Rupture anticipée : 2 novembre 2023 Cour d’appel d’Aix-en-Provence RG n° 19/08907

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Rupture anticipée : 2 novembre 2023 Cour d’appel d’Aix-en-Provence RG n° 19/08907
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COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE

Chambre 3-4

ARRÊT AU FOND

DU 2 Novembre 2023

N° 2023/ 170

Rôle N° RG 19/08907 – N° Portalis DBVB-V-B7D-BELVP

[K] [P]

[U] [Y]

SARL FRANGO

C/

SAS VTL FRANCE

SARL LE VIEUX FOUR

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

Me Julie FEHLMANN

Me Stephen GUATTERI

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Tribunal de Commerce d’ANTIBES en date du 17 Mai 2019 enregistré au répertoire général sous le n° 2018003855.

APPELANTS

Monsieur [K] [P]

né le 23 juillet 1967 à [Localité 6] (SERBIE), demeurant [Adresse 3]

représenté par Me Julie FEHLMANN de la SELARL LEGIS-CONSEILS, avocat au barreau de GRASSE

Madame [U] [Y] née le 9 mars 1969 à [Localité 5], demeurant [Adresse 3]

représentée par Me Julie FEHLMANN de la SELARL LEGIS-CONSEILS, avocat au barreau de GRASSE

SARL FRANGO prise en la personne de son représentant légal en exercice

dont le siège social est sis [Adresse 2]

représentée par Me Julie FEHLMANN de la SELARL LEGIS-CONSEILS, avocat au barreau de GRASSE

INTIMEES

SAS VTL FRANCE prise en la personne de son représentant légal,

dont le siège social est sis [Adresse 1]

représentée par Me Stephen GUATTERI, avocat au barreau de NICE substitué par Me Farouk MILOUDI, avocat au barreau de NICE

SARL LE VIEUX FOUR prise en la personne de son représentant légal en exercice.

dont le siège social est sis [Adresse 2]

défaillante

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

L’affaire a été débattue le 12 Septembre 2023 en audience publique devant la cour composée de :

Madame Anne-Laurence CHALBOS, Président

Madame Laetitia VIGNON, Conseiller, magistrat rapporteur

Madame Gaëlle MARTIN, Conseiller,

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Madame Valérie VIOLET.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 12 Septembre 2023.

ARRÊT

Réputé contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 12 Septembre 2023,

Signé par Madame Anne-Laurence CHALBOS, Président et Madame Valérie VIOLET, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

EXPOSE DU LITIGE

La SARL Le Vieux Four, dont le gérant est M. [K] [P], exploitait un fonds de commerce de restauration situé à [Localité 4] à l’enseigne Le Brûlot, en qualité de locataire gérant, le propriétaire du fonds étant M. [N].

Le contrat de location gérance, stipulé pour une année, comportait une clause de tacite reconduction.

Le 6 décembre 2010, M. [N] et la société Le Vieux Four ont régularisé une promesse de vente du fonds de commerce. Celle-ci n’ayant pas levé les conditions suspensives, ladite promesse est devenue caduque et l’indemnité d’immobilisation de 75.000 € est demeurée acquise à M. [N].

Le 19 juillet 2013, les parties ont signé une nouvelle promesse de vente avec renouvellement du contrat de location de gérance jusqu’au 31 décembre 2015.

Dans le cadre de cette opération, la SAS VTL France a acquis:

– le 20 septembre 2013, 24 parts sociales de la société Le Vieux Four de Mme [U] [Y], compagne de M. [K] [P],

– le 24 février 2014, 24 autres parts de la société Le Vieux Four de Mme [U] [Y] et une part sociale appartement à M. [K] [P].

A la suite de ces cessions, M. [K] [P] détenait 51% des parts sociales de la société Le Vieux Four et, la société VTL France, 49%.

En parallèle, la société VTL France a effectué, en juillet 2013, un virement de 75.000 € dans les livres de la société Le Vieux Four outre deux autres paiements de 5.000 € chacun, qui ont été comptabilisés sur son compte courant d’associé.

Le 27 janvier 2017, M. [N] et la SARL Frango ont signé une promesse de cession du fonds de commerce précédemment exploité par la société Le Vieux Four, laquelle sera réitérée le 9 juin 2017.

La SARL Frango a été immatriculée au registre du commerce et des sociétés le 6 février 2017, et a pour associé gérant, M. [K] [P], l’autre associé étant Mme [U] [Y].

