Saisir le conseil de prud’hommes de son domicile est possible

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Saisir le conseil de prud’hommes de son domicile est possible
Ce point juridique est utile ?

Les consultants salariés qui travaillent principalement “à la maison” peuvent saisir le conseil de prud’hommes de leur domicile en cas de litige avec leur employeur. Il en est de même du télétravail.

Nombreux déplacements du consultant

En l’espèce, le salarié lorsqu’il était en mission chez Gilson, de mai à juin 2019, est venu au siège de la société Expleo France ponctuellement, pour une formation le 14 mai 2019 au matin, des rendez-vous les 15 mai et 24 juin, que les échanges avec les membres de la société avaient lieu par téléphone, skype ou au cours de déjeuners et que ses courriers lui étaient envoyés à son domicile.

Lorsqu’il était en mission chez PSA, entre juillet et septembre 2019, il avait également des rendez-vous téléphoniques avec les membres de la société ou des rendez-vous ponctuels en présentiel au siège. Il en était de même après cette mission. Ainsi, pour le projet Safran, l’employeur lui a demandé par courriel du 4 octobre 2019 de venir pour faire un accompagnement d’une semaine.

Conseil de prud’hommes du domicile du salarié

Il ressort ainsi des pièces versées au débat que le salarié, lorsqu’il n’a plus eu de missions en clientèle, ne travaillait qu’occasionnellement sur le site de l’établissement de l’employeur et qu’il était le plus souvent en télétravail à son domicile. Dans ces conditions, ne travaillant pas dans un établissement, il était fondé à saisir le conseil de prud’hommes de Cergy-Pontoise, dans le ressort duquel se situe son domicile.


 

COUR D’APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80C

6e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 25 MAI 2023

N° RG 22/01150 –

N° Portalis DBV3-V-B7G-VD6F

AFFAIRE :

S.A.S. EXPLEO FRANCE

C/

[S] [T]

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 24 Mars 2022 par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de CERGY PONTOISE

N° Section : E

N° RG : 20/00417

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Martine DUPUIS

Me Jérôme WATRELOT

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE VINGT CINQ MAI DEUX MILLE VINGT TROIS,

La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :

S.A.S. EXPLEO FRANCE

[Adresse 3]

[Localité 5]

Représentant : Me Jérôme WATRELOT de la SELAFA CHASSANY WATRELOT ET ASSOCIES, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : K0100 substitué par Me Abdelkader HAMIDA, avocat au barreau de PARIS

APPELANTE

****************

Monsieur [S] [T]

[Adresse 2]

[Localité 6]

Représentant : Me Martine DUPUIS de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 625 et Me Pascale RAYROUX, Plaidant, avocat au barreau de PARIS

INTIME

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 10 mars 2023 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Madame Isabelle CHABAL, Conseiller chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Catherine BOLTEAU-SERRE, Président,

Madame Valérie DE LARMINAT, Conseiller,

Madame Isabelle CHABAL, Conseiller,

Greffier lors des débats : Madame Domitille GOSSELIN,

La société Expleo France, dont le siège social est situé [Adresse 3] à [Localité 5], dans le département des Yvelines, est spécialisée dans l’ingénierie et les études techniques. Elle emploie plus de 10 salariés et applique la convention collective des bureaux d’études techniques, des cabinets d’ingénieurs-conseils et des sociétés de conseils (Syntec) du 15 décembre 1987. Elle est issue de la société Assystem Technologies.

M. [S] [T], né le 12 juillet 1961, a été engagé par la société Assystem services par contrat de travail à durée indéterminée en date du 2 octobre 2002 à effet au 2 janvier 2003, en qualité de consultant, au statut cadre, position 3.1, coefficient 170 en convention de forfait annuel en jours.

Initialement, M. [T] a été engagé dans la division consulting. Cette division n’existant plus, l’ensemble des équipes consulting a été repositionné à divers postes.

M. [T] occupait en dernier lieu les fonctions de consultant, position 3.2, coefficient 210 et percevait un salaire mensuel de base de 7 951 euros.

