Retenues sur salaire : 9 mars 2023 Cour d’appel de Versailles RG n° 20/01946

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Retenues sur salaire : 9 mars 2023 Cour d’appel de Versailles RG n° 20/01946

COUR D’APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80C

6e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 09 MARS 2023

N° RG 20/01946 –

N° Portalis DBV3-V-B7E-UBVX

AFFAIRE :

[L] [M]

C/

S.A.S.U. COLAS RAIL

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 21 Juillet 2020 par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de SAINT GERMAIN EN LAYE

N° Section : I

N° RG : F17/00355

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Hassna NAJEMI

Me Gildas LE FRIEC

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE NEUF MARS DEUX MILLE VINGT TROIS,

La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :

Monsieur [L] [M]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Représentant : Me Hassna NAJEMI, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS

APPELANT

****************

S.A.S.U. COLAS RAIL

N° SIRET : 632 049 128

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représentant : Me Gildas LE FRIEC de la SELARL LMC PARTENAIRES, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 220

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 13 janvier 2023 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Madame Isabelle CHABAL, Conseiller chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Catherine BOLTEAU-SERRE, Président,

Madame Valérie DE LARMINAT, Conseiller,

Madame Isabelle CHABAL, Conseiller,

Greffier en pré-affectattion lors des débats : Madame Domitille GOSSELIN,

La société Colas Rail, dont le siège social est situé [Adresse 1], dans le département des [Localité 3], est spécialisée dans la pose, le renouvellement et l’entretien des voies, la construction de tramway, l’électrification de réseaux, la signalisation des voies de transport ferroviaire, la fourniture de composants pour la construction des voies. Elle emploie plus de 10 salariés.

La convention collective applicable est celle des employés, techniciens et agents de maîtrise (ETAM) employés dans les entreprises de travaux publics du 12 juillet 2006.

M. [L] [M], né le 11 décembre 1974, a été engagé par la société Colas Rail selon contrat à durée indéterminée en date du 9 novembre 2011 à effet au 14 novembre 2011, en qualité d’agent de man’uvre, pour une rémunération brute de 1 800 euros par mois après validation de l’ensemble de ses formations, sur 13 mois.

Dans le cadre de ses fonctions, M. [M] devait notamment mettre en place, selon le planning prévu, l’ensemble du matériel ferroviaire (locomotives, wagons, rames) et en vérifier la sécurité et la conformité avant chaque départ. Il était amené à manoeuvrer les barrières de passage à niveau, autoriser les départs de convois et les accompagner.

Par courrier du 22 septembre 2016, la fédération générale CFTC des transports a indiqué à la société Colas Rail que M. [L] [M] était désigné en qualité de responsable d’une section syndicale.

Cette désignation a été annulée par jugement du tribunal d’instance de Saint Germain-en-Laye rendu le 30 novembre 2016.

Par courrier du 26 septembre 2016, M. [L] [M] a été convoqué à un entretien préalable au licenciement prévu le 4 octobre 2016, avec mise à pied à titre conservatoire.

Par courrier du 1er décembre 2016, la société Colas Rail a licencié M. [L] [M] pour faute grave dans les termes suivants :

‘Rappel des faits :

Vous êtes embauché dans notre entreprise depuis le 14 novembre 2011 en qualité d’agent de manoeuvre.

Le jeudi 22 septembre 2016, vous exerciez la tâche essentielle de sécurité d’agent de desserte sur le train 534063 à [Localité 6]. Au passage à niveau 7 (PN 7), après l’arrêt du train, vous étiez chargé de mettre en place les protections (banderoles) de part et d’autre du passage à niveau n°7 pour bloquer la circulation des véhicules au moment de l’arrivée du train. Il s’agit de plus du croisement avec une route départementale particulièrement fréquentée.

Or deux agents de l’infra SNCF, présents sur les lieux ont dû bloquer le train et effectuer la protection car vous n’aviez pas respecté l’ordre écrit qui stipulait de mettre en place des dispositifs de remplacement des barrières (banderoles). Ces mêmes agents vous ont précisé qu’une enquête était en cours, suite aux témoignages d’usagers qui avaient constaté que le train du matin (08h30) avait également franchi le PN7 sans dispositif de protection et par conséquent sans respecter les consignes élémentaires de sécurité alors que vous étiez également responsable de la protection de ce PN7 sur ce premier train.

Conformément à la procédure interne de sécurité, la cellule de sécurité ferroviaire de Colas Rail informée de la situation par la SNCF vous a aussitôt suspendu par mail du 22 septembre 2016 ainsi que le conducteur du train, M. [C] [X] afin de mener une enquête interne pour apporter des actions correctives immédiates. Vous avez tous les deux été reçus le 27 septembre 2016 pour un entretien, distinct de l’entretien préalable, afin d’analyser les faits et déterminer les causes de cet incident grave.

Lors de cet entretien avec la cellule sécurité ferroviaire et lors de votre entretien préalable, vous avez nié les faits et en avez minimisé la gravité.

Il s’avère que les faits reprochés ont été confirmés par des attestations des agents SNCF, par le chef de train Colas Rail lors de l’audition par la cellule sécurité ferroviaire et par des attestations des témoins qui étaient présents sur les lieux lors de l’incident. De plus, le relevé de la cassette ATESS atteste également que la consigne de sécurité n’a pas été assurée correctement par vous, compte tenu du temps d’arrêt du train (1 minute 24 secondes au lieu de 6 minutes minimum en temps normal) avant de passer le PN7.

Nous avons enfin reçu le 03 octobre 2016 un courrier de rappel de la SNCF relatant l’incident survenu au PN7 de [Localité 6] dont vous aviez la responsabilité.

Non seulement, vous avez nié les faits lors de ces entretiens, malgré les preuves à votre encontre, mais vous avez de plus envoyé un mail et un courrier à la direction de l’entreprise en maintenant votre position et en remettant clairement en sa cause la politique sécurité considérant que l’on s’acharnait contre vous.

Cet irrespect des consignes élémentaires de sécurité aurait pu avoir des conséquences dramatiques, comme nous le rappelle régulièrement la SNCF. En effet, si ses agents n’avaient pas pallié à votre négligence (sic) et n’étaient pas intervenus pour sécuriser le passage, des véhicules auraient pu traverser alors que le train arrivait, et un accident probablement mortel aurait pu survenir.

Cette faute est donc totalement inacceptable, d’autant plus, de la part d’un agent manoeuvre ayant 5 ans d’expérience, et ayant été formé aux procédures de sécurité des passages à niveau et notamment sur la CLO de [Localité 4] [Localité 6] comme en atteste votre carte B (spécification de l’aptitude professionelle) qui indique que vous aviez été habilité fin mars 2016.

De plus, cette faute caractérise la violation de votre obligation de sécurité à l’égard de vos collègues et des tiers édictée à l’article L. 4122-1 du code du travail, selon lequel « Conformément aux instructions qui lui sont données par l’employeur (…) il incombe à chaque travailleur de prendre soin, en fonction de formation et selon ses possibilités, de sa santé et de sa sécurité ainsi que de celles des autres personnes concernées par ses actes ou ses omissions au travail. »

La gravité des faits qui vous sont reprochés ne nous permet pas de maintenir notre relation contractuelle et nous amène donc à vous notifier votre licenciement pour faute grave. ».

Par requête du 22 novembre 2017, M. [L] [M] a saisi le conseil de prud’hommes de Saint-Germain-en-Laye aux fins de voir dire que son licenciement est nul et de voir condamner la société Colas Rail à lui payer diverses sommes salariales et indemnitaires.