Aux termes de l’acte de vente, il a été convenu entre les parties que :

– l’exploitation du fonds de commerce qui était concédée à la société Le Vieux Four par contrat de bail de location gérance libre est résilié le jour même,

– l’indemnité d’immobilisation de 75.000 € initialement versée par la société Le Vieux Four dans le cadre de la promesse de vente du 6 décembre 2010 soit affectée au prix de vente.

Par courrier du 9 août 2017, la société VTL France a mis en demeure la société Le Vieux Four de lui rembourser son compte courant d’associé d’un montant de 85.000 €.

Par acte d’huissier du 10 octobre 2018, la société VTL France a fait assigner, devant le tribunal de commerce d’Antibes, la société Le Vieux Four M. [K] [P], Mme [U] [Y] et la société Frango aux fins d’obtenir, notamment, leur condamnation solidaire au paiement des sommes de:

– 85.000 € en réparation de son préjudice financier personnel,

– 15.000 € au titre de son préjudice moral,

– 100.000 € en réparation du préjudice tiré de la résiliation anticipée du contrat de location gérance,

– 300.000 € de la perte de chance de ne pas avoir pu bénéficier de la propriété du fonds de commerce,

-163.727 € au titre la mise au rebut et cessions des immobilisations corporelles.

Par jugement contradictoire en date du 17 mai 2019, le tribunal de commerce d’Antibes a :

– dit qu’il sera retenu la faute de gestion de M. [K] [P] engageant sa responsabilité civile,

– dit qu’il ne sera pas retenu la responsabilité de Mme [U] [Y] et la société Frango dans les faits reprochés,

– condamné M. [K] [P] à régler à la société VTL France la somme de 85.000 € au titre de son préjudice financier personnel subi, outre intérêt au taux légal à compter du 9 août 2017,

– condamné M. [K] [P] à régler à la société VTL France la somme de 100.000 € en réparation du préjudice tiré de la résiliation anticipée du contrat de location gérance, outre intérêt au taux légal à compter du 9 août 2017,

– condamné M. [K] [P] à régler à la société VTL France la somme de 5.000 € en réparation du préjudice subi pour la résistance abusive,

– débouté la société VTL France de toutes ses autres demandes, fins et conclusions,

– ordonné l’exécution provisoire,

– condamné M. [K] [P] à régler à la société VTL France la somme de 5.000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamné M. [K] [P] aux entiers dépens, en ce compris les frais de greffe liquidés à la somme de 126,72 € dont TVA 21,12 €.

Le tribunal a retenu que :

– M. [K] [P], en sa qualité de gérant de la société Le Vieux Four, a engagé sa responsabilité :

* sur le fondement de l’article L 223-19 du code de commerce en ne présentant pas à l’assemblée un rapport sur les conventions réglementées, ce qui a privé la société VTL France de se prononcer sur le bien fondé et l’utilité de l’acte conclu,

* en raison de la violation de l’article 18 des statuts, M. [K] [P] ayant résilié par anticipation, sans aucune contrepartie, pour la société Le Vieux Four, le contrat de location gérance, procédé à l’acquisition du fonds de commerce de la société Le Vieux Four par le biais d’une société Frango, nouvellement constituée et dont il est associé majoritaire et gérant et accepté que l’indemnité d’immobilisation de 75.000 € initialement versée par la société Le Vieux Four lors de la signature de la promesse de vente du 6 décembre 2010 soit affectée à titre d’acompte sur le prix de la vente du fonds de commerce, sans envisager une restitution à la société Le Vieux Four,

– ces actes sont contraires à l’intérêt social de la société Le Vieux Four et ont conduit à son appauvrissement,

– les agissements fautifs de M. [K] [P] ont occasionné un préjudice personnel à la société VTL France, associée, en ce que celle-ci a fait un apport de 85.000 € en compte courant à la société Le Vieux Four, qui ne dispose pas de la trésorerie nécessaire au remboursement de cette dette,

– la société Le Vieux Four a subi un appauvrissement réel de son actif compte tenu de la résiliation anticipée du contrat de location gérance sans contrepartie indemnitaire et ayant entraîné une baisse considérable de son chiffre d’affaires entre 2016 et 2017,

– les autres préjudices invoqués par la société VTL France et notamment la perte de chance de ne pas avoir pu bénéficier de la propriété du fonds de commerce, ne sont pas établis en ce qu’il n’est pas démontré une probabilité suffisamment forte que l’acquisition du fonds de commerce par la société Le Vieux Four aurait pu être réalisée à brève échéance, celle-ci n’ayant pas fait preuve d’une intention récente d’acquisition de ce fonds, la dernière promesse d’achat datant du 19 juillet 2013.