Par courrier en date du 9 juillet 2020, la société Expleo France a convoqué M. [T] à un entretien préalable qui s’est déroulé le 28 août 2020.

Par courrier en date du 3 septembre 2020, la société Expleo France a notifié à M. [T] son licenciement pour cause réelle et sérieuse au motif de désaccords constants avec son management sur le contenu de son poste au sein de la société.

Par requête du 29 décembre 2020, M. [T] a saisi le conseil de prud’hommes de Cergy-Pontoise aux fins de contester son licenciement, en demandant la condamnation de la société Expleo France à lui verser les sommes à caractère indemnitaire et/ou salarial suivantes :

– fixer la moyenne des 12 derniers mois de salaire, du fait du rappel de prime annuelle demandé, à la somme de 9 875,25 euros,

– rappel de prime annuelle 2019 : 13 000 euros brut,

– rappel de prime annuelle 2020 : 13 000 euros brut,

– rappel sur indemnité de licenciement (du fait du rappel de primes non versées au salaire) : 6 500 euros,

– dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse (barème 9 875,25 euros x 14) : 138 253,55 euros,

– dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat : 35 000 euros,

– intérêts au taux légal à compter de la saisine,

– remise de documents : attestation Pôle emploi rectifiée, bulletin de salaire rectificatif conforme à la décision à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard,

– article 700 du code de procédure civile : 2 500 euros,

– dépens,

– exécution provisoire (article 515 du code de procédure civile),

Demande modifiée le 30/08/2021

– rappel de prime de vacances : 2 898,98 euros,

– incidence sur congés payés : 289,89 euros,

– rappel de prime annuelle 2019 et 2020 : 24 916,67 euros,

– incidence sur congés payés : 2 491,67 euros,

– retenir le salaire moyen brut des 12 derniers mois de 10 147,24 euros,

Subsidiairement de 8 791,92 euros,

– rappel d’indemnité de préavis : 6 025,91 euros,

– incidence sur congés payés : 602,59 euros,

– rappel d’indemnité de licenciement conventionnelle : 8 351,45 euros,

– dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 142 660,42 euros net,

Subsidiairement, 123 086,88 euros net,

– dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail : 150 000 euros net, (110 000 euros nets de dommages-intérêts pour préjudice lié à la privation des avantages du PSE, 20 000 euros nets de dommages-intérêts pour perte du bénéfice priorité de réembauchage, 10 000 euros nets de dommages-intérêts pour préjudice lié à l’absence d’entretien bi-annuel bilan de carrière, de formation et d’entretiens annuels pour des salariés en forfait annuel en jours, 10 000 euros, de dommages-intérêts pour préjudice lie à l’absence de formation),

– ordonner le remboursement par l’employeur des indemnités de chômage versées au salarie dans la limite de 6 mois d’indemnités,

– remise de documents : attestation Pôle emploi, bulletins de paie conformes au jugement à intervenir sous astreinte provisoire de 50 euros par jour de retard et par document à compter d’un délai de 30 jours à compter du jugement à intervenir et se réserver la liquidation de l’astreinte,

– intérêt légal et capitalisation,

– exécution provisoire,

– article 700 du code de procédure civile : 4 500 euros,

– dépens.

La société Expleo France a soulevé in limine litis l’incompétence territoriale du conseil de prud’hommes de Cergy-Pontoise au profit du conseil de prud’hommes de Versailles et a demandé 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Par jugement contradictoire rendu le 24 mars 2022, la section encadrement du conseil de prud’hommes de Cergy-Pontoise a :

– dit que la société Expleo France est recevable en sa demande d’exception d’incompétence,

– dit que le conseil de prud’hommes territorialement compétent est celui de Cergy-Pontoise,

– renvoyé les parties devant le bureau de jugement du jeudi 16 juin 2022 14 h 00, RDC (salle 8 – à vérifier sur l’écran d’accueil),

– dit que notification du présent jugement vaut convocation pour ladite audience,

– réservé les dépens.

