Caméra sur le lieu de travail : une forme de harcèlement moral ? 

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Caméra sur le lieu de travail : une forme de harcèlement moral ? 
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La présence de caméra sur le lieu de travail du salarié ne constitue pas en lui-même une forme de harcèlement moral. Par ailleurs, la discussion sur le caractère légal ou non des caméras implantées dans les locaux est sans emport dans l’appréciation de l’existence d’un harcèlement moral, alors qu’au surplus l’employeur ne démontre pas avoir informé le salarié sur ce point.


Pour rappel, en application des articles L. 1152-1 et L. 1154-1 du code du travail, pour se prononcer sur l’existence d’un harcèlement moral, il appartient au juge d’examiner l’ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d’apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de supposer l’existence d’un harcèlement moral au sens de la loi. Dans l’affirmative, il revient au juge d’apprécier si l’employeur prouve que les agissements indiqués ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.


 

OM/CH

[M] [K]

C/

S.A.S. LE SAINT-GEORGES, prise en la personne de ses représentants légaux en exercice domiciliés en cette qualité au siège social

S.A.S. LE TERMINUS, prise en la personne de ses représentants légaux en exercice domiciliés en cette qualité au siège social

Expédition revêtue de la formule exécutoire délivrée

le :

à :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE – AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE DIJON

CHAMBRE SOCIALE

ARRÊT DU 11 MAI 2023

MINUTE N°

N° RG 21/00796 – N° Portalis DBVF-V-B7F-F2Q5

Décision déférée à la Cour : Jugement Au fond, origine Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de CHALON SUR SAONE, section Encadrement, décision attaquée en date du 03 Novembre 2021, enregistrée sous le n° F 19/00447

APPELANT :

[M] [K]

[Adresse 2]

[Localité 4]

représenté par Me Cédric MENDEL de la SCP MENDEL – VOGUE ET ASSOCIES, avocat au barreau de DIJON

INTIMÉES :

S.A.S. LE SAINT-GEORGES, prise en la personne de ses représentants légaux en exercice domiciliés en cette qualité au siège social

[Adresse 1]

[Localité 3]

représentée par Me Claire GERBAY, avocat au barreau de DIJON, et Me Yannick PANAYE, avocat au barreau de LYON

S.A.S. LE TERMINUS, prise en la personne de ses représentants légaux en exercice domiciliés en cette qualité au siège social

[Adresse 1]

[Localité 3]

représentée par Me Cécile RENEVEY – LAISSUS de la SELARL ANDRE DUCREUX RENEVEY BERNARDOT, avocat au barreau de DIJON, et Me Camille LENOBLE, avocat au barreau de LYON

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 11 Avril 2023 en audience publique devant la Cour composée de :

Olivier MANSION, Président de chambre, Président,

Delphine LAVERGNE-PILLOT, Conseiller,

Rodolphe UGUEN-LAITHIER, Conseiller,

qui en ont délibéré,

GREFFIER LORS DES DÉBATS : Frédérique FLORENTIN,

ARRÊT rendu contradictoirement,

PRONONCÉ par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile,

SIGNÉ par Olivier MANSION, Président de chambre, et par Frédérique FLORENTIN, Greffier, à qui la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DU LITIGE :

M. [K] (le salarié) a été engagé le 27 mai 2019 par contrat à durée indéterminée en qualité de directeur de la restauration par la société le Saint-Georges (l’employeur).

Il a été licencié le 4 décembre 2019 pour faute grave.

Estimant ce licenciement infondé, le salarié a saisi le conseil de prud’hommes qui, par jugement du 3 novembre 2021, a rejeté toutes ses demandes.

Le salarié a interjeté appel le 6 décembre 2021, après notification du jugement le 5 novembre 2021.

Il demande l’infirmation du jugement, de juger que ce licenciement est nul et le paiement des sommes de :

– 10 146 euros d’indemnité de préavis,

– 1 014,60 euros de congés payés afférents,

– 20 292 euros de dommages et intérêts pour licenciement nul,

– 10 000 euros de dommages et intérêts pour harcèlement moral,

– 10 000 euros de dommages et intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité,

– 2 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.

