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Les reventes d’oeuvres journalistiques de salariés d’un groupe de presse, à des entités extérieures au groupe, doivent donner lieu à l’accord préalable des journalistes sous peine de redressement de l’URSSAF.
Cependant, aux termes de l’article 20 IV de la loi n° 2009-669 du 12 juin 2009 favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet dite Hadopi : ‘Durant les trois ans suivant la publication de la présente loi, les accords relatifs à l’exploitation sur différents supports des oeuvres des journalistes signés avant l’entrée en vigueur de la présente loi continuent de s’appliquer jusqu’à leur date d’échéance, sauf cas de dénonciation par l’une des parties. Dans les entreprises de presse où de tels accords n’ont pas été conclus à la date d’entrée en vigueur de la présente loi, les accords mentionnés à l’article L. 132-37 du code de la propriété intellectuelle fixent notamment le montant des rémunérations dues aux journalistes professionnels en application des articles L. 132-38 à L. 132-40 du même code, pour la période comprise entre l’entrée en vigueur de la présente loi et l’entrée en vigueur de ces accords’. Les accords collectifs conclus après l’entrée en vigueur de cette loi déterminant les rémunérations complémentaires des journalistes au titre de la revente de leurs oeuvres auprès de tiers, peuvent bénéficier d’un effet rétroactif remontant à la date d’entrée en vigueur de cette loi, ce caractère rétroactif étant rappelé dans le rapport fait au nom de la commission des affaires culturelles, du 12 mai 2009, dans le cadre des travaux parlementaires. Les rémunérations complémentaires tirées de la réutilisation des articles de presse publiés dans la presse ou sur d’autres supports doivent être, à défaut de texte légal ou réglementaire établissant le statut social de ces rémunérations, assujetties aux cotisations et contributions sociales du régime général conformément aux articles L.311-3-16° et L.242-1 du code de la sécurité sociale ; ce principe est remis en cause par la loi Hadopi 1 du 12 juin 2009 qui, selon le cas de figure, autorise ou impose le versement de droits d’auteur en lieu et place du salaire ; qu’en cas d’exploitation de l’oeuvre du journaliste, en dehors du titre de presse, par un tiers à la société éditrice et la société qui la contrôle, l’article L.132-40 du code de la propriété intellectuelle institué par cette loi prévoit que cette exploitation est soumise à l’accord exprès et préalable de son auteur exprimé à titre individuel ou dans un accord collectif et donne lieu à une rémunération sous forme de droits d’auteur, dans les conditions fixées par l’accord individuel ou collectif. Selon l’article L.242-1 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction applicable, pour le calcul des cotisations des assurances sociales, des accidents du travail et des allocations familiales, sont considérées comme rémunérations toutes les sommes versées aux travailleurs en contrepartie ou à l’occasion du travail, tandis que l’article L.132-42 du code de la propriété intellectuelle prévoit que les droits d’auteur mentionnés aux articles L. 132-38 et suivants n’ont pas le caractère de salaire. Ils sont déterminés conformément aux articles L. 131-4 et L. 132-6. L’article L.7112-1 du code du travail dispose que toute convention par laquelle une entreprise de presse s’assure, moyennant rémunération, le concours d’un journaliste professionnel est présumée être un contrat de travail. Par application des articles L.311-2 et L.311-3 16°du code de la sécurité sociale, sont obligatoirement affiliés au régime général de la sécurité sociale les journalistes professionnels et assimilés, au sens des articles L. 761-1 et L. 761-2 du code du travail, dont les fournitures d’articles, d’informations, de reportages, de dessins ou de photographies à une agence de presse ou à une entreprise de presse quotidienne ou périodique, sont réglées à la pige, quelle que soit la nature du lien juridique qui les unit à cette agence ou entreprise. L’article L.132-36 du code de la propriété intellectuelle précise que, par dérogation à l’article L. 131-1 et sous réserve des dispositions de l’article L. 121-8, la convention liant un journaliste professionnel ou assimilé au sens des articles L. 7111-3 et suivants du code du travail, qui contribue, de manière permanente ou occasionnelle, à l’élaboration d’un titre de presse, et l’employeur emporte, sauf stipulation contraire, cession à titre exclusif à l’employeur des droits d’exploitation des oeuvres du journaliste réalisées dans le cadre de ce titre, qu’elles soient ou non publiées. L’article L.132-40 du code la propriété intellectuelle dispose que toute cession de l’oeuvre en vue de son exploitation hors du titre de presse initial ou d’une famille cohérente de presse est soumise à l’accord exprès et préalable de son auteur exprimé à titre individuel ou dans un accord collectif, sans préjudice, dans ce deuxième cas, de l’exercice de son droit moral par le journaliste. Ces exploitations donnent lieu à rémunération sous forme de droits d’auteur, dans des conditions déterminées par l’accord individuel ou collectif. Nos conseils : 1. Attention à bien obtenir un accord exprès et préalable de la part des journalistes concernés pour la réutilisation de leurs oeuvres en dehors du titre de presse initial ou d’une famille cohérente de presse, conformément à l’article L.132-40 du code de la propriété intellectuelle. 