La société Colas Rail concluait au débouté des demandes de M. [M] et sollicitait sa condamnation à lui verser la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Par jugement contradictoire rendu le 21 juillet 2020, la section Industrie du conseil de prud’hommes de Saint-Germain-en-Laye a :

– Dit que le licenciement de M. [L] [M] repose bien sur une faute grave,

– Dit que l’abattement de 10% est illicite,

Par conséquent,

– Condamné la société Colas Rail à verser à M. [L] [M] les sommes suivantes :

. 6 696 euros à titre de rappel de salaires sur l’abattement des 10%,

. 669,60 euros à titre de congés payés y afférents,

. 500 euros à titre de dommages et intérêts pour non-respect du temps de travail et du temps de pause,

. 300 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– Ordonné l’exécution provisoire totale du jugement en application de l’article 515 du code de procédure civile,

– Condamné la société Colas Rail à payer les intérêts de droit sur les salaires et éléments de salaire à compter du 27 novembre 2017, date de réception par le défendeur de la convocation à l’audience du bureau de conciliation et d’orientation et du prononcé pour le surplus,

– Débouté M. [L] [M] du surplus de ses demandes,

– Débouté la société de sa demande d’article 700 du code de procédure civile,

– Mis les éventuels dépens à la charge de la société Colas Rail y compris ceux afférents aux actes et procédure d’exécution éventuels.

M. [L] [M] a interjeté appel par déclaration du 18 septembre 2020.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 10 janvier 2023, M. [L] [M] demande à la cour :

– de déclarer M. [L] [M] recevable en son appel et bien fondé en ses demandes,

– de confirmer la condamnation de la société Colas Rail au titre du rappel de salaire pour abattement illicite des 10% et congés payés y afférents et dommages et intérêts au titre de non-respect du temps de travail et du temps de pause,

– de réformer le jugement en ce qu’il a limité le quantum des dommages et intérêts au titre du non-respect du temps de travail et du temps de pause et au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– d’infirmer le jugement du conseil de prud’hommes de Saint-Germain-en-Laye du 21 juillet 2020, en ce qu’il a débouté M. [L] [M] de ses autres demandes,

– de débouter la société en ce qu’elle a formé un appel incident aux fins d’infirmation de sa condamnation à 6 696 euros au titre de l’abattement illicite de 10% et 669,60 euros pour congés payés y afférents,

Statuant à nouveau :

– En conséquence de condamner la société Colas Rail à verser à M. [L] [M] les sommes suivantes :

. 20 000 euros à titre de dommages et intérêts pour nullité du licenciement à titre principal et pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse à titre subsidiaire,

. 6 669 euros au titre de l’abattement illicite de 10%,

. 669,60 euros au titre des congés payés y afférents,

. 2 325 euros au titre de l’indemnité conventionnelle de licenciement,

. 3 720 euros au titre de l’indemnité compensatrice de préavis,

. 372 euros au titre des congés payés y afférents,

. 3720 euros à titre de rappel de salaires pour mise à pied conservatoire abusive,

. 372 euros au titre des congés payés y afférents,

. 8 000 euros à titre de rappel d’heures supplémentaires,

. 800 euros au titre des congés payés y afférents,

. 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral,

. 1 260 euros à titre de rappel des congés payés,

. 11 200 euros à titre de dommages et intérêts pour travail dissimulé,

. 1 860 euros à titre de dommages et intérêts pour irrégularité de la procédure,

. 15 000 euros à titre d’exécution déloyale du contrat de travail,

. 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour non-respect du temps de travail et des temps de pause,

. 60 euros à titre de rappel pour prime de sécurité,

. 175 euros à titre de rappel de salaires du 26 au 27 septembre 2016,

. 496,45 euros à titre de rappel sur le retrait des cotisations sociales,

. 1 236,57 euros à titre de régularisation de la subrogation,

. 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Par conclusions n°2 adressées par voie électronique le 3 janvier 2023, la société Colas Rail demande à la cour de :

– juger la société Colas Rail recevable en son action et bien fondée en ses demandes,

– infirmer le jugement en ce que le conseil a jugé l’abattement des 10% illicite et condamné la société Colas Rail à verser les sommes de :

. Rappel de salaire sur abattement de 10% : 6 696 euros,

. Indemnité de congés payés afférente : 669,60 euros,

– Débouter en conséquence M. [L] [M] de ses demandes,

– Confirmer le jugement pour le surplus,

– Condamner M. [L] [M] à verser la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– Condamner M. [L] [M] aux entiers dépens.

Par ordonnance rendue le 11 janvier 2023, le magistrat de la mise en état a ordonné la clôture de l’instruction et a fixé la date des plaidoiries au 13 janvier 2023.

En application de l’article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties pour plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.

MOTIFS DE L’ARRET

Sur l’exécution déloyale du contrat de travail

M. [M] soutient que l’employeur a exécuté de manière déloyale son contrat de travail, réclamant sur ce fondement, d’une part la nullité de son licenciement et d’autre part des dommages et intérêts.

1 – sur l’application de l’abattement de 10 %

M. [M] fait valoir que la déduction forfaitaire spécifique de 10 % appliquée par l’employeur concernant les frais professionnels déductibles pour le calcul des cotisations de sécurité sociale ne pouvait être réalisée qu’en vertu d’une convention ou d’un accord collectif, de l’accord du comité d’entreprise ou de l’accord du salarié à défaut ; qu’en l’espèce, son contrat de travail ne fait état d’aucun accord collectif et il n’a signé aucun avenant pour l’application de l’abattement de 10 % ; que l’accord SECO RAIL invoqué par l’employeur lui est inopposable ; que la société a d’ailleurs cessé cette pratique en mai 2018 suite aux contestations des syndicats ; que cette situation lui est préjudiciable car elle a une incidence négative sur son salaire et ses droits sociaux.

La société Colas Rail réplique qu’elle a respecté ses obligations dans la mise en oeuvre de ce dispositif, qui permet au salarié de percevoir un salaire net plus élevé, puisque le comité central d’entreprise avait donné son accord le 12 décembre 2003 ; que cet accord n’ayant pas été dénoncé par les représentants du personnel, il a continué à s’appliquer sans discontinuer. Elle fait valoir qu’elle n’a cessé de pratiquer cet abattement à partir de mai 2018 que parce qu’elle a appliqué pour l’activité fret la convention collective ferroviaire.

L’article 9 de l’arrêté du 20 décembre 2002 relatif aux frais professionnels déductibles pour le calcul des cotisations sociales prévoit que :

« Les professions, prévues à l’article 5 de l’annexe IV du code général des impôts dans sa rédaction en vigueur au 31 décembre 2000, qui comportent des frais dont le montant est notoirement supérieur à celui résultant du dispositif prévu aux articles précédents peuvent bénéficier d’une déduction forfaitaire spécifique. Cette déduction est, dans la limite de 7 600 euros par année civile, calculée selon les taux prévus à l’article 5 de l’annexe IV du code précité.

L’employeur peut opter pour la déduction forfaitaire spécifique lorsqu’une convention ou un accord collectif du travail l’a explicitement prévu ou lorsque le comité d’entreprise ou les délégués du personnel ont donné leur accord.

A défaut, il appartient à chaque salarié d’accepter ou non cette option. Celle-ci peut alors figurer soit dans le contrat de travail ou un avenant au contrat de travail, soit faire l’objet d’une procédure mise en oeuvre par l’employeur consistant à informer chaque salarié individuellement par lettre recommandée avec accusé de réception de ce dispositif et de ses conséquences sur la validation de ses droits, accompagné d’un coupon-réponse d’accord ou de refus à retourner par le salarié. Lorsque le travailleur salarié ou assimilé ne répond pas à cette consultation, son silence vaut accord définitif. (…) ».

Un abattement de 10 % peut ainsi bénéficier aux ouvriers du bâtiment qui ne travaillent pas dans des usines ou ateliers ou aux ETAM non sédentaires occupés par des entreprises de travaux publics.

