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MINUTE N° 12/2023
Copie exécutoire à
– Me Noémie BRUNNER
– la SCP CAHN G./CAHN T./BORGHI
Le 12 janvier 2023
Le Greffier
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE COLMAR
DEUXIEME CHAMBRE CIVILE
ARRÊT DU 12 Janvier 2023
Numéro d’inscription au répertoire général : 2 A N° RG 21/00439 – N° Portalis DBVW-V-B7F-HPI6
Décision déférée à la cour : 07 Décembre 2020 par le tribunal judiciaire de STRASBOURG
APPELANTE et intimée sur incident :
Madame [Z] [T]
demeurant [Adresse 1]
représentée par Me Noémie BRUNNER, avocat à la cour.
Avocat plaidant : Me HERQUE, avocat à Strasbourg
INTIMÉE et appelante sur incident :
La S.A.R.L. CAMPUS PRIVE D’ALSACE (OSCAR), prise en la personne de son représentant légal
ayant son siège social [Adresse 2]
représenté par la SCP CAHN G./CAHN T./BORGHI, avocats à la cour.
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 modifié et 910 du Code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 10 Novembre 2022, en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant Monsieur Franck WALGENWITZ, Président de chambre, et Madame Nathalie HERY, Conseiller, chargés du rapport.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Monsieur Franck WALGENWITZ, Président de chambre
Madame Myriam DENORT, Conseiller
Madame Nathalie HERY, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Madame Sylvie SCHIRMANN.
ARRÊT contradictoire
– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile.
– signé par Monsieur Franck WALGENWITZ, président et Madame Sylvie SCHIRMANN, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSE DU LITIGE
La société Campus Privé d’Alsace a pour activité la formation dans diverses activités et professions et dispense notamment un enseignement d’ostéopathie sous l’enseigne « OSCAR ».
Madame [T] [Z] a souscrit le 31 mars 2016 auprès de ladite société un contrat d’enseignement afin de suivre la formation d’ostéopathe, sur un cycle d’étude de 5 ans.
Après avoir suivi les enseignements des deux premières années du cycle, elle a notifié le 24 août 2018, sa volonté d’annuler son contrat au motif que le déroulement de sa scolarité l’a ‘ fait douter de la capacité de l’école à fournir un enseignement de qualité pour les années à venir».
La société Campus Privé d’Alsace a assigné Madame [Z] [T] devant le tribunal judiciaire de Strasbourg en paiement des frais des 3 années d’enseignement restantes.
Par un jugement du 7 décembre 2020, la juridiction de Strasbourg a :
– condamné Madame [Z] [T] à payer à la SARL Campus Privé d’Alsace agissant sous l’enseigne « OSCAR » la somme de 23 400 euros augmentée des intérêts au taux légal à compter du 18 février 2019, date de la mise en demeure ;
– débouté Madame [Z] [T] de sa demande reconventionnelle en dommages et intérêts;
– condamné Madame [Z] [T] aux entiers frais et dépens;
– débouté la SARL Campus Privé d’Alsace agissant sous l’enseigne «OSCAR» de sa demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile.
Pour fonder sa décision, le juge a , après avoir rappelé le cadre contractuel qui liait les parties au litige, estimé que Mme [T] ne démontrait pas que :
– l’établissement n’a pas respecté les conditions d’enseignement posées par le décret 2014-1505 du 12 décembre 2014 et l’arrêté rendu le même jour relatif à la formation en osthéopathie, en ce qu’il ne disposait pas d’équipements suffisants pour permettre la formation pratique, en mettant en oeuvre des modalités pédagogiques inadaptées et en ne respectant pas les conditions d’examen idoines,
– l’établissement n’a pas respecté ses engagements contractuels (possibilité d’échange scolaire dans le cadre du programme Erasmus, absence de bibliothèque et de suivi personnalisé des élèves…).
Madame [T] a interjeté appel le 7 janvier 2021.
PRETENTIONS DES PARTIES
Mme [T] demande dans ses écritures notifiées par RPVA le 30 août 2022 l’infirmation totale du jugement entrepris et que la cour, statuant à nouveau, déboute la société Campus Privé d’Alsace sous enseigne OSCAR de l’ensemble de ses demandes et la condamne, outre aux dépens de première instance, au paiement d’une somme de 5 200 euros à titre de dommages et intérêts.