2. Il est recommandé de fournir des justificatifs complets et adéquats lors d’un contrôle de l’Urssaf, notamment en ce qui concerne les accords individuels ou collectifs relatifs aux droits d’auteur des journalistes, pour éviter tout redressement ultérieur. 3. Il est conseillé de se conformer aux dispositions légales et aux accords collectifs en vigueur, notamment en ce qui concerne les rémunérations complémentaires des journalistes pour la revente de leurs oeuvres, afin d’éviter tout litige avec les organismes de sécurité sociale. |
→ Résumé de l’affaireLa société de presse et de commercialisation de publications a fait l’objet d’un contrôle par l’Urssaf pour la période de 2013 à 2015, concernant des droits d’auteur et de revente versés à des journalistes pigistes salariés. L’Urssaf a notifié un redressement de 687.612 euros, affirmant que ces rémunérations complémentaires devaient être assujetties au régime général de la sécurité sociale. Après un recours devant la commission de recours amiable puis devant le tribunal judiciaire de Bobigny, la société a été déboutée et condamnée à payer les sommes réclamées. Elle a interjeté appel et demande l’annulation du redressement, de l’observation et de la mise en demeure, ainsi que des dommages et intérêts. L’Urssaf demande la confirmation du jugement. L’affaire est en cours devant la cour.
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→ Les points essentielsContestation des motifs de redressementLa société [7] conteste les motifs de redressement invoqués par l’Urssaf concernant les rémunérations complémentaires versées à ses journalistes au titre des droits d’auteur. Elle soutient que ces rémunérations sont conformes aux accords d’entreprise conclus avec les représentants syndicaux des auteurs salariés et aux dispositions de la loi Hadopi 1 du 12 juin 2009. Arguments de l’UrssafL’Urssaf réplique en affirmant que les rémunérations complémentaires doivent être assujetties aux cotisations sociales du régime général, sauf disposition contraire de la loi. Elle conteste le caractère rétroactif de l’accord d’entreprise signé par la société [7] et soutient que les journalistes n’ont pas donné leur accord exprès et préalable à la cession de leurs oeuvres pour les reventes en question. Dispositions légales en vigueurLes articles du code de la sécurité sociale et du code de la propriété intellectuelle régissent les droits d’auteur des journalistes et les modalités de rémunération pour la réutilisation de leurs oeuvres. Ils précisent les conditions de cession des droits d’exploitation et les obligations des employeurs envers les journalistes professionnels. Preuve de l’accord des journalistesLa société [7] prétend avoir obtenu l’accord exprès et préalable des journalistes pour les reventes de leurs oeuvres, mais l’Urssaf conteste la validité de cette affirmation. Les documents fournis par la société ne suffisent pas à prouver que les journalistes ont consenti à ces cessions de droits d’auteur. Effet rétroactif de l’accord d’entrepriseL’accord d’entreprise signé par la société [7] prévoit un effet rétroactif à compter de la date de publication de la loi Hadopi 1. Selon les dispositions de cette loi, les accords collectifs conclus après son entrée en vigueur peuvent rétroagir pour régulariser une situation antérieure. Décision de la juridictionLa juridiction compétente a jugé que l’accord d’entreprise rétroactif était valable et que les rémunérations complémentaires versées au titre des droits d’auteur n’étaient pas assujetties aux cotisations sociales du régime général. Les chefs de redressement contestés ont été annulés et la mise en demeure de l’Urssaf a été partiellement annulée. En conclusion, la société [7] a réussi à faire valoir ses arguments et à obtenir l’annulation du redressement contesté. L’accord d’entreprise rétroactif a été reconnu comme valable, permettant ainsi de régulariser la situation des journalistes concernés. Les montants alloués dans cette affaire: – La société [10] : annulation du chef n°24 du redressement
– L'[5] : annulation de l’observation formulée au point 2 de la lettre d’observations – Urssaf Ile de France : condamnation aux dépens de première instance et d’appel – La société [7] : rejet de la demande formée en exécution de l’article 700 du code de procédure civile – Urssaf Ile de France : rejet de la demande formée en exécution de l’article 700 du code de procédure civile |
