Celui qui a l’initiative de la rupture pour faute d’une relation commerciale établie doit conserver tous les éléments justifiant de la gravité des fautes reprochés à son partenaire, sous peine de condamnation pour rupture abusive.
En l’espèce, il ressort des échanges entre les parties versés aux débats que par courriel, la société SELAS Guevalt a exigé de son contractant la suspension de l’ensemble des tournées faites pour son compte à compter du lundi suivant, en raison de relevés de températures effectués lors de certains transports de prélèvements et ayant, selon elle, révélé des situations de non-conformités. Dans ces circonstances, il est justifié d’une rupture brutale et sans préavis du contrat de prestations de service Si un tableau de relevés est en effet joint à ce courriel, c’est à raison que la société SOS Pharmacoop souligne que les conditions exactes de réalisation de ces relevés demeurent inconnues, malgré les demandes d’éclaircissement adressées à la SELAS Guevalt, de sorte que ces seuls relevés ne permettaient pas d’établir les non-conformités alléguées. Selon l’article 1147 du même code, « Les dommages et intérêts ne sont dus que lorsque le débiteur est en demeure de remplir son obligation, excepté néanmoins lorsque la chose que le débiteur s’était obligé de donner ou de faire ne pouvait être donnée ou faite que dans un certain temps qu’il a laissé passer. La mise en demeure peut résulter d’une lettre missive, s’il en ressort une interpellation suffisante ». En vertu de l’article 1149 code civil, « Les dommages et intérêts dus au créancier sont, en général, de la perte qu’il a faite et du gain dont il a été privé, sauf les exceptions et modifications ci-après », l’article 1150 disposant alors que : « Le débiteur n’est tenu que des dommages et intérêts qui ont été prévus ou qu’on a pu prévoir lors du contrat, lorsque ce n’est point par son dol que l’obligation n’est point exécutée ». |
Résumé de l’affaire :
Contexte du litigeLe 30 mars 2013, la SARL SOS Pharmacoop a signé un contrat avec la société Biomega pour le transport de prélèvements biologiques. Suite à une fusion, la SELAS Guevalt a pris la relève de Biomega le 31 décembre 2020. Suspension des missionsLe 9 décembre 2022, la société Guevalt a suspendu toutes les missions de transport confiées à SOS Pharmacoop, invoquant des non-conformités liées aux contrôles de température des véhicules. SOS Pharmacoop a contesté ces accusations. Assignation en justiceLe 12 mai 2023, SOS Pharmacoop a assigné Guevalt devant le tribunal judiciaire de Paris, accusant cette dernière de rupture brutale de contrat. SOS Pharmacoop a demandé des dommages et intérêts pour le préjudice subi. Demandes de la société SOS PharmacoopSOS Pharmacoop a demandé au tribunal de reconnaître la rupture brutale du contrat, de fixer un préavis de 12 mois, et de condamner Guevalt à verser 100.000 € pour gain manqué et 250.000 € pour perte de fonds de commerce. Arguments de SOS PharmacoopSOS Pharmacoop a soutenu que Guevalt avait mis fin à leur relation commerciale sans justification valable et que les contrôles de température n’étaient pas fiables. Elle a également souligné l’absence de critiques antérieures sur la qualité de ses services. Décision du tribunalLe tribunal a statué le 22 octobre 2024, condamnant Guevalt à verser 49.330 € à SOS Pharmacoop pour rupture sans préavis, tout en rejetant la demande de dommages pour perte de fonds de commerce. Guevalt a également été condamnée à payer 2.000 € pour les frais irrépétibles. Exécution provisoireLa décision a été rendue avec exécution provisoire, conformément aux dispositions du code de procédure civile. Le tribunal a rappelé que l’absence de comparution de Guevalt n’a pas empêché le jugement sur le fond du litige. |
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]
[1] Expéditions
exécutoires
délivrées le:
■
4ème chambre 1ère section
N° RG 23/06648
N° Portalis 352J-W-B7H-CZPQ7
N° MINUTE :
Assignation du :
12 Mai 2023
JUGEMENT
rendu le 22 Octobre 2024
DEMANDERESSE
S.A.R.L. SOS PHARMACOOP
[Adresse 4]
[Localité 3]
représentée par Me Eric COHEN, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #C1958
DÉFENDERESSE
S.E.L.A.S. GUEVALT
[Adresse 1]
[Localité 2]
défaillante
COMPOSITION DU TRIBUNAL
Par application des articles R.212-9 du Code de l’Organisation Judiciaire et 812 du Code de Procédure Civile, l’affaire a été attribuée au Juge unique.
