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Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 5 – Chambre 9
ARRÊT DU 16 NOVEMBRE 2023
(n° , 15 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 22/10344 – N° Portalis 35L7-V-B7G-CF4UK
Décision déférée à la Cour : Jugement du 05 Mai 2022 -Tribunal de Commerce d’EVRY – RG n° 2021F00107
APPELANTE
S.A.S. ILE DE FRANCE DEMOLITION agissant en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège
[Adresse 1]
[Localité 5]
Représentée par Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477
Assistée de Me Xavier HARANGER, SELARL Xavier HARANGER, avocat au barreau de PARIS, toque : J093
INTIME
M. [Z] [B]
né le [Date naissance 3] 1979 à [Localité 6]
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représenté par Me Benjamin MOISAN de la SELARL BAECHLIN MOISAN Associés, avocat au barreau de PARIS, toque : L34
Assisté de Me Oksana ZOPPINI, avocat au barreau de PARIS, toque : J98
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 20 Septembre 2023, en audience publique, devant la Cour composée de :
Mme Sophie MOLLAT, Présidente
Mme Isabelle ROHART, Conseillère
Mme Alexandra PELIER-TETREAU, Conseillère
qui en ont délibéré
Un rapport a été présenté à l’audience dans les conditions prévues à l’article 804 du code de procédure civile.
GREFFIER : Mme Saoussen HAKIRI lors des débats.
ARRET :
– contradictoire,
– rendu par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile,
– signé par Mme Sophie MOLLAT, Présidente et par Mme Saoussen HAKIRI, Greffier présent lors de la mise à disposition.
**********
Exposé des faits et de la procédure
La société IDF Démolition est une société de déconstruction de bâtiments tertiaires, d’habitation, et industriels.
La société D3 Environnement est une société de réalisation de travaux de bâtiment et notamment de traitement de matériaux sains et contaminés de pollution de tout type.
Ces deux sociétés appartenaient intégralement à la holding familiale de M. [Z] [B], via la société Bronze SAS et étaient présidées par celui ci.
Par acte de cession en date du 2.10.2019 la SAS Bronze a cédé l’intégralité du capital social de ces deux sociétés à la société Green Acquisition dirigée par la société Newco Green Holding elle-même présidée par M. [S] [A]. Par le même acte les actions de la société Sobaten détenues par la SARL Grove Services, société holding de la SAS Bronze, et messieurs [G] et [J] ont également été cédées.
Monsieur [Z] [B] et Monsieur [W] [B] se sont portés garants dans le cadre de la cession.
Dans le cadre de cette cession, il a été convenu que M. [Z] [B], accompagne les nouveaux propriétaires des sociétés rachetées en qualité de directeur général de ces demières pendant une durée de 3 ans selon mandats fixant les conditions d’exercice et de révocation des fonctions de M. [Z] [B], approuvées par l’assemblée générale de chacune des sociétés
Par courrier remis en main propre le 24.06.2020, la société Newco Green Holding ès-qualités de propriétaire de la société Green Acquisition et présidente des sociétés IDF Démolition et D3 Environnement, représentée par Monsieur [A], a convoqué M. [Z] [B] pour le vendredi 26.06.2020 afin de l’entendre sur le projet de révocation de ses mandats de directeur général.
Le 26.06.020 M. [Z] [B] était révoqué de ses deux mandats de directeur général.
Le 30.07.2020, M. [Z] [B] mettait la société IDF Démolition en demeure de lui payer les sommes suivantes :
– 280 000 € correspondant au solde de la rémunération brute forfaitaire restant à percevoir,
– 26 320 € correspondant à l’avantage en nature de la mise à disposition d’un véhicule de fonction pour la période restante à courir,
– 130 614 € correspondant à l’indemnité chômage GSC pendant 24 mois,
– 100 000 € au titre de dommage et intérêts compte tenu du préjudice subi.
Faute de règlement, M. [Z] [B] a fait assigner, la société IDF Démolition ainsi que la société D3 Environnement, devant le tribunal de commerce d’Evry par acte du 29.01.2021.
Par décision du 4.08.2021 l’assemblée générale de la société D3 Environnement a décidé de la liquidation amiable de la société. Aux termes des opérations de liquidation il n’existe ni boni de liquidation, ni distribution du capital social. La clôture de la liquidation a été publiée au Bodacc le 11.08.2021.
Par jugement en date du 5.05.2022 le tribunal de commerce d’Evry a:
Dit que M. [Z] [B] a été révoqué sans juste motif de ses mandats de directeur général des sociétés IDF Démolition et D3 environnement,
Condamné la SAS 3D Démolition à payer la somme de 100.000 € de dommages et intérêts à M. [Z] [B] au titre de la résiliation anticipée de son mandat de directeur général à durée déterminée d’IDF Démolition,
Condamné la SAS IDF Démolition à payer la somme de 9.400 € de dommages et intérêts à M. [Z] [B] au titre de la perte de son véhicule de fonction,
Débouté M. [Z] [B] de sa demande de se voir verser à titre de dédommagement chômage la somme de 54.423 €,
Condamné la SAS IDF Démolition à payer la somme de 30.000 € de dommages et intérêts à M. [Z] [B], au titre de sa révocation réalisée de manière vexatoire et brutale,
Débouté M. [Z] [B] de sa demande d’intérêt légal à compter de la date de mise en demeure et dit que les sommes allouées produiront intérêt légal à compter de la date de prononcé du jugement,
Débouté M. [Z] [B] de sa demande de capitalisation,
Condamné in solidum, les SAS IDF Démolition et 3D Environnement, à payer la somme de 3.000 € à M. [Z] [B] au titre de l’article 700 du Code de procédure civile,
Rappelé que l’exécution provisoire du présent jugement est de droit,
Condamné solidairement les SAS IDF Démolition et 3D environnement aux dépens.
Le tribunal a retenu que Monsieur [B] ne pouvait être révoqué que pour les motifs mentionnés dans les mandats à savoir: faute lourde au sens de la jurisprudence de la chambre sociale de la Cour de cassation, non atteinte des performances commerciales et/ou financières fixées en début d’année dans le budget, mésentente ou désaccord avec le président de la société et/ou le représentant personne physique de la société Newco Green Holding.