→ Réglementation applicable– Code de la propriété intellectuelle
– Code de la sécurité sociale – Code du travail Article L.132-36 du code de la propriété intellectuelle: Article L.132-40 du code de la propriété intellectuelle: Article L.242-1 du code de la sécurité sociale: Article L.7112-1 du code du travail: Article L.311-3-16° du code de la sécurité sociale: Article L.132-42 du code de la propriété intellectuelle: |
→ AvocatsBravo aux Avocats ayant plaidé ce dossier: – Me Frédéric LALLEMENT, avocat au barreau de PARIS
– Me Olivier CHAPPUIS, avocat au barreau de PARIS – Mme [L] [H], représentante de l’URSSAF PARIS – REGION PARISIENNE |
→ Mots clefs associés & définitions– droits d’auteur
– rémunérations complémentaires – accords d’entreprise – revente d’oeuvres journalistiques – loi Hadopi 1 – cession automatique – réutilisation des oeuvres – accord individuel ou collectif – rémunération sous forme de droits d’auteur – contrat de travail – journalistes professionnels – cession exclusive des droits d’exploitation – accord exprès et préalable – contrôle de l’Urssaf – accord collectif sur les droits d’auteur – effet rétroactif – publication de la loi – principe de confiance légitime – Droits d’auteur: ensemble des droits exclusifs accordés à un créateur sur son œuvre
– Rémunérations complémentaires: paiements supplémentaires accordés aux créateurs pour l’utilisation de leurs œuvres – Accords d’entreprise: accords conclus entre un employeur et ses salariés concernant les droits d’auteur – Revente d’œuvres journalistiques: possibilité pour un journaliste de revendre ses œuvres à d’autres médias – Loi Hadopi 1: loi française visant à lutter contre le piratage en ligne – Cession automatique: transfert automatique des droits d’auteur à l’employeur en cas de contrat de travail – Réutilisation des œuvres: utilisation ultérieure d’une œuvre par un tiers – Accord individuel ou collectif: accord conclu soit individuellement entre les parties, soit collectivement avec un groupe de créateurs – Rémunération sous forme de droits d’auteur: paiement des créateurs basé sur les droits d’auteur perçus – Contrat de travail: accord entre un employeur et un salarié définissant les conditions de travail – Journalistes professionnels: personnes exerçant le métier de journaliste de manière régulière et rémunérée – Cession exclusive des droits d’exploitation: transfert exclusif des droits d’exploitation d’une œuvre à un tiers – Accord exprès et préalable: accord clair et préalable entre les parties concernant les droits d’auteur – Contrôle de l’Urssaf: vérification des cotisations sociales par l’Urssaf – Accord collectif sur les droits d’auteur: accord conclu collectivement entre les parties concernant les droits d’auteur – Effet rétroactif: application d’une disposition de manière rétroactive – Publication de la loi: mise à disposition publique d’une loi – Principe de confiance légitime: principe selon lequel les parties peuvent se fier à des accords légitimes et équitables. |
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 6 – Chambre 12
ARRÊT DU 31 Mai 2024
(n° , 8 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : S N° RG 20/01338 – N° Portalis 35L7-V-B7E-CBOPO
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 29 Janvier 2020 par le Tribunal de Grande Instance de BOBIGNY RG n° 19/01609
APPELANTE
[7] venant aux droits de la SAS [8]
[Adresse 11]
[Adresse 11]
[Localité 3]
représentée par Me Frédéric LALLEMENT, avocat au barreau de PARIS, toque : P0480 substitué par Me Olivier CHAPPUIS, avocat au barreau de PARIS, toque : P0224
INTIMEES
URSSAF PARIS – REGION PARISIENNE
Division des recours amiables et judiciaires
[Adresse 14]
[Localité 4]
représenté par Mme [L] [H] en vertu d’un pouvoir général
Sécurité Sociale des [6] venant aux droits de l'[5]
[Adresse 1]
[Localité 2]
non comparante, non représentée
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 07 Mars 2024, en audience publique, devant la Cour composée de :
Madame Marie-Odile DEVILLERS, Présidente de chambre
Monsieur Gilles BUFFET, Conseiller
Monsieur Christophe LATIL, Conseiller
qui en ont délibéré
Greffier : Madame Claire BECCAVIN, lors des débats
ARRÊT :
– RÉPUTÉ CONTRADICTOIRE
– prononcé
par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
-signé par Madame Marie-Odile DEVILLERS, Présidente de chambre et Madame Agnès ALLARDI, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La cour statue sur l’appel interjeté par la société [7], venant aux droits de la société [8], d’un jugement rendu le 29 janvier 2020 par le tribunal judiciaire de Bobigny, dans un litige l’opposant à l’Urssaf Ile de France (l’Urssaf), en présence de la Sécurité Sociale des [6], venant aux droits de l'[5].