A titre subsidiaire, en cas de condamnation, il conviendrait de réduire à l’euro symbolique ou à de plus justes proportions le montant de celle-ci et d’autoriser l’appelante à se libérer de cette somme en 24 mensualités.
En tout état de cause, il y aurait aussi lieu de rejeter l’appel incident de la SARL Campus Privé d’Alsace (OSCAR) et de condamner cette dernière, outre aux dépens, à verser à Madame [Z] [T] la somme de 3.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Mme [T] insiste sur le fait que l’école OSCAR a perdu son agrément du ministère des affaires sociales et de la santé une première fois au cours de l’année 2015 puis en 2021.
En 2018, le syndicat français des ostéopathes exclusifs (SFDO) a sollicité à nouveau le retrait de l’agrément de l’école OSCAR compte tenu de l’incapacité de cette dernière à tenir ses engagements. L’ARS aurait constitué un dossier qui a conduit un nouveau retrait de l’agrément en 2021, ce qui aurait du empêcher l’école de continuer à se présenter comme un établissement de formation agréé.
L’école a finalement obtenu un agrément provisoire d’une année par décision du 18 octobre 2021.
Dans un tel contexte, l’appelante estime qu’elle était en droit de résilier le contrat le 24 août 2018 comme l’ont fait de nombreux autres étudiants, pour cause de la récurrence des carences et des manquements de l’école, qui n’était pas en mesure de délivrer les prestations exposées dans le référentiel pédagogique qui avait été remis à l’élève au moment de son inscription, ou imposées par le décret 2014-1505 du 12 décembre 2014 et son arrêté.
Au sujet du non respect du programme pédagogique national, l’appelante indique que :
– elle a résilié son contrat lorsqu’elle était en deuxième année, en observant en particulier que la structure de l’école OSCAR ne permettrait pas aux étudiants d’atteindre le quota d’heures de pratique imposé (soit 120 heures de formation pratique clinique en observation et découverte les deux premières années, 210 heures de stage d’apprentissage progressif pour la troisième année…) et ce tous niveaux confondus ; l’existence de cette insuffisance serait démontrée par la production d’une attestation du directeur d’un établissement concurrent, le Collège d’Osthéopathie de [Localité 5] (COS) mais aussi par des attestations d’autres étudiants, qui après avoir quitté OSCAR, ont été obligés de redoubler une année lors de leur intégration au COS du fait de cette insuffisance d’heures de pratique ne permettant pas la validation de leur dernière année,
– la circonstance que la SARL Campus Privé d’Alsace (OSCAR) dispose d’un nouvel agrément est sans incidence puisque l’analyse doit se porter à la date de résiliation,
– elle n’est pas la seule à se plaindre de la piètre qualité de l’enseignement, affirmant qu’une cinquantaine d’étudiants auraient abandonné leur cursus débuté auprès de l’établissement OSCAR , 8 d’entre eux étant en litige devant la présente cour se plaignant entre autre de l’absence de certains professeurs encadrant les heures de clinique,
– l’école OSCAR ne respecterait pas les modalités pédagogiques déterminées sous l’annexe III du décret du 12 décembre 2014 qui limite le nombre d’étudiants par session de travaux dirigés à un maximum de 25, alors que les sessions mises en place réunissaient de 30 à 40 élèves en 2017, comme le dénonçaient des courriers d’autres étudiants et la lettre de doléances du 10 juillet 2019 de la promotion Viola Frymann 2021,
– les conditions d’examen et de passage en année supérieure fixées aux termes de l’arrêté du 12 décembre 2014, ne seraient pas davantage respectées, en ce sens que le contrat passé entre OSCAR et l’étudiant stipule que le passage en année supérieure est automatique ; cette irrégularité du contrat expliquerait la situation délicate dans laquelle se sont retrouvés quatre étudiants de 5ème année dont les diplômes ont été validés par la commission pédagogique de l’établissement le 2 juin 2020, mais qui se sont vu refuser la validation le 3 juin 2020 par l’ARS (cf. Courrier explicatif de Mme [M]),
– le contenu des enseignement ne respecterait pas le programmes officiel, comme le regrettait la lettre de la promotion Viola Frymann et le courrier du syndicat français des ostéopathes du 28 octobre 2019.
