Rupture abusive du contrat cadre de conseil en communication : l’affaire Bayer

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Rupture abusive du contrat cadre de conseil en communication : l’affaire Bayer
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L’agence de conseil qui ne pouvait avoir, au moment de la rupture alléguée de la relation commerciale avec son annonceur, une attente raisonnable en la poursuite effective de la relation commerciale des parties malgré le caractère contractuellement aléatoire, incertain et précaire de celle-ci, ne peut arguer d’une rupture abusive.

En la cause, l’Annonceur Bayer avait pris soin de stipuler la clause suivante : “L’Annonceur pourra confier à l’Agence, de manière discrétionnaire et non exclusive, par le biais d’une mise en concurrence ou non, une ou plusieurs des Prestations énoncées ci-dessous. cIl est entendu entre les Parties que l’Annonceur ne garantit pas un minimum de Prestations à l’Agence”.

Il en résultait une incertitude quant aux besoins en prestations de services et aux commandes de Bayer, l’absence d’exclusivité de la relation commerciale, de même que l’absence de garantie de chiffre d’affaires, étaient de nature à faire douter de l’existence d’un caractère établi de cette relation.

Pour rappel, l’article L. 442-6, I, 5° du code de commerce dans sa version antérieure à l’ordonnance n°2019-359 du 24 avril 2019, est applicable au litige s’agissant prétendument d’une rupture notifiée le 19 avril 2019 sans indication de préavis, soit antérieurement à l’entrée en vigueur le 26 avril 2019 des dispositions de l’article L442-1 du code de commerce, créé par l’ordonnance n°2019-359 du 24 avril 2019 portant refonte du titre IV du livre IV du code de commerce relatif à la transparence, aux pratiques restrictives de concurrence et aux autres pratiques prohibées.

Cet article L. 442-6, I, 5° du code de commerce dans sa version antérieure à cette ordonnance du 24 avril 2019 dispose qu’engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels.

La relation commerciale, pour être établie au sens de ces dispositions, doit présenter, à la date de sa rupture, un caractère suivi, stable et habituel. Le critère de la stabilité s’entend de la stabilité prévisible, de sorte que la victime de la rupture devait pouvoir raisonnablement anticiper pour l’avenir une certaine continuité du flux d’affaires avec son partenaire commercial. Le recours aux appels d’offre mettant en concurrence le partenaire commercial avec d’autres prestataires, introduit un aléa dans la relation commerciale qui a pour effet de la précariser, la circonstance que ce partenaire ait été choisi durant plusieurs années n’étant pas de nature à elle seule à démontrer la stabilité de la relation commerciale (Com., 20 sept. 2011, n° 10-15.750 ; 18 oct. 2017, n° 16-15.139; 7 déc. 2022, n° 21-15.649).

Cette relation peut se nouer successivement entre plusieurs personnes physiques ou morales dès lors qu’il est démontré que, dans l’esprit des partenaires, c’est la relation initiale nouée avec l’un qui s’est poursuivie avec l’autre. La seule circonstance qu’un tiers, ayant repris l’activité ou partie de l’activité d’une personne, continue une relation commerciale que celle-ci entretenait précédemment, ne suffit pas à établir que c’est la même relation commerciale qui s’est poursuivie avec le partenaire concerné, si ne s’y ajoutent des éléments démontrant que telle était la commune intention des parties (Cass. com. 7 juillet 2020 n°18-25.304, 10 février 2021 n°19-15.369, 19 octobre 2022 n°21-17.653).

La société Bayer, spécialisée dans la protection des plantes, a conclu un contrat cadre de conseil en communication avec la société Hickory Conseil entre août 2011 et novembre 2016. Après une procédure de redressement judiciaire, Hickory Conseil a cédé ses actifs à Hickory II, qui a ensuite signé un nouveau contrat avec Bayer. Hickory II a également été placée en redressement judiciaire, et ses actifs ont été transférés à la société REMECOM.