Par déclaration en date du 3 juin 2019, M. [K] [P], Mme [U] [Y] et la société Frango ont interjeté appel de ce jugement.

Aux termes de leurs conclusions déposées et signifiées le 7 août 2019, M. [K] [P], Mme [U] [Y] et la société Frango demandent à la cour de :

– confirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce d’Antibes le 17 mai 2019 en ce qu’il a :

* dit qu’il ne sera pas retenu la responsabilité de Mme [U] [Y] et la société Frango dans les faits reprochés,

* débouté la société VTL France de toutes ses autres demandes, fins et conclusions,

– réformer le jugement rendu par le tribunal de commerce d’Antibes le 17 mai 2019 en ce qu’il a :

* dit qu’il sera retenu la faute de gestion de M. [K] [P] engageant sa responsabilité civile,

* condamné M. [K] [P] à régler à la société VTL France la somme de 85.000 € au titre de son préjudice financier personnel subi, outre intérêt au taux légal à compter du 9 août 2017,

* condamné M. [K] [P] à régler à la société VTL France la somme de 100.000 € en réparation du préjudice tiré de la résiliation anticipée du contrat de location gérance, outre intérêt au taux légal à compter du 9 août 2017,

* condamné M. [K] [P] à régler à la société VTL France la somme de 5.000 € en réparation du préjudice subi pour la résistance abusive,

* ordonné l’exécution provisoire,

* condamné M. [K] [P] à régler à la société VTL France la somme de 5.000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile,

* condamné M. [K] [P] aux entiers dépens, en ce compris les frais de greffe liquidés à la somme de 126,72 € dont TVA 21,12 €,

Statuant à nouveau,

A titre principal,

– dire et juger que M. [K] [P] n’a commis aucune faute susceptible d’engager sa responsabilité dans le cadre de la gérance de la société Le Vieux Four,

Par conséquent,

– débouter la société VTL France de ses demandes, fins et conclusions,

A titre subsidiaire,

– dire et juger que la société VTL France n’a subi aucun préjudice personnel distinct du préjudice social de la société Le Vieux Four,

– dire et juger que la société Le Vieux Four n’a subi aucun préjudice moral,

Par conséquent,

– débouter la société VTL France de ses demandes, fins et conclusions,

En tout état de cause,

– débouter la société VTL France de sa demande au titre de la résistance abusive et des frais irrépétibles,

– condamner la société VTL France à payer à M. [K] [P], à Mme [U] [Y] et à la société Frango la somme de 2.000 €, outre les entiers dépens de l’instance.

A titre principal, ils concluent à l’absence de faute de gestion commise par M. [K] [P] et font valoir que :

– sur l’appauvrissement frauduleux de la société Le Vieux Four résultant de la résiliation anticipée du contrat de location gérance la liant à M. [N]: ce dernier souhaitait mettre un terme à cette location gérance et l’aurait en toute hypothèse résiliée à son terme, en raison notamment de l’échec des deux promesses de cession de commerce, faute d’obtention par la société Le Vieux Four des financements requis,

– l’acte de vente n’a pas fait supporter à cette société les charges d’exploitation que la société Frango devait reprendre en ce que M. [K] [P] a lui même souscrit, en son nom personnel, un crédit de 75.000 € afin précisément de régler les fournisseurs de la société Le Vieux Four,

– M. [K] [P] n’a pas organisé l’insolvabilité de la société Le Vieux Four par la disparition de son seul actif, dès lors que M. [N] ne souhaitait plus poursuivre le contrat de location gérance,

– il n’existe aucun abus de bien social, l’indemnité d’immobilisation de 75.000 € payée lors de la première promesse de vente par la société Le Vieux Four étant définitivement perdue et ne pouvant être réintégrée dans son patrimoine,

– la promesse de vente et la vente litigieuses ne constituaient pas des conventions réglementées devant être soumise à l’approbation de la collectivité des associés et s’agissant de l’absence de convocation par le gérant d’une assemblée générale aux fins d’approbation des comptes, la société VTL France pouvait parfaitement réclamer la tenue d’une telle réunion,

– la violation alléguée de l’article 18 des statuts n’est pas établie, aucun des actes énumérés n’ayant été conclus par le gérant.