Il a retenu que les objectifs n’ayant été stipulés dans aucun document le reproche de mauvais résultats ne pouvait constituer un motif de révocation, que Monsieur [B] avait présenté un budget en mars 2020 au lieu de décembre 2019 du fait du retard du directeur financier dans la clôture des comptes 2019 et que le reproche de non-présentation de budget ne pouvait constituer un motif de révocation, que s’agissant du reproche de trésorerie très faible les sociétés défenderesses n’en rapportaient pas la preuve et que ce motif ne pouvait constituer un motif de révocation, que s’agissant de l’absence de mise en place d’un plan de sauvegarde Covid ce reproche ne pouvait constituer un motif de révocation, que le reproche de mésentente entre Monsieur [B] et le président de la société Newco Green Holding n’était pas prouvé.
Il a accordé à titre de dommages et intérêts les sommes qu’aurait du percevoir le demandeur à titre de salaire entre la révocation et son nouvel emploi ainsi que le préjudice résultant de la privation du véhicule de fonction et compte tenu de l’indemnisation allouée a débouté le demandeur de sa demande correspondant à l’indemnité qu’il aurait du percevroir au titre de l’assurance chômage GSC. Il a accordé des dommages et intérêts pour révocation brutale et vexatoire.
La société Ile de France Demolition a formé appel par déclaration d’appel en date du 25.05.2022.
Aux termes de ses conclusions signifiées par voie électronique le 12..06.2023, la société Ile de France Démolition demande à la cour de:
INFIRMER le jugement dont appel en ce qu’il a:
Dit que Monsieur [Z] [B] a été révoqué sans juste motif de ses mandats de directeur général des sociétés IDF Démolition et D3 environnement,
Condamné la SAS IDF Démolition à payer la somme de 100.000 € de dommages et intérêts à Monsieur [Z] [B] au titre de la résiliation anticipée de son mandat de directeur général à durée déterminée d’IDF Démolition,
Condamné la SAS IDF Démolition à payer la somme de 9.400 € de dommages et intérêts à Monsieur [Z] [B] au titre de la perte de son véhicule de fonction,
Condamné la SAS IDF Démolition à payer la somme de 30.000 € de dommages et intérêts à Monsieur [Z] [B], au titre de sa révocation réalisée de manière vexatoire et brutale,
Dit que les sommes ci-dessus produiront intérêt légal à compter de la date de prononcé du jugement attaqué,
Condamné in solidum, les SAS IDF Démolition et 3D Environnement, à payer la somme de 3.000 € à Monsieur [Z] [B] au titre de l’article 700 du Code de procédure civile,
Condamné solidairement les SAS IDF Démolition et 3D environnement aux dépens, en ce compris les frais de greffe liquidés à la somme de 80,30 euros TTC.
STATUANT A NOUVEAU
1. Sur l’absence de motif des révocations
A titre principal, sur la révocation ad nutum
– DEBOUTER Monsieur [Z] [B] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions.
A titre subsidiaire, sur l’existence de motifs de révocation
– DEBOUTER Monsieur [Z] [B] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions.
Encore plus subsidiairement, sur le préjudice allégué
– DEBOUTER Monsieur [Z] [B] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions.
2. Sur le caractère brutal et vexatoire des révocations
A titre principal. sur l’absence de caractère brutal ou vexatoire
– DEBOUTER Monsieur [Z] [B] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions.
A titre subsidiaire, sur le préjudice allégué
– DEBOUTER Monsieur [Z] [B] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions.
3. En tout état de cause
– CONDAMNER Monsieur [Z] [B] à payer à la société IDF la somme de 35 .000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ;
– CONDAMNER Monsieur [Z] [B] aux entiers dépens qui seront recouvrés par la Selarl Lexavoué Paris-Versailles, conformément aux dispositions de l’article 699 du Code de procédure civile.
Aux termes de ses conclusions signifiées par voie électronique le 28.04.2023, Monsieur [Z] [B] demande à la cour de:
– CONFIRMER le jugement rendu le 5 mai 2022 par le Tribunal de Commerce d’Evry en ce qu’il :
‘ Dit que M. [Z] [B] a été révoqué sans juste motif de ses mandats de directeur général des sociétés IDF Démolition et 3D environnement ;
‘ Condamne la SAS ILE DE FRANCE DEMOLITION à payer la somme de 100.000 € de dommages et intérêts à M. [Z] [B] au titre de la résiliation anticipée de son mandat de DG à durée déterminée d’IDF Démolition ;
‘ Condamne la SAS IDF Démolition à payer la somme de 9.400 € de dommages et intérêts à M. [Z] [B] au titre de la perte de son véhicule de fonction ;
‘ Dit que les sommes ci-dessus produiront intérêt légal à compter de la date de prononcé du jugement attaqué ;
‘ Condamne in solidum, les SAS IDF Démolition et 3D Environnement, à payer la somme de 3.000 € à M. [Z] [B] au titre de l’article 700 du Code de procédure civile, rappelle que l’exécution provisoire du présent jugement est de droit ;
‘ Condamne solidairement les SAS IDF Démolition et 3D environnement aux dépens, en ce compris les frais de greffe liquidés à la somme de 80.30 euros TIC ;
– INFIRMER le jugement rendu le 5 mai 2022 par le Tribunal de Commerce d’Evry en ce qu’il a limité la condamnation de la SAS IDF Démolition au titre de sa révocation réalisée de manière vexatoire et brutale à la somme de 30.000 € de dommages et intérêts,
Statuant à nouveau sur ce chef,
– CONDAMNER la SAS IDF Démolition à payer à M. [Z] [B] la somme complémentaire de 70.000 euros de dommages et intérêts, au titre de sa révocation réalisée de manière vexatoire et brutale, soit la somme totale de 100.000 euros, augmentée des intérêts au taux légal à compter de la date de prononcé du jugement attaqué ;
Y ajoutant :
– CONDAMNER la SAS IDF Démolition à payer à M. [Z] [B] la somme de 35.000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens.