Ad’vert Conseil a acquis le fonds de commerce de Hickory II en décembre 2017 et a demandé le transfert du contrat cadre avec Bayer, ce qui a été accepté. En avril 2019, Bayer a informé Ad’vert Conseil qu’elle n’avait pas été retenue pour certaines prestations, ce qui a conduit Ad’vert Conseil à estimer avoir subi une rupture brutale de la relation commerciale. Elle a donc assigné Bayer devant le tribunal de commerce de Lyon pour obtenir une indemnisation.

Le tribunal a jugé en octobre 2021 que Bayer n’avait pas rompu le contrat et qu’il n’y avait pas eu de rupture brutale des relations commerciales, déboutant Ad’vert Conseil de ses demandes. Ad’vert Conseil a interjeté appel.

En appel, Ad’vert Conseil a demandé la reconnaissance d’une rupture brutale et une indemnisation de 800 000 euros. Bayer a contesté cette décision, arguant que la relation commerciale n’était pas établie et qu’elle avait subi un préjudice à cause du comportement d’Ad’vert Conseil.

La cour d’appel a finalement statué en faveur d’Ad’vert Conseil, reconnaissant la rupture brutale et condamnant Bayer à verser 800 000 euros d’indemnités, tout en confirmant certaines décisions du tribunal de commerce. Bayer a ensuite demandé à la cour de réexaminer la décision, soutenant que la relation commerciale n’était pas établie et qu’elle avait subi un préjudice.

L’affaire est toujours en cours, avec des demandes de dommages et intérêts et des contestations sur les montants dus.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

3 juillet 2024
Cour d’appel de Paris
RG n°
21/19543
Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 5 – Chambre 4

ARRET DU 03 JUILLET 2024

(n° , 1 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : 21/19543 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CEUQD

Décision déférée à la Cour : Jugement du 14 Octobre 2021 – Tribunal de Commerce de Lyon – RG n° 2019j1821

APPELANTE

S.A.S. AD’VERT CONSEIL agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux en exercice, domiciliés en cette qualité audit siège

immatriculée au RCS de Nanterre sous le numéro 824 574 941

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représentée par Me Audrey Schwab de la SELARL 2H Avocats à la cour, avocat au barreau de PARIS, toque : L0056

Assistée de Me Valérie Saada, avocat au barreau de Paris, toque : C2116

INTIMEE

S.A.S. BAYER prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

immatriculée au RCS de Lyon sous le numéro 562 038 893

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée par Me Frédéric Coulon de la SELAS BIGNON LEBRAY, avocat au barreau de Paris

Assistée de Me Antoine Arminjon substitué à l’audience par Me Raphaële Delorme de la SELAS BIGNON LEBRAY, avocats au barreau de Lyon, toque : 2643

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 14 mai 2024, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme Agnès Bodard-Hermant, présidente de la chambre 5.4, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Mme Agnès Bodard-Hermant, présidente de la chambre 5.4

Mme Sophie Depelley, conseillère

M. Julien Richaud, conseiller

Greffier, lors des débats : Mme Yulia Trefilova

ARRÊT :

– contradictoire

– prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Mme Agnès Bodard-Hermant, présidente de la chambre 5.4, et par M. Maxime Martinez, greffier, présent lors de la mise à disposition.

FAITS ET PROCÉDURE

La société Bayer a pour activité la fabrication de produits et services de protection des plantes.

La société Ad’vert Conseil a pour activité la publicité et le conseil en communication.

Les sociétés Bayer et Hickory Conseil ont régularisé, entre les 17 et 28 août 2011, un contrat cadre de conseil en communication dont les articles 2 et 3 énoncent qu’il a pour objet de déterminer les conditions auxquelles l’annonceur [Bayer] pourra confier à l’Agence [la société Hickory Conseil], de manière discrétionnaire et non exclusive, par le biais d’une mise en concurrence ou non, une ou plusieurs prestations, définies comme étant des prestations de “réflexion”, “stratégique” ou de “création” et/ou des prestations de “mise en ‘uvre” dont le contenu de principe est détaillé.

La société Hickory Conseil a fait l’objet d’une procédure de redressement judiciaire en date du 25 mars 2015 suivie d’un plan de cession au profit de la société Hickory II, nouvellement constituée à cet effet, le 13 janvier 2016, qui a repris ses actifs. Un nouveau contrat-cadre rédigé en terme quasi identiques au précédent a été régularisé entre la société Bayer et la société Hickory II les 27 octobre et 10 novembre 2016.

