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La SA France Télévisions a sollicité en vain l’arrêt de l’exécution provisoire du jugement du tribunal de commerce de Bordeaux du 28 janvier 2022, qui lui a enjoint, en sa qualité de société éditrice de la chaîne France 2 et du site internet, de procéder au retrait du reportage intitulé : « fraises : la Pologne casse les prix » de son site internet, sous astreinte de 1000€ par jour de retard.
Selon, l’article 514-3 du code de procédure civile, en cas d’appel, le premier président peut être saisi afin d’arrêter l’exécution provisoire de la décision lorsqu’il existe un moyen sérieux d’annulation ou de réformation et que l’exécution risque d’entraîner des conséquences manifestement excessives.
La demande de la partie qui a comparu en première instance sans faire valoir d’observations sur l’exécution provisoire n’est recevable que si, outre l’existence d’un moyen sérieux d’annulation ou de réformation, l’exécution provisoire risque d’entraîner des conséquences manifestement excessives qui se sont révélées postérieurement à la décision de première instance.
Le risque de conséquences manifestement excessives doit être apprécié au regard des facultés de paiement du débiteur ou des facultés de remboursement du créancier, ces deux critères étant alternatifs. Il suppose la perspective d’un préjudice irréparable et d’une situation irréversible dépassant les risques normaux inhérents à toute exécution provisoire, et lorsqu’il s’agit notamment d’une condamnation non pécuniaire, ce risque doit s’apprécier au regard de la possibilité d’un anéantissement rétroactif de l’exécution en cas de réformation ou d’annulation du jugement.
La SA France Télévisions a fait essentiellement valoir que les conséquences manifestement excessives générées par l’exécution immédiate du jugement procéderaient d’une part, du caractère irréversible des mesures de publication et de retrait qui porteraient une atteinte disproportionnée à sa liberté d’informer et d’autre part, du risque de non restitution des sommes versées au titre des condamnations pécuniaires et de non réparation du préjudice né de la publication vexatoire d’un communiqué en cas de réformation du jugement.
Cependant, le retrait du reportage, dont la première diffusion date du 1er juillet 2019, et la publication du communiqué litigieux, laquelle peut être accompagnée d’une information relative à l’existence d’un appel formé contre le jugement et à ses effets éventuels, ne peuvent être considérées comme ayant des conséquences irrémédiables dès lors qu’en cas d’infirmation du jugement l’arrêt pourra être porté à la connaissance du public par la SA France Télévisions selon les mêmes modalités matérielles que le communiqué judiciaire et avoir la même portée informative que celui-ci et que ces mesures sont effectuées aux risques et périls de la société dont les agissements sont dénoncés dans le reportage et qui encourt une condamnation à des dommages et intérêts en cas de réformation de la décision.
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REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Cour d’appel de Bordeaux
Chambre des référés
10 mars 2022, n° 22/00026
Texte intégral
RÉFÉRÉ N° RG 22/00026 – N° Portalis DBVJ-V-B7G-MRUE
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S.A. FRANCE TELEVISIONS
c/
S.A.R.L. X Y
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DU 10 MARS 2022
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Rendu par mise à disposition de l’ordonnance au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
Le 10 MARS 2022
Véronique LEBRETON, Première Présidente de Chambre à la Cour d’Appel de BORDEAUX, désignée en l’empêchement légitime de la Première Présidente par ordonnance en date du 7 janvier 2022, assistée de Martine MASSÉ, Greffière,
dans l’affaire opposant :
S.A. FRANCE TELEVISIONS agissant en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité […]
Absente,
représentée par de Me Philippe LECONTE membre de la SELARL LEXAVOUE BORDEAUX, avocat au barreau de BORDEAUX, avocat postulant et Me Eric SEMMEL membre de l’AARPI COLOMBANI SEMMEL, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant.
Demanderesse en référé suivant assignation en date du
17 février 2022,
à :
S.A.R.L. X Y, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité […]
représentée par Me Hélène SEURIN membre de la SCP DACHARRY & ASSOCIES, avocat au barreau de BORDEAUX avocat postulant et Me Jean-Yves DUPEUX, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant.