MOTIFS DE LA DECISION
La cour souligne préliminairement qu’il n’est réclamé par Monsieur [B] l’indemnisation que de sa révocation de ses fonctions de dirigeant de la société IDF Démolition, et non de sa révocation de ses fonctions de dirigeant de la société D3 Environnement intervenue le même jour, la société D3 Environnement ayant, depuis, fait l’objet d’une liquidation amiable et n’étant pas présente dans la présente procédure en appel.
Sur la révocation
Les appelants soutiennent que Monsieur [B] était révocable ad nutum et en concluent que la révocation de ses fonctions n’ouvre droit à aucune indemnité. Ils font valoir que les statuts de la société IDF prévoient que le dirigeant est révocable ad nutum et qu’il importe peu que le mandat de dirigeant ait prévu une révocation selon certains motifs, les statuts prédominant sur le mandat et la jurisprudence, et en particulier un arrêt de la Cour de cassation en date du 12.10.2022, écartant les actes extra statutaires dérogeant aux statuts.
Monsieur [B] expose qu’au terme de son contrat son mandat de directeur général était un mandat à durée déterminée et ne pouvait faire l’objet d’une résiliation anticipée qu’à condition de justifier de l’un des trois motifs expressément stipulés dans les conditions d’exercice du mandat mais que sa révocation est intervenue en dehors des cas prévus par l’article 3 des conditions d’exercice du Mandat.
Il soutient que contrairement à ce que prétendent les appelantes il n’existe aucun principe en droit des sociétés consacrant une quelconque prévalence de principe des statuts sur les mandats sociaux sauf à venir à l’encontre du principe fondamental de la force obligatoire des contrats mais aussi du principe selon lequel les règles spéciales priment sur les règles générales. Il expose que la décision citée par les appelantes d’une part démontre l’articulation délicate entre les statuts et les actes extrastatutaires et d’autre part n’a pas fait l’objet d’une approbation générale mais a été au contraire largement critiquée par la doctrine dont une partie estime que rien ne justifie que les dérogations conventionnelle ne soient pas admises dans le domaine de la direction des SAS dès lors que tous les associés y consentent. Il fait valoir que les faits d’espèce de la décision du 12.10.2022 ne sont pas les mêmes que dans la présente instance et souligne qu’en l’espèce les stipulations de son contrat ont été approuvées expressément par l’appelante en qualité de signataire du contrat et par ses associés à l’unanimité. Il en conclut que l’appelante ne saurait donc invoquer, sans faire preuve d’une mauvaise foi certaine et sans violer le principe selon lequel nul ne peut se contredire au détriment d’autrui, une quelconque nullité des stipulations contractuelles relatives à la révocation du directeur général.
Sur ce
Aux termes de l’article L. 227-5 du code de commerce : ‘Les statuts fixent les conditions dans lesquelles la société est dirígée’.
Il résulte de cet article que seuls les statuts d’une société par action simplifiée peuvent fixer les conditions dans lesquelles la société est dirigée, parmi lesquelles figurent les modalités de révocation de son directeur général.
L’article 23 ‘directeur général’ dans son sous paragraphe 23.2 ‘durée des fonctions’ des statuts de la société IDF Démolition stipule que le Directeur Général peut être révoqué à tout moment et sans qu’un juste motif soit nécessaire, par décision du Président. La révocation des fonctions de Directeur Général n’ouvre droit à aucune indemnité.
Cependant aux termes d’un procès verbal de l’assemblée générale mixte de la société IDF Démolition, en date du 2 octobre 2019, les associés de la société IDF Démolition s’agissant de la société Green Acquisition titulaire de 499 actions sur 500 et de la société Newco Green Holding titulaire d’une action, ont décidé, à l’unanimité, de nommer en qualité de dirigeant général de la société Monsieur [B] pour une durée de trois ans et d’approuver les conditions d’exercice du mandat, les limitations de pouvoir, ainsi que les conditions de la rémunération de Monsieur [Z] [B] en sa qualité de Directeur Général de la Société, annexées aux présentes résolutions (ANNEXE 1).
L’annexe 1 qui détaille les conditions d’exercice de son mandat de directeur général par [Z] [B] stipule dans son paragraphe ‘conditions et conséquences de la cessation des fonctions’ que le mandat de Directeur Général peut être révoqué à tout moment, par décision de la collectivité des associés statuant à la majorité simple, dans les hypothèses suivantes:
– faute lourde et/ou faute grave telles que ces deux notions sont définies par la jurisprudence de la chambre sociale de la Cour de cassation et appliquées mutadis mutandis aux mandataires sociaux;
– non atteinte des performances commerciales et/ou financières fixées en début d’année dans le budget;
– mésentente ou désaccord avec le Président de la Société et/ou avec le représentant personne physique de la société NEWCO GREEN HOLDING.
La révocation du Directeur Général ne donnera droit à aucune indemnité de quelque nature que ce soit.
Alors que les statuts prévoient une révocation ad nutum du dirigeant social, les associés de la société ont, lors de l’assemblée générale de la société ayant désigné Monsieur [B] comme directeur de la société, également approuvé des conditions de révocation différentes des conditions prévues dans les statuts de la société.
Cette décision prise à l’unanimité des associés lors d’une assemblée générale, démontre la volonté expresse des associés de déroger aux statuts par une décision collective prise aux conditions requises pour modifier les statuts. Sans que soit méconnu le principe de primauté des statuts sur un acte extra-judiciaire en ce qu’ils établissent les règles de fonctionnement de la SAS, cette décision s’impose à la société quand bien même les statuts n’auraient pas fait l’objet d’une modification.
Il en résulte qu’il ne peut être excipé des dispositions des statuts pour écarter la demande de Monsieur [B] fondée sur la décision collective des associés organisant différement les conditions de sa révocation mais qu’il convient de faire application des conditions de révocation prévues par l’annexe détaillant les conditions d’exercice du mandat de directeur général.
Sur les motifs de révocation
L’appelante expose que le motif principal de la révocation de Monsieur [B] de son mandat est la non atteinte des performances commerciales et/ou financières fixées en début d’année dans le budget, que l’absence d’atteinte des objectifs a été rappelée lors des entretiens du 26.06.2020.
