Rupture anticipée : 19 janvier 2023 Cour d’appel de Bordeaux RG n° 22/02183

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Rupture anticipée : 19 janvier 2023 Cour d’appel de Bordeaux RG n° 22/02183
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COUR D’APPEL DE BORDEAUX

PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE

————————–

ARRÊT DU : 19 JANVIER 2023

N° RG 22/02183 – N° Portalis DBVJ-V-B7G-MV5A

S.A.S.U. DEMATHIEU BARD CONSTRUCTION

c/

S.A.S. ABSO ENERGIES

Nature de la décision : APPEL D’UNE ORDONNANCE DE REFERE

Grosse délivrée le : 19 JANVIER 2023

aux avocats

Décision déférée à la cour : ordonnance de référé rendue le 29 mars 2022 par le Tribunal de Commerce de Bordeaux ( RG : 2022R00012) suivant déclaration d’appel du 05 mai 2022

APPELANTE :

S.A.S.U. DEMATHIEU BARD CONSTRUCTION Agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège.[Adresse 2] / FRANCE

Représentée par Me Annie BERLAND de la SELARL RACINE BORDEAUX, avocat au barreau de BORDEAUX

INTIMÉE :

S.A.S. ABSO ENERGIES, anciennement dénommée TELELEC ENERGIE prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège [Adresse 3]

Représentée par Me Marie-christine RIBEIRO de la SELARL CMC AVOCATS, avocat au barreau de BORDEAUX

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 912 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 01 décembre 2022 en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Bérengère VALLEE, conseiller, chargé du rapport,

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Roland POTEE, président,

Bérengère VALLEE, conseiller,

Emmanuel BREARD, conseiller,

Greffier lors des débats : Séléna BONNET

ARRÊT :

– contradictoire

– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile.

* * *

EXPOSE DU LITIGE ET DE LA PROCÉDURE

La société Demathieu Bard Construction est une entreprise de construction et de travaux publics.

La société Abso Energies, anciennement dénommée Telelec Energie, est une entreprise spécialisée dans les travaux d’équipement électrique.

Par contrat de sous-traitance en date du 15 avril 2019, la société Demathieu Bard Construction a confié à la société Genson, aux droits de laquelle vient la société Telelec Energie, désormais dénommée Abso Energies, la réalisation du lot n°10 ‘Electricité’ dans le cadre d’un chantier relatif à l’extension et la réhabilitation du centre [S] [V] sis [Adresse 1]. Le montant global du marché à forfait sous-traité s’élevait à la somme de 433.000 euros HT, ce prix ayant été ramené à la somme de 429.634,38 euros HT selon deux avenants au contrat de sous-traitance.

Les travaux confiés à la société Telelec Energie ont débuté le 15 avril 2019.

Dans le cadre de l’exécution de ces travaux, la société Demathieu Bard Construction a dénoncé de nombreux manquements de la part de son cocontractant et, par lettre du 1er octobre 2020, a notifié à la société Telelec Energie la résiliation du contrat de sous-traitance.

Par courrier du 28 octobre 2020, la société Telelec Energie a mis en demeure la société Demathieu Bard Construction de procéder au règlement du solde des travaux.

Le 1er décembre 2020, la société Telelec Energie a saisi le président du tribunal de commerce de Bordeaux aux fins de se voir autoriser à faire procéder à la saisie conservatoire de sa créance sur les comptes bancaires de la société Demathieu Bard Construction à hauteur de 105 705,37 euros.

Par ordonnance sur requête du 7 décembre 2020, le tribunal de commerce de Bordeaux a fait droit à cette demande et la mesure conservatoire a été exécutée auprès de la Banque BNP Paribas Ag Entreprises.

En parallèle et par acte du 16 décembre 2020, la société Telelec Energie a assigné la société Demathieu Bard Construction en paiement devant le tribunal de commerce de Bordeaux lequel, par jugement avant-dire-droit du 30 juin 2022, a ordonné une expertise confiée à M. [G].

Par acte d’huissier en date du 12 février 2021, la société Demathieu Bard Construction a saisi le juge de l’exécution du tribunal judiciaire de Bordeaux aux fins d’ordonner la mainlevée de la saisie conservatoire autorisée par le président du tribunal de commerce de Bordeaux.

Par jugement du 16 novembre 2021, le juge de l’exécution du tribunal judiciaire de Bordeaux s’est déclaré incompétent pour connaître des demandes formées par la société Demathieu Bard Construction et a renvoyé le litige devant le tribunal de commerce de Bordeaux.

Par ordonnance contradictoire du 29 mars 2022, le président du tribunal de commerce de Bordeaux statuant en référé a :

– Dit n’y avoir lieu à rétractation de l’ordonnance en date du 7 décembre 2020 ;

– Rejeté la demande de la société Demathieu Bard Construction tendant à la rétractation de ladite ordonnance ;

– Dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile ;

– Laissé les dépens à la charge de la société Demathieu Bard Construction.