En l’espèce, la société Colas Rail produit le procès-verbal de la réunion du 12 décembre 2003 du comité central d’entreprise de la société Seco Rail qui a donné son accord pour la poursuite de l’abattement forfaitaire dans l’entreprise, pour l’année 2003 et les années suivantes (pièce 6 de l’intimée) et justifie par l’accord de substitution et d’harmonisation du 21 mars 2008 que la société Colas Rail (ex Spie Rail) a été absorbée par Seco-Rail, immédiatement renommée Colas Rail (pièce 26 de l’intimée).

L’accord du 12 décembre 2003 est inopposable à M. [M], qui a été engagé par la société Colas Rail en 2011.

La société Colas Rail ne justifie pas de l’existence en son sein d’une convention ou d’un accord collectif ou d’un accord du comité d’entreprise ou des délégués du personnel sur la déduction forfaitaire pour frais professionnels, ce point n’ayant pas été traité dans l’accord de substitution du 21 mars 2008.

Cette déduction forfaitaire n’est pas mentionnée dans le contrat de travail de M. [M] et il n’est pas justifié que le salarié a été informé de sa mise en oeuvre et qu’il a accepté cette option.

En conséquence, c’est à juste titre que le conseil de prud’hommes a condamné la société Colas Rail à payer à M. [M] les sommes de 6 696 euros à titre de rappel de salaire sur l’abattement des 10 % et de 669,60 euros au titre des congés payés afférents. La décision sera confirmée de ce chef.

2 – sur le non-respect du temps de travail et du temps de pause

M. [M] fait valoir que son employeur n’a respecté aucune de ses obligations en lui imposant un rythme de travail insupportable et ce sans pause. Il expose que l’inspection du travail a pu constater ce fait du 5 au 20 avril 2016 et que ses conditions de travail précaires l’ont conduit à exercer ses fonctions dans un état de fatigue mentale et physique. Il demande une réévaluation des dommages et intérêts alloués par le conseil de prud’hommes à ce titre et le paiement d’un rappel de salaires au titre des heures supplémentaires effectuées.

La société Colas Rail précise qu’il n’était pas toujours possible d’intégrer dans le bulletin de salaire du mois les heures supplémentaires travaillées en fin de mois, qui étaient payées le mois suivant et souligne l’incohérence de la demande de 8 000 euros avec le décompte qui s’élève à 3 108,39 euros.

* sur la demande de dommages et intérêts

Il ressort des articles L. 3121-18 et L. 3121-20 du code du travail que les durées maximales de travail sont en principe de 10 heures par jour et 48 heures par semaine.

L’article L. 3132-1 du code du travail prévoit que « il est interdit de faire travailler un même salarié plus de six jours par semaine. »

Il ressort encore des articles L. 3131-1 et L. 3132-2 que le repos quotidien doit d’être en principe d’une durée minimale de 11 heures consécutives et d’une durée hebdomadaire de 24 heures consécutives.

Il ressort du rapport de l’inspection du travail du 3 avril 2017 que M. [M] « a été amené à travailler sans discontinuer (du) 5 au 20 avril 2016 soit au total 16 jours de travail, avec une validation de la hiérarchie ! » (pièce 18 de l’appelant).

La société Colas Rail n’ayant pas ainsi respecté la durée du travail et des temps de pause, la décision de première instance qui l’a condamnée à payer la somme de 500 euros à M. [M], qui apparaît proportionnée à la période de dépassement considérée, sera confirmée.

* sur la demande formée au titre des heures supplémentaires

Selon l’article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l’ensemble de ces éléments au regard des exigences légales ainsi rappelées. Après analyse des pièces produites par l’une et l’autre des parties, dans l’hypothèse où il retient l’existence d’heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l’importance de celles-ci et fixe les créances salariales s’y rapportant.

Au soutien de sa demande de rappel de salaire, M. [M] produit en pièces 35 et 37 des tableaux recensant les heures dues.

Le salarié fournit ainsi des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments.

La société Colas Rail répond sur chacune des périodes considérées, qu’il convient d’examiner.

– pour le mois de décembre 2014 :

M. [M] fait valoir que 59 heures travaillées ne lui ont pas été payées malgré l’avis favorable de l’employeur et que la majoration du samedi 27 décembre 2014 ne figure pas sur sa fiche de paye. L’employeur lui a répondu le 17 février 2015 notamment que « les pointages des 16-22-24-27-30-31 ont été régularisés le 22 janvier » . Son tableau ne réclame que le paiement des 5 heures travaillées le samedi 27 décembre 2014, qui ont été payées en janvier 2015 (pièce 38 de l’intimée). Aucune somme n’est donc due au titre de ce mois.

– pour le mois d’octobre 2015 :

M. [M] fait valoir en premier lieu qu’il s’est rendu disponible pour son employeur le samedi 10 octobre 2015 en prenant la route tandis que la société avait omis de l’alerter en temps utile de l’annulation d’un train.

La société Colas Rail répond que M. [M] a été prévenu de l’annulation du train dont il devait assurer l’acheminement à 6 heures, soit avant son départ, de sorte qu’il ne peut être payé pour une journée qu’il n’a pas travaillée.

Il ressort du bulletin d’activité de la journée du 10 octobre 2015 que si M. [M] indique qu’il a pris son service à 8h30 et a fini à 13 h, il mentionne « train annulé, j’étais prévenu par le PC ce matin samedi 10 octobre 2015 à 6h ». Ayant été prévenu avant son service de l’annulation du train, il ne peut percevoir une rémunération au titre de cette journée.

M. [M] fait valoir en second lieu que le compteur mensuel capitalise 218 heures pour le mois d’octobre 2015 et qu’il a donc travaillé 63,3 heures supplémentaires au delà des 40 heures hebdomadaires, qui n’ont été rémunérées que pour 4 heures.

La société Colas Rail répond que M. [M] ne peut obtenir que la rémunération des heures qui dépassent les 40 heures hebdomadaires et qu’il n’est pas fondé à demander le paiement de la différence entre les heures mensuelles et hebdomadaires ; qu’en outre il ne déduit pas les 4 heures qui lui ont été payées.

L’accord collectif du 21 mars 2008 (pièce 26 de l’intimée) opère une distinction entre les heures travaillées au delà de 40 heures hebdomadaires, qui sont payées dans le mois d’exécution avec une majoration de 50 %, les heures supplémentaires qui sont payées en fin de période annuelle au delà de 1 607 heures avec une majoration de 25 % et les heures complémentaires.

En conséquence, M. [M] n’est pas fondé à réclamer le paiement de la différence entre les heures mensuelles et hebdomadaires effectuées.

– pour le mois de novembre 2015 :

M. [M] fait valoir qu’il a travaillé sans discontinuer du 23 novembre au 30 novembre, qu’il a travaillé le 7 novembre sans être payé et qu’il capitalise 14,5 heures hebdomadaires qui n’ont pas été régularisées.

Ainsi que le fait remarquer l’employeur, le paiement du samedi 7 novembre apparaît sur la fiche de paye du mois de novembre et celui des samedi 28 (4 heures) et dimanche 29 novembre (7 heures) sur le bulletin de paye du mois de décembre 2015 (pièce 29 de l’intimé).

Aucune somme n’est donc due pour ce mois.

– pour le mois de décembre 2015 :

M. [M] fait valoir que la société omet de comptabiliser le samedi et le dimanche dans le calcul des heures hebdomadaires alors que selon lui, en application de l’accord de substitution et d’harmonisation de la société, les heures travaillées au-delà de 40 heures hebdomadaires et les heures travaillées en fin de semaine peuvent se cumuler. Il ajoute que ledit accord lui est inopposable dès lors qu’il ne l’a pas accepté. Il estime qu’il manque 4 heures au titre du travail de nuit et 8 heures au titre des heures supplémentaires et qu’au surplus, les majorations n’ont pas été payées dans le mois.

La société Colas Rail expose que M. [M] a été payé de l’intégralité des heures effectuées et souligne que l’accord conclu avec les syndicats a été porté à la connaissance du salarié, qui l’oppose lui-même à son employeur, ce qui est peu cohérent.