La société Hickory II a elle-même fait l’objet d’une procédure de redressement judiciaire avec plan de cession au profit de la société REMECOM, autorisée à se substituer toute autre structure dont elle aurait le contrôle dans le bénéfice de la reprise des actifs et des activités de la société Hickory II, suivant jugements du tribunal de commerce de Paris des 4 et 22 décembre 2016 et 24 février 2017.

Ad’vert Conseil ainsi devenue cessionnaire du fonds de commerce de Hickory II suivant acte du 13 décembre 2017, a sollicité par lettre du 5 septembre 2017 de Bayer qui l’a accepté par lettre du 20 septembre 2017, le transfert du contrat cadre de Conseil en Communication signé entre Bayer et Hickory II le 10 novembre 2016.

Se prétendant victime d’une rupture brutale de la relation commerciale ainsi établie suite à un mail de Bayer du 19 avril 2019 lui confirmant qu’elle n’avait pas été retenue pour certaines prestations, la société Ad’vert Conseil a, par acte d’huissier du 31 octobre 2019, assigné la société Bayer SAS devant le tribunal de commerce de Lyon pour obtenir indemnisation du préjudice qu’elle estime subir du fait de la brutalité de cette rupture de relations commerciales établies.

Par jugement du 14 octobre 2021, le tribunal de commerce de Lyon a :

– Constaté que le contrat cadre conclu entre les parties n’a pas été rompu par Bayer ;

– Constaté qu’aucune rupture brutale des relations commerciales établies n’est caractérisée par l’absence de sélection de la société Ad’vert Conseil pour la réalisation de la prestation d’approche stratégique et déploiement des plans d’actions opérationnelles pour l’année 2019 ;

– Dit en conséquence qu’il n’y a pas lieu à une quelconque indemnisation de la société Ad’vert Conseil ;

– Débouté la société Ad’vert Conseil de l’ensemble de ses demandes ;

– Débouté la société Bayer de sa demande en dommages et intérêts ;

– Dit qu’il n’y a pas lieu à exécution provisoire,

– Condamné la société Ad’vert Conseil à payer à la société Bayer la somme de 10.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens.

La société Ad’vert Conseil a interjeté appel de ce jugement par déclaration reçue au greffe de la Cour le 8 novembre 2021. Elle demande à la Cour, par ses dernières conclusions, transmises par RPVA le 8 mars 2024 :

Vu les dispositions de l’article L 442-6 I 5° du code de commerce

Vu la jurisprudence applicable à l’espèce,

Vu les pièces versées au débat

Recevant la Société Ad’vert Conseil en son appel, l’en déclarant recevable et bien fondée

Y faisant droit,

Infirmer le jugement du tribunal de commerce de Lyon en date du 22 octobre 2021 en ce qu’il a :

– Constaté que le contrat cadre conclu entre les parties n’a pas été rompu par Bayer.

– Constaté qu’aucune rupture brutale des relations commerciales établies n’est caractérisée par l’absence de sélection de la société Ad’vert Conseil à la réalisation de la prestation d’approche stratégique et déploiement des plans d’actions opérationnelles pour l’année 2019.

– Dit en conséquence qu’il n’y a pas lieu à une quelconque indemnisation de la société Ad’vert Conseil.

– Débouté la société Ad’vert Conseil de l’ensemble de ses demandes tendant à :

“Dire et juger que la société Bayer S.A.S. a rompu brutalement les relations commerciales établies qu’elle entretenait avec la société Ad’vert Conseil,

Enjoindre en tant que de besoin la société Bayer SAS de produire les extraits de compte fournisseurs des sociétés Hickory Conseil et Hickory 2 sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard,

Dire et juger que la société Ad’vert Conseil aurait dû bénéficier d’un préavis effectif de 36 mois,

En conséquence,

Condamner la société Bayer S.A.S. à payer à la société Ad’vert Conseil, à titre de dommages et intérêts, toutes causes de préjudices confondues, une somme globale de 800 000 euros.

Débouter la société Bayer S.A.S. de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

Condamner la société Bayer S.A.S. à payer à la société Ad’vert Conseil la somme de 10 000 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile ainsi qu’à tous les dépens.”