D’autre part, Mme [T] reproche à la SARL Campus Privé d’Alsace (OSCAR) des manquements à ses engagements contractuels en s’étant abstenue de mettre à dispositions des élèves des prestations annoncées sur son site internet ou dans la documentation de présentation.
Ainsi en était-il :
– de la formation obligatoire de pratique clinique de 1500 heures, alors que mathématiquement – en tenant compte des effectifs des promotions, des capacités d’accueil des patients sur des tranches d’ouverture contraintes – il n’était pas possible de proposer aux étudiants autant d’heures de pratique,
– du contenu de l’enseignement qualifié d’incomplet, plusieurs matières prévues au référentiel pédagogique n’étant pas enseignées telles que le raisonnement et la démarche clinique osthéopathiques (UE 4.3), la palpation osthéopathique (UE 5.2) ou les gestes et soins d’urgence (UE 5.12), d’autres l’étant de manière partielle (UE 5.1; anatomie palpatoire),
– de l’absence d’un suivi personnalisé des étudiants,
– de l’insuffisance des équipements et des espaces de travail, les étudiants ne disposant pas de la bibliothèque annoncée,
– du fait que la formation pratique en stages externes n’était pas forcément assortie d’une convention de stage, l’appelante avançant même l’hypothèse que l’école n’aurait pas contracté une assurance couvrant les étudiants durant leurs stages,
– du fait que OSCAR ne faisait pas partie du programme d’échanges Erasmus.
A titre reconventionnel, l’appelante sollicite des dommages et intérêts, et au sujet de l’appel incident, conclut à son rejet.
Subsidiairement, elle estime que la cour est en possibilité de réduire le montant qui lui était réclamé en application de l’article 1231-5 du Code civil, et tout du moins de lui accorder des délais de paiement au regard de sa situation professionnelle, en ce qu’elle vient juste d’achever son parcours de formation.
* * *
Dans ses dernières écritures notifiées par RPVA le 17 juin 2022, la société Campus Privé d’Alsace conclut à la confirmation du jugement, sauf en ce qu’il a rejeté sa demande formulée au titre de l’article 700 du code de procédure civile ; sur cet unique point, l’intimée sollicite l’infirmation et réclame une somme de 3 000 euros au titre des frais de procédure de première instance et une somme de 2 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais irrépétibles d’appel.
La SARL Campus Privé d’Alsace (OSCAR) soutient que l’ensemble des arguments avancés par Madame [T] ne sont en rien justifiés, si bien que cette dernière ne pouvait valablement résilier le contrat la liant à elle.
a) Sur le prétendu non-respect du décret n° 2014-1505 du 12 décembre 2014 et de l’arrêté du 12 décembre 2014 relatif à la formation en ostéopathie, la SARL Campus Privé d’Alsace (OSCAR) indique :
– qu’elle dispose de l’agrément qui lui a été délivré par le ministère des solidarités et de la santé, de sorte que le cursus de Mme [T] devant se terminer en juin 2021, aucun obstacle ne l’empêchait d’obtenir valablement un diplôme délivré par l’école OSCAR, reconnu au niveau national,
– les heures de formation pratique (120 h pour la première et la deuxième année, et 210 heures pour la troisième année), peuvent être assurées, les locaux de la clinique située [Adresse 3] étant suffisants pour accueillir tous les élèves, comme le démontre notamment la production du planning des rendez vous en clinique des années 2019 et 2020 ; cette situation s’est en outre améliorée suite à l’ouverture d’une nouvelle clinique pédagogique située rue [Adresse 4] avec 6 box, réservés aux étudiants de 5ème année,
– tous les étudiants ont rempli les critères notamment concernant le quota d’heure de pratique et ont obtenu leur diplôme ainsi que leur immatriculation auprès de l’ARS, ce qui démontre que les conditions d’exercice des activités pratiques ont été respectées,
– contrairement à ce que soutient Madame [T], les modalités pédagogiques prévues à l’Annexe III du décret du 12 décembre 2014 – à savoir que les travaux dirigés ne peuvent pas réunir plus de 25 élèves par session – ont été respectées, l’appelante ne rapportant nullement la preuve que l’école OSCAR réunissait 30 à 40 étudiants sur les sessions,
– les élèves ne passent pas automatiquement à l’année supérieure ; l’acquisition des conditions de validation précisées par l’arrêté du 12 décembre 2014 subordonne le passage en année supérieure; sur ce sujet la SARL Campus Privé d’Alsace (OSCAR) conteste la teneur de la lettre rédigée par une autre élève, Madame [M] qui présenterait un caractère particulier (elle aurait eu des difficultés relationnelles avec ses camarades et aurait été dépressive).