Avis en a été donné aux avocats constitués qui ne s’y sont pas opposés.
Pierre CHAFFENET, Juge, statuant en juge unique.
assisté de Nadia SHAKI, Greffier,
Décision du 22 Octobre 2024
4ème chambre 1ère section
N° RG 23/06648 – N° Portalis 352J-W-B7H-CZPQ7
DÉBATS
A l’audience du 03 Septembre 2024 tenue en audience publique devant Pierre CHAFFENET, Juge, statuant en juge unique, avis a été rendu que la décision serait prononcée ce jour.
JUGEMENT
Prononcé par mise à disposition
Réputé contradictoire
En premier ressort
Le 30 mars 2013, la SARL SOS Pharmacoop, spécialisée dans le transport de produits notamment pharmaceutiques ou sanguins, a conclu un contrat pour des missions de transports de prélèvements biologiques avec la société Biomega, aux droits de laquelle vient la SELAS Guevalt en suite d’une fusion opérée le 31 décembre 2020.
Le 9 décembre 2022, la société Guevalt, invoquant des non-conformités dans les transports effectués par la société SOS Pharmacoop à la suite de contrôles de températures dans les véhicules, a indiqué suspendre l’ensemble des missions confiées à celle-ci.
En réponse, la société SOS Pharmacoop a contesté les critiques élevées par la société Guevalt.
Après plusieurs échanges entre les parties entre fin décembre 2022 et début janvier 2023, la société Guevalt n’a pas rétabli ses relations avec la société SOS Pharmacoop en lien avec le contrat du 30 mars 2013.
Par acte d’huissier de justice en date du 12 mai 2023, la société SOS Pharmacoop a fait assigner la SELAS Guevalt devant le tribunal judiciaire de Paris pour rupture brutale de leur contrat aux torts de cette dernière.
Aux termes de son acte introductif d’instance, la société SOS Pharmacoop demande au tribunal de :
« Vu l’article 1104 et 1231-2 du Code civil ;
Vu l’article L. 442 II. du Code de commerce;
Vu les pièces versées aux débats ;
JUGER que la société GUVALT a rompu brutalement le contrat de prestations de service sans respect du préavis ;
FIXER la durée du préavis applicable à 12 mois, compte tenu des relations établies entre les parties :
CONDAMNER la société GUEVALT à payer à la société SOS PHARMACOOP la somme de 100.000 € à titre de dommages et intérêts pour le gain manqué pendant la durée du préavis ;
CONDAMNER la société GUEVALT à payer à la société SOS PHARMACOOP la somme de 250.000 € à titre de dommages et intérêts pour la perte de son fonds de commerce ;
Décision du 22 Octobre 2024
4ème chambre 1ère section
N° RG 23/06648 – N° Portalis 352J-W-B7H-CZPQ7
CONDAMNER la société GUEVALT à payer à la société SOS PHARMACOOP la somme 5.000 EUR ‘ITC au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ;
CONDAMNER la société GUEVALT aux entiers dépens ;
RAPPELER l’exécution provisoire de droit du jugement à intervenir ».
Elle reproche en substance à la société Guevalt d’avoir mis fin de manière brutale et injustifiée à leurs relations commerciales. Elle conteste à cet égard la véracité des tests effectués par la défenderesse, de manière non contradictoire et sans que leur fiabilité puisse donc être contrôlée, outre que ces derniers n’ont porté que sur une partie de sa flotte (véhicules quatre roues). Elle rappelle également l’absence de toute autre critique émise par le passé quant à la qualité des missions exécutées pour la société Guevalt et que celle-ci n’a jamais donné d’éclaircissement en réponse à ses interrogations quant aux tests.