L’accord collectif du 21 mars 2008 conclu entre la société Colas Rail et les organisations syndicales s’applique à M. [M] sans qu’il soit nécessaire de recueillir son accord. Il invoque d’ailleurs lui-même le bénéfice de ses dispositions.

L’accord prévoit en page 7, dans un paragraphe distinct de celui qui concerne les heures travaillées au delà de 40 heures hebdomadaires, la majoration des heures travaillées en fin de semaine, à raison de 50 % pour le samedi et de 100 % pour le dimanche.

Il résulte de son propre décompte que M. [M] n’a pas travaillé le samedi 12 décembre 2015 et qu’il n’a pas fait d’heures de nuit en décembre 2015.

Il a travaillé 8 heures le dimanche 13 décembre qui lui ont été payées à 100 % en décembre 2015. Les 2 heures restantes sur les 10 heures accomplies au delà des 40 heures hebdomadaires ont également été rémunérées en décembre 2015.

Aucune somme n’est donc due au titre du mois de décembre 2015.

– pour le mois d’avril 2016 :

M. [M] prétend qu’il n’a été payé que 7 heures au lieu de 15 heures et que les heures de nuit n’ont pas été réglées, soit 28 heures.

La société Colas Rail réplique que les 15 heures réclamées ont été payées sur le bulletin de paye d’avril 2016.

Il ressort du bulletin de salaire du mois d’avril 2016 que M. [M] a été payé des samedi 16 avril (7 heures) et dimanche 17 avril (8 heures) qui ont été travaillés, soit pour 15 heures, outre 7 heures supplémentaires annuelles et le samedi 2 avril. Ses heures de nuit ont été également payées.

Aucune somme n’est donc due pour le mois d’avril 2016.

M. [M] sera en conséquence débouté de sa demande en paiement d’heures supplémentaires et de congés payés afférents, ainsi que de dommages et intérêts pour travail dissimulé à cet égard, par confirmation de la décision entreprise.

3 – sur le non-respect du compte de pénibilité

M. [M] fait valoir que son employeur n’a pas alimenté son compte de pénibilité alors qu’il aurait dû capitaliser 8 points par an du fait qu’il exerçait ses fonctions à l’extérieur, la nuit, en étant exposé au bruit et à la pollution ; que ce manquement a une incidence préjudiciable sur ses droits et notamment sa retraite et constitue une exécution déloyale du contrat de travail qui lui cause un préjudice moral intense, ce qui motive sa demande de dommages et intérêts.

La société Colas Rail répond que M. [M] ne justifie pas dépasser le seuil de 120 nuits de travail de nuit par an, de sorte qu’il n’a acquis aucun point au titre du compte professionnel de prévention.

Aux termes des articles L. 4163-1 et R. 4163-1 du code du travail, l’employeur déclare à la Caisse nationale de l’assurance maladie les facteurs de risques professionnels auxquels sont exposés les travailleurs au-delà de certains seuils, ce qui permet à ces derniers d’acquérir des droits au titre d’un compte professionnel de prévention.

Les seuils sont prévus par l’article D. 4163-2 du code du travail. M. [M] justifie que son compte professionnel de prévention ne comporte aucun point (pièce 36). Toutefois il n’est pas démontré qu’il travaillait dans les conditions prévues par l’article D. 4163-2, dans un environnement physique agressif ou en dépassant les seuils prévus au titre de certains rythmes de travail, notamment celui de 120 nuits de travail par an.

Il ne peut en conséquence valablement soutenir que son employeur a manqué à son obligation d’exécution loyale du contrat de travail en n’alimentant pas son compte professionnel de prévention.

4 – sur le rappel de congés payés

M. [M] soutient que la société opère un calcul des congés payés très défavorable en procédant à des déductions arbitraires de 42 heures par semaine qui ne respectent pas la base contractuelle de 35 heures, ce qui a été constaté par l’inspection du travail ; qu’elle opère des calculs étranges, tel un retrait de 35 heures au lieu de 28 heures pour 4 jours de congés en avril 2016. Il demande le paiement de 7 heures sur chaque congé payé pendant 3 ans, outre des dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail et travail dissimulé.

La société Colas Rail répond que l’appelant produit un courrier de l’inspection du travail sans pour autant justifier qu’il serait concerné par ce qu’il dénonce. Elle explique que la CNETP rémunère les congés payés en jours ouvrables, y compris les samedis et que les déductions qu’elle opère sont équivalentes aux maintiens de salaires par la CNETP pour les congés payés, sans anomalie. Elle explique également le mode de calcul des jours de congés payés pris. Elle souligne que M. [M] ne présente pas une demande de rappel de salaire pour les 7 heures qui lui ont été retirées mais présente une demande forfaitaire qui est passée, sans explications, de 9 566 euros en première instance à 1 260 euros en cause d’appel.

L’article L. 3141-3 du code du travail dispose que « Le salarié a droit à un congé de deux jours et demi ouvrables par mois de travail effectif chez le même employeur. La durée totale du congé exigible ne peut excéder trente jours ouvrables. »

Les jours ouvrables comprennent le samedi. L’employeur peut choisir de décompter les congés payés en jours ouvrés, ne comprenant pas le samedi, de sorte que les congés payés annuels sont de 25 jours ouvrés, si cela ne lèse pas le salarié.

Le contrat de travail de M. [M] prévoit une durée hebdomadaire de travail de 35 heures.

Le rapport de l’inspection du travail du 3 avril 2017 mentionne en pages 6 et 7 que le sujet des congés payés n’a pu être abordé lors de sa venue mais que certains salariés ont soulevé une problématique relative aux règles de déduction d’heures de travail mises en oeuvre par l’entreprise (pièce 18 de l’appelant). Il expose que pour une semaine de congés payés de 6 jours ouvrables, l’entreprise déduit 42 heures de congés payés alors qu’elle devrait déduire 35 heures sur la base du contrat de travail ou le nombre d’heures correspondant aux heures de la programmation de la modulation (donc 42 heures retirées si le salarié a travaillé 42 heures sur une semaine « haute »).

Il indique que le code du travail n’apporte pas de précisions mais que la jurisprudence va dans le sens qu’il expose, que la déduction opérée par la société peut entraîner un préjudice pour le salarié et qu’il y a lieu de la distinguer du paiement opéré par la caisse de congés payés qui règle 30 jours de congés annuels par an sans tenir compte des déductions opérées par l’entreprise. L’inspection du travail a en conséquence invité la société Colas Rail à vérifier les règles de déduction des congés payés qu’elle applique au sein de l’agence Fret et à régulariser le nombre d’heures déduites aux salariés concernés.

Or la société Colas Rail démontre que quel que soit le mode d’indemnisation des congés retenu (maintien du salaire au 25ème ou 10ème de congés payés), ses modalités de calcul reviennent à opérer une retenue sur salaire au titre des congés payés d’un montant équivalent à la somme qui est versée par la CNETP, de sorte que le salarié n’est pas lésé.

Par ailleurs, les congés pris par M. [M] du lundi 23 février 2015 au samedi 14 mars 2015 correspondent à 18 jours ouvrables à déduire, samedis compris, comme l’a fait l’entreprise, et non à 17 jours comme le prétend M. [M]. De même, les congés pris par le salarié du mardi 26 avril au samedi 30 avril 2016 correspondent à 4 jours ouvrés mais à 5 jours ouvrables, justement déduits par la société Colas Rail pour 35 heures.

M. [M] doit en conséquence être débouté de sa demande, par confirmation de la décision entreprise.

5 – sur le rappel de salaires

– sur la demande relative aux salaires des 26 et 27 septembre 2015

M. [M] fait valoir qu’il a eu un entretien avec son employeur le 27 septembre 2015 mais qu’il n’a pas été rémunéré pour cette journée ; qu’à l’issue de cet entretien un courrier daté du 26 septembre 2015 lui a été remis prévoyant une convocation à un entretien préalable à une éventuelle mesure de licenciement avec mise à pied conservatoire et qu’il n’a pas non plus été payé pour la journée du 26 septembre.