Les circonstances de la cause ont été correctement rapportées par le tribunal dans son jugement au contenu duquel la cour entend se référer pour un plus ample exposé, il convient de rappeler que la société [10], société de presse et de commercialisation de publications, a fait l’objet d’un contrôle par l’Urssaf au titre de la période du 1er janvier 2013 au 31 décembre 2015.
Elle s’est vue notifier une lettre d’observations du 4 novembre 2016 portant notamment sur un chef de redressement n°24 ‘journalistes pigistes salariés: droits d’auteur/droits de revente’, concernant un rappel de cotisations et contributions de 687.612 euros.
L’inspecteur du recouvrement a retenu, aux termes de la lettre d’observations, qu’il résultait a contrario de la combinaison des articles L.132-37, L.132-38 et L.132-42 du code de la propriété intellectuelle qu’en l’absence d’accord d’entreprise, ou, à défaut, d’autre accord collectif applicable au sein de l’entreprise, les rémunérations complémentaires allouées par celle-ci aux journalistes au titre de l’exploitation de leurs oeuvres ont le caractère de salaires ; que la société versait à ses journalistres/pigistes salariés, en plus de leurs rémunérations, des sommes qualifiées de droits d’auteur et/ou de droits de revente allouées au titre de l’utilisation ou de la ré-exploitation de leurs oeuvres ; que, concernant la réutilisation de l’oeuvre de ses journalistes, la société n’a pas conclu d’accord d’entreprise depuis l’entrée en vigueur de la loi Hadopi, et aucun autre accord collectif n’était applicable sur ce point au sein de l’entreprise ; que, par conséquent, les rémunérations complémentaires versées aux journalistes professionnels concernés au titre de la vente ou de la ré-exploitation de leurs oeuvres, quel que soit le support choisi et que ces derniers disposent ou non d’un contrat de travail, devaient être assujetties au régime général de la sécurité sociale par application combinée des articles L.7111-3, L.7111-4, L.7112-1 du code du travail et des articles L.311-3 16° et L.242-1 alinéa 1er du code de la sécurité sociale.
Après délivrance d’une mise en demeure du 21 décembre 2016 prévoyant notamment le versement des sommes correspondant à ce chef de redressement, outre majorations de retard, la société [10], devenue la société [8], a saisi la commission de recours amiable de l’Urssaf le 19 janvier 2017 afin de contester ledit chef de redressement et l’observation exprimée en termes identiques dans la lettre d’observations du 4 novembre 2016 que l’Urssaf, pour le compte de l'[5], a distinctivement notifiée à la société, avant de saisir, le 18 avril 2017, une juridiction chargée du contentieux de la sécurité sociale.
Par jugement du 29 janvier 2020, le tribunal judiciaire de Bobigny a notamment :
– déclaré le recours de la société [8] recevable mais mal fondé,
– confirmé le chef de redressement n°24 : ‘journalistes salariés : droits d’auteur/droits de revente’ pour un montant de 687.612 euros pour la période 2013 à 2015,
– confirmé l’observation [5] n°2 ‘journalistes salariés : droits d’auteur/ droits de revente’,
– débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,
– dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamné la société [8] aux dépens.
La date de notification du jugement à la société [8] ne ressort pas du dossier du tribunal, laquelle a interjeté appel de cette décision par courrier recommandé avec demande d’accusé de réception du 7 février 2020 reçu par le greffe le 10 février 2020.
Les parties ont été entendues à l’audience du 7 mars 2024.
Aux termes de ses conclusions écrites soutenues oralement par son conseil, la société
[7], anciennement dénommée [8], demande à la cour de :
– la dire recevable et bien fondée en ses conclusions d’appel,
– infirmer le jugement querellé en toutes ses dispositions,
statuant à nouveau,
– dire et juger que les rappels de cotisations réclamés par l’Urssaf au point n°24 de l’état de redressement du 4 novembre 2016 ne sont pas fondés,
– annuler, en conséquence, ce chef de redressement,
– annuler l’observation formulée au point n°2 de la lettre d’observations notifiée le 4 novembre 2016 par l’Urssaf pour le compte de l'[5],
– annuler la mise en demeure notifiée le 21 décembre 2016 par l’Urssaf à la société
[7],
– condamner l’Urssaf à lui verser la somme de 783.777 euros en remboursement des cotisations et majorations de retard qu’elle lui a versé au titre du chef de redressement n°24,
– débouter l’Urssaf de ses demandes,
– condamner l’Urssaf à lui payer la somme de 20.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.