Elle fait valoir qu’en premier lieu Monsieur [B] a manqué à son obligation de fournir un budget au président de la société IDF en début d’exercice, la remise étant en fait prévue au plus tard 30 jours précédent le début de l’exercice, ce qu’il ne conteste pas, que les budgets n’ont été adressés que le 6.03.2020, soit avec plus de trois mois de retard et conclut que cette remise tardive constitue un premier motif de révocation.
Elle souligne que le budget remis était prévu pour être très performant.
Elle expose que le moyen avancé par Monsieur [B] pour expliquer le retard de communication doit être écarté en faisant valoir que le changement de date de clôture des comptes n’a pas d’impact sur l’établissement du budget et que l’indisponibilité du directeur financier n’est pas avérée, voire est contestée par celle ci et qu’en tout état de cause l’absence d’objectifs officiellement établis ne permet pas à Monsieur [B] de ne pas gérer la société au mieux des intérêts de celle ci.
Elle fait valoir les résultats économiques catastrophiques d’IDF sous la direction de Monsieur [B] caractérisés par la baisse importante du chiffre d’affaires d’IDF -soulignant que l’évaluation de la perfomance ne s’imposait pas sur une base annuelle-, l’absence de maîtrise de la trésorerie et des relations avec les foumisseurs, l’évolution catastrophique de l’EBITDA d’IDF, l’importante injection de capitaux pour soutenir la société et que l’ensemble de ces résultats caractérisent la faute grave justifiant la révocation.
Elle souligne que Monsieur [B] a eu l’occasion de s’expliquer sur les résultats financiers d’IDF lors de l’entretien du 26.06.2020.
Elle expose que les reproches concernant la gestion ne se limitent pas aux mois de janvier et février 2020 et qu’elle produit les pièces rapportant la preuve des piètres résultats financiers de la société qui sont des données issues de la comptabilité validées par l’expert comptable.
S’agissant de la trésorerie elle conteste l’argument retenu par le tribunal aux termes duquel il ne s’agirait pas d’une faute grave ou lourde en rappelant que dans l’hypothèse où le contrat de mandat serait applicable malgré sa contradiction avec les statuts, il ne prévoit aucunement que les fautes invoquées soient graves ou lourdes pour justifier de la révocation en cas de non atteinte des performances commerciales ou financières et que le niveau de trésorerie est invoqué par IDF comme un indice fort de la déliquescence de la situation commerciale et financière d’IDF, qu’en tout état de cause la gestion de la trésorerie telle qu’elle est résultée de la gestion de l’entreprise par l’intimé doit être considérée comme une faute grave.
Elle expose que Monsieur [B] n’a pas élaboré de plan de poursuite et de reprise de l’activité d’IDF durant la crise sanitaire, ce qui constitue une faute grave puisqu’affectant la survie potentielle de la société, exposant que diverses attestations de salariés de l’entreprise démontrent la passivité et la désaffection de Monsieur [B]. Elle fait valoir qu’il importe peu de savoir si il existait une obligation légale d’élaborer un tel plan dans la mesure où c’était une obligation ordonnée par le président du groupe le 13 mars et où l’élaboration d’un tel plan était indispensable pour préserver la santé et la viabilité de l’entreprise, exposant que les pièces produites par Monsieur [B] démontrent son absence d’implication et sa gestion critiquable de l’activité de la société pendant la pandémie.
Elle expose qu’elle n’a pas fait valoir la mésentente entre Monsieur [B] et le président de Newco Green Holding comme étant une cause de révocation comme l’a retenu le tribunal, mais l’a indiqué, dans le cadre de l’évaluation du préjudice, comme rendant impossible le maintien de Monsieur [B] dans ses fonctions dès juillet 2020 qui n’aurait donc pas pu percevoir l’intégralité de sa rémunération.
Monsieur [B] réplique que lors de l’entretien du 26 juin 2020, l’explication principale qui lui a été donnée sur la révocation de ses mandats de directeur général était la découverte des agissements frauduleux de [V] [L] au sein de Sobaten, la sous-performance d’IDF Démolition au cours des mois de janvier et février 2020 n’étant que brièvement évoquée par [S] [A] et le surprenant puisque c’était la première fois qu’il entendait un tel reproche.
Il soutient que les performances commerciales et/ou financières d’IDF Démolition et de D3-Environnement doivent être nécessairement évaluées sur l’ensemble de l’année et que l’atteinte ou la non-atteinte des performances fixées en début d’année ne pouvait être constatée qu’à la fin de l’exercice annuel, soit le 31 décembre 2020 pour un exercice social ayant débuté ler janvier 2020, et non sur deux mois, faisant valoir le caractère cyclique du secteur économique de la construction et de la démolition.
Il expose qu’il n’a jamais eu l’opportunité de s’exprimer sur les résultats financiers d’IDF Démolition.
Il expose que les PV de sa révocation lui ont communiqués plus d’un mois après les révocations et ont été établis a posteriori et n’ont pas été soumis à sa validation, lui attribuant des propos qu’il n’a jamais tenu et fait valoir qu’aucune pièce antérieure au 26.06.2020 n’a été produite par les appelantes au soutien des mauvais résultats qu’elles avancent.
Il soutient que s’agissant du retard pris pour la production du budget annuel il est dû au changement de la date de clôture de l’exercice des deux sociétés et à l’indisponibilité totale du directeur financier qui s’est consacré à l’établissement des comptes consolidés et souligne que ce retard n’a jamais été évoqué lors de l’entretien.
S’agissant de la mise en place d’un plan de sauvegarde Covid il indique que ce motif n’a pas été abordé lors de l’entretien, fait valoir qu’il n’existe aucune obligation légale ou contractuelle d’en élaborer un mais qu’en tout état de cause il s’est toujours soucié de la continuité de l’exploitation d’IDF Démolition, a eu la volonté de reprendre les chantiers au plus vite et a travaillé dans ce sens comme il en rapporte la preuve.
Il conteste les attestations produites compte tenu du lien de subordination existant entre la société et les attestants qui en sont les salariés et fait valoir leurs inexactitudes.