M. [M] a été suspendu le 22 septembre 2016 le temps qu’une enquête sur l’incident survenu soit réalisée. Il a été mis à pied à titre conservatoire avec effet immédiat par un courrier du 26 septembre 2016 qui ne lui a été remis en main propre qu’à l’issue de l’entretien qui s’est déroulé le lendemain. Les salaires des 26 et 27 septembre 2016 lui sont en conséquence dus.

La décision de première instance sera infirmée en ce qu’elle a rejeté la demande de M. [M] et la somme de 175 euros sera allouée à ce dernier.

– sur le retrait arbitraire des cotisations sociales sur le bulletin de paye de décembre 2015

M. [M] soutient que la retenue de 496,45 euros était injustifiée puisqu’il a été licencié le 1er décembre et que la majoration des cotisations est infondée.

La société Colas Rail réplique que même s’il n’a été salarié qu’un seul jour, il a perçu son 13ème mois en décembre 2016.

Il ressort du bulletin de paye de décembre 2015 de M. [M] que si son salaire mensuel de 1 860 euros a fait l’objet d’une retenue de 1 775,45 euros, il a perçu un 13ème mois de 1 709,77 euros et 515,04 euros de paiement de jours de RTT, de sorte qu’il y avait lieu de déduire des cotisations sociales sur ces sommes.

La demande sera rejetée, par confirmation de la décision entreprise.

– sur l’absence de prime de sécurité de 60 euros

M. [M] réclame cette prime perçue annuellement.

Ainsi que le souligne l’intimée, M. [M] ne démontre pas qu’il avait droit à cette prime, qu’il n’a jamais reçue selon les bulletins de salaire qu’il verse au débat, ni qu’il s’agit d’un élément de salaire général, déterminé et régulier auquel il pourrait prétendre.

Il sera en conséquence débouté de sa demande, par confirmation de la décision entreprise.

6 – sur la régularisation au titre de la subrogation

M. [M] expose que suite à la reconnaissance de sa maladie professionnelle, la CPAM a versé à la société la somme de 1 236,57 euros net concernant la période du 4 mai 2016 au 20 juillet 2016 ; que suite à son licenciement, il aurait dû percevoir cette somme. Il souligne qu’il a dû rembourser un indu à l’organisme de prévoyance du fait de la modification de son régime d’invalidité en maladie professionnelle.

La société Colas Rail explique qu’elle a perçu directement les indemnités journalières de la sécurité sociale et a maintenu l’intégralité du salaire de M. [M] durant son arrêt maladie ; que comme le montant des indemnités journalières a ultérieurement été revu à la hausse, elle a récupéré le trop perçu versé au titre du maintien de salaire de mai à juillet 2016, de sorte qu’en réalité, M. [M] reste devoir la somme de 69,81 euros.

Comme le fait remarquer la société Colas Rail, le remboursement d’un indu au titre de la pension d’invalidité de M. [M] est sans rapport avec la subrogation de l’employeur en matière d’indemnités journalières de la sécurité sociale (pièce 48 de l’appelant).

Il ressort des avis de PRO-BTP et des bulletins de salaire de M. [M] versés au débat par la société Colas Rail (pièce 39) qu’il a été demandé à la société en juin 2017 de rembourser des indemnités journalières versées à tort, lesquelles ont été déduites sur des fiches de paye de juillet et décembre 2017.

La société Colas Rail a perçu le 4 mars 2019 une somme de 1 236,57 euros de la CPAM de Rouen. M. [M] a réclamé paiement de cette somme par courrier du 15 avril 2019 (pièce 41 de l’appelant) et la société Colas Rail a versé cette somme, déduction faite des trop perçus, sur le bulletin de paye d’octobre 2019.

Aucune somme n’étant plus due, M. [M] sera débouté de sa demande, par confirmation de la décision entreprise.

7 – sur le travail dissimulé

M. [M] soutient que l’infraction de travail dissimulé est caractérisée par la pratique illégale de l’abattement de 10 %, l’absence de paiement de nombreuses heures supplémentaires et le retrait arbitraire sur les congés payés.

La société Colas Rail réplique que M. [M] ne démontre pas la dissimulation de quoi que ce soit ni une intention de la société de se soustraire à l’une de ses obligations.

L’article L. 8221-1 du code du travail prohibe le travail totalement ou partiellement dissimulé défini par l’article L. 8221-3 du même code relatif à la dissimulation d’activité ou exercé dans les conditions de l’article L. 8221-5 du même code relatif à la dissimulation d’emploi salarié.

Aux termes de l’article L. 8223-1 du code du travail, le salarié auquel l’employeur a recours dans les conditions de l’article L. 8221-3 ou en commettant les faits prévus à l’article L. 8221-5 du même code relatifs au travail dissimulé a droit, en cas de rupture de la relation de travail, à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire.

L’article L. 8221-5, 2° du code du travail dispose notamment qu’est réputé travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié le fait pour un employeur de mentionner sur les bulletins de paie un nombre d’heures de travail inférieur à celui réellement accompli.

Toutefois, la dissimulation d’emploi salarié prévue par ces textes n’est caractérisée que s’il est établi que l’employeur a agi de manière intentionnelle.

En l’espèce, les demandes formées au titre des heures supplémentaires et des congés payés ne sont pas fondées. Si la société Colas Rail n’a pas recueilli l’accord de M. [M] sur l’abattement de 10 %, il n’est pas pour autant démontré qu’elle a eu l’intention de dissimuler l’activité réelle exercée par le salarié, de sorte que ce dernier doit être débouté de sa demande de dommages et intérêts, par confirmation de la décision entreprise.

8 – sur la demande de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail

M. [M] demande dans le dispositif de ses conclusions une somme de 15 000 euros à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail, en plus des sommes qu’il demande pour chaque manquement de l’employeur invoqué à cet égard.

Ayant été débouté de la plupart de ses demandes et indemnisé pour les postes qui le justifiaient, il n’y a pas lieu de lui allouer une indemnisation complémentaire. Il sera en conséquence débouté de sa demande, par confirmation de la décision entreprise.

Par ailleurs, la nullité du licenciement ne peut être prononcée à raison de manquements graves commis par la société Colas Rail dans l’exécution du contrat de travail.

Sur la nullité du licenciement

1 – sur la mesure de rétorsion

M. [M], invoquant les dispositions des articles L. 1132-1 à L. 1132-4 du code du travail et la jurisprudence relative aux lanceurs d’alerte, soutient en premier lieu que son licenciement procède en réalité d’une mesure de représailles dès lors qu’il fait directement suite à ses courriers de dénonciation des conditions de travail et de son harcèlement moral à la direction, à la médecine du travail, à l’inspection du travail et aux syndicats.

Il relate que la société avait tenté de se séparer de lui en lui proposant début septembre 2016 une rupture conventionnelle avec une indemnité de 15 000 euros, qu’il a refusée ; que d’autres salariés ayant commis des fautes plus graves n’ont pas été licenciés ; qu’il avait cinq années de bons et loyaux services, sans sanction disciplinaire, et était apprécié ; qu’il percevait chaque année une prime de sécurité en reconnaissance de ses compétences et de sa rigueur. Il expose que, particulièrement engagé dans la défense des intérêts des salariés depuis plusieurs années, il avait déjà fait l’objet de mesures de représailles en riposte à ses courriers de dénonciation des conditions de travail déplorables ; que ses relations avec la société se sont considérablement détériorées lorsqu’il a fait savoir qu’il entendait officialiser ses fonctions syndicales pour poursuivre la défense des salariés au sein de la société. Il souligne ainsi que c’est au lendemain de sa désignation en qualité de responsable de la section syndicale CFTC que la société a demandé l’autorisation de licenciement à l’inspection du travail, tout en contestant son mandat devant le tribunal d’instance de Saint-Germain-en-Laye.