Aux termes de ses conclusions écrites soutenues oralement par son représentant, l’Urssaf demande à la cour de :
– dire l’appel de la société [7] recevable mais mal fondé,
– confirmer le jugement en ce qu’il a confirmé le chef de redressement n°24,
– confirmer le jugement en ce qu’il a confirmé l’observation [5] n°2,
– en tout état de cause, débouter la société [7] de l’ensemble de ses demandes et la condamner au paiement de la somme de 2.500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.
Bien que convoquée par le greffe, l'[5], devenue la Sécurité Sociale des [6], n’est pas représentée.
En application du deuxième alinéa de l’article 446-2 et de l’article 455 du code procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties remises à la cour à l’audience du 7 mars 2024 pour plus ample exposé de leurs moyens.
La société [7] fait valoir qu’elle verse depuis toujours à ses journalistes des rémunérations complémentaires sous forme de droits d’auteurs, déclarés comme tels à l'[5], en contrepartie de la revente de leurs oeuvres littéraires ou photographiques ; que le système des reventes a été encadré par des accords d’entreprise spécialement conclus à cet effet avec les représentants syndicaux des auteurs salariés, le dernier accord d’entreprise ayant été signé le 1er février 2005, prévoyant que l’employeur, après la première utilisation de l’oeuvre journalistique s’inscrivant dans le cadre du contrat de travail ou de la pige, pouvait revendre les droits de reproduction y afférents sur tout support extérieur au groupe dans le monde entier, cette revente étant concrétisée par une facturation, sous réserve du droit moral de l’auteur et à condition de lui reverser, sous forme de droits d’auteur, un pourcentage du prix de cession encaissé auprès du tiers cessionnaire ; que cet accord d’entreprise du 1er février 2005 et son avenant numérique du 28 septembre 2006 ont été dénoncés courant 2008 par les organisations syndicales ; qu’en l’espèce, le chef de redressement contesté porte sur des reventes intervenues entre le 1er janvier 2013 et le 31 décembre 2015 ; que ces reventes relèvent du régime institué par la loi Hadopi 1 du 12 juin 2009, notamment le nouvel article L.132-36 du code de la propriété intellectuelle qui instaure un mécanisme de cession automatique et exclusive à l’entreprise de presse des droits relatifs aux oeuvres créées par les journalistes dans l’exercice de leurs fonctions ; que le principe de la cession légale des droits d’auteur ne s’opère pas pour la réutilisation des oeuvres en dehors du périmètre du titre de presse initial et de la famille cohérente de presse; que l’article L.132-40 du code de la propriété intellectuelle prévoit, en ce cas, que la cession est soumise à l’accord exprès et préalable de son auteur exprimé à titre individuel ou dans un accord collectif, ces exploitations donnant lieu à rémunération sous forme de droits d’auteur dans les conditions déterminées par l’accord individuel ou collectif ; que les reventes concernées par le redressement, qui se rapportent à des réutilisations d’oeuvres journalistiques des collaborateurs de la société, répondent aux conditions fixées par ce texte ; que les collaborateurs de la société ont individuellement consenti à cette forme de réexploitation de leurs oeuvres ; que, par ailleurs, ils ont consenti collectivement à la réexploitation de leurs oeuvres hors du titre de presse initial ou d’une famille cohérente de presse, du fait de la signature, le 25 novembre 2021, de l’accord d’entreprise prévu à l’article L.132-40 du code de la propriété intellectuelle ; qu’elle justifie que toutes les rémunérations complémentaires visées dans le chef de redressement contesté, récapitulées dans l’annexe 10 jointe à l’état de redressement du 4 novembre 2016, correspondent bien à des réutilisations d’oeuvres journalistiques de ses collaborateurs dans des supports extérieurs au groupe [12] ; que les bordereaux nominatifs communiqués établissent l’existence d’un accord individuel au sens de l’article L.132-40 dudit code entre la société et le collaborateur concerné, pour la réexploitation de son oeuvre sur un support extérieur au groupe [12] ; qu’à supposer que l’accord individuel soit soumis au formalisme prévu par les articles L.131-3 et suivants du code de la sécurité sociale, il s’agit d’une nullité relative dont seuls les auteurs peuvent se prévaloir ; qu’en l’espèce, aucun collaborateur ne s’est prévalu d’une quelconque irrégularité ; que l’article L.132-40 du code de la propriété intellectuelle ne protège également que les auteurs qui peuvent seuls invoquer son non-respect ; que les bordereaux de droits d’auteur émis par la société permettent de s’assurer du caractère exprès et préalable de l’accord des journalistes concernés à la réexploitation de leurs oeuvres, ce qui est corroboré par des attestations produites aux débats de représentants des organismes [13] et