Il conteste les reproches concernant les relations avec les fournisseurs et la trésorerie exposant que l’associé de la société IDF Démolition a aidé celle ci en versant des sommes entre avril et octobre 2020, ce qui est une pratique habituelle des associés en cas de difficultés rencontrées par une société. Il conteste les pièces produites comme rapportant la preuve des mauvais résultats d’IDF Démolition qui ont été établies sous la nouvelle présidence sans qu’il n’ait pu en prendre connaissance et qui ne sont ni validées, ni certifiées par le commissaire aux comptes de la société ou à tout le moins l’expert comptable et qui en tout état de cause démontrent l’existence d’un EBIDTA largement positif sur la période de janvier à juillet 2020 et le fait que la société a subi une chute moins importante que la société SET et est revenue en juin 2020 à son niveau de budget initial. Il fait valoir qu’il n’existe pas plus d’élément probant concernant sa révocation de D3-Environnement qui était en sommeil depuis des mois avant d’être dissoute.
Il indique enfin qu’il ne peut être considéré comme le seul à l’origine des soi-disant performances catastrophiques d’IDF Démolition et de D3-Environnement alors qu’il n’était qu’un directeur général d’IDF DEMOLITION et de D3-Environnement et que le rôle central dans la direction et la stratégie financière de ces sociétés était réservé à leur président, NEWCO GREEN HOLDING, elle-même présidée par [S] [A].
S’agissant de la trésorerie il expose qu’il ne peut être valablement soutenu par l’appelante que ses arguments relatifs à la faible trésorerie d’IDF Démolition sont suffisants pour caractériser une faute grave de sa part.
S’agissant de la mésentente il prend acte que l’appelante reconnaît expressément que la révocation de l’intimé n’a pas été motivée par une mésentente, telle que mentionnée dans les Conditions d’Exercice du Mandat, et n’apporte d’ailleurs aucun élément probant susceptible de justifier l’existence d’un quelconque désaccord à la date de la révocation de l’intimé, et il demande à la cour de rejeter le raisonnement tenu par les appelants s’agissant du fait qu’il n’aurait pas pu rester à son poste du fait de l’existence de litiges entre la Newco Green Holding et la société Grove Services -postérieurement à sa révocation et en réponse à la présente procédure- qui ne présument pas d’une quelconque mésentente imminente entre lui et le président de la Newco.
Sur ce
L’annexe 1 qui détaille les conditions d’exercice de son mandat de directeur général par [Z] [B] stipule dans son paragraphe ‘conditions et conséquences de la cessation des fonctions’ que le mandat de Directeur Général peut être révoqué à tout moment, par décision de la collectivité des associés statuant à la majorité simple, dans les hypothèses suivantes:
– faute lourde et/ou faute grave telles que ces deux notions sont définies par la jurisprudence de la chambre sociale de la Cour de cassation et appliquées mutadis mutandis aux mandataires sociaux;
– non atteinte des performances commerciales et/ou financières fixées en début d’année dans le budget;
– mésentente ou désaccord avec le Président de la Société et/ou avec le représentant personne physique de la société NEWCO GREEN HOLDING.
La révocation du Directeur Général ne donnera droit à aucune indemnité de quelque nature que ce soit.
La cour souligne en premier lieu que la décision de révocation n’a pas été prise par la collectivité des associés statuant à la majorité simple mais par le président de la société.
Les conditions de révocation s’agissant de l’organe décisionnaire ne sont donc pas respectées.
S’agissant des motifs de la révocation trois motifs sont prévus:
– l’existence d’une faute lourde ou grave:
La faute lourde désigne une faute caractérisée par une intention de nuire à l’employeur de la part du mandataire à laquelle elle est reprochée, et en l’espèce aucune faute de ce type n’est articulée par la société IDF Démolition à l’encontre de Monsieur [B].
La faute grave est caractérisée par un agissement du mandataire contraire à ses obligations à l’égard de l’employeur, qui a des répercussions sur le fonctionnement normal de l’entreprise et qui rend impossible le maintien du mandat et impose d’y mettre fin immédiatement.
La société IDF Démolition fait valoir deux fautes s’agissant de:
– la présentation tardive du budget annuel
– l’absence de mise en place d’un plan de sauvegarde Covid.
La présentation tardive du budget annuel est établie puisque celui ci aurait du être présentée le 1er décembre 2019 au plus tard et a été présentée le 6 mars 2020 avec trois mois de retard. Pour autant la sociét IDF Démolition n’établit pas en quoi cette présentation tardive a eu des répercussions sur le fonctionnement de l’entreprise et pourrait donc être caractérisée de faute grave commise par Monsieur [B] et en conséquence il convient d’écarter cette faute alléguée.
S’agissant de la mise en place d’un plan de sauvegarde et de reprise de l’activité la question n’est pas tant d’avoir élaboré un tel dispositif mais d’avoir accompagné l’activité de la société pendant la période de confinement et au sortir de celle ci de façon à ce que l’activité reprenne au plus vite et de façon la plus efficace possible.
En l’espèce la preuve est rapportée par les emails produits aux débats que monsieur [B]:
-s’est préoccupé de la reprise des chantiers dès le 6 avril 2020 et que des discussions ont eu lieu avec son équipe concernant l’organisation de cette reprise, alors en pleine période de confinement, étant précisé que l’activité principale de la société étant les chantiers de démolition son activité dépendait des décisions des maitres d’oeuvre des chantiers où elle intervenait.
– a également fait le point avec ses équipes sur le personnel disponible dans le cadre d’une reprise d’activité début avril 2020.
– a proposé dès le 20.03.2020 à Monsieur [A] représentant de la société Newco Green Holding, d’utiliser le prêt bancaire garanti par l’Etat pour remplacer le dispositif Dailly en lui en présentant également les inconvénient, et a obtenu l’aval de ce dernier pour le souscrire. Il ne saurait donc être reproché à l’intimé la souscription d’un tel dispositif par le représentant du président qui a donné son accord.