En tout état de cause, ils soutiennent que la société VTL France ne rapporte pas la preuve d’un quelconque préjudice en rappelant que l’action individuelle dont disposent les associés à l’encontre des dirigeants de la société ne peut tendre qu’à la réparation d’un préjudice personnel distinct de celui causé à la personne morale, que l’intimée réclame le remboursement de la somme de 85.000 € mais sans démontrer qu’elle ne pourra pas récupérer le compte courant d’associé, la société Le Vieux Four n’ayant fait l’objet d’aucune liquidation judiciaire.

Quant aux demandes au titre du préjudice social de la société Le Vieux Four, ils soulignent que :

– le tribunal ne pouvait condamner M. [K] [P] à payer à la société VTL France la somme de 100.000 € en réparation du préjudice résultant de la résiliation anticipée du contrat de location gérance en retenant que les agissements fautifs du gérant ont occasionnée un préjudice réel à la seule société Le Vieux Four,

– sur la perte de chance d’acquérir le fonds exploité: la société Le Vieux Four n’avait aucune chance de pouvoir ledit fonds, ayant déjà bénéficié de deux promesses avec l’impossibilité de lever les conditions suspensives.

La SAS VTL France, suivant ses conclusions notifiées par RPVA le 22 septembre 2022, demande à la cour de :

Vu les articles 1134 et 1147 du code civil dans leur ancienne rédaction applicable au présent litige,

Vu l’article 1240 du code civil ( anciennement 1382 du code civil),

– confirmer le jugement en ce qu’il a:

* condamné M. [K] [P] à régler à la société VTL France la somme de 85.000 € au titre de son préjudice financier personnel subi, outre intérêt au taux légal à compter du 9 août 2017,

* condamné M. [K] [P] à régler à la société VTL France la somme de 100.000 € en réparation du préjudice tiré de la résiliation anticipée du contrat de location gérance, outre intérêt au taux légal à compter du 9 août 2017,

* condamné M. [K] [P] à régler à la société VTL France la somme de 5.000 € en réparation du préjudice subi pour la résistance abusive,

* condamné M. [K] [P] à régler à la société VTL France la somme de 5.000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens,

Statuant à nouveau,

– condamner in solidum les appelants à verser à la société concluante les sommes suivantes:

* 15.000 € au titre du préjudice personnel moral,

* 100.000 € en réparation du préjudice tiré de la résiliation anticipée du contrat de location-gérance,

* 300.000 € en réparation du préjudice tiré de la perte de chance de ne pas avoir pu bénéficier de la propriété du fonds de commerce,

– condamner in solidum les appelants à verser à la société concluante la somme de 5.000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.

Elle estime être fondée à rechercher la responsabilité de M. [K] [P] lui reprochant :

– des fautes de gestion au sens de l’article L 223-22 du code de commerce :

* l’appauvrissement frauduleux de la société Le Vieux Four résultant de la résiliation par anticipation le 9 juin 2017, à l’orée de la saison estivale, du contrat de location de gérance, sans la moindre contrepartie indemnitaire, opération qui a favorisé la société Frango, dont M. [K] [P] est le gérant associé et qui a spolié la société Le Vieux Four dont l’exploitation de ce restaurant constituait la seule activité,

* la ruine de la société Le Vieux Four, l’acte de vente faisant sciemment supporter sur cette dernière, postérieurement à la cession du restaurant, les nombreuses charges d’exploitation que la société Frango aurait dû reprendre,

* l’organisation frauduleuse d’insolvabilité dès lors que la disparition volontaire du seul actif de la société Le Vieux Four porte atteinte aux droits des créanciers, dont la société VTL France, qui ne peuvent plus asseoir la moindre sûreté pour garantir leur créance,

* l’abus de biens sociaux en ce que M. [K] [P] a accepté que l’indemnité d’immobilisation de 75.000 €, payée le 6 décembre 2010, viennent en déduction du prix de la vente du fonds réalisée au bénéfice de la société Frango,

– une violation des dispositions législatives et volontaires :

* une violation des droits statutaires des associés résultant d’une part de la non tenue de l’assemblée générale ordinaire d’approbation des comptes sociaux qui devait se réunir au plus tard le 30 juin 2017, permettant au gérant de dissimuler à son associé son projet de déposséder la société Le Vieux Four de son seul actif, et d’autre part, de l’absence de soumission d’une convention réglementée au sens de l’article L 223-19 du code de commerce à l’approbation de la collectivité des associés,

* un abus de majorité: la décision prise par M. [K] [P] ne l’a été que dans le seul but de lui procurer un avantage, en sa qualité d’associé majoritaire,

* une violation des dispositions statutaires de la société Le Vieux Four( article 18), le gérant ayant outrepassé ses pouvoirs, les actes de gestion accomplis nécessitant l’autorisation préalable des associés.