– Condamné la société Ad’vert Conseil à payer à la société Bayer la somme de 10.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

– Condamné la société Ad’vert Conseil aux entiers dépens de l’instance

Statuant à nouveau sur les chefs du jugement critiqués :

Enjoindre en tant que de besoin à la société Bayer SAS de produire les extraits de compte fournisseur des sociétés Hickory conseil et Hickory 2 sous astreinte de 1.000 euros par jour de retard.

Condamner la Société Bayer SAS à payer à la société Ad’vert Conseil, à titre de dommages et intérêts au titre de la rupture brutale des commerciales établies, toutes causes de préjudices confondues, une somme globale de 800.000 euros.

Déclarer la société Bayer SAS mal fondée en son appel incident

En conséquence,

Confirmer le jugement en ce qu’il a :

Dit que la relation commerciale existant entre les sociétés Bayer SAS et Ad’vert Conseil avaient un caractère établi ;

Débouté la société Bayer SAS de sa demande reconventionnelle en dommages et intérêts ;

Débouter la société Bayer SAS de l’ensemble de ses demandes.

Condamner la Société Bayer SAS à payer à la Société Ad’vert Conseil la somme de 10.000 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de Procédure Civile ainsi qu’en tous les dépens dont distraction, conformément aux dispositions de l’article 699 du CPC

La société Bayer SAS par ses dernières conclusions, transmises par RPVA le 22 mars 2024, demande à la Cour de :

Vu l’article L442-1 du Code de commerce,

Vu les articles 1240 et 1241 du Code civil,

Vu la jurisprudence citée,

Vu les pièces versées aux débats,

– Débouter la société Ad’vert Conseil de son appel comme infondé ainsi que de l’intégralité de ses demandes ;

En conséquence :

1. A titre principal :

– Confirmer en toutes ses dispositions le jugement du Tribunal de commerce de

Lyon du 14 octobre 2021 sauf en ce qu’il a :

* Dit que la relation commerciale existant entre les sociétés Bayer SAS et Ad’vert Conseil avait un caractère établi ;

* Débouté la société Bayer SAS de sa demande reconventionnelle en dommages et intérêts ;

– Déclarer bien fondé l’appel incident de la société Bayer SAS à l’encontre des chefs de jugement précités et l’infirmer de ces chefs,

En conséquence :

– Juger que la relation commerciale existant entre les sociétés Bayer SAS et Ad’vert Conseil n’avait pas un caractère établi ;

– Juger que la société Bayer SAS subit un préjudice résultant du comportement fautif de la société Ad’vert Conseil à son encontre ;

– Condamner la société Ad’vert Conseil à payer à la société Bayer SAS la somme de 100 000 euros à titre de dommages et intérêts pour le préjudice moral subi ;

2. A titre subsidiaire :

– Juger que la société Ad’vert Conseil ne justifie pas du montant de l’indemnité de rupture des relations commerciales établies qu’elle réclame ;

En conséquence :

– Juger que l’indemnité de rupture qui pourrait être versée à la société Ad’vert Conseil devra être évaluée :

* Sur la base de 2 mois de préavis,

* En fonction du chiffre d’affaires réellement réalisé par cette dernière, déduction faite du chiffre d’affaires qui a été réalisé par la société Hickory II,

* En effectuant les déductions qui s’imposent pour calculer la marge brute effectivement réalisée par la société Ad’vert Conseil.

3. En tout état de cause :

– Condamner la société Ad’vert Conseil à payer à la société Bayer SAS la somme de 12 000 euros au titre de l’article 700 du Code de Procédure Civile, ainsi qu’aux entiers dépens de l’instance.

La Cour renvoie à la décision entreprise et aux conclusions susvisées pour un exposé détaillé du litige et des prétentions des parties, conformément à l’article 455 du code de procédure civile.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 14 mai 2024.