Il résulte de ces éléments que Monsieur [B] s’est investi dans l’activité de l’entreprise tout au long de la première période de confinement quand bien même aucun document n’aurait été établi formalisant les diverses étapes de cette reprise. Les manquements qui sont exposés par le biais des attestations produites aux débats s’agissant en particulier de son départ de la région parisienne dès le 13.03.2020 ne permettent pas de caractériser l’existence d’une faute grave alors que par ailleurs il est établi par le biais d’autres attestations qu’il est resté en lien avec son équipe pendant tout le temps de confinement et a organisé la reprise de l’activité.
Enfin la société IDF Démolition n’établit pas que la société a rencontré des difficultés en relation avec l’absence alléguée d’organisation de la reprise de son activité.
Aucune faute grave n’est donc caractérisée à l’encontre de Monsieur [B] dans le cadre de l’exécution de son mandat.
S’agissant de la non atteinte des performances commerciales et/ou financières fixées en début d’année dans le budget c’est à juste titre que Monsieur [B] souligne que la non atteinte des performances commerciales et/ou financières ne peut être examinée qu’au terme de la période de référence et non après deux mois d’activité (janvier et février).
La non atteinte des performances commerciales et/ou financières sur deux mois doit donc s’analyser sur la période de 12 mois et non seulement sur les deux premiers mois de l’année et il ne peut donc être reproché au directeur général ce motif uniquement sur ces deux mois.
Les difficultés de trésorerie dont il est fait état comme ayant existé dès le mois de janvier 2020 relèvent de l’appréciation des performances financières de la société et doivent donc être également évaluées sur l’année 2020 et non seulement sur les mois de janvier et février 2020, tout comme les avances de trésorerie consenties par l’actionnaire.
Enfin, comme indiqué ci dessus, la souscription d’un prêt garanti par l’Etat n’apparait pas en soi une solution critiquable au regard de la période d’arrêt d’activité qu’a connu l’entreprise pendant les deux mois de confinement qui n’a pu qu’obérer fortement sa trésorerie.
Ce motif n’est donc pas caractérisé.
S’agissant du troisième motif les parties s’accordent pour indiquer que celui ci ne saurait être retenu.
Aucun des motifs prévus au mandat comme permettant la révocation de Monsieur [B] n’est caractérisé et la révocation décidée par le président et non par décision collective des associés, l’a donc été en violation des conditions du mandat confié à l’intimé et doit être qualifiée de révocation sans justes motifs emportant la responsabilité de la société IDF Démolition et le versement de dommages et intérêts.
Sur le préjudice
Les appelantes exposent que les statuts prévoit que la révocation des fonctions de directeur général n’ouvre droit à aucune indemnité, et subsidiairement si il était retenu que le mandat s’applique nonobstant les statuts que le mandat prévoit lui même l’absence d’indemnités en cas de révocation.
Subsidiairement ils font valoir que l’indemnisation ne peut représenter la totalité du préjudice, mais doit être calculée sur le fondement d’une perte de chance, que le dirigeant révoqué ne peut prétendre à la rémunération qu’il aurait obtenue s’il avait conservé son mandat, qu’en l’espèce au regard des tensions grandissantes entre Monsieur [A] et Monsieur [B] il est peu probable que Monsieur [B] ait pu garder son poste longtemps après le mois de juin 2020.
Ils exposent que Monsieur [B] a retrouvé une activité 10 mois après sa révocation et qu’en indemnisant ce dernier des salaires non perçus entre sa révocation et sa nouvelle embauche le tribunal n’a pas respecté le principe selon lequel le mandataire ne peut être indemnisé à hauteur de la rémunération qu’il aurait perçue s’il était resté en poste puisqu’il n’a pas effectué de travail en contrepartie de cette rémunération.
S’agissant de la réclamation au titre de l’utilisation d’un véhicule de fonction ils font valoir que la réflexion est la même puisqu’il s’agit d’un avantage en nature lié à l’exercice des fonctions de dirigeant et qu’en l’absence de fonctions ce poste ne se justifie pas.
Monsieur [B] rappelle qu’il est prévu expressément, aux termes des Conditions d’Exercice de son Mandat que celui ci lui avait été consenti pour une durée déterminée de trois ans, qu’ IDF DEMOLITION était tenue sous peine d’enfreindre la force obligatoire du contrat et voir sa responsabilité contractuelle engagée à respecter la durée du mandat, que lui même a toujours souhaité aller au bout de son mandat de dirigeant.
Il fait valoir qu’il ne peut etre appliqué des solutions rendue en matière de révocation abusive à une action en rupture anticipée.
Il conteste le moyen articulé s’agissant du fait qu’il n’allait pas garder son poste très longtemps du fait de la mésentente entre lui et Monsieur [A] exposant, que la survenance d’une possible mésentente entre lui et le président de Newco Green Holding constitue un événement incertain, lequel, tant qu’il ne s’est pas avéré, ne peut pas constituer légitimement un motif valable de la révocation de l’intimé et souligne que si les appelants sont à ce point certains des tensions grandissantes entre lui et le président d’IDF il aurait été procédé à la rupture anticipée de son mandat sur ce fondement et non de manière précipitée.
Il indique que le préjudice subi correspond au montant réclamé.
Il expose que la somme allouée au titre de la privation de son véhicule de fonction est pleinement justifiée.
Sur ce
Monsieur [B] disposait d’un mandat de directeur général d’une durée de 3 ans à compter du 2.10.2019 auquel il a été mis fin le 26.06.2020.
Le mandat prévoit, si les conditions de la révocation sont réunies, l’absence d’indemnisation mais en l’espèce il a été retenu par la cour l’absence de motifs de révocation de telle sorte que les dispositions concernant l’absence d’indemnisation ne peuvent recevoir application et qu’il y a lieu de réparer par l’octroi de dommages et intérêts la révocation décidée sans justes motifs.
Il a été alloué à Monsieur [B] des dommages et intérêts correspondant au préjudice subi entre sa révocation et la date à laquelle il a retrouvé un emploi 10 mois plus tard, soit 100.000 euros ainsi que le préjudice subi du fait de la privation d’un véhicule de fonction.
