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COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE
Délégation Premier Président
ORDONNANCE
DU 05 MAI 2022
N°2022 / 0008
N° RG 21/01445 –
N° Portalis DBVB-V-B7F-BG3X3
[L] [F]
Société DAVIDSON MIDI-PYRENEES
C/
DIRECTION NATIONALE DES ENQUETES FISCALES
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
– Me Jean DI FRANCESCO
Décision déférée au Premier Président de la Cour d’Appel :
Ordonnance rendue le 11 janvier 2021 par le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de DRAGUIGNAN
APPELANTS
Monsieur [L] [F], demeurant [Adresse 2]
représenté par Me Eve OBADIA de la SELEURL CABINET EVE OBADIA, avocat au barreau de PARIS, Me Delphine RAVON, avocat au barreau de PARIS
Société DAVIDSON MIDI-PYRENEES immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés sous le numéro 537 698 862 TOULOUSE, agissant par son Président en exercice, Monsieur [U] [O], demeurant [Adresse 1]
représentée par Me Eve OBADIA de la SELEURL CABINET EVE OBADIA, avocat au barreau de PARIS, Me Delphine RAVON, avocat au barreau de PARIS
INTIMEE
DIRECTION NATIONALE DES ENQUETES FISCALES, demeurant [Adresse 3]
représenté par Me Jean DI FRANCESCO de la SCP URBINO ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS
*-*-*-*-*
DÉBATS ET DÉLIBÉRÉ
L’affaire a été débattue le 03 Mars 2022 en audience publique devant
Madame Rachel ISABEY, Conseiller,
déléguée par ordonnance du Premier Président .
Greffier lors des débats : Mme Manon BOURDARIAS.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 05 Mai 2022.
ORDONNANCE
Contradictoire,
Prononcée par mise à disposition au greffe le 05 Mai 2022
Signée par Madame Rachel ISABEY, Conseiller et Madame Manon BOURDARIAS, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
Par ordonnance en date du 11 janvier 2021, le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Draguignan a autorisé des agents de l’administration des finances publiques à procéder à des opérations de visite et de saisie domiciliaires à l’encontre de la société DAVIDSON MIDI-PYRENEES, dans les locaux et dépendances situés [Adresse 2] susceptibles d’être occupés par M. [F] et/ou la SASU INNOVATECH CONSEIL et/ou la SCI HAUTE TERRE et/ou la SCI ROMAN et/ou la SCI ESPACE AGORA et/ou la SARL YMC et/ou l’entreprise [F] et/ou la SARL CIR EXPERT.
Les opérations de visite et de saisie se sont déroulées le 12 janvier 2021 et ont été relatées par procès-verbal du même jour.
Par courrier recommandé expédié le 26 janvier 2021et reçu le 28 janvier 2021 au greffe de la cour d’appel, la société DAVIDSON MIDI PYRENEES et M. [L] [F] ont interjeté appel de cette ordonnance.
La société DAVIDSON MIDI PYRENEES et M. [L] [F] ont également formé un recours contre les opérations de visite et de saisie. Cette procédure a fait l’objet d’une instance distincte.
A l’audience du 3 mars 2022, la société DAVIDSON MIDI PYRENEES et M. [L] [F] ont repris leurs conclusions du 2 mars 2022, aux termes desquelles ils sollicitent:
à titre principal :
– l’infirmation de l’ordonnance querellée,
– l’annulation des opérations de visite et de saisie autorisées par cette ordonnance,
à titre subsidiaire :
– l’infirmation de l’ordonnance en ce qu’elle a autorisé la visite pour rechercher la preuve des agissements au titre des exercices 2015, 2018 et 2019,
– l’annulation des saisies réalisés en ce qu’elles portent sur les exercices 2015, 2018 et 2019
en tout état de cause :
– la destruction, sous astreinte de 2 000 € par jour de retard passé un délai de 8 jours à compter de la décision à intervenir, de toute copie sous quelque forme que ce soit des documents et fichiers saisis, à charge pour l’administration de justifier de la destruction effective de ces documents et fichiers,
– la condamnation du directeur général des finances publiques à leur verser la somme de 5 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens.