MOTIVATION

1. Sur l’existence de relations commerciales établies

Moyens des parties

Ad’vert Conseil qui n’étaye pas son choix du fondement de l’article L 442-6 I 5° du code de commerce, soutient que :

– Bayer a rompu la relation commerciale établie entre les parties par mail du 19 avril 2019 lui confirmant qu’elle n’avait pas “été retenue pour la mise en oeuvre du dossier “corporate” pour laquelle sa stratégie avait pourtant été validée” (conclusions p. 6) et en ne passant plus commande pour 2019,

– sa relation avec Bayer ne peut être qualifiée de précaire dès lors que le recours aux appels d’offre, dont la preuve n’est pas rapportée, ne précarise pas automatiquement de la relation, qu’il existe un contrat cadre renouvelable tacitement d’année en année sauf dénonciation et qu’elle a bénéficié, depuis 1988, à la suite de l’agence Hickory Conseil puis de l’agence Hickory 2, d’un flux d’affaires régulier et ininterrompu avec Bayer de plus trente ans, peu important l’absence d’exclusivité et de garantie d’un chiffre d’affaire.

Bayer qui n’étaye pas son choix du fondement de l’article L442-1 du Code de commerce, soutient en réplique :

– qu’il n’y a jamais eu rupture de sa part suivant mail du 19 avril 2019 et qu’elle n’a jamais eu l’intention de mettre un terme au contrat ni de ne plus lui confier de mission à la suite d’appels d’offres

– que la cessation de fait des commandes, après ce mail, s’explique par le caractère disproportionné de la réaction de Ad’vert Conseil dont l’avocat lui a adressé une demande d’indemnisation de cette prétendue rupture et par l’assignation du 31 octobre 2019 magré sa contestation motivée du 23 juillet 2019, rappelant que ce mail ne s’analyse pas comme une rupture dès lors qu’il se borne à confirmer à Ad’vert Conseil, en conformité avec les dispositions contractuelles prévoyant la mise en concurrence, qu’elle n’a pas été retenue suite au “brief” organisé en février 2019, défini à l’article 1 du contrat comme “l’exposé des objectifs de la campagne- des contraintes liées – fait par l’annonceur (qui) comprend notamment les objectifs stratégiques , le contexte écionomique, les cibles et une fourchette budgétaire”

– que la possibilité d’une mise en concurrence prévue au contrat cadre de conseil en communication qui fonde la relation des parties était de l’essence même de celui-ci, rendant cette relation précaire, sans garantie d’aucune récurrence ni d’aucun minimum de prestations commandées, chaque Prestation de mise en oeuvre – qui doit donner lieu à une mise en concurrence avec les prestataires référencées de l’Agence (art. 3.1.3 des contrats de 2011 et 2016 )

– ayant fait l’objet d’une commande distincte

– que le flux d’affaires revendiqué est en décroissance constante.

Réponse de la cour

L’article L. 442-6, I, 5° du code de commerce dans sa version antérieure à l’ordonnance n°2019-359 du 24 avril 2019, est applicable au litige s’agissant prétendument d’une rupture notifiée le 19 avril 2019 sans indication de préavis, soit antérieurement à l’entrée en vigueur le 26 avril 2019 des dispositions de l’article L442-1 du code de commerce, créé par l’ordonnance n°2019-359 du 24 avril 2019 portant refonte du titre IV du livre IV du code de commerce relatif à la transparence, aux pratiques restrictives de concurrence et aux autres pratiques prohibées.

Cet article L. 442-6, I, 5° du code de commerce dans sa version antérieure à cette ordonnance du 24 avril 2019 dispose qu’engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels.

La relation commerciale, pour être établie au sens de ces dispositions, doit présenter, à la date de sa rupture, un caractère suivi, stable et habituel. Le critère de la stabilité s’entend de la stabilité prévisible, de sorte que la victime de la rupture devait pouvoir raisonnablement anticiper pour l’avenir une certaine continuité du flux d’affaires avec son partenaire commercial. Le recours aux appels d’offre mettant en concurrence le partenaire commercial avec d’autres prestataires, introduit un aléa dans la relation commerciale qui a pour effet de la précariser, la circonstance que ce partenaire ait été choisi durant plusieurs années n’étant pas de nature à elle seule à démontrer la stabilité de la relation commerciale (Com., 20 sept. 2011, n° 10-15.750 ; 18 oct. 2017, n° 16-15.139; 7 déc. 2022, n° 21-15.649).