La Sasu Demathieu Bard Construction a relevé appel de cette ordonnance par déclaration du 5 mai 2022 et, par conclusions déposées le 17 novembre 2022, elle demande à la cour de :

– La déclarer recevable et bien fondée en son appel ;

Y faisant droit,

– Réformer l’ordonnance entreprise en ce qu’il a :

* dit n’y avoir lieu à rétractation de l’ordonnance en date du 7 décembre 2020 ;

* rejeté la demande de la société Demathieu Bard Construction tendant à la rétractation de ladite ordonnance ;

* laissé les dépens à la charge de la société Demathieu Bard Construction.

Statuant à nouveau,

– Rétracter l’ordonnance rendue sur requête rendue le 7 décembre 2020 ;

– Ordonner la mainlevée de la saisie conservatoire de créances des comptes détenus par la société Demathieu Bard Construction auprès de la BNP Paribas Ag Entreprises pratiquée le 15 décembre 2020 ;

– Condamner la société Abso Energies, anciennement dénommée Telelec Energie, à payer à la société Demathieu Bard Construction la somme de 10.000 euros en réparation du préjudice subi du fait de la procédure de saisie conservatoire menée ;

– Condamner la société Abso Energies, anciennement dénommée Telelec Energie, à payer à la société Demathieu Bard Construction la somme de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles de l’article 700 du code de procédure civile ;

– Condamner la Société Telelec Energie aux entiers dépens ;

– Débouter la société Abso Energiess de toutes ses demandes de condamnations à l’encontre

de la Société Demathieu Bard Construction.

Par conclusions déposées le 16 novembre 2022, la société Abso Energies demande à la cour de :

– Confirmer l’ordonnance du Président du tribunal de commerce de Bordeaux du 29 mars 2022 en toutes ses dispositions.

En conséquence,

– Débouter la société Demathieu Bard Construction de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions en cause d’appel.

Y ajoutant,

– Condamner la société Demathieu Bard Construction à payer à la société Abso Energie la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile;

– Condamner la société Demathieu Bard Construction aux dépens.

Au visa de l’article 905 du code de procédure civile, l’affaire a fait l’objet le 8 juin 2022 d’une ordonnance de fixation à bref délai à l’audience du 1er décembre 2022 avec clôture de la procédure le 17 novembre 2022.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la mainlevée de la saisie conservatoire

Aux termes de l’article L. 511-1 du code des procédures civiles d’exécution, toute personne dont la créance paraît fondée en son principe peut solliciter du juge l’autorisation de pratiquer une mesure conservatoire sur les biens de son débiteur, sans commandement préalable, si elle justifie de circonstances susceptibles d’en menacer le recouvrement. La mesure conservatoire prend la forme d’une saisie conservatoire ou d’une sûreté judiciaire.

En application de l’article L. 512-1 du même code, le juge peut donner mainlevée de la mesure conservatoire s’il apparaît que les conditions prescrites par l’article L511-1 ne sont pas réunies.

En l’espèce, les deux parties se sont engagées dans le cadre d’un contrat de sous-traitance par lequel la société Demathieu Bard Construction a confié à la société Telelec Energie, désormais dénommée Abso Energie, la réalisation du lot électricité du marché de travaux d’extension et de réhabilitation d’un centre de formation.

Le montant de ces travaux a été fixé de manière globale et forfaitaire à la somme de 433.000 euros HT ramenée à 429.634,38 euros HT suite à deux avenants.

Un conflit oppose actuellement les parties. La société Demathieu Bard Construction dénonce l’inexécution par le sous-traitant de ses prestations (retards dans la transmission des documents techniques, non-respect du calendrier, absence de réalisation de travaux) malgré de nombreuses relances et mises en demeure à cet effet, l’ayant conduit à résilier le contrat et à recourir à une autre société pour pallier ses carences. Elle fait valoir que la société Telelec Energie devenue Abso Energie serait débitrice à son égard de la somme de 315.882,90 euros. En réponse, l’intimée estime que sa cocontractante n’a pas procédé au règlement de plusieurs situations pour un montant total de 105.705,37 euros. Elle soutient avoir réalisé les travaux, conteste les retards et désordres reprochés et explique que la résiliation anticipée du contrat par la société Demathieu Bard Construction l’a empêchée d’achever le bâtiment ‘atelier’ et de procéder à la levée des réserves sur celui-ci.

Une expertise judiciaire sur l’existence de désordres affectant les travaux réalisés a été ordonnée le 30 juin 2022 et est actuellement en cours.

Le juge, auquel est déférée une mesure conservatoire, se place dans la même position que le juge qui a autorisé la mesure. Il examine au jour où il statue, d’une part, l’apparence du principe de créance, d’autre part, la menace qui pèse sur le recouvrement, ces deux conditions étant cumulatives.

Sur l’apparence de créance fondée en son principe

Il résulte des dispositions précitées de l’article L. 511-1 du code des procédures civiles d’exécution, que le juge de l’exécution apprécie souverainement si la créance est apparemment fondée en son principe, sans avoir à rechercher l’existence d’un principe certain de créance et encore moins à établir la preuve de l’existence d’une créance liquide et exigible.