b) Sur les prétendus manquements qui lui sont reprochés, l’école OSCAR conteste leurs existences :
– concernant les échanges ERASMUS, ils sont possibles dès la 4 ème année, en précisant que la réalisation de ce type d’échange n’est pas un prérequis à la validation du diplôme d’ostéopathe,
– concernant la bibliothèque, elle existe avec des ouvrages ostéopathiques mis à disposition des étudiants dans le bureau des coordinateurs pédagogiques,
– concernant les consultations par vidéoconférence, l’école ne se serait jamais engagée à les mettre en place,
– concernant le suivi individuel des étudiants, il est assuré, chaque promotion étant suivie par un coordinateur pédagogique dédié,
– concernant l’enseignement des matières prévues au référentiel pédagogique, la lecture des bulletins de notes de l’appelante et des autres étudiants comme celui de Monsieur [P], démontre que toutes les matières ont été dispensées et évaluées,
– concernant les stages externes, ils font bien l’objet d’une convention, l’école disposant d’une assurance responsabilité civile.
L’intimée ajoute que tous ses diplômés ont obtenu leur numéro ADELI, délivré par l’Agence Régionale de Santé, indispensable pour exercer, et que la promotion de 2019 a été diplômée à 100%, ses étudiants étant aujourd’hui tous en poste.
Elle critique également le procédé adopté par le directeur du Collège d’Ostéopathie de [Localité 5] (COS), qui est son concurrent direct, visant à dénigrer l’enseignement dispensé par la SARL Campus Privé d’Alsace (OSCAR). Madame [T] qui a rejoint le COS lorsqu’elle a quitté OSCAR, prétend que son admission en 3ème année au COS aurait été conditionnée à la validation d’UE manquantes, non évaluées par l’école OSCAR. Or, ses allégations seraient fausses car :
* elle avait bien suivi l’enseignement de la matière « 4.3, raisonnement et démarche clinique ostéopathique » et avait obtenu une note de 8,
* la matière « palpation ostéopathique 5.2 », lui a été dispensée en 1ère année et sous l’appellation « pratique ostéopathique », qui regroupait tout le domaine 5, matière pour laquelle Madame [T] avait obtenu une note de 14.
L’intimée s’attarde également sur l’annexe 25 de la partie appelante, à savoir un courrier du Syndicat Français des Ostéopathes qui indiquerait que l’école OSCAR ne dispenserait pas une formation de qualité et respectueuse des textes réglementaires et soutient que sa lecture ne permettrait pas d’y déceler une telle remise en cause.
c) Sur la demande reconventionnelle, Madame [T] n’ayant pas valablement résilié son contrat d’inscription et devant s’acquitter de la totalité des frais de scolarité du cycle auquel elle s’était inscrite, elle ne saurait obtenir de dommages et intérêts au titre du remboursement du tiers des frais de scolarité dont elle s’est acquittée pour une formation qui lui a été en totalité dispensée.
MOTIFS DE LA DÉCISION
1) Sur les obligations des parties en présence
Selon les articles 1103 et 1104 du code civil, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites et doivent être exécutées de bonne foi. Il appartient à celui qui réclame l’exécution d’une obligation de la prouver (article 1353 du code civil).
Les conditions générales d’inscription du contrat d’inscription signé par Mme [T] le 5 juillet 2016 avec la SARL Campus Privé d’Alsace (OSCAR), prévoient en leur articles 2 et 4, que la conclusion définitive du contrat entraîne obligation du règlement de la totalité des frais de scolarité des 5 années d’enseignement soit une somme globale de 39 500 euros.
Il est précisé, qu’à titre exceptionnel, si l’étudiant justifie d’un cas de force majeure ou d’un motif légitime et impérieux, il pourra solliciter sa résiliation anticipée.
Madame [T] a suivi la formation durant 2 années avant de mettre fin à ce contrat par l’envoi d’un courrier en date du 24 août 2018.