La société Expleo France a interjeté appel de la décision par déclaration du 8 avril 2022.

Par ordonnance rendue le 11 mai 2022, le président de la 6ème chambre sociale, en sa qualité de délégué du premier président de la cour d’appel de Versailles, a autorisé la société Expleo France à assigner à jour fixe M. [T] à l’audience du 21 octobre 2022.

L’assignation a été délivrée à personne par acte d’huissier en date du 13 juin 2022.

A l’audience du 21 octobre 2022, l’affaire a été renvoyée à l’audience du 10 mars 2023.

Par conclusions n°2 notifiées par voie électronique le 20 septembre 2022, la société Expleo France demande à la cour de :

A titre liminaire

– infirmer le jugement avant dire droit du conseil de prud’hommes de Cergy-Pontoise du 24 mars 2022 en ce qu’il a :

. dit que le conseil de prud’hommes territorialement compétent est celui de Cergy-Pontoise,

. renvoyé les parties devant le bureau de jugement du : jeudi 16 juin 2022 à 14h00, RDC (salle 8 ‘ à vérifier sur l’écran d’accueil),

. dit que notification du présent jugement vaut convocation pour ladite audience,

. réservé les dépens.

Statuant à nouveau,

– déclarer le conseil de prud’hommes de Cergy-Pontoise incompétent au profit du conseil de prud’hommes de Versailles et renvoyer la présente affaire devant cette dernière juridiction,

– débouter M. [T] de sa demande d’injonction à la société de produire aux débats les badges de M. [T] pour la période de 2018 à 2020,

A toutes fins utiles si l’affaire était évoquée au fond

– fixer le salaire de référence à la somme de 8 791,92 euros bruts,

– dire que le licenciement de M. [T] repose sur une cause réelle et sérieuse,

En conséquence,

– débouter M. [T] de l’intégralité de ses demandes,

– condamner M. [T] à payer à la société Expleo France la somme de 4 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 16 mai 2022, M. [S] [T] demande à la cour de :

À titre liminaire, sur la compétence territoriale du conseil de prud’hommes de Cergy-Pontoise,

Vu l’article R. 1412-1 du code du travail

– confirmer le jugement en ce qu’il a déclaré que le conseil de prud’hommes territorialement compétent est celui de Cergy-Pontoise,

– rejeter l’exception d’incompétence territoriale soulevée par la société Expleo France au profit du conseil de prud’hommes de Versailles,

– déclarer le conseil de prud’hommes de Cergy-Pontoise territorialement compétent,

Au fond,

Sur l’évocation

Vu les articles 88 et 568 du code de procédure civile,

Évoquer ce dossier sur le fond,

En conséquence

– condamner la SASU Expleo France [Localité 8] à payer à M. [S] [T] les sommes ci-après :

. rappel prime vacances article 31 convention collective : 2 898, 98 euros,

. congés payés afférents : 289, 89 euros,

. rappel de prime annuelle 2019 et 2020 : 24 916,67 euros,

. congés payés afférents : 2 491,67 euros,

. salaire rectifié moyen à retenir pour les condamnations,

Retenir le salaire rectifié moyen des 12 derniers mois de :

– à titre principal moyenne mensuelle brute des 12 derniers mois de salaire rectifié : 10 147,24 euros,

– subsidiairement moyenne mensuelle brute des 12 derniers mois de salaire effectif : 8 791,92 euros,

– Condamner la SASU Expleo France [Localité 8] à payer à M. [S] [T] les sommes ci-après :

. rappel d’indemnité de préavis : 6 025,91 euros,

. congés payés afférents : 602,59 euros,

. rappel d’indemnité de licenciement conventionnelle : 8 351,45 euros,

– Déclarer le licenciement sans cause réelle ni sérieuse,

. constater que l’ensemble des faits rappelés à la lettre de licenciement sont prescrits,

. rechercher la véritable cause du licenciement, au-delà des termes de la lettre de licenciement,

. requalifier le motif de licenciement erroné en licenciement pour motif économique,

. déclarer en conséquence le licenciement sans cause réelle ni sérieuse,

– Indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse,

. Condamner la SASU Expleo France [Localité 8] à payer à M. [S] [T] à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse (article L. 1235-3 (du) code du travail).