Défenderesse,
A rendu l’ordonnance contradictoire suivante après que la cause a été débattue en audience publique devant nous, assistée de Martine Massé, greffière, le 24 février 2022 :
EXPOSE DU LITIGE
Selon un jugement en date du 28 janvier 2022, le tribunal de commerce de Bordeaux, saisi par voie d’assignation en date du 16 novembre 2020, a, notamment :
– enjoint la SA France Télévisions, en sa qualité de société éditrice de la chaîne France 2 et du site internet, de procéder au retrait du reportage intitulé : « fraises : la Pologne casse les prix » de son site internet et notamment de l’adresse internet, dans les 8 jours suivant le prononcé du jugement à intervenir, sous astreinte de 1000€ par jour de retard,
– interdit à la SA France Télévisions, en sa qualité de société éditrice de chaîne de télévision, de procéder à toute nouvelle diffusion de ce reportage,
– ordonné à la SA France Télévisions, en sa qualité de société éditrice de la chaîne France 2 et du site internet, de supprimer définitivement le reportage de son site internet et à publier sur la page du site internet le communiqué suivant, en police Arial de taille 14, noire sur fond blanc, sans mise en place de mesure de redirection automatique et/ou de toute mesure technique de nature à empêcher l’internaute de prendre connaissance dudit communiqué, et ce, pendant une durée d’un mois : «Par jugement en date du 28 janvier 2022, le tribunal de commerce de Bordeaux a jugé que le reportage intitulé « fraises : la Pologne casse les prix » diffusé sur France 2 et publié par la société France Télévisions SA sur son site internet, contient des propos caractérisant un acte de dénigrement fautif à l’égard des confitures fabriquées par la SARL X Y et a, en conséquence, condamné la société France Télévisions SA à publier le présent communiqué sur son site internet »,
– ordonné que la publication de ce communiqué intervienne au plus tard dans les 8 jours suivant le prononcé du jugement sous astreinte de 1000 € par jour de retard,
– condamné la SA France Télévisions à payer à la SARL X Y les sommes de 10 000 € à titre de dommages et intérêts et 5000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
La SA France Télévisions a interjeté appel de cette décision selon une déclaration en date du 10 février 2022.
Par assignation en référé en date du 17 février 2022, elle sollicite l’arrêt de l’exécution provisoire du jugement du tribunal de commerce du 28 janvier 2022, subsidiairement de subordonner le rejet de la demande à la constitution d’une garantie pour répondre de toutes restitutions et réparations et ordonner à la SARL X Y de consigner pendant toute la durée de la procédure d’appel et d’une procédure aux fins de réparation la somme de 50 000 € entre les mains de la CARPA ou du bâtonnier de Bordeaux, désignés séquestres, et de condamner la SA France Télévisions aux dépens et à lui payer 5000€ au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
Dans ses dernières conclusions remises le 23 février 2022, et soutenues à l’audience, la SA France Télévisions sollicite d’être déclarée recevable en ses demandes en faisant valoir qu’elle a formé des observations relatives à l’exécution provisoire devant le premier juge en soutenant le rejet de la demande de la SARL X Y en ce sens, et qu’en tout état de cause le rejet de sa requête tendant à être autorisée d’assigner à jour fixe a révélé des conséquences manifestement excessives postérieurement au jugement.
Elle maintient ses demandes initiales à l’appui desquelles, elle indique qu’il existe des moyens sérieux de réformation de la décision puisque le grief selon lequel le reportage imputerait à la SARL X Y des faits de tromperie contraires à sa réputation devait entraîner la requalification de l’action en dénigrement en action en diffamation, et partant l’incompétence matérielle du tribunal de commerce. Elle précise que sur cette qualification, l’action était irrecevable comme prescrite.
Subsidiairement, elle expose que le tribunal a soulevé un moyen de droit relatif à l’existence et à l’inexécution du contrat sans le soumettre au contradictoire, et que la preuve du dénigrement et du préjudice n’est pas rapportée. Elle relève que l’information est délivrée avec mesure sur une base factuelle établie et que les demandes de la SARL X Y sont en tout état de cause disproportionnées.
Enfin elle soutient que l’exécution de la décision aura des conséquences manifestement excessives en portant atteinte à la liberté d’informer de manière irréversible, puisque la publication du jugement de réformation ne pouvant avoir la même autorité que celle du communiqué judiciaire et le second communiqué privant une nouvelle fois France Télévisions d’un espace dédié à l’information du public, et que du fait de la mesure de retrait, le reportage aura été supprimé du site internet pendant une certaine période. Elle soutient qu’il existe des risques de non restitution et de non réparation du préjudice découlant de l’exécution provisoire des condamnations pécuniaires en cas de réformation du jugement.