Cette relation peut se nouer successivement entre plusieurs personnes physiques ou morales dès lors qu’il est démontré que, dans l’esprit des partenaires, c’est la relation initiale nouée avec l’un qui s’est poursuivie avec l’autre. La seule circonstance qu’un tiers, ayant repris l’activité ou partie de l’activité d’une personne, continue une relation commerciale que celle-ci entretenait précédemment, ne suffit pas à établir que c’est la même relation commerciale qui s’est poursuivie avec le partenaire concerné, si ne s’y ajoutent des éléments démontrant que telle était la commune intention des parties (Cass. com. 7 juillet 2020 n°18-25.304, 10 février 2021 n°19-15.369, 19 octobre 2022 n°21-17.653).

Sur la durée d’existence de la relation commerciale

En l’espèce,

– les relations commerciales sont établies entre Bayer et Hickory Conseil pour avoir débuté suivant contrat cadre régularisé entre Bayer et Hickory Conseil les 17 et 28 août 2011 et prévoyant les conditions dans lesquelles la société Bayer (l’Annonceur) pouvait confier à la société Hickory Conseil (l’Agence) des Prestations de “réflexion” et des Prestations de “mise en ‘uvre” définies au contrat, jusqu’à la procédure précitée de redressement judiciaire de Ickory Conseil avec plan de cession à Ickory II,

– les relations entre Bayer et Hickory II ont été régies suivant nouveau contrat cadre signé les 27 octobre et 10 novembre 2016 “en termes quasi identiques au précédent” selon Bayer (conclusions p. 32), jusqu’à la procédure précitée de redressement judiciaire avec plan de cession dont cette dernière a fait l’objet (pièces Bayer 3-6)

– l’échange de lettres entre Ad’vert Conseil et Bayer des 5 et 20 septembre 2017 (pièces Bayer 7-8), manifeste la volonté de Bayer d’accepter le transfert de ce contrat cadre dont Ad’vert Conseil accepte de reprendre les droits et obligations du fait de la cession à son profit du fonds de commerce de Hickory II, la lettre AR de Bayer du 20 septembre 2017 étant ainsi libellée :

« Nous accusons réception de votre courrier daté du 5 septembre 2017, dans lequel vous acceptez reprendre les droits et obligations du contrat cadre de Conseil en Communication signé entre BAYER S.A.S. et HICKORY II le 10 novembre 2016, suite à la cession du fonds de commerce d’HICKORY II à votre société par jugement du 22 décembre 2016.

Comme demandé, vous trouverez ci-joint une copie de votre courrier dument signé par nos soins attestant notre accord pour le transfert de ce contrat ».

– cette relation s’est poursuivie jusqu’en 2019.

Il s’en déduit que, dans l’esprit des partenaires, Bayer a entendu en 2016, reprendre la relation initiale nouée avec Hickory Conseil en 2011, puis en 2017 celle nouée en 2016 avec Hickory II.

En revanche, Ad’vert Conseil procède par affirmation quant à l’existence d’une relation commerciale établie entre les parties depuis 1988, comme résultant de publicités réalisées par Hickory Conseil pour une société Shering Agrochimie prétendument reprise en 2002 par Bayer, ce que la parution publicitaire réalisée par l’une pour l’autre en 1988 et l’attestation de [O] [W], qui se présente comme “consultant agronome Ad’vert Conseil” (ses pièces 7 et 17) ne suffisent pas à établir.

Sur la stabilité de la relation commerciale

L’article 3 du contrat cadre précité de 2011, comme celui du contrat cadre précité de 2016 est ainsi rédigés (pièces Bayer 2-3) :

« L’Annonceur pourra confier à l’Agence, de manière discrétionnaire et non exclusive, par le biais d’une mise en concurrence ou non, une ou plusieurs des Prestations énoncées ci-dessous.

Il est entendu entre les Parties que l’Annonceur ne garantit pas un minimum de Prestations à l’Agence ».

Il en résulte une incertitude quant aux besoins en prestations de services et aux commandes de Bayer, l’absence d’exclusivité de la relation commerciale, de même que l’absence de garantie de chiffre d’affaires, qui sont de nature à faire douter de l’existence d’un caractère établi de cette relation.