[9]; qu’en toute hypothèse, l’article L.132-40 pose sans exception le principe du traitement des réexploitations d’oeuvres en droits d’auteur à l’exclusion de toute autre forme de rémunération, hors du titre de presse et d’une famille cohérente de presse, à charge pour les parties de s’entendre de la rémunération sous forme de droits d’auteur, dans le cadre d’un accord individuel ou collectif ; que les bordereaux de droit d’auteur remis individuellement aux journalistes suffisent à démontrer que toutes les conditions de cette forme de rémunération ont été déterminées d’un commun accord entre les intéressés ; qu’en toutes hypothèses, les journalistes de la société ont collectivement consenti à cette forme de réexploitation des oeuvres dans le cadre d’un accord collectif du 25 novembre 2021, lequel présente un caractère rétroactif à compter du 13 juin 2009 ; que ce caractère rétroactif de plein droit est prévu par la loi Hadopi 1 du 12 juin 2009, en son article 20, éclairée par les travaux parlementaires qui ont précédé son élaboration; que cet accord d’entreprise s’applique nécessairement aux rémunérations complémentaires versées aux journalistes de la société au titre des reventes extérieures de leurs oeuvres, sur la période2013-2015, objet du litige ; elle en déduit que le chef de redressement n°24 doit être invalidé.
L’Urssaf réplique que les rémunérations complémentaires tirées de la réutilisation des articles de presse publiés dans la presse ou sur d’autres supports doivent être, à défaut de texte légal ou réglementaire établissant le statut social de ces rémunérations, assujetties aux cotisations et contributions sociales du régime général conformément aux articles L.311-3-16° et L.242-1 du code de la sécurité sociale ; que ce principe est remis en cause par la loi Hadopi 1 du 12 juin 2009 qui, selon le cas de figure, autorise ou impose le versement de droits d’auteur en lieu et place du salaire ; qu’en cas d’exploitation de l’oeuvre du journaliste, en dehors du titre de presse, par un tiers à la société éditrice et la société qui la contrôle, l’article L.132-40 du code de la propriété intellectuelle institué par cette loi prévoit que cette exploitation est soumise à l’accord exprès et préalable de son auteur exprimé à titre individuel ou dans un accord collectif et donne lieu à une rémunération sous forme de droits d’auteur, dans les conditions fixées par l’accord individuel ou collectif ; que la société est dans l’incapaciété de justifier d’un accord exprès et préalable de la part de chacun des journalistes concernés, les bordereaux produits étant insuffisants tandis que la société ne peut se prévaloir d’éléments de preuve postérieurs à la période contradictoire de contrôle ; qu’en l’absence d’accord individuel ou collectif, les rémunérations versées ne pouvaient être qualifiées de droits d’auteur ; que la société ne peut se prévaloir d’un accord d’entreprise conclu postérieurement au redressement qui n’a aucun caractère rétroactif opposable à l’Urssaf ; qu’un cotisant ne peut échapper à un redressement en lui offrant la possibilité de régulariser sa situation a posteriori ; que l’accord conclu par la société [7] est soumis aux dispositions de l’article D.2231-2 du code du travail et que seule la publication prévue par ce texte rend cet accord opposable à l’Urssaf mais pour l’avenir et non rétroactivement, en application du principe de confiance légitime ; qu’un accord collectif, même dérogatoire, ne peut priver un salarié des droits qu’il tient de la loi pour la période antérieure à la signature de l’accord ; que la jurisprudence européenne consacre le principe d’inopposabilité des actes non publiés ; que le statut social d’une personne est d’ordre public et ne peut être remis en cause rétroactivement ; que la société ne peut se prévaloir d’une position contraire à celle qu’elle avait prise antérieurement, nul ne pouvant se contredire au détriment d’autrui.