Elle considère que Mme [Y] et la société Frango ont également commis des fautes de nature à engager leur responsabilité au visa de l’article 1240 du code civil, que celles-ci sont non seulement bénéficiaires de ces opérations frauduleuses mais y ont également sciemment prêté leur concours.

Elle déplore les préjudices suivants :

– sur son préjudice personnel :

* les agissements des appelants lui ont crée un préjudice personnel, en sa qualité d’associé, distinct du préjudice social,

* elle se retrouve privée de toute possibilité de recouvrer les sommes versées en compte courant d’associé, en ce que la société Le Vieux Four ayant été dépouillée de sa seule activité, elle n’est pas mesure de lui rembourser la somme de 85.000 € qu’elle a versée,

* elle a également subi un préjudice moral compte tenu de ces agissements frauduleux,

– sur le préjudice social de la société Le Vieux Four:

* le préjudice tiré de la résiliation anticipée du contrat de location gérance qui a entraîné une chute importante du chiffre d’affaires de la société Le Vieux Four entre juin et décembre 2017 ainsi qu’une perte d’exploitation,

* le préjudice lié à la perte de chance d’avoir pu bénéficier de la propriété du fonds de commerce exploité, alors que la société Le Vieux Four bénéficiait d’une promesse de cession en sa faveur, étant précisé que ce bien est désormais immobilisé au bilan de la société Frango pour la somme de 630.000 €,

* le préjudice tiré de la mise au rebut et de la cession à perte des immobilisations corporelles de la société Le Vieux Four.

La SARL Le Vieux Four n’a pas constitué avocat. Elle a été assignée le 12 août 2019 par dépôt de l’acte à l’étude de l’huissier instrumentaire.

La procédure a été clôturée par ordonnance en date du 29 août 2023.

MOTIFS

Sur la responsabilité du gérant

La société VTL France recherche la responsabilité de M. [K] [P] en sa qualité de gérant de la société Le Vieux Four lui reprochant des fautes de gestion résidant notamment dans une violation des dispositions législatives, réglementaires et statutaires.

En vertu de l’article L223-22 du code de commerce, ‘les gérants sont responsables, individuellement ou solidairement, selon le cas, envers la société ou envers les tiers, soit des infractions aux dispositions législatives ou réglementaires applicables aux sociétés à responsabilité limitée, soit des violations des statuts, soit des fautes commises dans leur gestion.

Si plusieurs gérants ont coopéré aux mêmes faits, le tribunal détermine la part contributive de chacun dans la réparation du dommage.

Outre l’action en réparation du préjudice subi personnellement, les associés peuvent, soit individuellement, soit en se groupant dans les conditions fixées par décret en Conseil d’Etat, intenter l’action sociale en responsabilité contre les gérants. Les demandeurs sont habilités à poursuivre la réparation de l’entier préjudice subi par la société à laquelle, le cas échéant, les dommages-intérêts sont alloués.

Est réputée non écrite toute clause des statuts ayant pour effet de subordonner l’exercice de l’action sociale à l’avis préalable ou à l’autorisation de l’assemblée, ou qui comporterait par avance renonciation à l’exercice de cette action.

Aucune décision de l’assemblée ne peut avoir pour effet d’éteindre une action en responsabilité contre les gérants pour faute commise dans l’accomplissement de leur mandat’.

S’agissant de la violation des dispositions législatives, la société VTL France se prévaut de l’article L 223-19 du code de commerce qui énonce que ‘le gérant ou, s’il en existe un, le commissaire aux comptes, présente à l’assemblée ou joint aux documents communiqués aux associés en cas de consultation écrite, un rapport sur les conventions intervenues directement ou par personnes interposées entre la société et l’un de ses gérants ou associés. L’assemblée statue sur ce rapport. Le gérant ou l’associé intéressé ne peut prendre part au vote et ses parts ne sont pas prises en compte pour le calcul du quorum et de la majorité. Toutefois, s’il n’existe pas de commissaire aux comptes, les conventions conclues par un gérant non associé sont soumises à l’approbation préalable de l’assemblée. Par dérogation aux dispositions du premier alinéa, lorsque la société ne comprend qu’un seul associé et que la convention est conclue avec celui-ci, il en est seulement fait mention au registre des décisions.

Les conventions non approuvées produisent néanmoins leurs effets, à charge pour le gérant, et, s’il y a lieu, pour l’associé contractant, de supporter individuellement ou solidairement, selon les cas, les conséquences du contrat préjudiciables à la société.