La fixation du montant des dommages et intérêts relève du pouvoir souverain de la cour étant précisé qu’il ressort de la jurisprudence de la Cour de cassation que l’absence de justes motifs peut seulement donner lieu au versement de dommages et intérêts et non au paiement de la rémunération qui aurait du être versée au dirigeant évincé entre la date de sa révocation et le terme normal de ses fonctions.
L’appelante soutient qu’il convient de fixer le préjudice sur la base de la perte de chance c’est à dire en l’espèce, en évaluant le risque existant pour Monsieur [B] de voir le mandat confié révoqué en particulier en application du motif de mésentente entre les parties. Cependant il ne ressort pas de la jurisprudence de la Cour de cassation que l’indemnisation du préjudice né de la révocation sans justes motifs doive être évaluée en application du principe de perte de chance, comme indiqué ci dessus.
De façon surabondante le cour souligne que la perte de chance se calcule d’après la probabilité de l’éventualité défavorable avant la survenance du fait générateur de responsabilité c’est à dire en l’espèce le risque de révocation pour un juste motif pour des faits antérieurs à la révocation intervenue. Or au jour de la révocation de Monsieur [B] aucun élément ne permettait de conclure à l’absence d’atteinte des objectifs commericiaux et financiers et il n’existait aucune mésentente entre les parties. Les faits de nature à caractériser l’existence d’une mésentente sont en effet postérieurs puisque s’agissant d’une réclamation au titre de la garantie d’actif et de passif en date du 22 juillet 2020, d’une assignation en responsablité compte tenu des faits de détournement de fonds de la part du directeur financier de Sobaten le 28 janvier 2021 et d’une assignation en justice sur la garantie d’actif et de passif les 16 et 21 juin 2021.
La cour constate que Monsieur [B] ne demande pas une somme équivalente aux 27 mois qui restaient à courir mais uniquement le préjudice subi entre sa révocation et la date à laquelle il a retrouvé un emploi constitué par la privation de son salaire et de son véhicule de fonction et qu’en accordant les sommes réclamées le tribunal a fait une juste appréciation du préjudice subi par l’intimé.
La décision est donc confirmée.
Sur le caractère brutal et vexatoire de la révocation de Monsieur [B]
Les appelants contestent le caractère vexatoire et brutal de la révocation faisant valoir que:
– le délai de deux jours était suffisant selon la jurisprudence pour préparer sa défense,
– ni la loi ni la jurisprudence n’exigent que figurent dans la convocation les griefs à l’encontre du mandataire social, qu’il est simplement requis que le dirigeant soit mis en mesure de présenter ses observations devant l’organe compétent pour décider de mettre fin à ses fonctions et que sa révocation intervienne dans des circonstances excluant toute violation de l ‘obligation de loyauté, que les griefs ont longuement été exposés lors de la remise des convocations le 24 juin pendant deux heures, et que Monsieur [B] avait donc parfaitement connaissance de ce qui lui était reproché, et a pu présenter sa défense ainsi que les comptes rendus établis en rapportent la preuve.
Ils exposent que selon la jurisprudence un retrait immédiat des biens appartenant à la société ou des accès à celle ci est vexatoire si elle intervient avant même la décision mais qu’un retrait immédiat n’est pas considéré comme vexatoire, qu’en l’espèce la remise de ceux ci n’a pas été immédiate et s’est effectuée sans heurts.
Ils contestent le fait que Monsieur [B] n’ait pas pu dire au revoir aux salariés démontrant d’une part le contraire et d’autre part l’absence d’interdiction de la part de la société.
Ils indiquent que la nomination d’un nouveau directeur général le jour de la révocation de Monsieur [B] n’est pas considérée par la jurisprudence comme vexatoire ou brutale car obéissant à des contraintes de gestion légitimes.
Enfin ils font valoir que l’indemnisation ne peut être forfaitaire mais doit être fondée concrétement au regard des éléments en cause et qu’en l’espèce Monsieur [B] ne démontre pas le préjudice subi, son hospitalisation pour burn out ne permettant pas de caractériser le lien entre la révocation et le préjudice réclamé.
Monsieur [B] expose qu’il ressort de la jurisprudence constante rendue en matière de révocation des dirigeants que la révocation est abusive lorsqu’elle est accompagnée de circonstances portant atteinte à la réputation ou à l’honneur du dirigeant, ou lorsqu’elle a été décidée brutalement sans respecter l’obligation de loyauté dans l’exercice du droit de révocation, c’est-à-dire sans que le dirigeant, avant que la révocation ne soit décidée, ait eu connaissance des motifs de sa révocation et ait été mis en mesure de présenter ses observations, que le caractère abusif de la révocation est notamment établi lorsque le dirigeant n’a pas pu bénéficier d’un délai suffisant pour assurer sa défense ou lorsqu’il a été privé immédiatement de l’accès à sa boîte d’e-mail ou de tout objet qu’il a détenu dans le cadre de ses fonctions de dirigeant mais également lorsque la désignation du nouveau dirigeant intervient le jour même de la révocation du dirigeant en place.
Il fait ainsi valoir en l’espèce:
– que la seule raison qui a été évoquée comme grief lors de la remise des convocations est la sous performance d’IDF démolition, qu’il a découvert les autres griefs dans les PV notifiés le 6 août, qu’il n’a pas pu préparer sa défense faute de connaitre ce qu’on lui reprochait, qu’il n’a pas pu bénéficier d’un délai suffisant pour être en mesure de présenter ses observations,
– que le caractère brutal de sa révocation est d’autant plus flagrant que cette révocation a été manifestement préméditée par Newco Green Holding puisque dès sa révocation une autre personne, Monsieur [F] [O], a été nommée, avec effet immédiat
– qu’il a enfin été privé immédiatement des objets mis à sa disposition dans le cadre de ses fonctions et n’a pas pu envoyer de courriel aux salariés des sociétés.
Il indique que les deux arrêts dont se prévalent les appelants consacrent le caractère brutal de la révocation d’un dirigeant lorsque la décision de sa révocation a été prise avant même que se tienne l’assemblée générale prononçant cette révocation, que tel est précisément le cas en l’espèce puisque la décision de le révoquer a été prise bien en amont, puisqu’il était remplacé immédiatement par une autre personne, contactée dans le cadre d’un recrutement extérieur.
