RGDP : 29 juin 2022 Cour d’appel de Versailles RG n° 20/00142

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RGDP : 29 juin 2022 Cour d’appel de Versailles RG n° 20/00142
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COUR D’APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80C

17e chambre

ARRÊT N°

CONTRADICTOIRE

DU 29 JUIN 2022

N° RG 20/00142

N° Portalis DBV3-V-B7E-TWES

AFFAIRE :

[V] [E]

C/

SAS INGRAM MICRO

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 29 novembre 2019 par le Conseil de Prud’hommes Formation de départage de BOULOGNE BILLANCOURT

Section : E

N° RG : F 17/00807

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Oriane DONTOT

Me Martine DUPUIS

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE VINGT NEUF JUIN DEUX MILLE VINGT DEUX,

La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :

Monsieur [V] [E]

né le 19 août 1981 à [Localité 4]

de nationalité française

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentant : Me Oriane DONTOT de la SELARL JRF & ASSOCIES, Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 617 et Me Patricia GOMEZ-TALIMI de la SCP PDGB, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : U0001

APPELANT

****************

SAS INGRAM MICRO

N° SIRET : 344 658 117

[Adresse 2]

[Localité 5]

Représentant : Me Martine DUPUIS de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, Constitué , avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 625 et Me Olivier THIBAUD de la SCP FROMONT BRIENS, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P107

INTIMÉE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 18 mai 2022 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Madame Clotilde MAUGENDRE, Présidente chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Clotilde MAUGENDRE, Présidente,

Monsieur Laurent BABY, Conseiller,

Madame Nathalie GAUTIER, Conseiller

Greffier lors des débats : Madame Dorothée MARCINEK

Par jugement du 29 novembre 2019, le conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt (section encadrement), statuant en sa formation de départage, a :

– constaté que la demande de M. [V] [E] en paiement des heures supplémentaires portant sur la période antérieure au 28 mars 2014 est prescrite,

– rejeté la demande de M. [E] tendant à l’audition de M. [A] [B] en qualité de témoin,

– rejeté la demande de M. [E] tendant à l’audition de Mme [Z] [D] en qualité de témoin,

– dit que le licenciement de M. [E] est sans cause réelle et sérieuse,

– condamné la société Ingram Micro à verser à M. [E] les sommes de :

. 2 776,65 euros à titre de rappel de prime d’objectifs du mois de février 2017,

. 277,66 euros au titre des congés payés afférents,

avec intérêts au taux légal à compter du 4 juillet 2017 conformément à l’article 1231-6 du code civil,

. 60 000 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement conformément à l’article 1231-7 du code civil,

– ordonné le remboursement par la société Ingram Micro aux organismes concernés des indemnités de chômage versées à M. [E] du jour de son licenciement à ce jour, à concurrence de six mois, dans les conditions prévues à l’article L. 1235-4 du code du travail et dit que le secrétariat greffe, en application de l’article R. 1235-2 du code du travail, adressera à la Direction générale de Pôle emploi une copie certifiée conforme du jugement en précisant si celui-ci a fait ou non l’objet d’un appel,

– débouté les parties de toutes leurs autres demandes,

– dit n’y avoir lieu à transmission du jugement à la Commission nationale de l’informatique et des libertés,

– dit n’y avoir lieu à exécution provisoire sous réserve des dispositions de l’article R. 1454-28 du code du travail selon lesquelles les sommes visées par l’article R. 1454-14 sont exécutoires de plein droit dans la limite de neuf mois de salaire, calculés sur la moyenne des trois derniers mois de salaire,

– fixé la moyenne des trois derniers mois de salaire à la somme de 7 897 euros,

– condamné la société Ingram Micro à verser à M. [E] la somme de 1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamné la société Ingram Micro aux dépens.

Par déclaration adressée au greffe le 14 janvier 2020, M. [E] a interjeté appel de ce jugement.

Une ordonnance de clôture a été prononcée le 5 avril 2022.

Par dernières conclusions remises au greffe le 25 mars 2022, M. [E] demande à la cour de :

– le dire bien fondé et recevable en son appel,

– confirmer le jugement rendu en ce qu’il a :

. requalifié son licenciement en licenciement sans cause réelle et sérieuse,

. condamné la société Ingram Micro à lui verser un rappel de prime pour le mois de février 2017 à hauteur de 2 776,65 euros, outre 277,66 euros au titre des congés payés,

. condamné la société Ingram Micro au remboursement des indemnités chômage à concurrence de six mois,

– infirmer le jugement rendu pour le surplus,

en conséquence,

– faire citer M. [A] [B] et Mme [Z] [D] en qualité de témoin,

– transmettre le jugement à intervenir à la CNIL avec le plumitif,

– dire que son licenciement doit être requalifié en licenciement sans cause réelle et sérieuse,

– fixer son salaire à la somme de 7 546,43 euros,

– condamner la société Ingram Micro au paiement des montants suivants :

. 175 000 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

. 70 000 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral,

. 50 000 euros à titre de dommages et intérêts pour manquement par l’employeur à son obligation de sécurité de résultat en matière de harcèlement moral,

. 120 489,87 euros au titre de rappel de salaires des heures supplémentaires, les repos compensateurs, outre 12 048,99 euros au titre des congés payés y afférents,

. 2 776,65 euros au titre de rappel de salaires des primes non versées du mois de février 2017, outre 277,66 euros au titre des congés payés y afférents,

. 45 278,58 euros à titre de dommages et intérêts pour travail dissimulé,

. 2 500 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile pour la première instance, outre 2 500 euros au titre de la procédure d’appel,

– condamner la société Ingram Micro au remboursement des indemnités Pôle emploi dans la limite de six mois de salaire,

– débouter la société Ingram Micro de sa demande au titre du remboursement des JRS,

– condamner la société Ingram Micro aux entiers dépens de l’instance qui seront recouvrés par Me Dontot, JRF & Associés, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile,

– ordonner les intérêts de droit et l’anatocisme.