En l’espèce, il est acquis que le prix des travaux objet du contrat de sous-traitance était global et forfaitaire, que certains travaux ont été réceptionnés et que la société Demathieu Bard Construction a réglé la somme de 268.342,85 euros.

S’il est exact que la société Demathieu Bard Construction a dénoncé à de nombreuses reprises les défaillances de sa cocontractante (défaut de transmission de la documentation technique, retard dans l’exécution des travaux), contesté certaines situations de travaux et résilié le contrat de sous-traitance, il reste que l’apparence du principe de la créance de la société Telelec Energie devenue Abso Energie, qui conteste fermement avoir manqué à ses obligations, est établie par le contrat liant les parties et les situations mensuelles correspondant à des travaux réalisés et en partie payés par la société Demathieu Bard Construction, peu important l’existence d’éventuels désordres objet de l’expertise judiciaire actuellement en cours, l’absence de finition du chantier n’étant au surplus pas nécessairement imputable à la seule intimée.

Sur les circonstances susceptibles d’en menacer le recouvrement

La preuve des menaces pesant sur le recouvrement incombe à la société Telelec Energie devenue Abso Energie.

Les menaces pesant sur le recouvrement de la créance ne s’apprécient pas seulement au regard de la seule insolvabilité du débiteur ou de l’absence du patrimoine, mais de toutes les difficultés que le créancier peut rencontrer pour recouvrer sa créance, et notamment la résistance délibérée opposée par le débiteur, soit à reconnaître sa dette soit à son recouvrement.

En revanche, le seul fait que le débiteur se refuse à s’acquitter de la créance qu’il conteste ne suffit pas à établir la réalité des menaces sur le recouvrement de celle-ci.

En l’espèce, la société Telelec Energie devenue Abso Energie se prévaut du bilan et des comptes de résultat relatifs à l’exercice 2020 de la société Demathieu Bard Construction faisant apparaître une perte de 1.585.992 euros.

Ces résultats doivent être cependant relativisés au regard de la situation sanitaire alors en vigueur en cours de l’année 2020 ayant eu des répercussions importantes sur l’activité des entreprises de BTP.

Surtout, la société Demathieu Bard Construction justifie de sa bonne santé financière par la production de ses comptes sociaux pour l’exercice 2021 mettant en lumière l’existence d’un résultat positif de 6.521.093,25 euros.

Outre l’absence de toute situation d’insolvabilité du débiteur, le comportement de la société Demathieu Bard Construction qui a d’ores et déjà payé la somme de 268.342,85 euros dans le cadre du marché liant les parties, ne laisse pas craindre de difficultés dans le recouvrement de la créance.

Enfin, il n’est ni allégué ni démontré que la saisie conservatoire pratiquée sur ses comptes bancaires auprès de la Banque BNP Paribas Ag Entreprises se soit avérée infructueuse.

Il n’est donc pas rapporté la preuve de circonstances susceptibles de menacer le recouvrement de la créance de la société Telelec Energie devenue Abso Energie.

S’agissant de conditions cumulatives, il convient par conséquent d’infirmer l’ordonnance déférée, de rétracter l’ordonnance sur requête en date du 7 décembre 2020, d’ordonner la mainlevée de la saisie conservatoire de créances de comptes détenus par la société Demathieu Bard Construction auprès de la BNP Paribas AG Entreprises pratiquée le 15 décembre 2020.

Sur la demande de dommages et intérêts

Aux termes de l’article L. 512-2 du code des procédures civiles d’exécution, lorsque la mainlevée a été ordonnée par le juge, le créancier peut être condamné à réparer le préjudice causé par la mesure conservatoire.

En l’espèce, la société Demathieu Bard Construction sollicite la somme de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts compte tenu de l’immobilisation d’une partie de ses comptes depuis le 15 décembre 2020.

Faute toutefois de démontrer la réalité du préjudice subi, elle sera déboutée de sa demande.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Aux termes de l’article 696, alinéa premier, du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie. La société Telelec Energie devenue Abso Energie supportera les dépens de première instance et d’appel.

En application de l’article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Au regard des circonstances de la cause, il n’y a pas lieu à condamnation à ce titre.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Infirme l’ordonnance du 29 mars 2022,

Statuant à nouveau,

Rétracte l’ordonnance sur requête du 7 décembre 2020,

Ordonne la mainlevée de la saisie conservatoire de créances des comptes détenus par la société Demathieu Bard Construction auprès de la BNP Paribas AG Entreprises pratiquée le 15 décembre 2020,

Déboute la société Demathieu Bard Construction de sa demande de dommages et intérêts,

Dit n’y avoir lieu à condamnation en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

Condamne la société Telelec Energie devenue Abso Energie aux dépens.

Le présent arrêt a été signé par Monsieur Roland POTEE, président, et par Madame Séléna BONNET, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier, Le Président,

 


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