En défense, le directeur général des finances publiques a sollicité le bénéfice de ses conclusions adressées le 1er mars 2022 tendant :
– à la confirmation de l’ordonnance déférée,
– au rejet des demandes des appelants,
– à la condamnation des appelants au paiement de la somme de 2 000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens.
MOTIFS DE LA DECISION
La recevabilité de l’appel contre l’ordonnance d’autorisation du juge des libertés et de la détention n’est pas contestée et les éléments du dossier ne font pas apparaître d’irrégularité. L’appel est ainsi recevable.
Les appelants invoquent l’absence de contrôle effectif du premier juge, le défaut de proportionnalité des opérations de visite et de saisie, le caractère illicite des pièces jointes à la requête par l’administration fiscale et l’absence de présomptions d’agissements frauduleux entrant dans le champ d’application de l’article L 16 B du livre des procédures fiscales.
1- sur la régularité de la procédure d’autorisation
Sur le contrôle du juge
Les appelants soutiennent que le juge des libertés et de la détention, saisi d’une requête accompagnée de 127 pièces représentant des milliers de pages, n’a pas procédé à un contrôle effectif du bien fondé de la mesure et de sa proportionnalité.
Le directeur général des finances publiques réplique que rien n’autorise les appelants à suspecter que le juge se soit dispensé de contrôler les pièces soumises à son appréciation et rappelle qu’en tout état de cause la cour d’appel effectue un second contrôle. S’agissant du contrôle de proportionnalité, il expose qu’aucun texte n’impose au juge de vérifier si l’administration pouvait recourir à d’autres modes de preuve ou d’autres procédures.
Selon une jurisprudence constante de la Cour de cassation, les motifs et le dispositif de l’ordonnance sont réputés établis par le juge qui l’a rendue et signée. En l’espèce le juge des libertés et de la détention s’est référée de façon motivée aux éléments fournis par l’administration fiscale pour retenir des présomptions de fraude et le nombre de pièces ne peut laisser présumer qu’il se soit dispensé de les examiner. Aucun élément ne permet donc de contester la réalité et le sérieux du contrôle réalisé par le premier juge. Au demeurant l’existence d’un second contrôle, par la cour d’appel, des pièces produites par l’administration fiscale, garantit le droit à un procès équitable.
Les appelants soutiennent que la mesure ordonnée n’était pas la seule possible et que l’absence de contrôle de la proportionnalité de cette mesure constitue une violation de l’article 8 &2 de la CEDH.
L’article invoquée par les appelants dispose que :
‘Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit ( au respect de la vie privée et familiale) que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et liberté d’autrui.’
Les dispositions de l’article L. 16 B du livre des procédures fiscales assurent les garanties suffisantes exigées par la convention européenne des droits de l’homme. Aucun texte ne subordonne non plus la saisine de l’autorité judiciaire à l’impossibilité de recourir à d’autres procédures de contrôle. Pour permettre la mise en oeuvre de la procédure de visite domiciliaire, l’article L. 16 B exige seulement l’existence de présomptions de fraude fiscale et le juge apprécie souverainement l’existence de ces présomptions sans être tenu de s’expliquer sur la proportionnalité de la mesure qu’il ordonne. Le moyen tiré de l’absence de contrôle de la proportionnalité de la visite domiciliaire sera également rejeté.
Sur la licéité des pièces produites par l’administration
Les appelants prétendent que l’administration a produit à l’appui de sa requête des pièces issues de la consultation de bases de données et de sites d’accès publique, en violation du règlement européen sur la protection des données (RGPD) et de l’obligation d’information sur l’origine, la source des données et leur accessibilité au public.
Le directeur général des finances publiques expose en défense que la jurisprudence autorise l’administration à se procurer des informations provenant de consultations d’accès public ; que le traitement ‘sui generis’ de la direction nationale des enquêtes fiscales est conforme aux dispositions de la loi du 6 janvier 1978 et aux exigences européennes et que le droit à l’information ne s’applique pas à la procédure mis en oeuvre par l’administration fiscale.