L’employeur représenté par son mandataire ad hoc conclut à la confirmation du jugement sauf à obtenir le paiement de 2 500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.

Des demandes subsidiaires sont formées.

La société le Terminus représentée par son conseil, n’a pas conclu dans le délai requis.

Il sera renvoyé pour un plus ample exposé du litige aux conclusions des parties échangées par RPVA les 17 et 24 février 2023.

MOTIFS :

A titre liminaire, l’employeur précise que le jugement indique par erreur que la société le Saint-Georges est devenue la société le Terminus.

Il précise que ce n’est que quelques jours avant la date d’audience devant le bureau de jugement que le fonds de commerce a été cédé à la société le Terminus et, qu’après le jugement, la société le Saint-Georges a été radiée du RCS.

Il est justifié de ce que M. [X] a été désigné, par ordonnance du 17 février 2022, comme mandataire ad hoc de cette société (pièce n° 89) afin de la représenter.

Il en résulte que la demande n’est pas une “prise d’acte” mais une rectification d’erreur matérielle du jugement qui sera corrigée comme indiquée dans le dispositif subséquent.

De plus, la mise hors de cause de la société le Terminus ne peut être demandée que par cette société, ce qu’elle ne fait pas, alors que l’employeur ne justifie pas d’un mandat à ce titre.

Cette demande sera donc rejetée.

Sur le licenciement :

Il appartient à l’employeur qui s’en prévaut à l’appui du licenciement de démontrer la faute grave alléguée.

Ici, le salarié invoque la nullité du licenciement en raison du harcèlement moral subi.

1°) En application des articles L. 1152-1 et L. 1154-1 du code du travail, pour se prononcer sur l’existence d’un harcèlement moral, il appartient au juge d’examiner l’ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d’apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de supposer l’existence d’un harcèlement moral au sens de la loi. Dans l’affirmative, il revient au juge d’apprécier si l’employeur prouve que les agissements indiqués ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

En l’espèce, le salarié indique qu’il a été victime d’un harcèlement moral pendant au moins quatre mois se traduisant par une surveillance vidéo constante du président de la société, M. [X], par des instructions incessantes données par appels téléphoniques et SMS, une pression constante en lui adressant des directives en dehors des heures de travail, pendant ses jours de repos et ses congés, ainsi que par le rôle de Mme [L], assistante de direction, qui rapportait à la direction la moindre réclamation ce qui devait être géré, normalement, par lui-même, des propos dénigrants et méprisants, l’invocation artificielle d’une faute grave pendant la période de suspension du contrat de travail et une dégradation de son état de santé.

Il produit comme éléments les attestations de Mmes [T] et [J] qui précisent que les salariés n’ont pas été informés de la surveillance par vidéo, des extraits de messages (pièce n° 5), les attestations de MM. [N], [I] indiquant qu’ils ont entendu et lu des critiques de la part de M. [X] à l’encontre du salarié, une dénonciation de ce harcèlement moral le 5 novembre 2019, avec arrêt de travail le jour même et une convocation à un entretien préalable à un éventuel licenciement toujours le 5 novembre 2019 (pièce n° 14) et un arrêt de travail prolongé pour risque médico-social en raison d’un conflit (pièce n° 22).

Ces éléments, pris dans leur ensemble, font supposer l’existence d’un harcèlement moral.

L’employeur le conteste.

Il souligne que la dénonciation de harcèlement moral est intervenue après l’altercation du 5 novembre 2019 laquelle constitue, selon l’employeur, la faute grave reprochée, soit un comportement agressif du salarié à l’encontre de Mme [L] et de M. [X].

Il rappelle que le salarié a adressé un message ambigu à l’employeur le 5 novembre, et que celui-ci lui a demandé s’il s’agissait d’une démission.

Il soutient que le salarié a contesté son licenciement par lettre du 9 décembre (pièce n° 20) faisant état, pour la première fois, d’un harcèlement moral.

Il ajoute que l’entreprise consistant en un hôtel restaurant est ouverte au public et qu’il n’a pas à procéder à une déclaration à la CNIL pour les lieux ouverts au public mais doit seulement obtenir une autorisation de la préfecture.