Elle considère dans ces circonstances que ces contrôles n’ont ainsi constitué qu’un prétexte pour permettre son éviction, soulignant que dès le 12 décembre 2022, la société Guevalt avait recruté un autre prestataire pour la remplacer et que ce n’est donc qu’à des fins trompeuses qu’elle a, lors de leurs échanges, envisagé une reprise du contrat.
Compte tenu de la durée et de l’intensité de leurs relations commerciales, elle estime à un an la durée du préavis qu’aurait dû respecter la société Guevalt et sollicite, sur la base de cette durée, une indemnité pour gain manqué. Elle expose enfin que la société Guevalt constituant son principal contractant, la rupture de leur contrat a conduit à la perte de son fonds de commerce.
La clôture a été ordonnée le 7 novembre 2023.
La société Guevalt, assignée à personne morale conformément aux dispositions des articles 656 et suivants du code de procédure civile, n’ayant pas constitué avocat, la présente décision, susceptible d’appel, sera réputée contradictoire.
Pour un plus ample exposé des faits de la cause et des prétentions des parties, il est fait expressément référence aux pièces du dossier et aux écritures de la société SOS Pharmacoop conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.
A titre liminaire, conformément à l’article 472 du code de procédure civile, l’absence de comparution du défendeur ne fait pas obstacle à ce qu’une décision soit rendue sur le fond du litige, le juge ne faisant droit à la demande que dans la mesure où il l’estime régulière, recevable et bien fondée.
Conformément à l’article 1134 du code civil, dans sa version applicable au litige compte tenu de la conclusion le 30 mars 2013 du contrat liant la société SOS Pharmacoop et la SELAS Guevalt, « Les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.
Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise.
Elles doivent être exécutées de bonne foi ».
Décision du 22 Octobre 2024
4ème chambre 1ère section
N° RG 23/06648 – N° Portalis 352J-W-B7H-CZPQ7
Selon l’article 1147 du même code, « Les dommages et intérêts ne sont dus que lorsque le débiteur est en demeure de remplir son obligation, excepté néanmoins lorsque la chose que le débiteur s’était obligé de donner ou de faire ne pouvait être donnée ou faite que dans un certain temps qu’il a laissé passer. La mise en demeure peut résulter d’une lettre missive, s’il en ressort une interpellation suffisante ».
En vertu de l’article 1149 code civil, « Les dommages et intérêts dus au créancier sont, en général, de la perte qu’il a faite et du gain dont il a été privé, sauf les exceptions et modifications ci-après », l’article 1150 disposant alors que : « Le débiteur n’est tenu que des dommages et intérêts qui ont été prévus ou qu’on a pu prévoir lors du contrat, lorsque ce n’est point par son dol que l’obligation n’est point exécutée ».
En l’espèce, il ressort des échanges entre les parties versés aux débats que par courriel du vendredi 9 décembre 2017, la société SELAS Guevalt a exigé de son contractant la suspension de l’ensemble des tournées faites pour son compte à compter du lundi suivant, en raison de relevés de températures effectués lors de certains transports de prélèvements et ayant, selon elle, révélé des situations de non-conformités.
Si un tableau de relevés est en effet joint à ce courriel, c’est à raison que la société SOS Pharmacoop souligne que les conditions exactes de réalisation de ces relevés demeurent inconnues, malgré les demandes d’éclaircissement adressées à la SELAS Guevalt, de sorte que ces seuls relevés ne permettaient pas d’établir les non-conformités alléguées.
Sur insistance de la société SOS Pharmacoop, la défenderesse a proposé les 26 et 29 décembre 2022 de rétablir leurs relations, sous réserve pour la première de « respecter les aspects contractuels de [leur] collaboration », notamment concernant les températures de conservation des échantillons. En dépit de la réponse positive apportée par la demanderesse et de sa proposition de reprendre les livraisons en janvier 2023, aucune confirmation n’a été donnée par la SELAS Gueval et il s’en déduit que l’exécution du contrat n’a donc jamais été reprise.
Dans ces circonstances, il est justifié d’une rupture brutale et sans préavis du contrat de prestations de service par la SELAS Guevalt à la date du 12 décembre 2022.