– à titre principal sur la moyenne mensuelle brute des 12 derniers mois de salaires rectifié de 10 083,33 euros : 142 660,42 euros nets,

– subsidiairement : sur la moyenne mensuelle brute des 12 derniers mois de salaire effectif de 8 791,92 euros : 123 086,88 euros nets,

– Dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail : 150 000 euros nets,

Vu

– la rupture d’égalité de traitement et de rémunération,

– le préjudice lié à la privation des avantages du PSE,

– la perte du bénéfice de la priorité de réembauchage (code du travail article L. 1233-5)

– le préjudice lié à l’absence d’entretien bi annuel bilan de carrières de formation et d’entretiens annuels pour des salariés en forfait annuel en jours,

– le préjudice lié à l’absence de formation,

Condamner la SASU Expleo France [Localité 8] à payer à M. [S] [T] à titre de dommages et intérêts (pour) exécution déloyale du contrat de travail la somme de 150 000 euros nets se décomposant en :

– dommages et intérêts pour préjudice lié à la privation des avantages du PSE : 110 000 euros nets,

– dommages et intérêts pour perte du bénéfice priorité de réembauchage : 20 000 euros nets,

– dommages et intérêts pour préjudice lié à l’absence d’entretien bi annuel bilan de carrière, de formation et d’entretiens annuels pour des salariés en forfait annuel en jours : 10 000 euros nets,

– dommages et intérêts (pour) préjudice lié à l’absence de formation : 10 000 euros nets,

– Remboursement à Pôle emploi,

Ordonner le remboursement par l’employeur des indemnités de chômage versées au salarié dans la limite de six mois d’indemnités de chômage (article L. 1235-4 (du) code du travail),

– Remise de documents,

Condamner Expleo à remettre à M. [T] une attestation Pôle emploi et les bulletins de paie conformes au jugement à intervenir sous astreinte provisoire de 50 euros par jour de retard et par document, à compter d’un délai (de) 30 jours à compter (du) jugement à intervenir, astreinte que le conseil (sic) se réservera de liquider,

– Intérêt légal 1231-6 du code civil,

– Capitalisation des intérêts article 1342-2 (du) code civil,

– Exécution provisoire de droit (articles 514 (du) code de procédure civile – R 1454-28 code du travail),

– Article 700 (du) code de procédure civile : 4 500 euros,

– Dépens.

En application de l’article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties pour plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.

MOTIFS DE L’ARRET

La société Expleo France soutient que le conseil de prud’hommes de Cergy-Pontoise, dans le ressort duquel M. [T] a sa résidence, n’est pas territorialement compétent dès lors que M. [T] n’est pas un salarié itinérant, qu’il est rattaché au site de [Localité 8] et qu’il ne démontre pas que sa prestation de travail a été exécuté à domicile ou en dehors de toute entreprise ou établissement. Elle soutient que le conseil de prud’hommes compétent est celui de Versailles, qui correspond au lieu d’exécution de la prestation de travail, de la signature du contrat de travail et de l’établissement de son employeur.

Elle fait valoir que ni l’affectation à une mission chez un client ni le détachement temporaire auprès de la société Expleo UK pour accompagner un client ne sont de nature à modifier le lieu de travail contractuel du salarié et que les missions réalisées par M. [T] dans la dernière année de collaboration étaient des missions en interne sans déplacement chez le client, ce dont il s’est plaint.

Elle estime que M. [T] s’est rendu au siège de l’entreprise, lieu privilégié de rencontre avec ses supérieurs et les autres collaborateurs pour mener à bien ses missions, plus souvent qu’il ne le prétend, soulignant qu’il a réduit ses périodes de présence par rapport à ce qu’il soutenait en première instance.