Par dernières conclusions remises au greffe le 3 mars 2022, la société Ingram Micro demande à la cour de :

à titre principal,

– confirmer le jugement du conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt en ce qu’il a débouté M. [E] de sa demande de dommages-intérêts pour préjudice moral, de sa demande de rappel de salaire pour des heures supplémentaires prétendument effectuées, repos compensateurs et congés payés afférents, de sa demande pour travail dissimulé et pour manquement par l’employeur à son obligation de sécurité de résultat en matière de harcèlement moral,

– infirmer le jugement du conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt en ce qu’il l’a condamnée à payer à M. [E] :

. 60 000 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

. 2 776,65 euros à titre de rappel de prime d’objectifs pour février 2017,

. 277,66 euros à titre de congés payés afférents,

. 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

statuant à nouveau,

– dire que le licenciement de M. [E] repose sur une cause réelle et sérieuse,

– dire que les demandes de rappels de primes d’objectifs pour février 2017 et de congés payés afférents sont infondées,

– condamner M. [E] à lui payer la somme de 8 103,42 euros bruts au titre des JRS dont il a indument bénéficié,

en conséquence,

– débouter M. [E] de l’ensemble de ses demandes,

– condamner M. [E] à lui verser la somme de 2 500 euros,

à titre subsidiaire,

si la Cour devait retenir le salaire de référence relatif aux heures supplémentaires calculé par M. [R] ainsi que sa méthode de calcul,

– dire que les demandes de rappels correspondant à une période antérieure au 28 mars 2014 sont prescrites,

– limiter le montant de la condamnation au paiement des heures supplémentaires à 5 000 euros, outre les congés payés y afférents pour un montant de 1 500 euros bruts,

– déduire de la condamnation au titre des rappels d’heures supplémentaires la somme de

76 916 euros bruts au motif que sa rémunération, bien supérieure au minima conventionnel, opérait déjà paiement partiel de ces heures supplémentaires,

– déduire de la condamnation au titre des rappels d’heures supplémentaires la somme de

8 103,42 euros bruts correspondant aux jours de repos supplémentaires dont M. [R] a bénéficié.

LA COUR,

La société Ingram Micro a pour activité principale l’achat, la vente et le négoce de matériels informatiques.

M. [V] [E] a été engagé par la société Ingram Micro, en qualité de responsable commercial, par contrat de travail à durée indéterminée du 30 septembre 2010, à effet au 10 janvier 2011, qui prévoyait qu’il était conclu pour un horaire de travail correspondant à l’horaire de travail collectif applicable pour le personnel d’encadrement de l’entreprise.

En dernier lieu, il percevait une rémunération mensuelle fixe de 5 129 euros, outre une rémunération variable, soit une rémunération mensuelle moyenne de 7 605,22 euros sur les douze derniers mois.

Les relations contractuelles étaient régies par la convention collective de commission, de courtage et de commerce intra-communautaire et d’importation-exportation.

Au dernier état de la relation contractuelle, M. [E] et M. [R] étaient chefs de marché en charge des produits ‘ Mobilité ‘ (tablettes, smartphones, produits connectés),

M. [E] pour la partie commerciale et M. [R] pour la partie marketing.

Par lettre du 3 mars 2017, M. [E] a été convoqué à un entretien préalable en vue d’un éventuel licenciement, fixé le 14 mars 2017 et s’est également vu notifier une mise à pied à titre conservatoire.

M. [E] a été licencié par lettre du 28 mars 2017 pour insuffisance professionnelle dans les termes suivants :

« 

(‘)

Vous avez été engagé le 10 janvier 2011 au sein de notre société. Vous occupiez en dernier lieu le poste de Responsable Commercial affecté au développement du BU Mobilité.

Dans le cadre de vos fonctions, vous avez en charge de développer la vente des accessoires de téléphonie et de communication. Pour cela vous devez :

– manager votre équipe afin de créer une dynamique forte

– développer des partenariats commerciaux

Nous constatons aujourd’hui de nombreuses insuffisances professionnelles concernant la réalisation de ces missions.

1. D’une part, lors de différents entretiens, votre responsable hiérarchique vous a alerté de nombreuses fois sur vos difficultés managériales

En 2014, votre entretien professionnel indiquait explicitement comme axe de développement :

« [V] devra concentrer ses efforts sur l’acquisition des compétences managériales qui lui font défaut ou pour lesquels il reste faible. Son [S] l’accompagnera au quotidien. KPI, rapidité d’exécution, contrôles seront déterminants ».

« Gentil et ouvert, il a souvent cherché à établir un climat de confiance basé sur l’amitié, le copinage plutôt que la mise en place d’objectifs clairs et d’indicateurs de performance ».

En 2015, quelques progrès ont été constatés mais l’entretien concluait cependant comme suit :

« [V] devra établir des relations efficaces et détendues avec l’équipe retail ».

Aujourd’hui, force est de constater que vous n’avez pas tenu compte des alertes de votre hiérarchie et que depuis ces derniers mois la situation va même en dégénérant.

Ces difficultés managériales sont problématiques pour votre propre service mais, également pour les autres.

– Vous ne savez pas indiquer à vos équipes des axes de travail clairs, des objectifs déterminés. Par conséquent, elles gèrent leur activité sans directives de travail et sans contrôle de votre part. Or, il est de votre devoir de manager, de donner des directives de travail, de coordonner les actions de vos subordonnés et de prendre les décisions adéquates pour que votre équipe réussisse à développer de façon optimum le marché. Tel ne fût pas le cas. Vous n’avez pas su vous positionner hiérarchiquement. Vos équipes n’ont pas confiance en vous.

Vos insuffisances professionnelles ont engendré, au fur et à mesure, des conflits internes. Les salariés ressentent notamment un clivage entre les services centraux et les services parisiens. Vous n’avez pas su insuffler et maintenir une cohésion d’équipe. De ce fait, votre relationnel avec les membres de l’équipe reste difficile, tendu.