En réponse et aux termes de ses conclusions déposées le 23 février 2022, et soutenues à l’audience, la SARL X Y sollicite que les demandes soient jugées irrecevables, et que les demandes principales et subsidiaires soient rejetées. Il demande la condamnation de la SA France Télévisions aux dépens et à lui payer la somme de 5000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Elle fait valoir que la SA France Télévisions est irrecevable en sa demande faute pour elle d’avoir formulé des observations relatives à l’exécution provisoire devant le premier juge et de démontrer l’existence de conséquences manifestement excessives survenues postérieurement au jugement dont appel.
Elle expose que l’exécution des condamnations pécuniaires n’a aucune conséquence manifestement excessive pour la SA France Télévisions et que la publication de communiqué judiciaire ne peut avoir de conséquence irréversible puisque l’infirmation du jugement peut être de la même manière portée à la connaissance du public. Elle soutient également qu’il n’existe aucun moyen sérieux de réformation puisque le reportage émet une critique sur des produits commercialisés par la SARL X Y et peut être critiqué sur le fondement de l’article 1240 du code civil du fait du dénigrement qui en résulte et qui est caractérisé et que le principe du contradictoire a été respecté.
Elle ajoute que la mesure d’aménagement de l’exécution provisoire sollicitée à titre subsidiaire n’est pas de nature à préserver utilement les droits des parties.
L’affaire a été mise en délibéré au 10 mars 2022.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la demande principale
Selon, l’article 514-3 du code de procédure civile dispose qu’en cas d’appel, le premier président peut être saisi afin d’arrêter l’exécution provisoire de la décision lorsqu’il existe un moyen sérieux d’annulation ou de réformation et que l’exécution risque d’entraîner des conséquences manifestement excessives.
La demande de la partie qui a comparu en première instance sans faire valoir d’observations sur l’exécution provisoire n’est recevable que si, outre l’existence d’un moyen sérieux d’annulation ou de réformation, l’exécution provisoire risque d’entraîner des conséquences manifestement excessives qui se sont révélées postérieurement à la décision de première instance.
Le risque de conséquences manifestement excessives doit être apprécié au regard des facultés de paiement du débiteur ou des facultés de remboursement du créancier, ces deux critères étant alternatifs. Il suppose la perspective d’un préjudice irréparable et d’une situation irréversible dépassant les risques normaux inhérents à toute exécution provisoire, et lorsqu’il s’agit notamment d’une condamnation non pécuniaire, ce risque doit s’apprécier au regard de la possibilité d’un anéantissement rétroactif de l’exécution en cas de réformation ou d’annulation du jugement.
En l’espèce, il résulte des conclusions des parties déposées devant le premier juge et reprises par le jugement déféré, que la SARL X Y a demandé que l’exécution provisoire soit ordonnée tandis que la SA France Télévisions a demandé pour sa part que la SARL X Y soit déboutée de toutes ses demandes.
Dans le corps de ses écritures, la SA France Télévisions a fait valoir (page 34 et 35) le caractère disproportionné des mesures d’interdiction et de publication d’un communiqué judiciaire, qui doivent selon elle rester exceptionnelles, en visant la pièce 16 de son bordereau de communication de pièces constituée d’un arrêt de référé de la cour d’appel de Versailles dont les motifs suivants sont reproduits dans les écritures « la publication judiciaire a un effet irréversible qui ne pourrait être réparé si la décision de première instance était modifiée », mais à aucun moment de son argumentation elle ne développe de moyen tendant à faire écarter l’exécution provisoire de droit s’attachant au jugement en application de l’article 514 du code de procédure civile, ni même de moyen au soutien de sa demande de rejet de la prétention sans objet de la SARL X Y relative au prononcé de l’exécution provisoire.
Or, si l’article 514-3 du code de procédure civile ne prévoit en effet aucune forme aux observations qu’il requiert pour la recevabilité de la demande d’arrêt de l’exécution provisoire, pour autant celles-ci se doivent d’être suffisamment explicites pour pouvoir être prises en considération par le premier juge. Tel n’a pas été le cas en l’occurrence puisque dans les écritures de la SA France Télévisions toute référence à l’exécution provisoire est demeurée, au mieux, allusive, le jugement se contentant d’ailleurs dans ses motifs de rappeler que l’exécution provisoire était de droit.
Dès lors, la SA France Télévisions ne démontrant pas avoir formulé des observations relatives à l’exécution provisoire devant le tribunal de commerce, il lui appartient de démontrer l’existence de conséquences manifestement excessives survenues postérieurement au jugement.