La société Colas Rail répond que le licenciement n’a pas été prononcé en raison du fait que le salarié a averti de l’existence d’un délit ou un crime dont il aurait été alerté dans l’exercice de ses fonctions et qu’il ne peut invoquer les dispositions concernant les lanceurs d’alerte.

Il résulte des articles L. 1132-1 à L. 1132-4 du code du travail qu’aucune personne ne peut être licenciée notamment en raison d’une discrimination liée à ses opinions politiques ou à ses activités syndicales ou pour avoir relaté ou témoigné, de bonne foi, de faits constitutifs d’un délit ou d’un crime dont il aurait eu connaissance dans l’exercice de ses fonctions (cas du lanceur d’alerte).

En raison de l’atteinte qu’il porte à la liberté d’expression, en particulier au droit pour les salariés de signaler les conduites ou actes illicites constatés par eux sur leur lieu de travail, le licenciement d’un salarié prononcé pour avoir relaté ou témoigné, de bonne foi, de faits dont il a eu connaissance dans l’exercice de ses fonctions et qui, s’ils étaient établis, seraient de nature à caractériser des infractions pénales, est frappé de nullité (Cass. Soc., 30 juin 2016, n°15-10.557).

En l’espèce, le licenciement n’est pas motivé par le fait que M. [M] a relaté ou témoigné de faits constitutifs d’un délit ou d’un crime dont il aurait eu connaissance dans l’exercice de ses fonctions mais par une faute du salarié.

Pour justifier qu’il avait déjà fait l’objet de mesures de représailles en riposte à ses courriers de dénoncations des conditions de travail, M. [M] produit une pétition syndicale datée du 4 décembre 2012 qui ne le désigne pas et qu’il ne justifie pas avoir signée (pièce 21) et ne verse pas au débat le courriel du 30 septembre 2015 dénonçant un climat de harcèlement moral censé l’accompagner. Il produit un courriel de revendications qu’il a adressé à M. [Z] le 4 février 2015 et un courriel du 18 mars 2016 par lequel il demande d’ajouter deux points à un courriel de revendications (pièce 5). Si certains salariés attestent que M. [M] avait de mauvaises relations avec M. [Z] et qu’il a subi des pressions et du harcèlement de la part de ce dernier, un refus de formation et une absence d’augmentation de salaire (pièces 12, 27 et 38 de l’appelant), ces faits ne sont pas datés et le lien de causalité avec le licenciement n’est pas avéré.

M. [M] a adressé un courriel à son supérieur hiérarchique, M. [Z], le 19 juillet 2016, contestant que la période située entre la fin de son arrêt maladie le 20 juillet 2016 et la visite de reprise chez le médecin du travail le 27 juillet 2016 soit prise en compte au titre des jours annualisés. Il s’est plaint d’être tombé en dépression nerveuse en raison de l’acharnement dont il fait l’objet, notamment au sujet de ses dates de congés, d’être victime d’une inégalité de traitement par rapport à ses collègues et d’une injustice (pièce 43 de l’appelant).

Le 27 juillet 2016, il a adressé un courrier à la société Colas Rail ayant pour objet « harcèlement moral et non-respect du code du travail », alertant sur les problèmes récurrents qu’il rencontre avec M. [Z] au sujet des rythmes de travail, de l’absence de validation de tous ses jours travaillés et d’augmentation de salaire, du refus de ses jours de congés. Il dénonçait du favoritisme, l’absence de respect des règles de sécurité, un manque de reconnaissance et des intimidations pour obtenir des rendements. Il relatait qu’il avait fini par tomber en dépression nerveuse le 3 mai 2016 à cause de l’acharnement de son responsable à son égard et qu’il est suivi par un psychologue (pièce 3).

A la suite de ce courrier, il a été reçu par la direction le 5 septembre 2016. Il ressort du compte-rendu d’entretien établi par M. [U], représentant syndical qui l’a accompagné, que M. [M] a exposé ses griefs et que la direction devait rencontrer M. [Z] (pièce 10 de l’appelant). M. [U] indique dans une attestation datée du 6 septembre 2016 qu’après l’entretien, le responsable des ressources humaines lui a déclaré son souhait de conclure une rupture conventionnelle à hauteur de 15 000 euros ; qu’il a transmis cette proposition à M. [M], qui l’a refusée (pièce 25 de l’appelant).

Le licenciement est intervenu le 1er décembre 2016 à la suite de faits survenus le 22 septembre 2016.

Il ressort de l’ensemble de ces éléments que le salarié n’a pas été licencié de manière concomittante à ses courriers de dénonciation de ses conditions de travail et de faits de harcèlement moral mais plusieurs semaines après, à raison d’une faute.

Il ne peut donc être retenu que le licenciement constitue une violation de la liberté d’expression du salarié ou une mesure de rétorsion à la suite de la dénonciation de faits par le salarié et qu’il encourt de ce fait la nullité.

2 – sur le harcèlement moral

M. [M] soutient en second lieu que son licenciement est nul pour manquement de l’employeur à son obligation de sécurité dès lors qu’il a été victime de harcèlement moral sur son lieu de travail. Il souligne que les problématiques de harcèlement moral existent depuis plusieurs années au sein de la société, ainsi que l’a relevé l’inspection du travail, et que sa maladie professionnelle a été reconnue comme en lien avec un harcèlement au travail.

La société Colas Rail réplique que l’employeur, dans le cadre de l’exercice de son pouvoir de direction, est en droit de formuler des critiques, sous réserve qu’elles soient exemptes de propos irrespectueux, insultants ou vexatoires, sans que cela constitue un harcèlement moral ; que les conflits, désaccords et tensions ne sont pas pour autant des agissements de harcèlement. Elle estime que M. [M] ne rapporte pas la preuve des manquements qu’il dénonce.

En application des dispositions de l’article L. 1152-1 du code du travail, « aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. »

Le harcèlement moral se caractérise par la conjonction et la répétition de faits, qui peuvent se dérouler sur une brève période, dont est l’objet un salarié qui subit à titre personnel une dégradation de ses conditions de travail.

Il peut s’agir de mesures vexatoires qui ne peuvent être justifiées par l’exercice du pouvoir de direction de l’employeur.

Aux termes de l’article L. 1154-1 du même code, « Lorsque survient un litige relatif à l’application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 […], le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. »

Pour se prononcer sur l’existence d’un harcèlement moral, il y a lieu d’examiner l’ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d’apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l’existence d’un harcèlement moral au sens de l’article L. 1152-1 du code du travail. Dans l’affirmative, il y a lieu d’apprécier si l’employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

M. [M] invoque les faits suivants :

– des pressions et des remontrances.

Il produit des attestations de ses collègues de travail qui relatent qu’il subissait des pressions de la part de M. [Z].

– un temps de travail excessif devenu insoutenable.

S’il est établi que M. [M] a travaillé sans discontinuer du 5 au 20 avril 2016, cet épisode apparaît isolé de sorte qu’il n’est pas établi que M. [M] a connu un temps de travail excessif et par conséquent insoutenable de manière habituelle.

– le retard dans le paiement des heures travaillées.

Le fait n’est pas établi dès lors que les heures étaient payées dans le mois, sauf celles réalisées en fin de mois, qui étaient réglées le mois suivant.

– le refus de formation.

M. [M] ne développe pas ce point mais il ressort des pièces versées au débat qu’il n’a pas pu accéder à une formation de conducteur de train à plusieurs reprises (attestation de M. [A] – pièce 26 de l’appelant).

– le refus des demandes de congés.

Dans son courrier du 27 juillet 2016, M. [M] s’est plaint des refus fréquents par M. [Z] de ses demandes de congés, soulignant qu’il doit souvent refaire ses demandes avant qu’elles soient acceptées, tardivement, ce qui engendre pour lui des coûts plus élevés pour ses billets de transport.