En premier lieu il convient de relever que le 14° considérant du règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 prévoit que la protection qu’il confère ne couvre pas le traitement des données à caractère personnel qui concernent les personnes morales, et en particulier les entreprises dotées de la personnalité juridique.
Par ailleurs l’article 23 du règlement dispose que le droit de l’Union ou le droit de l’État membre auquel le responsable du traitement ou le sous-traitant est soumis peuvent, par la voie de mesures législatives, limiter la portée des obligations et des droits prévus aux articles 12 à 22 et à l’article 34, ainsi qu’à l’article 5 dans la mesure où les dispositions du droit en question correspondent aux droits et obligations prévus aux articles 12 à 22, lorsqu’une telle limitation respecte l’essence des libertés et droits fondamentaux et qu’elle constitue une mesure nécessaire et proportionnée dans une société démocratique pour garantir notamment la prévention et la détection d’infractions pénales, ainsi que les enquêtes et les poursuites en la matière ou l’exécution de sanctions pénales, y compris la protection contre les menaces pour la sécurité publique et la prévention de telles menaces et d’autres objectifs importants d’intérêt public général de l’Union ou d’un État membre, notamment un intérêt économique ou financier important de l’Union ou d’un État membre, y compris dans les domaines monétaire, budgétaire et fiscal, de la santé publique et de la sécurité sociale.
En application de ces dispositions, l’article 42 de la loi du 6 janvier 1978 prévoit que le Titre II relatif au Traitements relevant du régime de protection des données à caractère personnel prévu par le règlement (UE) 2016/679 du 27 avril 2016 ne s’applique pas aux traitements de données à caractère personnel effectués par les autorités compétentes à des fins de prévention et de détection des infractions pénales, d’enquêtes et de poursuites en la matière ou d’exécution de sanctions pénales, y compris la protection contre des menaces pour la sécurité publique et la prévention de telles menaces.
Les traitements mis en oeuvre par l’administration fiscale relèvent de l’article 87 de la même loi, dans son titre III relatif aux dispositions applicables aux traitements relevant de la directive (UE) 2016/680 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relative à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel par les autorités compétentes à des fins de prévention et de détection des infractions pénales, d’enquêtes et de poursuites en la matière ou d’exécution de sanctions pénales, et à la libre circulation de ces données. Cet article prévoit une application aux traitements de données à caractère personnel mis en ‘uvre, à des fins de prévention et de détection des infractions pénales, d’enquêtes et de poursuites en la matière ou d’exécution de sanctions pénales, y compris la protection contre les menaces pour la sécurité publique et la prévention de telles menaces, par toute autorité publique compétente ou tout autre organisme ou entité à qui a été confié, à ces mêmes fins, l’exercice de l’autorité publique et des prérogatives de puissance publique, ci-après dénommés autorité compétente.
Aux termes de l’aliéna 2 de cet article, ces traitements ne sont licites que si et dans la mesure où ils sont nécessaires à l’exécution d’une mission effectuée, pour l’une des finalités énoncées au premier alinéa, par une autorité compétente au sens du même premier alinéa et où sont respectées les dispositions des articles 89 et 90. Le traitement assure notamment la proportionnalité de la durée de conservation des données à caractère personnel, compte tenu de l’objet du fichier et de la nature ou de la gravité des infractions concernées.
La mission dévolue à l’administration fiscale de recherche et de constat des manquements et infractions à la législation et réglementations fiscales et économiques répond aux conditions des dispositions précitées.
Par ailleurs, s’agissant du droit à l’information, l’article 48 de la loi du 6 janvier 1978 dispose qu’en application de l’article 23 du règlement, le droit à l’information ne s’applique pas aux données collectées dans les conditions prévues à l’article 14 de ce règlement et utilisées lors d’un traitement mis en ‘uvre pour le compte de l’Etat et intéressant la sécurité publique, dans la mesure où une telle limitation est nécessaire au respect des fins poursuivies par ce traitement et prévue par l’acte instaurant le traitement.
Il est fait application des dispositions de l’alinéa précédent lorsque le traitement est mis en ‘uvre par les administrations publiques qui ont pour mission soit de contrôler ou de recouvrer des impositions soit d’effectuer des contrôles de l’activité de personnes physiques ou morales pouvant donner lieu à la constatation d’une infraction ou d’un manquement, à des amendes administratives ou à des pénalités.