Elle soutient que les courriels produits par M. [T] suffisent à démontrer sa présence fréquente dans les locaux de [Localité 8], sans qu’il soit besoin qu’elle communique les badgeages du salarié, ce qu’elle ne peut faire en tout état de cause au-delà d’une durée de trois mois au regard de la norme CNIL.

Elle explique que M. [T] ne disposait pas d’un bureau attitré puisque les locaux étaient organisés sous forme d’open space/plateau et qu’il n’existait aucun vestiaire.

Elle fait valoir que son exception d’incompétence n’a rien de dilatoire.

M. [T] indique avoir saisi le conseil de prud’hommes de Cergy-Pontoise dont la compétence territoriale correspond à celle de son domicile et que la société Expleo France a soulevé l’incompétence territoriale tardivement, de manière dilatoire.

Il soutient qu’il appartient à l’employeur de rapporter la preuve qu’une grande partie de son travail a été effectué au siège social, ce qu’il ne fait pas. Il fait valoir que le lieu de travail habituel est celui où le travailleur accomplit la majeure partie de son temps de travail, au regard des modalités réelles d’exécution du travail et non des termes du contrat de travail, lequel peut ne prévoir qu’un établissement de rattachement administratif ; qu’en l’espèce, le contrat précise que le salarié est administrativement rattaché à l’agence de [Localité 8] mais que ses activités sont réalisées principalement chez les clients.

Il expose que depuis son entrée chez Assystem en 2002, il a exercé exclusivement ses fonctions soit auprès des clients, bénéficiant d’une voiture pour se déplacer, soit à son domicile ou en inter-mission ; qu’il n’accomplissait aucune mission au siège, raison pour laquelle il n’y disposait ni d’un bureau ni d’un poste de travail dans un open space ni de moyens matériels mis à sa disposition (ordinateur fixe, ligne de téléphone, etc), ni d’un vestiaire, soulignant que l’UES Expleo France était dotée depuis le 17 mars 2017 d’un accord sur le télétravail. Il souligne qu’il disposait d’un ordinateur portable société pour travailler de chez lui, qu’il n’a jamais passé plus de 3 ou 4 jours par an dans l’entreprise, que son affectation chez les clients était ni provisoire ni ponctuelle puisqu’il s’agissait des modalités habituelles de son emploi, qu’on lui demandait quand il venait au siège et on lui envoyait ses courriers à domicile.

Il fait valoir que ses badges pour la période de 2018 à 2020, que la société, qui doit les conserver au delà de 3 mois pour déterminer le temps de travail, devra communiquer, démontreraient aisément l’absence de tout travail au siège.

Il expose qu’il y a eu disparition de l’entité consulting en France en 2019, qu’à la fin de sa dernière mission fin juin 2019, il a été à de nombreuses reprises sans activité et que jusqu’à la date de son licenciement, ses rares missions étaient réalisées principalement de chez lui. Il soutient que sur les 13 derniers mois de sa présence dans la société (mars 2019 à mars 2020), les mails produits ne démontrent que 12 déplacements au siège pour une durée globale de 16 h 30 tout au plus.

L’article R. 1412-1 du code du travail dispose que :

‘L’employeur et le salarié portent les différends et litiges devant le conseil de prud’hommes territorialement compétent.

Ce conseil est :

1° Soit celui dans le ressort duquel est situé l’établissement où est accompli le travail ;

2° Soit, lorsque le travail est accompli à domicile ou en dehors de toute entreprise ou établissement, celui dans le ressort duquel est situé le domicile du salarié.

Le salarié peut également saisir les conseils de prud’hommes du lieu où l’engagement a été contracté ou celui du lieu où l’employeur est établi.’

La compétence territoriale de la juridiction prud’homale est déterminée selon les modalités réelles d’exécution du travail, qui l’emportent sur l’écrit convenu au départ entre l’employeur et le salarié. La localisation de l’activité s’apprécie au moment de la rupture du contrat de travail.

L’établissement est le lieu où s’exécute le travail, qui présente une relative stabilité et où l’employeur exerce son autorité.