Selon l’article L.242-1 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction applicable, pour le calcul des cotisations des assurances sociales, des accidents du travail et des allocations familiales, sont considérées comme rémunérations toutes les sommes versées aux travailleurs en contrepartie ou à l’occasion du travail, tandis que l’article L.132-42 du code de la propriété intellectuelle prévoit que les droits d’auteur mentionnés aux articles L. 132-38 et suivants n’ont pas le caractère de salaire. Ils sont déterminés conformément aux articles L. 131-4 et L. 132-6.
L’article L.7112-1 du code du travail dispose que toute convention par laquelle une entreprise de presse s’assure, moyennant rémunération, le concours d’un journaliste professionnel est présumée être un contrat de travail. Par application des articles L.311-2 et L.311-3 16°du code de la sécurité sociale, sont obligatoirement affiliés au régime général de la sécurité sociale les journalistes professionnels et assimilés, au sens des articles L. 761-1 et L. 761-2 du code du travail, dont les fournitures d’articles, d’informations, de reportages, de dessins ou de photographies à une agence de presse ou à une entreprise de presse quotidienne ou périodique, sont réglées à la pige, quelle que soit la nature du lien juridique qui les unit à cette agence ou entreprise.
L’article L.132-36 du code de la propriété intellectuelle précise que, par dérogation à l’article L. 131-1 et sous réserve des dispositions de l’article L. 121-8, la convention liant un journaliste professionnel ou assimilé au sens des articles L. 7111-3 et suivants du code du travail, qui contribue, de manière permanente ou occasionnelle, à l’élaboration d’un titre de presse, et l’employeur emporte, sauf stipulation contraire, cession à titre exclusif à l’employeur des droits d’exploitation des oeuvres du journaliste réalisées dans le cadre de ce titre, qu’elles soient ou non publiées.
L’article L.132-40 du code la propriété intellectuelle dispose que toute cession de l’oeuvre en vue de son exploitation hors du titre de presse initial ou d’une famille cohérente de presse est soumise à l’accord exprès et préalable de son auteur exprimé à titre individuel ou dans un accord collectif, sans préjudice, dans ce deuxième cas, de l’exercice de son droit moral par le journaliste.
Ces exploitations donnent lieu à rémunération sous forme de droits d’auteur, dans des conditions déterminées par l’accord individuel ou collectif.
Le redressement litigieux a été opéré concernant des reventes d’oeuvres journalistiques de salariés du groupe, à des entités extérieures au groupe [12], ce que reconnaît la société [7].
La société [7] prétend que ses journalistes collaborateurs ont individuellement consenti de manière expresse et préalable à ces reventes, au sens de l’article L.132-40 susvisé, se prévalant de bordereaux nominatifs de droits d’auteur qui leur ont été périodiquement remis, ainsi que d’attestations de responsables de départements du groupe [12].
Les bordereaux de droits d’auteur produits par la société [7], s’ils mentionnent l’identité de l’auteur pigiste concerné, l’oeuvre concernée et l’identité du client qui les réexploite, ne permettent que de constater l’existence d’une revente et sont insuffisants à établir que l’auteur aurait donné son accord exprès et préalable à la cession. Il en va de même des bulletins de droits d’auteur remis aux personnes concernées. La [7] ne peut utilement se prévaloir que le non-respect de l’article L.132-40 ne pourrait être invoqué que par les journalistes concernés, l’Urssaf étant, dans le cadre de ses pouvoirs de contrôle, fondée à s’assurer que les conditions étaient réunies pour que la revente des oeuvres puissent bénéficier d’une rémunération au titre du droit d’auteur.
Par ailleurs, il est rappelé qu’il résulte de l’article R. 243-59 du code de la sécurité sociale que l’inspecteur du recouvrement, à qui l’employeur n’a pas présenté les justificatifs nécessaires pour permettre le contrôle, peut solliciter de celui-ci, avant l’envoi de la lettre d’observations, la production de documents supplémentaires. En application du même texte, les employeurs sont tenus de présenter aux agents chargés du contrôle tout document et de permettre l’accès à tous supports d’information qui leur sont demandés par ces agents comme nécessaires à l’exercice du contrôle.
En conséquence, dès lors que le contrôle est clos après la période contradictoire telle que définie par cet article et que la société n’a pas apporté les éléments nécessaires à la vérification de l’application qu’elle avait faite de la législation de sécurité sociale, d’assurance chômage et de garantie des salaires pendant cette même phase procédurale, aucune nouvelle pièce ne peut être versée aux débats devant la juridiction de recours
(2e Civ., 7 janvier 2021, pourvoi n° 19-20.035, 19-19.395).
Par conséquent, la société [7] ne peut se prévaloir des attestations des responsables de départements du groupe [12] qui ont été établies en cause d’appel.