Elle réclame l’application de l’article 4 des conditions générales d’inscription su 31 mars 2016, estimant pouvoir se prévaloir d’un ‘motif légitime et impérieux’ de rupture lié au ‘non respect de vos engagements contractuels imposés par l’obtention de votre agrément’.
Elle y développait les causes à l’origine de sa décision et déplorait :
– un désinvestissement des professeurs évoquant «un désengagement de certains professeurs en cours d’année s’est fait ressentir et que le départ d’un nombre conséquent d’enseignants en fin d’année scolaire m’a fait douter de la capacité de l’école à fournir un enseignement de qualité pour les années à venir »,
– le fait que les cours magistraux et de pratique sont réalisés dans des locaux inadaptés, les cours de pratique étant dispensés par classe entière et non par petits groupes de 25 étudiants comme préconisé par les textes,
– le fait que l’établissement ne proposait pas aux étudiants des moyens d’enseignement pourtant annoncés (bibliothèque, box équipé de vidéo, échange Erasmus), de sorte qu’elle estimait même avoir été victime de publicité mensongère,
– les conditions matérielles et organisationnelles insuffisantes mises en place ne permettaient pas un enseignement de clinique interne suffisant, impliquant que les étudiants ne pourraient effectuer en 3ème et 4ème années le nombre d’heures de pratique imposé par les textes.
L’étudiante précisait que c’était ce dernier point (concernant le clinicat interne des 3ème et 4eme années) qui avait emporté sa décision de quitter l’établissement et à ne pas intégrer la troisième année du cycle d’étude (page 3 de sa lettre), ajoutant en conclusion qu’elle avait de sérieux doutes quant à la qualité de l’enseignement et sur la valeur du diplôme (‘que vaudra dans le futur un diplôme obtenu dans votre établissement”. Il m’est impossible dans une telle situation de faire le choix de rester dans votre établissement’).
Pour déterminer si la motivation avancée par l’appelante peut constituer un ‘motif légitime et impérieux’ – en sachant que le contrat ne définit pas cette notion – il y a lieu de tenir compte du contexte dans lequel s’inscrit le présent litige, à savoir celui de l’enseignement supérieur privé entraînant des frais de scolarité importants pour l’étudiant.
Dans la cadre de la relation particulière ayant existé entre les deux parties en présence, l’obligation qui pèse sur l’élève est, outre l’assiduité, d’honorer les frais de scolarité des 5 années, celle de l’établissement étant de garantir à cet élève durant le temps du cycle de 5 ans, un niveau d’enseignement suffisant pour parvenir à l’obtention d’un diplôme.
Le motif de résiliation avancé par l’élève, pourra être considéré comme ‘légitime et impérieux’ si ce dernier démontre que l’école ne dispose pas, ou plus, des moyens pour remplir sa mission, à savoir proposer à l’étudiant une formation de nature à permettre à ce dernier d’obtenir un diplôme qui valide des compétences, valorisable dans le monde du travail, et bien entendu reconnu.
Enfin, pour déterminer si l’école a respecté ses engagements, et si l’élève a pu considérer que ce n’était pas le cas, il y a lieu de se placer au moment où Mme [T] a adressé sa lettre de démission, soit à l’été 2018, et de tenir compte du déroulé de sa scolarité qui s’est échelonnée de septembre 2016 à août 2018.
2) Sur les reproches de Mme [T]
L’appelante reproche à l’école OSCAR de ne pas avoir prodigué un enseignement de qualité conforme au programme national, et de ne pas avoir assuré la délivrance d’un certain nombre de moyens pédagogiques et de prestations avancés dans sa documentation commerciale.
2-1) Sur le reproche de l’étudiante portant sur certaines prestations contractuelles
Madame [T] reproche à l’école un manquement à ses engagements contractuels en ayant faussement fait croire aux étudiants qu’ils pourraient bénéficier d’échanges dans le cadre ERASMUS, en ne mettant pas à leur disposition une bibliothèque digne de ce nom, en ne permettant pas des consultations par vidéoconférence pourtant promises, en n’ayant pas mis en place un suivi personnalisé et en ne régularisant pas de conventions de stage sous entendant même que les stages n’auraient pas été couverts par une assurance.