Si les modalités réelles d’exécution du travail font apparaître que le salarié accomplit en fait sa tâche en dehors de tout établissement, la demande est portée devant le conseil de prud’hommes du domicile du salarié, peu important que ce dernier soit administrativement rattaché à un établissement ou qu’il exerce quelques fonctions techniques, administratives ou commerciales minimes dans l’entreprise.

Lorsque le salarié alterne travail à domicile ou télétravail et travail en présentiel, la compétence de l’établissement de rattachement reste la règle tant que le télétravail reste accessoire ou temporaire. Si l’activité s’exerce pour l’essentiel à domicile ou en télétravail, le salarié, en cas de litige prud’homal, peut agir devant la juridiction prud’homale de son domicile.

En l’espèce, M. [T] a saisi le conseil de prud’hommes de Cergy-Pontoise dans le ressort duquel il est domicilié.

Il appartient à la société Expleo France, qui revendique la compétence du conseil de prud’hommes de Versailles, de rapporter la preuve que l’essentiel de l’activité de M. [T] s’exerçait au lieu d’établissement de la société, situé dans le ressort de cette juridiction.

Le contrat de travail a été conclu, le 2 octobre 2002 à [Localité 8], entre M. [T], domicilié à [Localité 6] (Val d’Oise) et la société Assystem Services, dont le siège social était situé [Adresse 4] à [Localité 7], ‘prise en son établissement d’Ile de France situé [Adresse 1]’ (pièce 1 de Expleo France).

Les bulletins de paye étaient édités d’abord par la société Assystem France [Localité 8] située à [Localité 5] puis par la société Expleo France [Localité 8] située à [Localité 5] (pièces 5 de Expleo France).

L’article 3 ‘lieu et modalités du travail’ du contrat de travail mentionne notamment que :

‘A compter du 2 janvier 2003 au plus tard, M. [T] est rattaché à l’agence de [Localité 8]. Il exerce ses fonctions au sein de l’agence de [Localité 8] qui constitue son lieu de travail.

Toutefois, en raison de la nature même de ses activités de prestations de services de la société, réalisées principalement chez ses clients, tant en France qu’à l’étranger, il est bien entendu que M. [T] s’engage à effectuer tous les déplacements, de courte ou longue durée, nécessaires à l’accomplissement des missions qui lui seront confiées. (…)’.

M. [T] était engagé en qualité de consultant au sein de l’activité ‘consulting’ et il disposait d’un véhicule de fonction (pièce 2 de Expleo France). Il n’est pas contesté que jusqu’en juin 2019, il a exercé ses fonctions auprès de la clientèle, en dehors de l’établissement de [Localité 8]. Sa dernière mission Gilson de mars 2018 à juin 2019 s’est déroulée chez le client à [Localité 10]. Une affectation sur le site des divers clients constituait donc pour M. [T], dans les faits et nonobstant le lieu de travail indiqué sur le contrat, la modalité habituelle d’exercice de son emploi.

A la suite de la suppression de la cellule ‘consulting’ et à la fin de sa mission Gilson, M. [T] a fait valoir que sa fonction était d’intervenir en qualité de consultant chez les clients et non d’être consultant en interne à la société (pièce 17 de M. [T]).

Il est ensuite intervenu sur le projet C41 sur le site de PSA à [Localité 9], a eu une mission interne support référencement Safran puis a été détaché du 20 décembre 2019 au 23 janvier 2020 auprès d’Expleo UK en Angleterre pour accompagner le client Bentley (pièce 10 de M. [T]). Puis il a été positionné sur une mission interne Mobilis, avant d’être placé en arrêt de maladie le 10 mars 2020. En dehors de ces missions, il était en inter-contrat.

Il appartient à la société Expleo France de démontrer que l’essentiel de l’activité de M. [T] s’est déroulée dans l’établissement de [Localité 8] à compter du mois de juillet 2019 et que tel était le cas au moment de la rupture du contrat de travail le 3 septembre 2020.