Or, il ressort de son courriel du 19 juillet 2016 à M. [Z] qu’alors qu’il était en arrêt maladie, il a eu l’accord de M. [Z] le 7 juin 2016 pour des congés débutant le 8 août. Le problème était plutôt l’absence de transmission de l’accord sur les congés dans les temps pour que M. [M] puisse percevoir les sommes correspondantes. Ces congés ont bien été payés sur le salaire d’août 2016.

Le fait n’est donc pas établi.

– la lente augmentation de salaire.

Embauché en 2011 pour un salaire brut mensuel de 1 800 euros, M. [M] ne percevait en décembre 2016 qu’un salaire brut mensuel de 1 860 euros, suite à une intervention des syndicats. Le fait est donc établi.

– une exécution déloyale du contrat de travail selon les faits invoqués plus avant.

Seuls sont établis l’application sans son accord d’un abattament de 10 % et le non-respect du temps de travail et de pause sur la période du 5 au 20 avril 2016.

– les graves manquements de la société constatés par l’inspection du travail.

L’inspection du travail, dans son rapport du 3 avril 2017, a relevé des dépassements des durées maximales de travail journalier et hebdomadaire pour plusieurs salariés dont M. [M] en avril 2016, et des manquements sur la prise et le suivi des temps de pause et sur la déduction des congés payés.

– l’incidence néfaste et durable sur son état de santé.

M. [M] expose que les manquements graves de la société l’ont conduit à une longue dépression nerveuse et qu’il a subi un violent choc et un malaise le 3 mai 2016 en apprenant que ses heures de travail ne seraient pas totalement réglées dans les temps alors qu’il venait de travailler sans discontinuer du 5 au 20 avril 2016 ; qu’il se trouve en arrêt de travail du fait d’une souffrance au travail et qu’une maladie professionnelle a été reconnue du fait du harcèlement moral au travail.

Il produit l’attestation de M. [J] [R], qui indique qu’il était au courant des rapports conflictuels entre M. [M] et M. [Z] et que « le 3 mai 2016, alors que j’effectue une desserte à [Localité 5], je suis témoin de l’état de M. [M] : stressé, nerveux suite à une altercation téléphonique avec M. [Z] dont le sujet était un important retard de paiement. ». Il relate en outre que les méthodes de M. [Z] sont contestables et qu’il est « intimement convaincu qu’il y a un lien avec la dégradation de la santé de M. [M]. »

Il produit par ailleurs :

. deux arrêts de travail de prolongation du 10 mai 2017 au 15 juin 2017 et du 4 juillet 2017 au 20 août 2017 et un protocole de soins émanant du docteur [T] [D], médecin généraliste, pour un « état anxio-dépressif sévère réactionnel – « souffrance au travail » » (pièces 4 et 23),

. une attestation du 16 décembre 2020 du docteur [G] [F], psychiatre, qui indique suivre M. [M] régulièrement depuis mai 2016 pour prise en charge de troubles psychiatriques, reconnus a posteriori en maladie professionnelle le 3 mai 2016 (pièce 45).

Les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent en l’espèce de présumer l’existence d’un harcèlement moral.

Pour prouver que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement, la société Colas Rail réplique et produit :

– s’agissant des pressions et remontrances, que les désaccords ne constituent pas des faits de harcèlement moral.

Les attestations versées au débat relatent de mauvaises relations entre M. [Z] et M. [M] mais également des remontrances de plusieurs salariés à l’encontre de M. [Z].

– s’agissant du refus de formation, que M. [M] n’en rapporte pas la preuve.

Lors de son entretien du 5 septembre 2016, M. [M] a demandé les motifs du refus de sa formation conducteur de train, soupçonnant M. [Z] « d’être derrière ». M. [W], directeur, lui a indiqué qu’il ne pouvait y avoir de formation de ce type pour le moment en raison du comportement non adapté à l’entreprise. M. [W] a reconnu les compétences professionnelles de M. [M] mais a indiqué qu’elles ne suffisaient pas pour accéder à la formation de conducteur.

– s’agissant de la lente augmentation de salaire, la société ne fait pas de commentaire.

La cour relève que pour relier une absence d’augmentation à un harcèlement moral, il manque en l’espèce des éléments de comparaison avec d’autres salariés, alors qu’il ressort de la lettre de M. [M] qu’il a été augmenté de 60 euros avec l’intervention du syndicat et que « suite à l’intervention du syndicat, ils ont revalorisé tout le personnel ». Le défaut d’augmentation de salaire est donc lié à une politique générale de la société et non à un harcèlement visant M. [M] seul.

– s’agissant du rapport de l’inspection du travail, que la seule difficulté ponctuelle de dépassement du temps de travail ne témoigne pas d’un harcèlement moral à son égard.

En effet, il s’agit de la seule difficulté de nature personnelle relevée concernant M. [M], qui a été ponctuelle.

– s’agissant de l’état de santé du salarié, elle fait valoir que l’attestation de M. [R], irrecevable quant à sa forme, ne relate que l’état de M. [M], sans que l’attestant n’ait été témoin de l’échange entre les deux personnes.

Elle souligne que le médecin du travail a déclaré M. [M] apte lors de sa visite médicale de reprise du 27 juillet 2016 et que le docteur [D] contrevient à ses obligations professionnelles en parvenant à faire un lien, sans avoir rien constaté lui-même, six mois après le départ de M. [M], entre le malaise de son patient du 3 mai 2016 et une souffrance au travail.

L’employeur produit la fiche d’aptitude médicale établie le 27 juillet 2016 par le médecin du travail, suite à l’arrêt de maladie « non professionnel » de M. [M], qui déclare le salarié apte à reprendre son poste, sans réserves (pièce 44).

M. [M] ne justifie pas de sa date d’arrêt de travail initiale en 2017 et les éléments qu’il produit ne sont pas suffisants pour imputer la dégradation durable de son état de santé psychique à un harcèlement moral subi au travail avant son licenciement.

Au regard de l’ensemble de ces éléments, s’il n’est pas contesté que M. [M] entretenait de mauvaises relations avec M. [Z] et qu’il avait, ainsi que d’autres salariés, des revendications sur plusieurs aspects de la gestion des salariés par la société, l’employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d’un harcèlement moral et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

En conséquence, la demande de nullité du licenciement pour harcèlement moral ou pour dénonciation de faits de harcèlement moral sera rejetée, ainsi que les demandes de dommages et intérêts pour licenciement nul et pour préjudice moral , par confirmation de la décision entreprise.

Sur le bien-fondé du licenciement

1 – sur le défaut de respect de la procédure de licenciement

M. [M] estime que la procédure de licenciement est irrégulière car elle est intervenue en méconnaissance des dispositions de l’article L. 1332-2 du code du travail, dès lors qu’au cours d’un entretien le 27 septembre 2016, il s’est vu remettre une convocation datée de la veille pour un entretien préalable à une éventuelle mesure de licenciement fixé au 4 octobre 2016, ce qui démontre que la société avait décidé de le licencier avant la mise en place de la procédure de licenciement et d’avoir entendu ses arguments.

La société Colas Rail réplique que la société a pu préparer un courrier de convocation à utiliser en fonction des explications que l’enquête technique allait faire ressortir.

L’article L. 1332-2 du code du travail prévoit que « lorsque l’employeur envisage de prendre une sanction, il convoque le salarié en lui précisant l’objet de la convocation, sauf si la sanction envisagée est un avertissement ou une sanction de même nature n’ayant pas d’incidence, immédiate ou non, sur la présence dans l’entreprise, la fonction, la carrière ou la rémunération du salarié.

Lors de son audition, le salarié peut se faire assister par une personne de son choix appartenant au personnel de l’entreprise.

Au cours de l’entretien, l’employeur indique le motif de la sanction envisagée et recueille les explications du salarié.