Cependant, d’une part pour qu’il puisse y avoir de tels manquements, encore faut-il que les conditions générales du contrat liant les parties aient stipulé à la charge de la SARL Campus Privé d’Alsace (OSCAR) de tels engagements de sa part, ce qui n’est nullement le cas.
D’autre part, la présence d’une bibliothèque, la consultation par vidéo conférence (…) ne sont que des modalités pratiques de pédagogie parmi d’autres, qui ne sont nullement en soi de nature à remettre en cause la capacité d’enseignement d’un établissement.
Enfin, il ressort des pièces déposées par la SARL Campus Privé d’Alsace (OSCAR), que les allégations de l’appelante sont infondées (le programme Erasmus est ouvert aux 4ème année; il existe une bibliothèque ; l’établissement est assuré et signe des conventions ; un professeur assure l’individualisation du suivi à hauteur de chaque promotion).
2- 2) Sur la perte de confiance de l’étudiante dans le sérieux de l’enseignement dispensé
En revanche, l’argumentation de l’appelante selon laquelle – le décret 2014-1505 du 12 décembre 2014 et l’arrêté du 12 décembre 2014 relatif à la formation en osthéopathie n’auraient pas pas été respectés, de sorte que l’école a perdu son agrément à deux reprises en 2015 et 2021 – paraît plus pertinente, car elle touche le coeur même de la mission de l’école (pouvoir délivrer un diplôme validant).
Il est constant que l’école a perdu deux fois son agrément, en 2015, puis en 2021.
Au moment où Mme [T] s’engageait en signant le contrat d’enseignement en 2016 avec OSCAR, elle ne pouvait ignorer que l’établissement avait perdu son agrément en 2015. Elle ne peut donc tirer argument de cette situation passée. En revanche, pour la perte d’agrément de 2021, bien qu’elle soit postérieure au départ de Mme [T] de l’école, il incombe de vérifier si elle n’a pas eu lieu du fait des manquements ou des choix pédagogiques, dénoncés en 2018 par l’appelante, comme étant à l’origine de sa décision de résiliation.
Par décision n° 2021-35 du 18 octobre 2021, le ministère de la santé accordait un ‘agrément provisoire de l’établissement de formation OSCAR pour dispenser une formation en ostéopathie’.
Dans le corps de la décision, il était précisé que ‘au plus tard le 20 janvier 2022, l’établissement de formation met en place les mesures de régularisation permettant de vérifier la conformité aux exigences réglementaires prévues par les articles 12 à 15 et 19 à 23 du décret n° 2014-1043″ (…) concernant notamment ‘les modalités d’organisation interne ( …), les locaux dédiés à la formation d’une capacité suffisante’.
Il est rappelé que les articles 12 à 15 dudit décret portaient sur les modalités de passage, de redoublement, ou d’exclusion, des étudiants d’une année à l’autre avec un système de validation d’UE, les articles 19 à 23 portant sur le fonctionnement et les compétences du Conseil pédagogique appelé entre autre à être consulté sur le ‘projet pédagogique de chaque année de formation’, l’utilisation du matériel, et les situations individuelles (…).
La lecture de cette décision permet de constater que les reproches formulés par l’appelante, portant notamment sur l’insuffisance des locaux (ne permettant pas aux étudiants de remplir le quota d’heures de pratique) et sur l’organisation interne (le départ non remplacé de plusieurs processeurs) étaient justifiés.
D’autre part, la décision d’agrément provisoire d’octobre 2021 a été critiquée par une organisation syndicale, qui avisée de la décision imminente du ministère la dénonçait dans une lettre ouverte intitulée ‘Agrément des écoles : un retournement de situation incompréhensible’.
Elle y écrivait en résumé, que ‘cette décision est d’autant plus incompréhensible qu’elle s’appuie sur la nécessité de faciliter la rentrée scolaire des étudiants, au mépris des conditions d’apprentissage de ces derniers comme l’ont révélé les travaux effectués par la Commission Consultative Nationale des Agrément’.
Par ailleurs ce même syndicat SFDO n’a pas hésité à écrire le 25 octobre 2020 à quatre étudiants que ‘vous avez en votre possession un certain nombre de documents probants attestant de l’irrespect d’Oscar en matière de réglementation relative à la formation des ostéopathes’, notamment du fait de la ‘validation d’heures de stage lorsque l’étudiant joue le rôle du patient en clinique’ et de ‘l’insuffisance du nombre de patients en clinique pour satisfaire aux besoins de la réglementation formation’.