Ainsi l’administration a pu produire des pièces à l’appui de sa requête concernant des informations provenant de bases de données ou de sites d’accès public dans le respect des règles garantissant la protection des données.
Le moyen sera donc écarté.
2- sur le bien fondé de l’autorisation
Aux termes de l’article L. 16 B du livre des procédures fiscales, l’autorité judiciaire peut autoriser l’administration à effectuer une visite domiciliaire lorsqu’il existe des présomptions qu’un contribuable se soustrait à l’établissement ou au paiement de l’impôt sur le revenu ou les bénéfices ou de la TVA pour rechercher la preuve de ces agissements.
Il convient de relever en préambule que cet article n’exige que de simples présomptions, le juge de l’autorisation n’étant pas le juge de l’impôt et n’ayant pas à rechercher si les infractions sont caractérisées mais seulement à examiner s’il existe des présomptions de fraude justifiant les opérations de visite et de saisie.
Il appartient au juge judiciaire de s’assurer que l’administration apporte des éléments concrets laissant présumer l’existence d’une fraude et il n’a pas à se substituer au juge de l’impôt dans l’appréciation de la réalité de la fraude alléguée ou des droits éludés.
Les appelants contestent la démonstration d’une présomption d’agissements frauduleux visés par l’article L 16 B du livre des procédures fiscales.
Le groupe DAVIDSON est un groupe de sociétés spécialisées dans le consulting en matière d’ingénierie, dans le domaine des technologies numériques et des télécoms, d’une part et dans les domaines industriels d’autre part.
La société DAVIDSON MIDI-PYRENEES a été créée le 10 octobre 2011. Elle a pour objet social les activités d’ingénierie, les études techniques spécialisées pour l’industrie, les activités de service dans le domaine de l’informatique, le développement des technologies et leurs applications.
Dans le cadre de son activité de recherche elle a bénéficié du crédit d’impôt recherche (CIR).
Le crédit d’impôt recherche (CIR) est une mesure générique de soutien aux activités de recherche et de développement (R&D). Les entreprises qui engagent des dépenses de recherche fondamentale et de développement expérimental peuvent bénéficier du CIR en les déduisant de leur impôt sous certaines conditions.
Les entreprises bénéficiaires du CIR déposent une déclaration spéciale ( imprimé 2069-A-SD) qui permet de calculer le montant du CIR et reportent le résultat sur leur déclaration fiscale.
Le crédit d’impôt est imputé sur l’impôt sur le revenu ou sur les sociétés dû par l’entreprise pour l’année pendant laquelle les dépenses de recherche ont eu lieu. En cas d’impossibilité d’imputation sur un bénéfice trop faible par exemple, le crédit excédentaire non imputé constitue une créance sur l’État, qui peut être utilisée pour le paiement de l’impôt dû au titre des 3 années suivantes. À l’issue de ce délai de 3 ans, la créance est remboursable.
La société DAVIDSON MIDI-PYRENEES fait l’objet depuis le 11 mars 2019 d’une procédure de vérification de comptabilité portant sur les déclarations relatives aux Crédit Impôt Recherche (CIR) au titre des années 2015 à 2017.
La société DAVIDSON MIDI-PYRENEES a déclaré au titre du CIR :
– 628 055 € au titre des dépenses engagées en 2015 (montant non imputé sur l’impôt sur les sociétés)
– 694 713 € au titre des dépenses 2016 (dont 210 074 € ont été imputés sur l’IS dû au titre de l’exercice 2016)
– 708 327 € au titre des dépenses 2017 (dont 138 527 € ont été imputés sur l’IS dû au titre de l’exercice 2017 et 225 220 € sur l’IS dû au titre de l’exercice 2019)
– 463 620 € au titre des dépenses 2018 (dont 273 169 € ont été imputés sur l’IS dû au titre de l’exercice 2018)
– 460 932 € au titre des dépenses 2019 ( imputés en totalité sur l’IS dû au titre de l’exercice 2019).