– Outre les mésententes au sein de votre service, cette situation crée aussi des mésententes entre services. En effet, votre équipe n’arrivant pas à se coordonner, cette situation a des répercussions sur l’activité d’autres services amenés à travailler avec vos subordonnés. La moindre problématique rencontrée alimente un mauvais relationnel interservices.

– In fine, ceci impacte également votre propre relationnel avec les autres managers.

Depuis le mois de novembre 2016, plusieurs salariés sont venus se plaindre de cette situation. Certains salariés ne souhaitent plus travailler avec vous.

Vous comprendrez aisément, qu’aujourd’hui, nous ne pouvons permettre que cette situation perdure au regard des incidences que cela a sur le bon fonctionnement de l’ensemble des services commerciaux.

2. D’autre part, nous constatons également des insuffisances professionnelles en matière de suivi de vos dossiers :

– Vous n’assistez pas à certaines réunions importantes malgré les ordres de votre hiérarchie : exemple notable votre rendez-vous du 17 novembre 2016 pour l’enseigne Louis Pion aux Galeries LAFAYETTE.

– Les personnes sont souvent obligées de vous relancer pour avoir les informations et/ou pour faire avancer les sujets : exemples problème versement de la prime de protection de Mme [O] qui vous l’a réclamé de juin à novembre ; relance pour avoir des requêtes etc…

– En décembre 2016, sur 27 fournisseurs, 16 ont été arrêtés. A contrario, vous n’avez développé que 2 nouveaux fournisseurs : TCT Alcatel et SONY.

3. La gestion du dossier SONY :

Vous avez travaillé en partenariat avec le service marketing afin de développer le fournisseur SONY sur le B2B et le B2C.

Pour votre partie B2C, sur vos conseils et expertise, vous avez fait acheté à l’entreprise un stock de Smartphones d’une quinzaine de références. Aujourd’hui, malgré vos indications, on ne vend pas ces produits :

– En novembre 2016, nous enregistrions 276 Smartphones vendus en 1 mois au lieu des 3 905 prévus.

– A la fin mars 2017, au cumul annuel, on en a vendu 128 dont seulement 50 ce mois-ci. L’objectif que vous aviez prévu était de 976 ventes à la semaine.

Aujourd’hui, ce stock est d’environ 1,4 millions d’euros sans possibilité de l’écouler.

Pour solutionner cette situation grave, nous devrons :

– Soit vendre ces Smartphones moins chez : solution qui n’est pas envisageable.

– Soit devoir dépenser de l’argent pour réussir à les vendre : le coût potentiel en plus de la marge est estimé à 370keuros.

– Soit vendre à l’export : SONY a clairement indiqué qu’ils ne veulent pas supporter la totalité des coûts supplémentaires liés à la vente à l’export . La perte enregistrée pour INGRAM MICRO sera de plus de 50 K euros.

– Soit faire reprendre les produits par SONY avec un risque élevé de perte de la marque.

Au regard de nos tractations, cette dernière option semble celle envisagée par le partenaire. Pour notre budget 2017, cela représenterait une perte financière de 16 millions d’euros par an conformément au plan que vous avez vous-même préconisé.

Cette situation est fortement préjudiciable pour notre entreprise. Outre la constitution d’un stock anormal de produits, c’est une perte financière notable. Cette perte va non seulement impacter les résultats de votre service, mais aussi celui d’autres services tels que le service achat et, à grande échelle, les résultats de l’entreprise. On projette un risque financier de 250 mille euros à la fin mars.

De plus, vous comprendrez aisément que dans le contexte actuel, explicité précédemment, nous ne pouvons, nous permettre de mécontenter un vendor tel que SAMSUNG et SONY.

Une telle situation porte fortement atteinte à notre image de marque, à notre réputation de sérieux et de professionnalisme.

Tous ces faits cumulés ne permettent pas un fonctionnement maximal de votre service. Or, en tant que Responsable, c’est de votre devoir de garantir ce fonctionnement optimum de la BU Mobility.

4. Gestion de vos Forecasts de février 2017

Vous aviez un objectif de 16 150 000 euros à réaliser sur le mois de février 2017.

Tout au long du mois, vous n’avez pas ajusté vos forecasts auprès de votre hiérarchie. Vous avez même annoncé en réunion faire difficilement vos objectifs.

Pourtant, votre mois de février 2017 se termine à 27 118 666 euros, soit pratiquement 11 millions euros de différence.

Une telle variation imprévue, n’est pas normale : vous enregistrez donc sur un mois avec challenge : 408% de variable soit une hausse de 70%.

A titre comparatif, un Responsable commercial primé sur le B2B et le B2C a un taux Trend global de 216,37%.

Outre un irrespect de votre devoir de loyauté, c’est une erreur de pilotage du service. Vos forecasts doivent être au plus proche de la réalité. En effet, c’est un outil de pilotage de la BU qui doit être tenu avec rigueur. Ils ne doivent pas être dévoyés afin de jouer avec les accélérateurs mensuels de rémunération, pour que vous perceviez des primes.

Par courrier remis en main propre du 03 mars 2017, nous vous avons convoqué à un entretien préalable au licenciement le 14 mars 2017. Lors de cet entretien, vous vous êtes fait accompagner de Mme [X] [I], membre de CE (FO).

Les explications recueillies auprès de vous au cours de cet entretien ne nous ont pas permis de modifier notre appréciation des faits. Nous vous informons que nous avons, en conséquence, décidé de vous licencier pour insuffisances professionnelles (‘) ».

M. [R] a également été licencié pour insuffisance professionnelle par lettre du 28 mars 2017.

Le 19 juin 2017, M. [E] a saisi le conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt afin de faire reconnaître l’absence de cause réelle et sérieuse de son licenciement et obtenir le paiement de diverses sommes de nature salariale et de nature indemnitaire.