Ce syndicat – dont l’intérêt est notamment de veiller à la préservation de la qualité des enseignements des écoles d’osthéopathie en vue de garantir aux nouveaux professionnels ( et confrères) un certain niveau de compétences – ne peut se voir reprocher un parti pris contre l’école OSCAR. Au demeurant, la lecture des annexes démontre que OSCAR n’était pas la seule école d’osthéopathie à être confrontée à cette difficulté de perte d’agrément, puisqu’elles étaient au nombre de neuf.
Il ressort de ces courriers que ce syndicat professionnel a saisi le ministère de tutelle en 2018 pour provoquer un retrait d’agrément de cet établissement comme l’atteste la pièce 31, à savoir un mail émanant du président du syndicat dans lequel il écrit ‘nous avions demandé officiellement en 2018 à l’administration le retrait de l’agrément délivré à cet établissement (= OSCAR) par le ministère de la santé, en produisant à l’appui de nombreux documents probants’.
La teneur de ce mail est particulièrement intéressant pour le présent litige, car il atteste que durant l’année 2018, année durant laquelle Mme [T] a dénoncé son contrat, une organisation professionnelle d’ostéopathes estimait que l’école Oscar ne méritait plus son agrément.
L’intimée reproche au directeur du Collège Osthéopathie [Localité 5] (COS) sa méthode tendant à dénigrer son concurrent OSCAR. Cependant, elle se garde bien de contester la teneur de l’attestation rédigée par M. [F] le 21 janvier 2021 (annexe 4) selon laquelle de nombreux étudiants de OSCAR (47 sur 5 ans) ont quitté la formation débutée pour rejoindre le COS.
Il est à noter que les plus gros contingents d’étudiants ‘transfuges’ se placent sur les années où OSCAR se voyait retirer son agrément, soit en 2015 (22 étudiants pour l’année 2015/2016) et 2021 (15 étudiants pour l’année scolaire 2020/2021).
Enfin, et surtout, la cour voit mal comment elle ne pourrait tenir compte des affirmation du directeur du COS selon lesquelles ‘lors de ces admissions parallèles le dossier de chaque étudiant a été étudié. Au vu des documents fournis (bulletins, livrets cliniques), nous avons régulièrement constaté des manquements ou écarts par rapport à la réglementation en vigueur (article 4 et aux annexes I, II, III et IV de l’arrêté du 12 décembre 2014 relatif à la formation en ostéopathie) nous obligeant de demander l’avis du conseil pédagogique sur la recevabilité de leur demande d’admission’, qui viennent corroborer les propos de l’appelante.
Il est à noter que le conseil pédagogique évoqué, composé de 5 personnes, comprend certes des membres de l’école ( le directeur, un représentant élu des enseignants et un étudiants) mais également deux personnalités extérieures, à savoir un représentant des tuteurs de stage et un représentant de l’ARS, de sorte que le regard critique qu’a pu porter ce conseil sur l’enseignement de OSCAR ne peut être qualifié de partial et d’intéressé.
Enfin, il ressort des pièces du dossier que les craintes de l’appelante étaient partagées par de nombreux étudiants.
La cour ne reprendra pas les attestations ou courriers émanant d’étudiants en procès avec OSCAR, en ce sens qu’elles ont été réalisées dans des conditions peu propices à l’objectivité.
En revanche, elle se doit d’évoquer la ‘Lettre de doléances de la promotion Viola Frymann 2021″ datée du 10 juillet 2019, émanant des étudiants entrés à l’école en 2016. Ces derniers évoquaient des points d’inquiétude et notamment l’organisation de la clinique interne en 3ème année puisqu’ils partaient du constat que ‘au 1er semestre, seulement 2 à 3 heures de clinique par semaine et par élève étaient programmées. Compte tenu de la programmation de ces heures jusqu’en décembre, nous avions tablé fin septembre sur le fait que les 210 h de clinique interne par élève ne seraient pas effectives d’ici juillet’.
Ce constat, vient corroborer la réalité du grief principal porté par l’appelante dans sa lettre de démission.