D’autre part, si un chiffre d’affaires annuel entre ces sociétés a bien existé, au vu du tableau produit en pièce 9 par Bayer pour en invoquer la décroissance plus que significative et constante, de plus de 3 millions d’euros en 2011 à 94 856 euros en 2019, ce tableau sur feuille volante, dont au demeurant les chiffres ne sont pas entièrement lisibles (2011-2013) n’est pas de nature à en établir la réalité précisément chiffrée, partant la stabilité prévisible effective de la relation en dépit de sa précarisation contractuelle.

A cet égard, Ad’vert Conseil, qui ne justifie pas du flux d’affaire allégué pour la période antérieure à 2017, invoque un chiffre d’affaire avec Bayer, certifié par sa société d’expertise comptable, de 481 212 € en 2017 et 195 142 € en 2018 puis de 93 316 € en 2019 ( sa pièce 21), soit un chiffre d’affaires en décroissance de plus 50% chaque année, étant observé que Ad’vert Conseil soutient elle-même qu’elle n’a plus reçue aucune commande cette même année (conclusions p.13 et sa pièce 16), qui est à replacer dans le contexte devenu contentieux de la relation cette année-là.

Enfin, Ad’vert Conseil n’établit pas le caractère significatif de la part de Bayer dans son chiffre d’affaires global, en l’état des seuls documents produits. Les “grands livres auxiliaires clients” de 2017 et 2018 produits aux débats (pièces 11-12) ne se sont nullement certifiés, comportent des écritures en mode brouillard sans rapport avec les chiffres ci-dessus, en particulier pour 2018 (375 637 € versus 195 142 €) et aucun autre document comptable ne les corroborant. Et l’attestation à ce sujet de M. [O] [W] (pièce Ad’vert Conseil 17) est dépourvue de valeur probante suffisante pour les raisons déjà énoncée, l’entête de cette attestation présentant ce dernier comme “consultant agronome Ad’vert Conseil”, ce d’autant, au demeurant, qu’elle ne se réfère à aucune base factuelle précise pour estimer cette part de Bayer dans le chiffre d’affaires total de ses trois partenaires précités à “régulièrement entre un quart et un tiers de son chiffre d’affaires total”.

En conséquence, Ad’vert Conseil ne soutient pas utilement qu’elle pouvait avoir, au moment de la rupture alléguée, une attente raisonnable en la poursuite effective de la relation commerciale des parties malgré le caractère contractuellement aléatoire, incertain et précaire de celle-ci.

Sa demande en indemnisation de la rupture prétendument brutale de celle-ci n’est donc pas fondée et doit être rejetée.

2. Sur la demande reconventionnelle

Moyens des parties

Bayer pour solliciter au visa de l’article 1240 du code civil la somme de 100 000 euros à titre de dommages-intérêts à titre de préjudice moral subi depuis juillet 2019 soutient que l’action d’Ad’vert Conseil constitue un abus de droit en ce que la prétendue rupture brutale n’est ni démontrée ni avérée alors même qu’elle a maintenu la relation malgré l’absence d’efficacité et de réactivité de cette dernière.

Ad’vert Conseil conteste tant le principe que le montant de cette demande qu’elle qualifie de “fantaisiste”.

Réponse de la cour

Bayer procède par affirmation quant à l’absence d’efficacité et de réactivité d’Ad’vert Conseil qu’aucune pièce n’étaye et Ad’vert Conseil a pu se méprendre sur la portée de ses droits de sorte qu’aucun abus de droit n’est caractérisé.

La demande de Bayer qui n’est donc pas fondée ne peut être accueillie.

3. Sur les autres demandes

Le jugement entrepris a fait une exacte application de l’article 696 du code de procédure civile et une application équitable de l’article 700 de ce code.

Ad’vert Conseil dont le recours échoue doit supporter les dépens d’appel et l’équité commande de la condamner à payer l’indemnité de procédure qui suit.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions soumises à la cour ;

Y ajoutant,

Condamne la société Ad’vert Conseil aux dépens d’appel et à payer à la société Bayer une indemnité de procédure de 5.000 euros ;

Rejette toute autre demande.

LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE


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