalement différent de celui de Agri Intérim, étant observé que les couleurs verte et marron sont naturellement et couramment utilisées comme associées à l’agriculture et à la nature.

Enfin, la société Agri Développement ne démontre en aucune façon avoir remis à la société Terre Intérim des outils de communication tels que panneaux publicitaires, plaquettes ou affiches ; sa demande de restitution sera donc rejetée.

La société Agri Développement, qui ne justifie pas d’un comportement fautif de la société Terre Intérim et encore moins d’un préjudice qui en serait résulté, doit être déboutée de sa demande de dommages-intérêts et de sa demande d’injonction de cesser toute utilisation de logos, visuels, appellations de nature à créer la confusion entre elle et les sociétés Agri Intérim et Agri Développement et de restitution des outils de communication.

Le jugement sera infirmé de ces chefs de demandes.

5° Sur les demandes de la société Agri Développement au titre des redevances 2017

Dans le dernier état de leurs demandes devant le tribunal, les sociétés Agri Développement et Agri Interim ont sollicité le sursis à statuer sur leur demande de rappel de redevances sur l’année 2017, de condamner la société Terre Interim à verser aux débats sous astreinte de 1000€ le chiffre d’affaires HT certifié par expert-comptable sans déduction des impayés pour la période du 1er janvier 2017 au 31 juillet 2017, outre le paiement d’une provision de 8110 €.

Le tribunal a fait droit à ces demandes en ces termes :

– condamné la société Terre Intérim à payer la somme de 8.110 €, à titre de provision, à la société Agri Développement,

– fait droit au sursis sur cette demande et condamné la société Terre Intérim à verser aux débats le chiffre d’affaires certifié par expert-comptable, pour la période allant du 1er janvier 2017 au 31 juillet 2017, outre les éléments comptables pour l’année 2017, le tout sous astreinte de 1000 € par jour à compter de 15 jours de la signification du jugement,

Les sociétés Agri Développement et Agri Interim demandent à hauteur d’appel la confirmation du jugement.

La société Terre Interim demande l’infirmation du jugement et fait valoir qu’elle a procédé au versement de la somme de 14 910 € au titre des redevances des mois de janvier à mai 2017 inclus, et qu’elle resterait redevable de la somme de 8 195 € pour les redevances des mois de juin et juillet 2017. Elle prétend avoir versé aux débats les pièces nécessaires pour établir son chiffre d’affaires sur la période du 1er janvier au 31 juillet 2017.

Sur ce,

La société Terre Interim verse aux débats (pièces n° 31, 61, 62/1, 62/2 et 62/3) les pièces suivantes :

– une attestation de l’expert comptable de la société Terre Interim du 5 juillet 2021 faisant état du chiffre d’affaires hors taxes de la période du 1er janvier 2017 au 31 mai 2017, dont le montant des indemnités de déplacements

– une attestation de l’expert comptable de la société Terre Interim du 4 mars 2021 faisant état du chiffre d’affaires hors taxes de la période du 1er juin 2017 au 31 juillet 2017, dont le montant des indemnités de déplacements,

– une attestation de l’expert comptable de la société Terre Interim du 2 juillet 2021 faisant état du chiffre d’affaires hors taxes de la période du 1er juillet 2017 au 31juillet 2017, dont le montant des indemnités de déplacements,

– des états des marges sur la période du 1er janvier au 31 juillet 2017

Les sociétés intimées n’exposent pas clairement en quoi ces pièces ne lui permettent pas d’établir le montant définitif des redevances dues sur la période du 1er janvier 2017 au 31 juillet 2017.

Par ailleurs, la société Terre Interim justifie avoir procédé au titre des redevances 2017 aux règlements suivants, non contestés par les sociétés intimées :

– la somme de 7026 € le 21 juin 2017 pour le premier trimestre 2017

– la somme de 7 884 € le 22 septembre 2017 pour les mois d’avril et mai 2017

et la société Terre Interim reconnaît dans ses écritures (page 25) devoir encore la somme de 8195 € pour les mois de juin et juillet 2017.

Au regard de l’ensemble de ces éléments, les sociétés Agri Developpement et Agri Interim ne démontrent pas en quoi les pièces versées aux débats à hauteur d’appel ne lui permettent pas d’établir le montant définitif des redevances dues pour l’année 2017 par la société Terre Interim. Dans ces conditions, les sociétés Agri Developpement et Agri Interim seront déboutées de leurs demandes de sursis à statuer, d’injonction de produire des éléments complémentaires de chiffre d’affaires pour l’année 2017 et une demande de provision. Le jugement sera infirmé de ces chefs de demandes.

6°/ Sur les dépens et l’application de l’article 700 du code de procédure civile :

Le jugement sera confirmé en ce qu’il a condamné la société Terre Interim aux dépens de première instance et à payer la somme de 5000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

En appel, les parties succombant partiellement en leurs prétentions, supporteront chacune la charge de leurs dépens ;

L’équité commande de ne pas faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile en appel, et les parties seront déboutées de leur demande à ce titre.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Infirme le jugement en ce qu’il a :

– condamné la société Terre Interim à payer à la société Agri Developpement la somme de 8110 euros à titre de provision,

– fait droit au sursis à statuer sur cette demande et condamné la société Terre Interim à verser aux débats le chiffre d’affaires certifié par expert-comptable pour la période allant du 1er janvier 2017 au 31 juillet 2017, outre les éléments comptables pour l’année 2017, le tout sous astreinte de 1000 € par jour à compter de 15 jours de la signification du présent jugement,

– condamné la société Terre Intérim à cesser toute utilisation des logos, visuels et appellations de nature à créer une confusion entre elle et les sociétés Agri Développement et Agri Intérim et à leur restituer tous outils de communication : plaquettes, affiches, panneaux publicitaires, ce sous astreinte de 300 € par jour de retard à compter de la publication du jugement,

– condamné la société Terre Intérim à verser à la société Agri Développement la somme de 10.000 €, à titre de dommages-intérêts,

Confirme le jugement en toutes ses autres dispositions,

Statuant de nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

Déboute la société Agri Développement de sa demande de dommages-intérêts ;

Déboute les sociétés Agri Développement et Agri Interim de leurs demandes d’injonction à la société Terre Interim sous astreinte à cesser toute utilisation des logos, visuels et appellations de nature à créer une confusion entre elle et les sociétés Agri Développement et Agri Intérim et à leur restituer tous outils de communication : plaquettes, affiches, panneaux publicitaires ;

Déboute les sociétés Agri Developpement et Agri Interim de leurs demandes de condamnation de la société Terre Interim à leur payer une provision sur redevance et de leur produire sous astreinte des éléments comptables complémentaires de ceux produits en appel sur son chiffe d’affaires réalisé sur l’exercice 2017 ;

Y ajoutant,

Laisse à chacune des parties la charge de ses dépens ;

Déboute les parties de leur demande sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

Rejette toute autre demande.

LE GREFFIER LA PRESIDENTE

 


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