Sur la citation à témoin de M. [B] et Mme [D] :

Le salarié soutient que M. [B] (Sales director de Sony) et Mme [D] (Distribution manager de Apple France) détiennent tous les deux des informations essentielles pour la défense de ses intérêts et qu’ils doivent donc être entendus comme témoins.

A juste titre, le premier juge a retenu qu’alors que l’article 222 du code de procédure civile prévoit que la partie qui demande une enquête doit préciser les faits dont elle entend rapporter la preuve, le salarié ne fournit aucune précision relative à cette demande.

Le jugement sera donc confirmé en ce qu’il a rejeté cette demande.

Sur la transmission à la Commission nationale de l’informatique et des libertés de l’arrêt à intervenir :

Le salarié soutient que l’employeur qui a produit dans le dossier [R] (pièce adverse n°34) le témoignage de Mme [U] qui évoque les raisons de son licenciement et, dans son propre dossier, un témoignage de Mme [U] qui donne des informations sur la situation de

M. [R], a violé ses obligations légales en matière de protection des données, obligations issues du RGPD.

Le règlement 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, dont se prévaut le salarié, ne concerne pas le contenu d’une attestation produite en justice, les informations qu’elle contient ne constituant pas une donnée personnelle au sens du RGPD.

Le jugement sera donc confirmé en ce qu’il a rejeté cette demande.

Sur la rupture :

Le salarié expose que le jour même de sa convocation à l’entretien préalable M. [R], chef du Marché Marketing au sein de la même division que lui, a également été convoqué et mis à pied à titre conservatoire et comme lui a ensuite été licencié pour insuffisance professionnelle.

Il conteste l’ensemble des griefs et soutient que son licenciement, comme celui de M. [R], constitue une étape intermédiaire d’une réorganisation de la société initiée depuis plusieurs mois pour éviter le coût d’un licenciement économique.

L’employeur réplique que malgré de nombreuses alertes le salarié n’a pas assuré de manière satisfaisante l’ensemble de ses attributions. Il affirme que sa masse salariale a augmenté et que le licenciement n’a pas d’autres causes que l’insuffisance professionnelle du salarié.

L’insuffisance professionnelle constitue un motif de licenciement dès lors qu’elle repose sur des éléments objectifs matériellement vérifiables au regard des responsabilités du salarié.

Sur les difficultés managériales

Au regard de son niveau de rémunération, de sa qualité de cadre, des objectifs qui lui étaient fixés dans ses entretiens d’évaluation et de sa place dans l’organigramme de la société, le salarié est mal fondé à soutenir qu’il n’avait pas de responsabilité de management.

En revanche, il peut légitimement prétendre qu’il n’a pas bénéficié de la formation nécessaire.

En effet, l’évaluation de l’année 2014 mentionne qu’il a rencontré des problèmes de management et a progressé par empirisme et qu’il doit concentrer ses efforts sur l’acquisition des compétences managériales qui lui font défaut ou sur lesquelles il est faible.

L’évaluation de l’année 2015 indique que dans un environnement difficile et troublé d’un point de vue RH il a tenu bon et gardé le cap. Au titre du plan de développement, elle précise « Une formation management et une autre finance peuvent être étudiées ».

Alors que les qualités du salarié dans les autres domaines ont été soulignées et son besoin de formation en management repéré, il n’a bénéficié d’aucune formation adaptée.

Au surplus, le mail de M. [M], Retail Sales manager, du 7 décembre 2016 (pièce E n°8) indiquant que la communication avec l’équipe mobilité fait perdre du business à Ingram, que la situation ne peut plus durer et que sa démission résulte en grande partie de cette situation avec l’équipe mobilité est trop succinct pour qu’il en soit déduit que M. [E] gérait mal son équipe.

S’agissant de ses relations tendues et difficiles avec son équipe et particulièrement d’une altercation que le salarié aurait eue avec Mme [H], celle-ci (pièce S n°65) atteste le 18 août 2017 que le 15 février 2017 elle a eu un entretien téléphonique professionnel avec

M. [E], son responsable, sur l’organisation de l’équipe, ses objectifs etc. Elle précise que Mme [P] sa collègue a été voir Mme [U] la juriste pour lui dire que l’entretien l’avait rendue malade car il lui avait mis la pression au téléphone mais que c’était faux, qu’elle a reproché à Mme [P] d’avoir ébruité des propos qu’elle n’avait pas entendus. Elle ajoute que Mme [Y] la DRH lui a demandé de faire une attestation contre M. [E] mais qu’elle a refusé car il ne s’était rien passé. Elle conclut qu’elle n’a rien de négatif à dire sur le management de M. [E].

Mme [P] (pièce E n°53) atteste le 9 novembre 2018 que le 15 février 2017 elle a assisté à un échange téléphonique entre M. [E] et Mme [H], que Mme [H] reprochait à M. [E] de la mettre comme interlocutrice principale auprès des revendeurs sans être préalablement informée, que le ton était monté entre les deux parties, que Mme [H] a menacé de se jeter par la fenêtre les larmes aux yeux. Elle précise qu’elle avait déjà été témoin de petites altercations mais que cette fois les propos l’ont alarmée.

Mme [K] (pièce E n°10) atteste qu’elle était au poste de Mme [P] et confirme son témoignage.

Mme [U] (pièce E n°12) atteste elle avoir rencontré Mme [P] le 16 février 2017 qui lui a raconté la scène, scène qui lui a été confirmée par Mme [K].

De ces éléments il résulte que seule Mme [H] a entendu les propos tenus par M. [E] et qu’elle prétend qu’ils n’étaient pas anormaux, peu important la violence de sa propre réaction, la preuve d’une communication inadaptée de M. [E] n’est pas apportée.

Si Mme [U], (pièce E n°9) dans un mail du 16 février 2017 fait état d’un clivage [Localité 7]/[Localité 6] alimenté par M. [E] et M. [R], l’employeur ne produit à ce sujet aucun élément précis.