Aussi, la société [7] échoue à rapporter la preuve de l’existence d’un accord individuel exprès et préalable aux reventes par les journalistes concernés.
La société [7], qui fait valoir qu’il existait un accord collectif sur les droits d’auteur qui a été dénoncé le 2 juillet 2008 par les organisations syndicales, communique un accord d’entreprise sur l’exploitation des oeuvres des journalistes professionnels signé le 25 novembre 2021 aux termes duquel les journalistes donnent expressément leur accord préalable à la cession de leurs oeuvres en vue de leur exploitation hors du titre de presse initial ou d’une famille cohérente de presse. Cet accord fixe les modalités de la rémunération versée aux journalistes à ce titre et mentionne qu’il entre en vigueur rétroactivement à compter du 13 juin 2009, date de publication au Journal Officiel de la loi Hadopi 1.
L’Urssaf conteste le caractère rétroactif de cet accord qui ne pourrait, selon elle, couvrir la période ayant fait l’objet du redressement contesté.
Cependant, aux termes de l’article 20 IV de la loi n° 2009-669 du 12 juin 2009 favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet dite Hadopi :
‘Durant les trois ans suivant la publication de la présente loi, les accords relatifs à l’exploitation sur différents supports des oeuvres des journalistes signés avant l’entrée en vigueur de la présente loi continuent de s’appliquer jusqu’à leur date d’échéance, sauf cas de dénonciation par l’une des parties.
Dans les entreprises de presse où de tels accords n’ont pas été conclus à la date d’entrée en vigueur de la présente loi, les accords mentionnés à l’article L. 132-37 du code de la propriété intellectuelle fixent notamment le montant des rémunérations dues aux journalistes professionnels en application des articles L. 132-38 à L. 132-40 du même code, pour la période comprise entre l’entrée en vigueur de la présente loi et l’entrée en vigueur de ces accords’.
La société [7] est fondée, au regard de ce texte, à soutenir que les accords collectifs conclus après l’entrée en vigueur de cette loi déterminant les rémunérations complémentaires des journalistes au titre de la revente de leurs oeuvres auprès de tiers, peuvent bénéficier d’un effet rétroactif remontant à la date d’entrée en vigueur de cette loi, ce caractère rétroactif étant rappelé dans le rapport sur ce texte de M. [X], sénateur, au nom de la commission des affaires culturelles, du 12 mai 2009, dans le cadre des travaux parlementaires.
L’Urssaf ne peut, dans ces conditions, faire valoir que l’accord ne peut lui être opposable qu’à compter de sa publication, étant ajouté que l’accord contesté ne modifie pas la situation des journalistes concernés, des droits d’auteur leur ayant été versés. L’Urssaf n’établit pas plus en quoi cet accord, qui régularise une situation antérieure, porterait atteinte au principe de confiance légitime, étant ajouté que la société [7], durant le redressement, a toujours fait valoir que les journalistes avaient donné leur accord pour les revente en cause.
Par conséquent, au regard de l’accord d’entreprise du 25 novembre 2021 ayant un effet rétroactif pour toute la période concernée par le redressement, c’est à juste titre que les rémunérations complémentaires versées au titre des droits d’auteur n’étaient pas assujetties au régime général de la sécurité sociale.
Le jugement sera donc infirmé et les chefs de redressement contestés annulés, ainsi que la mise en demeure en ce qu’elle porte sur les sommes réclamées à ce titre.
Il n’y a pas lieu d’ordonner expressément la restitution des sommes versées par la société [7] correspondant au chef de redressement n°24, l’annulation de ce chef emportant obligation à restitution par l’Urssaf.
LA COUR,
DECLARE recevable l’appel de la société [7],
INFIRME en toutes ses dispositions le jugement rendu le 29 janvier 2020 par le tribunal judiciaire de Bobigny,
STATUANT à nouveau :
ANNULE le chef n°24 du redressement effectué à l’encontre de la société [10] le 4 novembre 2016,
ANNULE l’observation formulée au point 2 de la lettre d’observations notifiée le
4 novembre 2016 pour le compte de l'[5],
ANNULE la mise en demeure du 21 décembre 2016 en ce qu’elle porte sur les montants visés par le chef n°24 du redressement,
CONDAMNE l’Urssaf Ile de France aux dépens de première instance et d’appel,
REJETTE les demandes formées en exécution de l’article 700 du code de procédure civile par la société [7] et l’Urssaf Ile de France,
REJETTE le surplus des demandes.
La greffière La présidente