Le montant total des dépenses de recherche dans le calcul du CIR est constitué à plus de 98 % de dépenses de personnel dont une partie est mise à disposition par des prestataires.
Le juge des libertés et de la détention a retenu qu’il pouvait être présumé que la société a artificiellement majoré le montant de ces dépenses dans le but de diminuer frauduleusement ses impositions.
Les appelants soutiennent que les dispositions de l’article L 16 B du livre des procédures fiscales ne peuvent pas être mises en oeuvre pour les créances de CIR qui n’ont pas été imputées, comme c’est le cas pour l’exercice 2015, dès lors que les créances ne participent ni à l’établissement ni au paiement de l’impôt.
Le directeur général des finances publiques réplique que la créance de CIR, soumise à des obligations comptables et fiscales, fait l’objet d’une déclaration spécifique et que la constatation de l’existence de la créance fait naître un droit à réduction qui aura pour effet une minoration de l’impôt, peu important la date à laquelle il sera exercé.
Les visites domiciliaires peuvent être autorisées par le juge des libertés et de la détention lorsqu’il relève l’existence de présomptions de ce qu’un contribuable se soustrait à l’établissement et au paiement des impôts sur le revenu ou sur les bénéfices ou des taxes sur le chiffre d’affaires, par l’effet de l’un des agissements mentionnés par l’article L. 16 B du livre des procédures fiscales:
en se livrant à des achats ou à des ventes sans facture, en utilisant ou en délivrant des factures ou des documents ne se rapportant pas à des opérations réelles ou en omettant sciemment de passer ou de faire passer des écritures ou en passant ou en faisant passer sciemment des écritures inexactes ou fictives dans des documents comptables dont la tenue est imposée par le code général des impôts.
Il résulte par ailleurs d’une jurisprudence constante que des présomptions d’agissements ou manquements relevant des articles 1741 ou 1743 du code général des impôts sont également de nature à permettre la mise en oeuvre de l’article L 16 B du livre des procédures fiscales.
L’article 1741 vise le fait de se soustraire frauduleusement ou de tenter de se soustraire frauduleusement à l’établissement ou au paiement total ou partiel des impôts, en omettant de faire sa déclaration dans les délais prescrits, en dissimulant une part des sommes sujettes à l’impôt, en mettant obstacle par d’autres manoeuvres au recouvrement de l’impôt, ou en agissant de toute autre manière frauduleuse.
Le CIR ouvre droit à une réduction d’impôt déductible de l’impôt sur les sociétés, il est déclaratif et justifié sous la responsabilité du déclarant. Le crédit d’impôt non imputé sur l’impôt dû au titre de l’exercice constitue une créance de CIR qui doit être enregistrée comptablement et fiscalement et qui peut être utilisée pour le paiement de l’impôt dû au titre des trois exercices suivants ou remboursée à l’expiration de la période
Des déclarations non conformes au titre du CIR constituent donc des inexactitudes dans les déclarations fiscales et comptables dont la finalité est la soustraction au paiement de l’impôt.
En conséquence le fait de bénéficier ou de tenter de bénéficier indûment de crédit d’impôt en faveur de la recherche, en présentant à l’administration fiscale des documents ne correspondant pas à la réalité des opérations effectuées, s’inscrit dans le champ d’application de l’article L 16 B du livre des procédures fiscales, la question de l’imputation ou du remboursement du crédit étant indifférente.
En tout état de cause il n’est pas contesté que les créances de CIR des années 2016, 2017, 2018 et 2019 ont été imputées sur l’impôt sur les sociétés, alors que des présomptions d’agissements frauduleux pour un exercice quelconque autorisent le juge à délivrer une autorisation de visite et de saisie pour tous les faits non couverts par la prescription. De la même façon les appelants font valoir qu’aucun élément dans le dossier présenté par l’administration au juge des libertés et de la détention ne concerne les exercices 2018 et 2019 mais il sera relevé que l’article L 16 B n’impose pas que l’ordonnance vise expressément les années correspondant aux exercices sur lesquels porte l’autorisation, l’ordonnance critiquée ne mentionnant d’ailleurs pas de dates particulières pour les présomptions d’agissements frauduleux. En conséquence l’ordonnance est réputée viser tous les faits non couverts par la prescription, le juge n’étant pas tenu de caractériser précisément les agissements frauduleux pour chaque année.