Le salarié pour sa part justifie (pièce S n°91) qu’il se rendait très régulièrement sur le site de [Localité 5].

Il démontre aussi qu’il fixait à son équipe des objectifs clairs et précis.

Finalement, de ces éléments il résulte que les carences managériales ne sont pas établies.

Sur le suivi des dossiers

S’agissant de ses absences à des réunions importantes, il résulte du mail du 9 novembre 2016 (pièce E n°22) qu’il était expressément attendu que M. [E] assiste à la réunion du 17 novembre 2016 et du mail de M. [N], responsable des ventes, (pièce E n°58) qui devait participer à la réunion avec lui, que lorsqu’il lui a téléphoné pour le retrouver à l’accueil celui-ci lui a dit qu’il avait oublié le rendez-vous.

L’employeur se prévaut aussi d’échanges de mails (pièce E n°60) pour tenter de démontrer que M. [E] recevait sans cesse des rappels. Cependant, ce mail concerne seulement la prime de février 2017.

En ce qui concerne la perte de 16 fournisseurs sur 27 et l’apport de seulement deux fournisseurs Sony et TCT Alcatel, le salarié prétend qu’en décembre 2016 seuls 13 fournisseurs étaient arrêtés et non 16, fait valoir que le développement des fournisseurs ne faisait pas partie de ses objectifs et qu’il n’était pas le seul décisionnaire. Il affirme qu’en 2016 il a développé neuf nouveaux fournisseurs et que malgré la perte de fournisseurs le chiffre d’affaires a augmenté.

Le mail du 22 décembre 2016 de M. [C], Executive Director, faisant état de la perte de 16 « vendors » n’est contredit par aucune pièce du salarié.

En revanche, M. [E] est bien fondé à soutenir qu’il n’était pas seul décisionnaire et que le service Mobilité souffrait d’un déficit de deux salariés.

La carence de suivi des dossiers n’est pas établie.

Sur la gestion du dossier Sony

Le salarié indique qu’il a remporté un appel d’offres pour la distribution exclusive des smartphones Sony pour les clients B2B (entreprises) et que l’employeur lui reproche de l’avoir incité à des achats excessifs sur le B2C auquel il n’a pas contribué à l’exception de l’achat de 11 000 tablettes qui ont été vendues comme il l’avait prévu.

Il ajoute qu’il n’est pas responsable des quantités qui ont été achetées et que l’échec des ventes s’explique par le manque de moyens commerciaux et le non-respect des engagements de la direction Ingram Micro vis-à-vis de la direction Sony.

Les échanges de mails (pièces E n° 28 à 31) montrent qu’en avril 2016 M. [E] et

M. [R] ont eu un rôle clef sur la décision du volume d’achats de produits à Sony mais ont préconisé la prudence, étant précisé qu’ils ne font toujours état que de smartphones B2B et n’évoquent que des tablettes B2B et B2C. Cependant, la lettre de licenciement reproche « Pour votre partie B2C, sur vos conseils et expertise vous avez fait acheter à l’entreprise un stock de smartphones d’une quinzaine de références. Aujourd’hui, malgré vos indications, on ne vend pas ces produits ». Ce grief n’est donc pas établi.

Au demeurant, alors que le salarié, en se fondant sur un mail du 10 mai 2016 qui ne mentionne pas clairement ces chiffres mais fait référence à des palettes ou demi-palettes, prétend avoir proposé une commande de 2 500 smartphones et 780 tablettes et qu’il est établi (pièce S n°70) que le 5 août 2016 la société disposait d’un stock de 8513 smartphones et 1436 tablettes l’employeur ne donne aucune information sur le nombre précis de commande conseillé par le salarié.

Enfin, il est établi (pièce S n°69) que la signature du contrat avec Sony avait pris du retard et il n’est pas discuté qu’aucun moyen commercial supplémentaire n’a été accordé.

Sur la gestion des forecasts de février 2017

Le salarié fait valoir que ce grief n’est pas constitutif d’une insuffisance professionnelle mais d’un fait fautif : avoir trafiqué les forecasts pour percevoir des primes.

Il conteste la réalité du grief en expliquant que ses objectifs étaient fixés unilatéralement par la société en début de mois et figé dans un outil informatique appelé Trend BU Telco et non sur des forecasts qui, eux, pouvaient être revus à la hausse ou à la baisse. Il souligne que la performance 2017 a été exceptionnelle et qu’il faisait partie des commerciaux les plus performants de la société.

L’employeur explique que les objectifs journaliers « trend » sont définis pour les commerciaux en fonction des « forecasts » (prévisions) qui permettent de piloter les stocks pour éviter les coûts de stockage ou les ruptures de stock.

Il reproche au salarié de ne pas avoir ajusté ses prévisions auprès de sa hiérarchie et d’avoir même indiqué qu’il ferait difficilement ses objectifs alors qu’il a dépassé de 11 millions le chiffre d’affaire annoncé et obtenu 408 % de variable, soit une hausse de 70%.

Il affirme que M. [E] a bénéficié de primes « boostées » qui ne reflétaient pas la réalité de sa performance.

L’employeur pouvant dans la même lettre de licenciement se prévaloir de grief disciplinaire et d’autres qui ne le sont pas, il convient d’examiner le grief de fixation déloyale et celui d’erreur de pilotage des forecasts.

Les objectifs fixés au salarié s’élevaient au montant de 16 150 000 euros et il a atteint un montant de 27 118 666 euros, ce qui lui a donné droit à 408 % de prime.

Les échanges de mails du 24 février 2017 (pièce E n°37) montrent que la facturation importante de février va nettement au-delà de celle annoncée et que M. [C], directeur exécutif distribution s’en est étonné en rappelant qu’il est important de s’aligner sur les forecasts annoncés et que cette très belle performance prendra tout son sens si le budget Q1 global est atteint en marge et en CA.

Le salarié a répondu que la situation avait évolué depuis le 6 février et les avait poussés à aller chercher dans l’intérêt de la société une facturation supérieure.