Or en premier lieu, elle ne justifie pas que M. [T] disposait d’un bureau ou de matériel affecté dans l’établissement de [Localité 8], expliquant qu’il n’existait qu’un open-space. Il n’est pas contesté que M. [T] était équipé d’un ordinateur portable pour exercer ses fonctions.

La société Expleo France indique qu’elle n’est pas en mesure de produire le relevé des badgeages de M. [T] pour la période de 2018 à 2020, qui permettrait de justifier qu’il était souvent présent au siège, car elle n’avait pas obligation de les conserver plus de trois mois.

Il convient en conséquence de se référer aux courriels produits par les parties pour déterminer si l’activité professionnelle de M. [T] se déroulait ou non à titre principal dans l’établissement de [Localité 8].

Il apparaît que lorsqu’il était en mission chez Gilson, de mai à juin 2019, M. [T] est venu au siège de la société Expleo France ponctuellement, pour une formation le 14 mai 2019 au matin, des rendez-vous les 15 mai et 24 juin, que les échanges avec les membres de la société avaient lieu par téléphone, skype ou au cours de déjeuners et que ses courriers lui étaient envoyés à son domicile.

Lorsqu’il était en mission chez PSA à [Localité 9], entre juillet et septembre 2019, il avait également des rendez-vous téléphoniques avec les membres de la société ou des rendez-vous ponctuels en présentiel au siège.

Il en était de même après cette mission. Ainsi, pour le projet Safran, M. [L] lui a demandé par courriel du 4 octobre 2019 de venir pour faire un accompagnement d’une semaine (pièces 43-16 et 18 des parties). Le 30 octobre 2019, M. [M] lui a demandé de se rendre disponible physiquement sur le Carré [Localité 8] la semaine suivante pour travailler avec un développeur et de réfléchir d’ici là sur le sujet (pièces 43-19 et 22).

Il ressort ainsi des pièces versées au débat que M. [T], lorsqu’il n’a plus eu de missions en clientèle, ne travaillait qu’occasionnellement sur le site de l’établissement de [Localité 8] et qu’il était le plus souvent en télétravail à son domicile.

Dans ces conditions, ne travaillant pas dans un établissement, il était fondé à saisir le conseil de prud’hommes de Cergy-Pontoise, dans le ressort duquel se situe son domicile.

Il convient en conséquence de confirmer la décision de première instance qui a dit que le conseil de prud’hommes territorialement compétent est celui de Cergy-Pontoise.

Il n’y a pas lieu de statuer sur la demande de la société Expleo France tendant à débouter M. [T] de sa demande d’injonction de produire au débat les badges du salarié pour la période de 2018 à 2020, une telle demande ne figurant pas dans le dispositif des conclusions de M. [T].

Sur la demande d’évocation

L’article 88 du code de procédure civile dispose que ‘Lorsque la cour est juridiction d’appel relativement à la juridiction qu’elle estime compétente, elle peut évoquer le fond si elle estime de bonne justice de donner à l’affaire une solution définitive après avoir ordonné elle-même, le cas échéant, une mesure d’instruction.’

M. [T] demande à la cour d’évoquer le fond de l’affaire afin de ne pas prolonger les délais de procédure. La société Expleo France s’en remet sur la demande.

La cour, tenant compte de la date d’introduction de l’affaire et de la date de la décision, afin de ne pas priver les parties d’un double degré de juridiction, n’entend pas évoquer le fond.

Sur les demandes accessoires

La société Expleo France, qui succombe en ses prétentions, sera condamnée aux dépens d’appel.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement, par arrêt mis à disposition au greffe, contradictoire et en dernier ressort,

Confirme le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Cergy-Pontoise le 24 mars 2022,

Y ajoutant

Rejette la demande d’évocation de l’affaire au fond,

Condamne la société Expleo France aux dépens d’appel.

Arrêt prononcé publiquement à la date indiquée par mise à disposition au greffe de la cour d’appel, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile et signé par Mme Catherine Bolteau-Serre, présidente, et par Mme Domitille Gosselin, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier, Le Président,

 


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