Il fait valoir que son préjudice est établi par son hospitalisation en urgence le jour même et critique l’argumentation des appelantes à ce titre.
Sur ce
Le caractère brutal ou vexatoire de la révocation est susceptible de caractériser une faute de la part de la société justifiant qu’il soit alloué des dommages et intérêts au dirigeant révoqué.
En l’espèce il est établi que:
– Monsieur [B] a été convoqué à un entretien avec le président des deux sociétés l’avant veille de la date de l’entretien, par un courrier mentionnant que sa révocation était envisagée mais ne mentionnant pas les raisons invoquées par la société
– Aux termes de l’entretien le président de la société IDF Démolition et de la société D3 Environnement l’a informé de sa révocation de ses mandats de dirigeant avec effet immédiat
– la dernière partie de la réunion a consisté à organiser la remise des outils mis à disposition de Monsieur [B] à la société IDF Démolition: la portabilité du numéro de téléphone a été autorisée, le véhicule a été rendu entre midi et 14h étant précisé que l’entretien s’est terminé à 11h30, les moyens de paiement ont été remis immédiatement au président de la société et il a été prévu que l’ordinateur serait redéposé au bureau dans l’après midi.
– un nouveau directeur général a été immédiatement nommé.
La décision de révocation et sa mise en oeuvre sont intervenues en quelques heures puisque la décision a été signifiée à Monsieur [B] dans le courant de la matinée, l’entretien qui s’est terminée par la discussion sur la remise des outils mis à sa disposition a pris fin à 11h30, le véhicule et l’ordinateur ont été remis dans les heures qui ont suivi et les accès informatiques ont été coupés dans le même temps.
Enfin à 11h30 au moment même où il a été mis fin à l’entretien avec l’intimé le président de la société a désigné un nouveau directeur général en établissant un procès verbal daté du 26.06.2020 à 11h30 révoquant Monsieur [B] et désignant Monsieur [O] comme directeur général de la société.
Le délai de convocation, 48 heures avant, n’est pas de nature à être qualifiés de brutal, le délai bien que court ayant permis à Monsieur [B] de se préparer.
La révocation de Monsieur [B] ne pouvant intervenir ad nutum devait s’inscrire dans les motifs prévus par les conditions d’exercice du mandat confié, ce qui imposait que soit porté à sa connaissance les motifs de révocation envisagés avant l’entretien. En l’espèce il n’est pas rapporté la preuve que les motifs envisagés de révocation, qui ne figurent pas dans la lettre de convocation, lui aient été indiqués, ce qui caractérise la brutalité alléguée par l’intimé.
Par ailleurs la mise en oeuvre en quelques heures d’une décision de révocation, s’appliquant à un dirigeant en place depuis 4 ans au sein de la société, présente en soi un caractère brutal qui ne peut se justifier qu’au regard des circonstances de la révocation et de la situation de la société.
Or les éléments mis en avant par la société pour procéder à sa révocation, s’agissant de l’absence d’atteinte des performances d’activité de la société et la dégradation de la situation financière de la société si elles justifiaient un remplacement rapide de la dirigeance, n’imposait pas que la décision soit mise en oeuvre en quelques heures.
En effet on ne peut sérieusement envisager qu’entre 11h30 et le milieu de l’après midi il ait pu être procédé:
– à la restitution du véhicule,
– au déplacement des parties sur les lieux d’exercice de l’activité du dirigeant révoqué,
– à l’enlèvement de ses affaires personnelles du bureau occupé,
– à la sauvegarde informatique des données et à l’envoi d’un message aux équipes avec lesquelles il avait travaillé pendant 4 ans.
La cour souligne qu’il n’a pas été allégué contre Monsieur [B] des faits de déloyauté à l’encontre de son employeur qui justifiait une mise en oeuvre aussi rapide de la décision entreprise pour sauvegarder les intérêts de la société.
Enfin la désignation immédiate de son successeur, recruté extérieurement à la société, qui a ainsi pris ses fonctions avant même qu’il ne soit parti de la société physiquement est humiliant, démontrant que la décision a été prise avant même l’entretien qui apparait donc factice et entrainant le risque que les deux personnes se croisent en présence des salariés, et donc vexatoire.
La société IDF Démolition ne conteste pas la rapidité de la mise en oeuvre de la révocation soutenant juste qu’il n’existe pas de préjudice un message ayant pu être envoyé puisque des réponses ont été apportées.
Les parties s’opposent sur ce point puisque Monsieur [B] soutient qu’il n’a pas pu adresser de message à l’ensemble de ses équipes mais la cour souligne qu’il importe peu finalement de déterminer ce qui a été ou non réellement possible en constatant que l’enchainement de la remise des différents outils a été trop rapide pour permettre un départ dans des conditions correctes.
La brutalité de la révocation de l’intimé a eu pour conséquence une souffrance psychique aigue qui a entrainé son hospitalisation psychiatrique en urgence le soir même et jusqu’au lendemain en début d’après midi.
Il y a donc lieu de confirmer la somme allouée par le tribunal de première instance qui a fait une juste appréciation du préjudice subi par Monsieur [B] du fait du caractère brutal et vexatoire de la révocation.
Sur la demande au titre des frais irrépétibles et les dépens
L’appelant demande la somme de 35.000 euros.
L’intimé demande la même somme.
Sur ce
Il ne convient pas de faire droit aux demandes de l’appelante qui succombe en son appel et il y a lieu de faire droit à la demande de l’intimé à hauteur de 20.000 euros.
Les dépens sont mis à la charge de l’appelante.
PAR CES MOTIFS
Confirme le jugement rendu par le tribunal de commerce d’Evry le 5.05.2022,
Et y ajoutant
Déboute la société IDF Démolition de l’ensemble de ses demandes
Déboute Monsieur [B] de sa demande reconventionnelle
Condamne la société IDF Démolition à payer à Monsieur [B] la somme de 20.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile
Condamne la société IDF Démolition aux dépens.
Le Greffier La Présidente