Enfin si les appelants font abondamment état du débat juridique portant sur le point de savoir si des dépenses de recherche engagées par une entreprise peuvent être prises en compte dans le calcul de son propre CIR si elles sont refacturées à une autre société, les présomptions ne portent pas sur cette question mais sur le fait que les dépenses en cause n’étaient pas réellement des dépenses de recherche.
Les appelants soutiennent que l’administration avait parfaitement connaissance du fonctionnement du groupe DAVIDSON et des déclarations effectuées par la société DAVIDSON MIDI-PYRENEES, une vérification de comptabilité étant en cours à la date de la requête.
Comme le relève à juste titre le directeur général des finances publiques, il résulte d’une jurisprudence constante que l’administration peut solliciter la mise en oeuvre de l’article L 16 B du livre des procédures fiscales, pendant ou après une vérification fiscale. Pour permettre la réalisation d’une procédure de visite domiciliaire, l’article L. 16 B exige seulement l’existence de présomptions de fraude et la procédure est distincte de celle tendant à l’établissement et au paiement des impôts dus par le contribuable.
Afin d’apprécier si la demande d’autorisation de visite et de saisie était fondée, le premier juge devait examiner, selon la méthode dite « du faisceau d’indices », si les éléments d’informations produits par l’administration, pris dans leur ensemble et non pas individuellement, étaient de nature à faire présumer l’existence d’agissements frauduleux. Il a notamment retenu les éléments suivants :
Le service vérificateur a sollicité à plusieurs reprises les noms des clients de la société DAVIDSON MIDI-PYRENEES et la copie des contrats signés. Il a procédé au rejet du CIR 2015, relevant notamment, qu’en l’état des pièces transmises, la société DAVIDSON MIDI-PYRENEES n’avait pas justifié des volumes horaires consacrés par ses salariés à la recherche.
Les experts mandatés par la Délégation Régionale à la Recherche et à la Technologie d’Occitanie (DRRT) ont relevé que le nombre d’heures et le montant consacré à la R&D semblent très élevés eu égard aux travaux réalisés, et en contradiction avec le fait que la société propose des expertises pour le compte d’autres sociétés.
Ces contradictions ont été confirmées par la comparaison entre les heures déclarées par certains salariés de la société DAVIDSON MIDI-PYRENEES dans les dossiers financiers avec la description de leur activité sur leurs profils Linkedln.
Ainsi, M. [V] [B], ingénieur consultant, employé par la SAS DAVIDSON MIDI PYRENEES du 01/01/2015 au 31/12/2015, a consacré 93.99% d’heures de travail à la recherche et développement du projet MESH alors qu’il indique sur son profil « Linkedln » être employé depuis mai 2013 au sein de DAVIDSON MIDI PYRENEES et être en mission depuis 2014 chez AIRBUS DEFENCE & SPACE en qualité d’architecte, chef de projet, expert en automatisation des tests.
De la même façon M. [X] [G], ingénieur consultant, employé par la SAS DAVIDSON MIDI PYRENEES du 01/01/2017 au 31/12/2017, a consacré 90.88% d’heures de travail à la recherche et développement du projet MESH alors qu’il indique sur son profil « LinkedIn » être « Consultant DAVIDSON à la DGAC »depuis mai 2016, au sein de laquelle il a en charge le pilotage du déploiement et qualification des liaisons opérateurs.
Il est exact que l’administration fiscale ne produit pas l’ensemble des profils Linkedln de tous les salariés de la société DAVIDSON TECHNOLOGIES concernés par les CIR, mais il convient de rappeler qu’au stade de l’autorisation de visite et de perquisition, il ne peut être exigé de l’administration fiscale une démonstration exhaustive d’agissements frauduleux.
Par ailleurs si les profils Linkedln contiennent des informations souvent non objectivées et n’ont qu’une force probante relative, ces éléments pouvaient être mis en perspective avec le défaut de justificatif relevé lors de la proposition de vérification et le pourcentage anormalement élevé de temps de travail consacré à la R&D.