En conséquence de cette rupture, la société SOS Pharmacoop sollicite une indemnité correspondant à un préavis de douze mois.
Toutefois, le contrat du 30 mars 2013 organise, en son article 11, les conditions de sa résiliation : « le présent contrat sera résilié si bon semble à la partie qui l’invoque de plein droit et sans formalité en respectant un préavis de deux mois, notifié par lettre recommandée avec accusé de réception ».
Le tribunal observe que la société SOS Pharmacoop ne fait pas état de cette durée prévue au contrat, dont il est rappelé qu’il constitue la loi que se sont choisies les parties.
Décision du 22 Octobre 2024
4ème chambre 1ère section
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En outre, les dispositions de l’article L. 442-6 I 5°, devenues 442-1 II, du code de commerce, invoquées en demande, n’ont pas vocation à s’appliquer dès lors qu’il n’existe pas de relation commerciale au sens de ce texte entre, d’une part, un laboratoire de biologie médicale exerçant sous la forme d’une SELAS et dirigé par un biologiste médical en vertu de l’article L. 6213-7 du code de la santé publique, lequel peut être un médecin, soumis comme tel à une déontologie l’interdisant de faire commerce de son art, et la personne effectuant pour son compte des livraisons de prélèvements biologiques issus d’un patient.
En conséquence et en l’absence de plus amples moyens de la société SOS Pharmacoop, la demande d’indemnisation pour rupture sans préavis sera limitée au délai contractuellement fixé de deux mois.
Au vu de ses factures établissant une rémunération moyenne mensuel de 24.665 euros sur l’année 2022 (hors le mois de décembre), il sera ainsi alloué à la société SOS Pharmacoop la somme de 49.330 euros.
Par ailleurs, sur la nécessité pour la société SOS Pharmacoop de cesser son activité dès lors que la SELAS Guevalt représentait son seul client, il y a lieu d’observer que le contrat ne contenait aucune clause d’exclusivité et la société SOS Pharmacoop n’expose pas avoir été contrainte par son partenaire de limiter son activité à ses seules relations avec celui-ci. Dès lors, la perte qu’elle allègue de toute activité du fait de la rupture du contrat résulte de la seule absence de diversification de sa clientèle, en dépit de la durée écoulée depuis sa création.
Le préjudice invoqué pour perte du fonds de commerce est dès lors non seulement sans lien démontré avec les circonstances fautives de la rupture, mais encore ne constitue pas un préjudice que la SELAS Guevalt pouvait prévoir au moment de la conclusion du contrat au sens de l’article 1150 susvisé.
Cette demande sera par conséquent rejetée.
Le SELAS Guevalt, succombant, sera condamnée aux dépens.
Il convient, en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, de mettre à sa charge une partie des frais non compris dans les dépens et exposés par la société SOS Pharmacoop. Elle sera ainsi condamnée à lui payer la somme de 2.000 euros à ce titre.
L’exécution provisoire est, en vertu des articles 514-1 à 514-6 du code de procédure civile issus du décret 2019-1333 du 11 décembre 2019, de droit pour les instances introduites comme en l’espèce à compter du 1er janvier 2020. Il n’y a pas lieu de l’écarter.
Le tribunal, statuant publiquement par jugement réputé contradictoire, en premier ressort et par mise à disposition au greffe,
Condamne la SELAS Guevalt à payer à la SARL SOS Pharmacoop la somme de 49.330 euros au titre de la rupture sans préavis du contrat conclu le 30 mars 2013,
Déboute la SARL SOS Pharmacoop de sa demande indemnitaire pour perte de son fonds de commerce,
Condamne la SELAS Guevalt à payer à la SARL SOS Pharmacoop la somme de 2.000 euros au titre de ses frais irrépétibles,
Condamne la SELAS Guevalt aux dépens,
Rejette toute demande plus ample ou contraire de la SARL SOS Pharmacoop,
Rappelle que la présente décision bénéficie, de plein droit, de l’exécution provisoire.
Fait et jugé à Paris le 22 Octobre 2024.
Le Greffier Le Président
Nadia SHAKI Pierre CHAFFENET