* * *
En conclusion, la cour constate que l’appelante démontre que ses craintes développées en 2018 étaient bel et bien fondée en ce sens ;
– que l’école n’avait pas mis en place un système permettant à tous ses étudiants de pouvoir réaliser tous les examens de clinique interne exigés par le programme du ministère, de sorte qu’elle a été dans l’obligation d’accroître ses capacités en ouvrant, mais seulement en 2020, une seconde clinique avec 6 box,
– qu’une organisation syndicale a saisi en 2018 le ministère pour que l’agrément soit retiré à OSCAR,
– que les étudiants connaissaient cette difficulté majeure, puisqu’en 2019 une promotion écrivait à la direction notamment pour évoquer l’impossibilité pour certains d’atteindre le quota d’examens cliniques posé par les textes,
– que ces difficultés expliquent le départ de nombreux étudiants vers un établissement concurrent, qui lors de leurs admissions a constaté des lacunes dans leur formation,
– qu’en 2021, l’agrément a été retiré à OSCAR pour la deuxième fois.
Tous ces éléments d’information étaient parfaitement connus de Mme [Z] [T] à la date à laquelle elle adressait sa lettre de démission, et apparaissent dans sa motivation écrite.
Il y a aussi lieu de tenir compte du fait qu’étant sensée entrer en 3ème année du cycle, elle allait devoir fournir un travail important au niveau du clinicat interne (210 heures) alors que le nombre d’heures à faire à ce titre lors des deux premières années était bien moins important.
L’étudiante pouvait légitimement douter de la capacité de l’école de pouvoir assurer aux étudiants la possibilité de réaliser leurs heures de pratique, ce qui posait une première interrogation sur la validité de l’année effectuée au regard des exigences posée par le décret de 2014 et notamment des articles 12 à 14 (évoqués dans la décision ministérielle) qui portent sur les conditions de passage d’une année à l’autre, et une seconde plus générale – et plus angoissante – sur la reconnaissance même du diplôme devant être délivré à l’issue de la formation, avec le risque que l’école ne perde son agrément, ce qui fut le cas un temps en 2021, soit justement l’année où l’étudiante était sensée achever son cursus.
La cour estime, à l’aune des pièces et explications produites par l’appelante, que cette dernière démontre que sa décision était belle et bien justifiée par un ‘motif légitime et impérieux’.
La décision de première instance sera de ce fait infirmée, la demande de paiement des frais de scolarités des 3ème, 4ème et 5ème année de Mme [T], devant être rejetée.
3) Sur la demande incidente
L’appelante, à l’issue de ses deux premières années de formation suivie auprès de la SARL Campus Privé d’Alsace (OSCAR), a pu intégrer la troisième année d’enseignement du COS.
Elle n’a subi aucune perte d’année d’enseignement du fait de son passage auprès de l’établissement OSCAR.
De ce fait, n’ayant pas subi de préjudice particulier, elle ne saurait aujourd’hui réclamer des dommages et intérêts à hauteur du tiers des frais de scolarité versés à OSCAR.
Sa demande sera de ce fait écartée.
4) Sur les questions de frais annexes
La SARL Campus Privé d’Alsace (OSCAR), partie succombante, sera condamnée aux dépens de la première instance et de la procédure d’appel et à verser à Mme [Z] [T], au titre de l’article 700 du code de procédure civile, une somme de 3000 euros.
La demande formulée sur le fondement de ce même article par l’intimée sera écartée.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant, publiquement par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe, après débats en audience publique et après en avoir délibéré :
INFIRME le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Strasbourg le 7 décembre 2020,
Y substituant
DEBOUTE la SARL Campus Privé d’Alsace (OSCAR) de sa demande de paiement de la somme de 23 400 euros formulée contre Mme [Z] [T],
DEBOUTE Mme [Z] [T] de sa demande de paiement de dommages et intérêts à l’égard de la SARL Campus Privé d’Alsace (OSCAR),
CONDAMNE la SARL Campus Privé d’Alsace (OSCAR) aux dépens de première instance et d’appel,
CONDAMNE la SARL Campus Privé d’Alsace (OSCAR) à payer Mme [Z] [T] une somme de 3 000 euros (trois mille euros) au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
REJETTE la demande formée par la SARL Campus Privé d’Alsace (OSCAR) au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Le greffier Le président