Les dispositions du présent article s’étendent aux conventions passées avec une société dont un associé indéfiniment responsable, gérant, administrateur, directeur général, membre du directoire ou membre du conseil de surveillance, est simultanément gérant ou associé de la société à responsabilité limitée.’

La promesse de vente du 27 janvier 2017 et l’acte de vente définitif régularisé le 9 juin 2017 entrent dans le champ d’application des conventions réglementées au sens de l’article susvisé dès lors que M. [K] [P] est intervenu à ces deux actes en qualité d’associé-gérant de la société Frango, bénéficiaire et acquéreur et, en tant que gérant libre de la société Le Vieux Four.

A ce titre, la conclusion de ces contrats se devait de respecter la procédure d’approbation, à savoir la présentation à l’assemblée, par le gérant de la société Le Vieux Four, d’un rapport sur ces conventions, l’assemblée étant amenée à se prononcer sans que M. [K] [P] ne puisse prendre part au vote.

Force est de constater que les appelants qui se contentent d’alléguer que les dispositions de l’article L 223-19 du code de commerce ne sont pas applicables aux actes litigieux, ne sont pas en mesure de justifier de l’existence d’un quelconque rapport de la gérance sur la promesse et l’acte de vente définitif, ce qui a empêché la société VTL France de se prononcer sur leur bien fondé et leur utilité.

Ce premier manquement reproché à M. [K] [P] est donc établi.

L’article 18 des statuts de la société Le Vieux Four relatif aux pouvoirs des gérants stipule que ‘ Dans les rapports entre associés, le gérant peut faire tous les actes de gestion dans l’intérêt de la société (…) Toutefois, les emprunts, à l’exception des crédits bancaires courants, les achats, échanges et ventes d’établissements commerciaux ou d’immeubles, les hypothèques et nantissement, la fondation de sociétés et tous apports à des sociétés constituées ou à constituer, ainsi que toute prise d’intérêt dans ces sociétés ne peuvent être consentis qu’avec l’autorisation des associés aux conditions de majorité ordinaire (…) ‘

En l’espèce, l’acte de vente du 9 juin 2017 mentionne en page 19 que ‘ M. [R] [N] déclare (…) que l’exploitation du fonds de commerce qui était concédée à la société Le Vieux Four par contrat de gérance libre est résilié ce jour, ce qu’accepte expressément M. [K] [P] ès-qualités de gérant de ladite société Le Vieux Four’.

Il s’ensuit que M. [K] [P] a accepté de résilier par anticipation, au début de la saison estivale et sans aucune contrepartie indemnitaire pour la société Le Vieux Four, le contrat de location gérance, étant rappelé que l’exploitation du restaurant constituait la seule activité de cette société.

C’est en vain que les appelants concluent à l’absence de faute au motif que le propriétaire du fonds souhaitait mettre fin à la location gérance, alors que le contrat avait été renouvelé par tacite reconduction jusqu’au 31 décembre 2017, ce qui devait permettre à la société Le Vieux Four de poursuivre l’exploitation du fonds notamment durant toute la période estivale et qu’en l’espèce, elle s’est retrouvée brutalement privée d’une partie significative des recettes habituellement générées par son activité de restauration, sans la moindre indemnité financière pour compenser cette résiliation anticipée.

De surcroît, l’acte de vente prévoit ( page 4) que la société Frango ne sera pas tenue de reprendre à son compte les commandes, marchés comme les contrats de toute nature, passés par la société Le Vieux Four avec des fournisseurs de biens ou services antérieurement à la réitération de la promesse de vente, faisant ainsi supporter sur cette dernière, postérieurement à la cession du restaurant, les charges d’exploitation que l’acquéreur aurait normalement dû reprendre. M. [K] [P] conteste toute faute en affirmant avoir souscrit un prêt de 75.000 € afin de payer les fournisseurs de la société Le Vieux Four, allégation qui n’est étayée par aucun élément probant, la seule production d’une offre de prêt personnel de 75.000 qu’il aurait souscrite étant insuffisante.

En outre, aux termes de la promesse du 27 janvier 2017, il a été convenu que pour le paiement du prix de vente que ‘ il sera tenu compte de la somme de 75.000 € déjà versée par la société Le Vieux Four à l’occasion de la signature de la promesse de vente en date du 6 décembre 2010, le promettant consentant, mais seulement si la présente promesse se réalise, à ce que ladite somme de 75.000 € déjà versée par la société Le Vieux Four constitue à nouveau un acompte sur le prix exprimé ci-dessus et ce, à charge, pour le bénéficiaire et la société Le Vieux Four de régler leurs comptes directement entre eux à propos de la somme de 75.000 € (…)’.