Les mails du mois de février 2017 (pièces S n°18 à 22) démontrent que la fixation des objectifs et l’évolution des forecasts ne dépendaient pas seulement de M. [E] mais faisaient l’objet d’échanges.

Au surplus, le salarié démontre avoir déjà auparavant obtenu des pourcentages de prime du même ordre : 500 % en décembre 2014 et août 2015.

Ni la déloyauté ni l’erreur de pilotage n’étant démontrés ce grief n’est pas établi.

Sur les carences dans l’attribution des primes dans son équipe

Dans ses écritures l’employeur reproche au salarié d’avoir fait subir un important préjudice aux salariés de son équipe dans le cadre du paiement de leur prime au dernier trimestre 2016 en continuant de compléter le fichier sur la base du chiffre d’affaires pour les objectifs individuels et équipes et non sur la marge de la valeur absolue comme cela avait été décidé en 2016.

Il lui reproche aussi d’avoir tardivement défini les objectifs CAP pour mars 2017.

A juste titre le premier juge a relevé que ce grief ne figure pas expressément dans la lettre de licenciement.

Il doit cependant être examiné comme illustrant l’insuffisance professionnelle reprochée.

Les échanges de mails de janvier et février 2017 (pièces E n° 16 à 21) démontrent que

M. [E] avait communiqué des objectifs faits sur le CA pour la prime individuelle et équipe et sur la marge pour la prime société alors qu’ils devaient tous être faits sur la marge valeur absolue, que cette erreur a causé un certain émoi et que les salariés n’ont perçu leur prime qu’en février 2017.

Ils établissent aussi que le 2 février 2017 Mme [H] n’avait pas d’objectifs fixés pour le mois de février et que le 27 mars 2017 plusieurs salariés n’avaient pas reçu d’objectifs CAP.

Outre qu’il convient de relever que le salarié avait été convoqué par lettre du 3 mars 2017 à un entretien préalable qui lui avait notifié une mise à pied conservatoire, ces faits ne justifient pas s’agissant d’un salarié qui avait 6 ans d’ancienneté et n’avait jamais fait l’objet de sanction la mesure extrême que constitue un licenciement.

Le jugement sera donc confirmé en ce qu’il a dit le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Sur l’indemnité pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse :

M. [E] qui, à la date du licenciement, comptait au moins deux ans d’ancienneté dans une entreprise employant habituellement au moins onze salariés a droit, en application de l’article L. 1235-3 du code du travail, dans sa version applicable à l’espèce, à une indemnité qui ne saurait être inférieure aux salaires bruts perçus au cours des six derniers mois précédant son licenciement.

Au regard de son âge au moment du licenciement, 36 ans, de son ancienneté d’environ 6 ans dans l’entreprise, du montant de la rémunération qui lui était versée, de son aptitude à retrouver un emploi eu égard à son expérience professionnelle et de ce qu’il est établi qu’il a retrouvé un emploi au mois de février 2018, les premiers juges ont fait une exacte appréciation de la situation en lui allouant la somme de 60 000 euros. Le jugement sera confirmé de ce chef.

Il sera également confirmé en ce qu’il a ordonné le remboursement par la société Ingram Micro aux organismes concernés des indemnités de chômage versées au salarié à concurrence de six mois.

Sur le préjudice moral :

Le salarié fait valoir qu’il était très investi dans ses fonctions, que son licenciement était prémédité et qu’il a été, pour des griefs fallacieux, mis à pied à titre conservatoire de manière humiliante et vexatoire.

L’annonce du remplacement de M. [E] par M. [J] engagé le 23 janvier 2017 a été faite le 3 avril 2017, soit après le licenciement et le salarié n’établit pas avoir été déchargé de ses responsabilités hiérarchiques le 15 mars 2017.

Le salarié ne communique aucun élément déterminant permettant d’estimer que la véritable cause du licenciement est économique et avait pour objet la réorganisation de l’entreprise par la réunion des postes managériaux sur le site de [Localité 5].

La seule mise à pied conservatoire ne suffit pas à établir le caractère vexatoire du licenciement.

Le jugement sera confirmé en ce qu’il a débouté le salarié de sa demande de ce chef.

Sur les dommages et intérêts pour manquement par l’employeur à son obligation de sécurité de résultat en matière de harcèlement moral :

Le salarié expose que « compte tenu des observations qui précèdent », qu’il ne précise pas davantage, son licenciement est intervenu dans des conditions contraires aux obligations de sécurité de la société et aux obligations relatives à l’interdiction de harcèlement moral.

Il indique qu’au surplus à partir de 2016 les pressions à son égard ont débuté, que pendant un an il n’a pas eu de Business Review avec M. [C] son nouveau manager alors qu’auparavant elles étaient mensuelles ou trimestrielles, que sa rémunération variable a diminué entre 2015 et 2016, que les effectifs de son équipe ont diminué de 33% ce qui a engendré une surcharge de travail, qu’il n’a pas bénéficié d’entretien d’évaluation avant le 28 févier 2017 et qu’il a été victime d’un faux témoignage.

L’employeur réplique que le salarié n’apporte aucun élément tangible et concret, qu’après l’arrivée de M. [J] il a continué à exercer ses activités très normalement et que son appréciation d’une situation tendue est purement subjective.

Aux termes de l’article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

En application de l’article L. 1154-1 dans sa version applicable à l’espèce, interprété à la lumière de la directive n° 2000/78/CE du 27 novembre 2000 portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail, lorsque survient un litige relatif à l’application de ce texte, le salarié présente des faits qui permettent de présumer l’existence d’un harcèlement et il incombe à l’employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Il a été précédemment démontré que le licenciement prémédité et ses conditions vexatoires ne sont pas établis.