Il précise que les salariés ont été informés de la présence des caméras.

Il indique que le salarié a choisi l’envoi de SMS pour échanger avec la direction, selon l’attestation de M. [V], et qu’il n’était soumis à aucun horaire précis de travail.

Il rappelle également que Mme [L] devait aviser la direction, selon son contrat de travail (pièce n° 56), de tous les commentaires effectués par les clients et que le salarié n’est pas le supérieur hiérarchique de l’intéressée.

Il justifie de ce que l’attestation de M. [R] a été faite sous l’influence du salarié comme ce témoin l’admet (pièce n° 68) avant de se rétracter une nouvelle fois et que la caisse primaire d’assurance maladie a refusé de prendre en charge au titre de la législation sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, l’accident déclaré par le salarié le 5 novembre 2019 (pièce n° 25).

La discussion sur le caractère légal ou non des caméras implantées dans les locaux est sans emport dans l’appréciation de l’existence d’un harcèlement moral, alors qu’au surplus l’employeur ne démontre pas avoir informé le salarié sur ce point.

Par ailleurs, il n’est pas démontré, non plus, que le salarié n’était pas soumis à des horaires de travail ou bénéficiait d’un forfait en jours ou en heures.

L’envoi des SMS et le rôle de Mme [L] sont établis et vont à l’encontre des affirmations du salarié.

La prolongation de l’arrêt de travail pour cause de maladie ne détermine ni n’explicite le risque médico-social visé.

Par ailleurs, les attestations de MM. [N] et [I] se bornent, pour le premier à faire état de son seul cas et, pour le second, à noter l’existence de critiques de la part de M. [X] à l’encontre du salarié sans préciser le contenu des critiques ni si elles étaient injustifiées.

Il en résulte que l’employeur apporte des éléments probants objectifs qui permettent de renverser la supposition retenue.

La demande de dommages et intérêts pour harcèlement moral sera donc rejetée ainsi que celle tendant à la nullité du licenciement.

2°) A titre subsidiaire, le salarié indique, dans le dispositif de ses conclusions, de juger que le licenciement ne repose pas sur une faute grave, qu’il est nul et demande des dommages et intérêts pour licenciement nul.

De même, dans le corps desdites conclusions, il indique que l’employeur doit établir la matérialité des faits ce qui est impossible en raison des accusations “fantaisistes” de celui-ci et qu’en l’absence de faute grave, le licenciement est nul puisqu’intervenu pendant un arrêt de travail à la suite d’un accident du travail.

L’employeur répond que la faute grave est établie.

L’article L. 1226-7 du code du travail dispose que le contrat de travail est suspendu pendant l’arrêt de travail provoqué par l’accident de travail.

L’article L. 1226-9 du même code dispose qu’au cours de ces périodes de suspension du contrat de travail, l’employeur ne peut rompre ce dernier que s’il justifie soit d’une faute grave, soit de son impossibilité de maintenir ce contrat pour un motif étranger à l’accident.

Il convient donc d’apprécier si la faute grave alléguée par l’employeur est ou non démontrée.

L’employeur rappelle que le contrat de travail conclu avec le salarié stipule que celui-ci doit adopter un comportement des plus courtois et renvoyait au règlement intérieur qui prévoit dans son article 11.2 : “un nécessaire respect de ses collègues et de la clientèle doit présider pendant l’exécution du travail”.

La lettre de licenciement reproche au salarié son comportement le 5 novembre 2019.

Il est précisé que, ce jour, le salarié a fait irruption dans le bureau de M. [X], où se trouvait Mme [L], et mécontent d’une nouvelle remontée négative de la part de la clientèle, s’est adressé à celle-ci en lui demandant si elle n’en avait pas marre de ces gamineries consistant à rapporter les mécontentements des clients à la direction.

Mme [L] atteste en ce sens en rappelant les propos cités puis ajoute que le salarié : “était comme fou, il s’est mis à nous insulter, pour ma part de connasse et d’incapable”.

Puis, il s’en est pris à M. [X] qui indique que le salarié l’a insulté en le traitant de : “connard” et de : “directeur de merde”.