L’acte de vente, s’agissant toujours du prix de vente, énonce que ‘ Lequel prix a été payé par l’acquéreur au vendeur comptant de la manière suivante:

– des deniers personnels de l’acquéreur directement et dès avant ce jour entre les mains du vendeur qui le reconnaît à concurrence de 75.000 € (…)’.

M. [K] [P] a ainsi permis que l’indemnité d’immobilisation de 75.000 € payée par la société Le Vieux Four le 6 décembre 2010 au propriétaire du fonds vienne en déduction du prix final de la vente de ce même fonds effectuée au bénéfice de la société Frango sans envisager de restitution au profit de la société Le Vieux Four.

Enfin, il a procédé à l’acquisition du fonds de commerce exploitée par la société Le Vieux Four par le biais d’une société Frango, nouvellement constituée, dont il est associé majoritaire et gérant.

L’ensemble de ces actes est contraire à l’intérêt social de la société Le Vieux Four comme ayant conduit à son réel appauvrissement et aurait également dû être soumis, s’agissant de la consitution de la société Frango avec pour associé-gérant M. [K] [P] à l’autorisation des associés. La violation de l’article 18 des statuts est ainsi avérée.

C’est donc à juste titre que le tribunal a retenu que la faute de gestion de M. [K] [P] engageait sa responsabilité civile.

Sur la responsabilité de la société Frango et de Mme [U] [Y]

Au visa de l’article 1240 du code civil, la société VTL France recherche également la responsabilité de la société Frango et de Mme [U] [Y] leur reprochant d’être bénéficiaires des opérations litigieuses et d’y avoir prêté sciemment leur concours.

La société VTL France ne rapporte cependant pas la preuve d’une faute qui aurait été commise par l’une ou l’autre, dès lors que Mme [Y] lui a certes cédé ses parts dans la société Le Vieux Four mais en 2013 et 2014, soit plusieurs années avant la conclusion de la promesse et de l’acte de vente querellés. Quant à la société Frango, l’intimée ne caractérise aucune faute précise de nature à engager sa responsabilité délictuelle.

Le jugement entrepris sera également confirmé sur ce point.

Sur les préjudices déplorés par la société VTL France

La société VTL France fait état, en premier lieu, de préjudices personnels, à savoir :

– un préjudice financier à hauteur de 85.000 €,

– un préjudice moral de 15.000 €.

L’action en responsabilité individuelle engagée par les associés à l’encontre du gérant ne peut tendre qu’ à la réparation du préjudice personnel distinct du préjudice social.

Concernant le préjudice financier, il n’est pas contesté que la société VTL France a fait un apport de 85.000 € en compte courant auprès de la société Le Vieux Four.

Elle a sollicité, en vain, par lettre recommandée du 9 août 2017, le remboursement de son compte courant d’associé.

Le comportement fautif du gérant a conduit à un appauvrissement réel de la société Le Vieux Four, dépouillée de son seul actif et privée d’une partie significative des recettes habituellement générées par l’exploitation du fonds de commerce de restauration. Le bilan de cette société pour l’année 2017 fait état d’une perte sur l’exercice de 39.087 €, de l’absence de capitaux propres et d’actif, associées à un montant de dettes exigibles conséquent. La situation financière de la société est donc particulièrement obérée et rend illusoire le remboursement au profit de la société VTL France de son compte courant d’associé, étant relevé que la société Le Vieux Four a fait l’objet d’une radiation administrative du registre du commerce, n’a plus d’activité et n’est donc plus qu’une coquille vide.

Les agissements fautifs du gérant ont ainsi causé un préjudice réel à la société VTL France, en sa qualité d’associées de la société le Vieux Four, préjudice personnel et distinct du préjudice social, l’intimée se retrouvant dans l’impossibilité de recouvrer les sommes qu’elle a versées en compte courant d’associé, la société Le Vieux Four ne disposant pas de la trésorerie nécessaire au remboursement de cette dette.

Le jugement entrepris en ce qu’il a condamné M. [K] [P] à payer à la société VTL France la somme de 85.000 € à titre de dommages et intérêts au titre de son préjudice financier doit être ainsi confirmé.