A cet égard, la SA France Télévisions fait essentiellement valoir que les conséquences manifestement excessives générées par l’exécution immédiate du jugement procéderaient d’une part, du caractère irréversible des mesures de publication et de retrait qui porteraient une atteinte disproportionnée à sa liberté d’informer et d’autre part, du risque de non restitution des sommes versées au titre des condamnations pécuniaires et de non réparation du préjudice né de la publication vexatoire d’un communiqué en cas de réformation du jugement.
Cependant, le retrait du reportage, dont la première diffusion date du 1er juillet 2019, et la publication du communiqué litigieux, laquelle peut être accompagnée d’une information relative à l’existence d’un appel formé contre le jugement et à ses effets éventuels, ne peuvent être considérées comme ayant des conséquences irrémédiables dès lors qu’en cas d’infirmation du jugement l’arrêt pourra être porté à la connaissance du public par la SA France Télévisions selon les mêmes modalités matérielles que le communiqué judiciaire et avoir la même portée informative que celui-ci et que ces mesures sont effectuées aux risques et périls de la SARL X Y qui encourt une condamnation à des dommages et intérêts en cas de réformation de la décision.
Par conséquent de ce chef l’existence de conséquences manifestement excessives n’est pas caractérisée.
Par ailleurs, s’agissant des condamnations pécuniaires, la SA France Télévisions fait état d’un risque d’incapacité de remboursement de la part de la SARL X Y et d’un risque de ne pas être indemnisée de son préjudice en cas de réformation, mais elle en produit aucun élément de nature à donner du crédit à cette allégation.
Par conséquent de ce chef l’existence de conséquences manifestement excessives n’est pas davantage caractérisée.
Dans ces conditions, la SA France Télévisions échoue à démontrer l’existence de conséquences manifestement excessives, a fortiori survenues depuis le jugement, car le rejet de sa demande d’autorisation d’assigner à jour fixe est sans incidence sur le défaut de caractérisation des conséquences telles qu’analysées dans les motifs qui précédent dont il ne pouvait en tout état de cause être à l’origine, pas plus qu’il ne pouvait éventuellement les aggraver si elles avaient existé.
Elle sera donc déclarée irrecevable en sa demande d’arrêt de l’exécution provisoire de la décision dont appel.
Sur la demande subsidiaire :
Aux termes de l’article 514-5 du code de procédure civile, le rejet de la demande tendant à voir écarter ou arrêter l’exécution provisoire de droit et le rétablissement de l’exécution provisoire de droit peuvent être subordonnés, à la demande d’une partie ou d’office, à la constitution d’une garantie, réelle ou personnelle, suffisante pour répondre de toutes restitutions ou réparations.
Si le demandeur à la garantie n’a pas l’obligation d’apporter la démonstration de l’existence, ni de conséquences manifestement excessives, ni d’un moyen sérieux de réformation, il doit cependant à tout le moins établir que cette mesure est nécessaire.
Il convient également de rappeler que le pouvoir d’aménager l’exécution provisoire est laissé à la discrétion du premier président.
En l’espèce, il résulte des motifs qui précédent que la SA France Télévisions ne rapporte pas la preuve qui lui incombe du risque de non restitution des fonds versés, à hauteur de la somme totale de 15 000 € outre le montant des astreintes le cas échéant, en exécution du jugement du tribunal de commerce de Bordeaux en date du 28 janvier 2022, ni de celui d’une impossible réparation pécuniaire en cas de réformation dudit jugement.
Dès lors, il convient de considérer qu’il n’existe aucun motif justifiant la constitution de garantie sollicitée et de débouter la SA France Télévisions de sa demande à ce titre.
Sur les demandes sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile et les dépens
Il apparaît conforme à l’équité de condamner la SA France Télévisions à payer à la SARL X Y la somme de 2000 € au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
Succombant à la présente instance, elle sera condamnée aux entiers dépens et déboutée de sa demande au titre des frais irrépétibles.
PAR CES MOTIFS
Déclare la SA France Télévisions irrecevable en sa demande tendant à l’arrêt de l’exécution provisoire résultant du jugement du tribunal de commerce de Bordeaux en date du 28 janvier 2022 ;
Déboute la SA France Télévisions de sa demande de constitution de garantie et de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la SA France Télévisions à payer à la SARL X Y la somme de 2000 € au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la SA France Télévisions aux entiers dépens de la présente instance.
La présente ordonnance est signée par Véronique LEBRETON, Première Présidente de Chambre et par Martine MASSÉ, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La greffière La présidente