Le salarié ne démontre pas davantage qu’à son arrivée au mois d’avril 2016 M. [C] lui a demandé « est-ce que tu restes ou tu pars ‘ » ni qu’entre janvier et mars 2017 il a été privé de ses fonctions par l’arrivée de M. [J]. Sur un organigramme de cette période, il apparaît au même niveau que lui. Lors d’une réunion de délégué du personnel du 20 février 2017 au sujet de l’arrivée de M. [J] à la question « Si [F] prend en charge l’équipe Mobility, qu’en est-il de la partie B to B ‘ » la direction a répondu « Pour le moment W. [J] reprend la responsabilité du B2C (Retail & Mobilité) L’organisation est en cours d’ajustement pour la partie B2B ». Dès lors que M. [E] était seulement responsable commercial de l’équipe Mobility il ne peut en être déduit qu’il était destiné à être remplacé.

Il n’est pas discuté que le salarié n’a pas bénéficié avant le 27 février 2017 de l’entretien d’évaluation relatif à l’année 2016 et il est établi que dans l’outil Eperformance ses objectifs 2016 n’apparaissaient pas.

Sa rémunération fixe n’a pas diminué mais effectivement sa rémunération totale, dépendant de sa rémunération variable, a diminué d’un net fiscal annuel en 2015 de 98 363 euros à un net fiscal en 2016 de 72 677 euros. Cependant, en 2014 il était de 52 761 euros.

Il n’a pas été demandé à Mme [H] d’établir un faux témoignage celle-ci (pièce S n°65) se bornant à indiquer que Mme [Y] qui avait été informé de la conversation téléphonique déjà évoquée lui avait demandé ce qui s’était passé car elle voulait qu’elle fasse une attestation contre M. [E] ce qu’elle avait refusé car il ne s’était rien passé. Mme [H] ne fait pas état de pression. Au vu des témoignages de Mme [U] et Mme [P], la réaction de la DRH était normale.

Le salarié justifie avoir par texto du 6 octobre 2016 informé M. [C] que son équipe était en sous-effectif et qu’il lui fallait de l’aide. Par mail du 6 octobre 2016. [C] a admis que la situation était tendue et a proposé qu’une task force soit créée éventuellement avec aussi une personne de l’équipe Somia.

Le salarié justifie avoir été placé en arrêt de maladie pour douleur abdominale du 31 octobre au 5 novembre 2016.

M. [R] (pièce S n°26) par mail du 3 novembre 2016 a informé sa hiérarchie que « [W]» (une salariée), très préoccupée par sa charge de travail, avait fait une crise d’angoisse et était rentrée chez elle et qu’il avait eu au téléphone M. [E] également en arrêt de travail à cause du stress.

Finalement, quand bien même la situation de stress est démontrée, les faits établis par le salarié même pris dans leur ensemble ne laissent pas présumer l’existence d’un harcèlement moral.

Le harcèlement moral n’est donc pas établi ni le manquement de l’employeur à son obligation de prévention du harcèlement moral.

Le jugement sera donc confirmé en ce qu’il a débouté le salarié de sa demande de ce chef.

Sur les heures supplémentaires :

Le salarié fait valoir, ce qui n’est pas discuté, qu’il n’était pas bénéficiaire d’une convention de forfait et était donc soumis à la durée légale hebdomadaire de 35 heures.

Il affirme que les mails qu’il verse au débat comme ses agendas de rendez-vous et les données de géolocalisation de Google Timeline démontrent qu’il a effectué de très nombreuses heures supplémentaires.

Il soutient que compte tenu de sa charge de travail l’employeur était parfaitement informé des heures supplémentaires qu’il réalisait. Il sollicite le paiement de rappel de salaire sur la période non prescrite, soit à partir du mois de mars 2014.

L’employeur réplique qu’il n’a jamais demandé à M. [E] de faire des heures supplémentaires, que celui-ci n’en a pas réclamé le paiement pendant la relation contractuelle, que le tableau qu’il a lui-même réalisé sans aucun détail sur les horaires de travail par semaine et sans justificatif n’établit pas la réalité des heures réclamées.

Il ajoute que le salarié ne prend pas en compte ses temps de trajet, que certains mails dont il se prévaut ne sont que des réponses très succinctes et qu’il bénéficiait d’une très large autonomie.

Il conteste la valeur probante du tableau synthétisant des données Google Timeline.

Il résulte des dispositions de l’article L. 3171-4 du code du travail, qu’en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l’ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires applicables.

Après analyse des pièces produites par l’une et l’autre des parties, dans l’hypothèse où il retient l’existence d’heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l’importance de celles-ci et fixe les créances salariales s’y rapportant.

Au soutien de sa demande le salarié produit :

– (pièce S n°34-1) un tableau récapitulant, pour la période litigieuse, le nombre d’heures travaillées par semaine et en déduit le nombre d’heures supplémentaires. Par exemple : 39ème semaine 2014, 43 heures travaillées, 8 heures supplémentaires.

– (pièce S n°33) un tableau mentionnant à titre d’exemple pour 8 dates l’heure du premier mail et celle du dernier, accompagné des mails cités. Par exemple 9 décembre 2016 : 1er mail à 10h30, dernier mail à 23h42.

– (pièces S n°58 à 63) de très nombreux mails envoyés et reçus à toute heure de la journée : le soir bien après 18 h, (23h30 le 26 octobre 2015, 23h49 le 13 octobre 2015, 00h38 le 30 septembre 2014), le matin avant 9h (8h02 le 20 novembre 2015, 7h42 le 24 octobre 2014, 8h12 le 17 octobre 2014, 7h36 le 21 mars 2016).

– (pièce S n°91) un procès-verbal de constat d’huissier du 8 septembre 2020 constatant que

M. [E] a transmis par courriel des fichiers Excel dénommés « Horaires via Google Timeline » et « Présence à [Localité 5] » ainsi que les codes permettant d’accéder à son profil Google et à Google Timeline. Sur la base de ces données, l’huissier a récapitulé les déplacements de M. [E]. Dès lors que les trajets correspondent à ceux couramment effectués par le salarié pour son activité professionnelle et qu’il n’est pas établi qu’il ait transmis de fausses données ces éléments doivent être considérés comme fiables.