Il est établi que la société VTL France a découvert, au cours de l’été 2017, les actes accomplis à son insu par son associé et gérant, M. [K] [P], sans qu’elle ne soit ni consultée, ni même informée. En outre, il apparaît que la société VTL France a effectué un dernier virement de 5.000 € sur son compte courant d’associé juste avant la résiliation anticipée de la location gérance alors que M. [K] [P] savait pertinemment que la société Le Vieux Four était sur le point de perdre son seul actif. De tels agissements ont ainsi occasionné un préjudice moral à la société VTL France qui n’a pas pu que se sentir spoliée et a été contrainte, de surcroît, à subir, les tracasseries liées à l’introduction d’une instance judiciaire pour faire valoir ses droits d’associé de la société Le Vieux Four, préjudice qui justifie l’allocation d’une somme de 5.000 € à titre de dommages et intérêts.

La société VTL France sollicite par ailleurs la condamnation solidaire des appelants à réparer le préjudice social subi par la société Le Vieux Four et se décomposant comme suit:

– 100.000 € au titre de la résiliation anticipée du contrat de location,

– 300.000 € au titre de la perte de chance d’acquérir la propriété du fonds de commerce qu’elle exploitait,

– 163.727 € au titre du préjudice tiré de la mise au rebut et de la cession à perte des immobilisations corporelles de la société Le Vieux Four.

S’agissant de ce dernier chef de préjudice, la société VTL France ne reprend pas cette demande dans le dispositif de ses conclusions en cause d’appel qui pourtant, en vertu de l’article 954 du code de la procédure civile, seul lie la cour, laquelle n’en est donc pas saisie.

Pour le surplus, en vertu de l’article L 223-22 du code de commerce, outre l’action en réparation subi personnellement, un associé peut intenter l’action sociale en responsabilité contre les gérants et poursuivre la réparation de l’entier préjudice subi par la société, à laquelle des dommages et intérêts peuvent être alloués.

Or, la société VTL France, en l’espèce, invoque des préjudices qu’elle qualifie elle-même de sociaux tout en réclamant l’allocation de dommages et intérêts à son seul profit et non au bénéfice de la société Le Vieux Four. Elle ne fait aucunement la démonstration que la résiliation anticipée du contrat de location gérance et l’impossibilité pour la société Le Vieux Four de ne pas avoir pu bénéficier de la propriété du fonds de commerce lui ont occasionné en sa qualité d’associée, un préjudice personnel, individuel qui se distingue du préjudice social.

A cet égard elle ne caractérise, dans ses conclusions en cause d’appel, que des faits dommageables pour la société Le Vieux Four. La société VTL France n’est pas fondée à réclamer, à son profit, la réparation de préjudices sociaux. Les dommages et intérêts obtenus ne peuvent qu’entrer dans l’actif social mais non dans le patrimoine personnel de l’associé qui agit.

Elle sera donc déboutée de ses demandes au titre des préjudices sociaux subis par la société Le Vieux Four.

La société VTL France sollicite enfin l’allocation d’une somme de 5.000 € pour résistance abusive de la part de M. [K] [P]. Or, le seul fait pour ce dernier de ne pas avoir répondu à la mise en demeure qui lui avait été adressée le 9 août 2017 ne saurait caractériser un comportement de mauvaise foi ou une résistance purement dilatoire de la part du gérant, permettant l’octroi de dommages et intérêts à hauteur d’un quantum qui n’est d’ailleurs nullement justifié.

L’équité et la situation économique des parties commandent de ne pas faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel.

Vu l’article 696 du code de procédure civile,

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par mise à disposition au greffe et par arrêt réputé contradictoire,

Confirme le jugement du tribunal de commerce d’Antibes déféré sauf en ce qu’il a :

– condamné M. [K] [P] à régler à la société VTL France la somme de 100.000 € en réparation du préjudice tiré de la résiliation anticipée du contrat de location gérance, outre intérêt au taux légal à compter du 9 août 2017,

– condamné M. [K] [P] à régler à la société VTL France la somme de 5.000 € en réparation du préjudice subi pour la résistance abusive,

– débouté la société VTL France de sa demande au titre du préjudice moral,

Et statuant à nouveau sur ces seuls points,

Déboute la société VTL France de sa demande en réparation du préjudice tiré de la résiliation anticipée du contrat de location gérance,

Déboute la société VTL France de sa demande en réparation du préjudice subi au titre de la résistance abusive,

Condamne M. [K] [P] à régler à la société VTL France la somme de 5.000 € au titre de son préjudice moral,

Y ajoutant,

Dit n’y avoir lieu à application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel,

Condamne la société VTL France aux dépens de la procédure d’appel.

LE GREFFIER LE PRESIDENT

 


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