Mme [P], réceptionniste, atteste que le salarié en descendant du bureau du directeur a prononcé des cris et des insultes devant la réception et en présence de la clientèle.

Il est démontré l’existence d’une main courante effectuée auprès des services de police le 6 novembre (pièce n° 6).

Il résulte de l’ensemble de ces éléments probants que la faute grave est démontrée.

Les demandes d’indemnisation seront donc rejetées et le jugement confirmé.

3°) L’article L. 4121-1 du code du travail dispose que : “L’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.

Ces mesures comprennent :

1° Des actions de prévention des risques professionnels, y compris ceux mentionnés à l’article L. 4161-1 ;

2° Des actions d’information et de formation ;

3° La mise en place d’une organisation et de moyens adaptés.

L’employeur veille à l’adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l’amélioration des situations existantes”.

L’article L4121-2 dispose que : “L’employeur met en oeuvre les mesures prévues à l’article L. 4121-1 sur le fondement des principes généraux de prévention suivants :

1° Eviter les risques ;

2° Evaluer les risques qui ne peuvent pas être évités ;

3° Combattre les risques à la source ;

4° Adapter le travail à l’homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail et de production, en vue notamment de limiter le travail monotone et le travail cadencé et de réduire les effets de ceux-ci sur la santé ;

5° Tenir compte de l’état d’évolution de la technique ;

6° Remplacer ce qui est dangereux par ce qui n’est pas dangereux ou par ce qui est moins dangereux ;

7° Planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l’organisation du travail, les conditions de travail, les relations sociales et l’influence des facteurs ambiants, notamment les risques liés au harcèlement moral et au harcèlement sexuel, tels qu’ils sont définis aux articles L. 1152-1 et L. 1153-1, ainsi que ceux liés aux agissements sexistes définis à l’article L. 1142-2-1 ;

8° Prendre des mesures de protection collective en leur donnant la priorité sur les mesures de protection individuelle ;

9° Donner les instructions appropriées aux travailleurs”.

Il incombe à l’employeur d’établir qu’il a exécuté cette obligation.

Ici, le salarié reprend les griefs portant sur une pression constante d’un système de vidéo surveillance illicite et le non-respect des jours de repos et de congés.

Il indique également que le 5 novembre 2019, il a alerté l’employeur sur l’urgence de la situation et sur le fait que son arrêt de travail était directement lié aux pressions subies.

Rien ne permet de retenir une pression constante d’un système de vidéo surveillance qu’il soit ou non licite.

Par ailleurs, le non-respect des jours de repos et des congés ne peut résulter de l’envoi de deux SMS les 5 octobre et un autre alors qu’il était en vacances en Corse, alors que, pour ce dernier, l’interlocuteur du salarié met fin au message lorsqu’il s’est rendu compte de l’envoi pendant ces congés.

Il est donc établi que l’employeur n’a pas manqué à l’exécution de son obligation de sécurité.

La demande de dommages et intérêts sera rejetée et le jugement confirmé.

Sur les autres demandes :

Les demandes formées au visa de l’article 700 du code de procédure civile seront rejetées.

Le salarié supportera les dépens d’appel.

PAR CES MOTIFS :

La cour statuant publiquement, par décision contradictoire :

– Dit que le jugement du 3 novembre 2021 rendu entre les parties est entaché d’une erreur matérielle en ce qu’il désigne comme défendeur et dans son dispositif la société Saint-Georges devenue le Terminus alors qu’il s’agit de la seule société Saint-Georges ;

– Dit qu’à la page 1 et à la page 8 de cette décision, la mention : “la société le Saint-Georges devenue le Terminus” doit être remplacée par la mention suivante : “la société le Saint-Georges” ;

– Rappelle que la décision rectificative est mentionnée sur la minute et les expéditions de la décision rectifiée et notifiée comme cette décision ;

– Rejette la demande de la société Saint-Georges tendant à la mise hors de cause de la société le Terminus ;

– Confirme le jugement du 3 novembre 2021 ;

Y ajoutant :

– Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

– Condamne M. [K] aux dépens d’appel.

Le greffier Le président

Frédérique FLORENTIN Olivier MANSION

 


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