Il sera enfin noté que les appelants n’apportent aucun élément objectif pour établir la matérialité effective des opérations de recherche qui auraient pu réalisées par les salariés visés dans la requête de l’administration fiscale.
Par ailleurs l’exercice du droit de communication par l’administration fiscale auprès des clients de la société a révélé d’autres anomalies pour plusieurs salariés.
A titre d’exemple, [K] [W], salarié de la SAS DAVIDSON MIDI PYRENEES en tant qu’ingénieur consultant, a été pris en compte à plus de 90% de son temps à des opérations de recherche et développement en 2015, 2016 et 2017 pour la société DAVIDSON MIDI PYRENEES, alors qu’il était présumé être en mission durant cette période dans les locaux de la société TELESPAZIO France pour des prestations ne relevant pas de travaux de type R&D.
De la même façon, selon les éléments indiqués dans le dossier financier 2015 transmis par la société DAVIDSON MIDI-PYRENEES M. [P] [A], ingénieur consultant, a consacré 91% en 2015 d’heures de travail à la recherche et développement du projet loT.
Or de janvier à décembre 2015, M. [P] [A] a été en mission dans les locaux de la société OKTAL pour des prestations d’assistance technique qui ne relevaient pas de travaux de type R&D. Il ressort du droit de communication exercé par l’administration fiscale que les salariés du groupe DAVIDSON, en mission 37 heures par semaine dans les locaux de la société OKTAL à [Localité 5] ou à [Localité 4] n’ont pas réalisé de prestations relatives à des opérations de R & D.
Ces constatations sont identiques pour 3 autres employés.
Ainsi, il apparaît que certains salariés de la société DAVIDSON MIDI PYRENEES ont pu être pris en compte dans ses déclarations de CIR alors qu’ils travaillent en réalité pour d’autres sociétés.
Les appelants font valoir que c’est à l’occasion des missions auprès de ces clients que la société DAVIDSON MIDI-PYRENEES conduit et structure en interne des opérations de R&D de sa propre initiative et pour son propre compte, mais cela n’explique pas comment les missions exercées par ces salariés ont pu leur permettre de disposer du temps nécessaire pour réaliser des opérations de R&D pour le compte de la société DAVIDSON MIDI-PYRENEES.
En conséquence, le premier juge, qui s’est notamment fondé sur des éléments objectifs, et notamment les rapports financiers des CIR et les éléments fournis par les clients de la société, qu’il a mis en perspective avec des informations publiques, a pu présumer que la société DAVIDSON MIDI PYRENEES avait artificiellement majoré le montant des dépenses de personnel prises en compte dans le calcul de son CIR, dans le but de diminuer frauduleusement son imposition.
Aucun des moyens invoqués par les appelants n’étant fondé et les éléments recueillis par l’administration fiscale établissant une présomption de fraude, l’ordonnance déférée sera confirmée.
3- sur l’article 700 du code de procédure civile et les dépens
La société DAVIDSON MIDI-PYRENEES et M. [F] qui succombent au litige seront déboutés de leur demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile. Il serait en revanche inéquitable de laisser à la charge de l’administration fiscale les frais, non compris dans les dépens, qu’elle a exposés pour la présente procédure. Il convient de lui allouer à ce titre la somme de 500 €.
Les appelants supporteront en outre les dépens de l’instance.
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, contradictoirement,
Déclarons recevable l’appel formé par la société DAVIDSON MIDI-PYRENEES et M. [L] [F] contre l’ordonnance d’autorisation du juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Draguignan en date du 11 janvier 2021 ;
Confirmons ladite ordonnance ;
Rejetons en conséquence l’ensemble des demandes de la société DAVIDSON MIDI-PYRENEES et de M. [F] ;
Condamnons la société DAVIDSON MIDI-PYRENEES et M. [L] [F] à payer au directeur général des finances publiques la somme de 500 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Condamnons la société DAVIDSON MIDI-PYRENEES et M. [L] [F] aux dépens.
LE GREFFIER LA PRESIDENTE