Ces éléments sont suffisamment précis pour permettre à l’employeur de produire ses propres éléments, ce qu’il s’abstient de faire.

Il convient de constater que l’ensemble des mails versés au débat correspondent à la réalisation d’un vrai travail. Au surplus, la hiérarchie du salarié était informée des heures d’envoi et de réception de ces mails et compte tenu de la charge de travail du salarié, dont il s’était d’ailleurs plaint, et de ses très bons résultats commerciaux, l’employeur est mal fondé à soutenir qu’il n’avait pas réclamé l’exécution d’heures supplémentaires.

Le salarié n’ayant pas été soumis à une convention de forfait en heures il n’y a pas lieu de rechercher s’il n’a pas déjà été rémunéré d’une partie des heures supplémentaires en étant rémunéré au-delà du minimum conventionnel.

Au regard de l’ensemble des éléments versés au débat, prenant en compte le fait que le salarié ne travaille pas sans interruption du premier au dernier mail de la journée et de ce qu’il dispose d’une autonomie d’organisation, mais aussi de ce que la rédaction des mails est l’aboutissement de l’exécution d’un autre travail, il convient de fixer pour la période non prescrite le nombre d’heures supplémentaires effectuées par le salarié à 360 heures pour l’année 2014 (mars à décembre), 530 heures en 2015, 432 en 2016 et 44 heures en 2017.

L’employeur à juste titre fait valoir que le salarié a retenu pour ses calculs un taux horaire erroné.

Après application du taux horaire justement avancé par l’employeur et des majorations, il convient d’accorder au salarié la somme de 57 260,60 euros à titre de rappel de salaire.

Il lui sera également accordé à titre de repos compensateur la somme de 21 974,20 euros.

Il convient donc, infirmant le jugement, d’accorder au salarié la somme de 79 234,80 euros au titre des heures supplémentaires et de repos compensateur outre les congés payés afférents.

Sur les dommages et intérêts pour travail dissimulé :

La dissimulation d’emploi salarié prévue par l’article L.8221-5 du code du travail n’est caractérisée que s’il est établi que l’employeur a, de manière intentionnelle, mentionné sur les bulletins de paie un nombre d’heures de travail inférieur à celui réellement effectué.

En l’espèce, l’importance et le caractère pérenne des dépassements horaires imposés au salarié qui était soumis à la durée légale du travail suffit à caractériser l’élément intentionnel.

Il convient, infirmant le jugement, de faire droit à la demande du salarié de ce chef.

Sur la prime non versée des mois de janvier et février 2017 :

Dans son dispositif le salarié ne demande que la confirmation du jugement qui a fait droit à sa demande de prime de février 2017. La cour n’examinera que cette demande.

Dès lors qu’il a été jugé précédemment que le salarié n’avait pas commis d’acte déloyal pour fixer et réaliser ses objectifs du mois de février 2017, le jugement sera confirmé en ce qu’il a fait droit à la demande du salarié de ce chef.

Sur le remboursement des jours de repos accordé dans le cadre du forfait-jours :

L’employeur expose qu’il a fait bénéficier le salarié de jour de repos dans le cadre d’un forfait- jours et qu’il est fondé à solliciter le remboursement.

Dès lors qu’il a été jugé que le salarié était soumis à la durée légale du travail, les jours de repos qui lui ont été accordés dans le cadre d’un forfait jours qui ne lui était pas applicable étaient indus.

Il convient, infirmant le jugement, de faire droit à la demande dont le montant n’est pas discuté.

Sur les intérêts :

Les créances salariales porteront intérêts au taux légal à compter de la date de la réception par l’employeur de la lettre le convoquant devant le bureau de conciliation.

Les créances indemnitaires porteront intérêts au taux légal à compter du jugement à hauteur de 60 000 euros et du présent arrêt pour le surplus.

Les intérêts échus des capitaux porteront eux- mêmes intérêts au taux légal dès lors qu’ils seront dus pour une année entière à compter de la demande qui en a été faite.

Sur la demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile :

Le jugement sera confirmé en ce qu’il a alloué au salarié la somme de 1 500 euros de ce chef.

Il est inéquitable de laisser à la charge de M. [E] les frais par lui exposés en cause d’appel non compris dans les dépens à hauteur de 2 500 euros.

PAR CES MOTIFS :

Statuant publiquement et contradictoirement, en dernier ressort et par mise à disposition au greffe,

INFIRME partiellement le jugement,

Statuant à nouveau,

CONDAMNE la société Ingram Micro à payer à M. [E] les sommes suivantes :

. 79 234,80 euros à titre de rappel d’heures supplémentaires et de repos compensateur,

. 7 923,48 euros à titre de congés payé afférents,

avec intérêts au taux légal à compter de la date de la réception par l’employeur de la lettre le convoquant devant le bureau de conciliation,

. 45 278,58 euros à titre d’indemnité pour travail dissimulé, avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt,

DIT que les intérêts échus des capitaux porteront eux- mêmes intérêts au taux légal dès lors qu’ils seront dus pour une année entière à compter de la demande qui en a été faite,

CONDAMNE M. [E] à payer à la société Ingram Micro la somme de 8 103,42 euros bruts au titre des JRS dont il a indûment bénéficié,

CONFIRME pour le surplus le jugement,

DÉBOUTE les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires,

CONDAMNE la société Ingram Micro à payer à M. [E] la somme de 2 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, au titre des frais irrépétibles exposés en cause d’appel,

DÉBOUTE la société Ingram Micro de sa demande sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE la société Ingram Micro aux entiers dépens qui seront recouvrés par Me Dontot, JRF & Associés, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile,

– prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Madame Clotilde Maugendre, présidente et par Madame Dorothée Marcinek, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

La Greffière La Présidente

 


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