La sanction ne peut intervenir moins de deux jours ouvrables ni plus d’un mois après le jour fixé pour l’entretien. Elle est motivée et notifiée à l’intéressé. »

En l’espèce, M. [M] a été suspendu à la suite d’un incident survenu le 22 septembre 2016.

Il a été reçu à un entretien le 27 septembre 2016 pour expliquer ce qu’il s’était passé.

En préparant le 26 septembre 2016 un courrier de convocation à un entretien préalable au licenciement le 4 octobre 2016 avec mise à pied immédiate à titre conservatoire, la société Colas Rail n’a pas contrevenu à la procédure de licenciement, dès lors qu’elle n’a remis cette convocation à M. [M] qu’à l’issue des explications qu’il a données le 27 septembre 2016.

Le licenciement ne peut donc être déclaré sans cause réelle et sérieuse en raison d’une irrégularité de la procédure de licenciement et M. [M] doit être débouté de sa demande de dommages et intérêts pour irrégularité de la procédure de licenciement.

M. [M] soutient également que sa mise à pied a duré deux mois de façon totalement arbitraire.

La société Colas Rail réplique que la durée de la mise à pied n’a pas dépendu d’elle mais de l’inspection du travail.

M. [M] ayant été désigné en qualité de représentant syndical le 22 septembre 2016, la société Colas Rail a saisi l’inspecteur du travail d’une demande d’autorisation de licenciement pour faute grave. En conséquence, la durée de mise à pied ne dépendait pas de la société.

Il y a lieu en conséquence de débouter M. [M] de sa demande de rappel de salaires pour mise à pied conservatoire abusive et des congés payés afférents, par confirmation de la décision entreprise.

2 – sur le motif du licenciement

M. [M] soutient que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse car la matérialité des faits n’est pas établie, que le courrier de licenciement est dénué de motivation et ne vise pas les heures des rotations. Il fait valoir que la société s’appuie sur une enquête diligentée par la SNCF alors que le témoignage de cette dernière revêt un caractère partial du fait de sa concurrence avec la société Colas Rail ; que les attestations produites ne sont pas conformes aux dispositions de l’article 202 du code de procédure civile ; que le relevé d’incident n’est pas probant en ce que le graphique qu’il contient est condensé.

Il explique que le conducteur du train, qui avait reçu les directives de l’agent de circulation, était le seul responsable s’il franchissait le passage à niveau en l’absence de mise en place des dispositifs de sécurité.

Il estime qu’en admettant qu’il soit fautif, la société était responsable car elle n’a pas mis en oeuvre des conditions de travail qui lui étaient favorables.

La société Colas Rail expose qu’alors qu’il accompagnait un train de marchandises et qu’il avait été avisé que le passage à niveau PN 7 connaissait des problèmes de fonctionnement et qu’il était nécessaire d’assurer manuellement la sécurité de chaque passage en mettant en place la barrière de sécurité ou en déployant des banderoles, M. [M] a manqué par deux fois aux règles de sécurité en faisant franchir au train le PN 7 sans aucun dispositif de sécurité pour les automobilistes, à 8h30 puis de nouveau à 11 h ; que deux agents de la SCNF ont constaté ce second manquement et ont été contraints d’intervenir pour faire respecter les conditions normales de sécurité. Elle relate avoir fait procéder à une enquête interne et que M. [M] a refusé d’admettre l’erreur qu’il avait commise, malgré les preuves recueillies.

Il résulte de l’article L. 1232-1 du code du travail que tout licenciement pour motif personnel est motivé et justifié par une cause réelle et sérieuse.

La cause du licenciement, qui s’apprécie au jour où la décision de rompre le contrat de travail est prise par l’employeur, doit se rapporter à des faits objectifs, existants et exacts, imputables au salarié, en relation avec sa vie professionnelle et d’une certaine gravité qui rend impossible la continuation du travail et nécessaire le licenciement.

L’article L. 1235-1 du code du travail prévoit que le juge, à qui il appartient d’apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l’employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. Si un doute subsiste, il profite au salarié.

La faute grave est celle qui résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise et justifie son départ immédiat. L’employeur qui invoque la faute grave pour licencier doit en rapporter la preuve.

La lettre de licenciement n’est pas dénuée de motivation en ce que les faits reprochés sont relatés avec suffisamment de précision, visant le jour où ils sont arrivés, le numéro du train et du passage à niveau concernés et les deux trajets en cause.

Le jeudi 22 septembre 2016, M. [M] devait assurer un service notamment sur les trains 534061 partant à 8h20 et 534083 partant à 10h30 (pièce 13 de l’intimée). En sa qualité d’agent de manoeuvre, il devait s’assurer de la sécurité sur le train et avait notamment pour mission de manoeuvrer les barrières des passages à niveau.

Le passage à niveau n°7 ayant subi un « raté de fermeture », M. [B], agent de circulation, a, le 22 septembre 2016, émis des ordres de mise en place de dispositifs de remplacement pour les trains 534061 (ordre délivré à 8 h), 559720 (dépêche à 9h28) et 534063 (ordre à 10 h 35) (pièces 17 de l’intimé et 33 de l’appelant). M. [M] était avisé de ces ordres, relatant qu’il est descendu pour mettre deux banderoles de chaque côté (pièce 7 de l’appelant).

Il ressort du relevé de constatations et des mesures conservatoires établis par les agents SNCF que le 22 septembre 2016 à 11 h 06, des agents de maintenance SNCF, présents pour réparer le passage à niveau, ont constaté que l’agent d’accompagnement de la société Colas Rail (soit M. [M]) était en train d’autoriser le franchissement du PN7 par le train 534063, barrières ouvertes, en l’absence de banderoles (dispositif de remplacement). Ils ont alors arrêté le train et demandé à M. [M] de mettre en place les banderoles. Ils ont appelé le pôle sécurité aux fins de désigner un dirigeant d’enquête. A titre de mesure conservatoire, il a été fait interdiction au train de poursuivre sa desserte et le train est revenu au dépôt. Le directeur d’enquête a recueilli les déclarations des agents, du conducteur du train et de l’agent de desserte de la société Colas Rail, qui sont apparues contradictoires (pièces 16 et 19 de l’intimée).

Le rapport d’analyse causale établi le 17 octobre 2016 par la SNCF mentionne que les déclarations des parties en présence sont contradictoires, les agents SNCF Réseau indiquant qu’ils ont arrêté le train et ordonné à l’agent de desserte de mettre les banderoles en place tandis que les agents de desserte de la société Colas Rail affirment qu’ils étaient disposés à mettre en place les dispositifs de protection du PN avant son franchissement et qu’ils ont été interpelés verbalement avec agressivité par les agents de SNCF Réseau.

La société Colas Rail a indiqué aux enquêteurs, à l’issue des entretiens de ses agents avec leur hiérarchie que « Concernant les entretiens avec le conducteur et l’agent de desserte, il en ressort des déclarations contradictoires qui nous amènent à penser que les témoignages des agents de maintenance du PN sont corrects. De plus l’analyse ATESS démontre que lors de la première desserte le temps d’arrêt est trop court pour la mise en place de banderoles et aucun arrêt supplémentaire n’est détecté après dégagement du train. »

L’enquête a conclu au manquement de la société Colas Rail dans le franchissement du PN7 en dérangement, les agents du train 534063 du 22 septembre 2016 s’affranchissant de la mise en place du dispositif de remplacement comme indiqué dans l’ordre écrit émis et comme prévu dans la CLE correspondante (pièce 36 de l’intimée).

Par ailleurs, il ressort du courrier écrit par M. [H] [I], relevant de la direction maintenance et travaux atlantique de la SNCF, à sa hiérarchie, que lorsqu’il est intervenu au PN7 le 23 septembre 2016, une automobiliste s’est arrêtée et a signalé que la veille, 22 septembre 2016 vers 8 h 30, elle avait été surprise de constater qu’un train franchissait le PN7 alors que les feux étaient éteints, que les barrières étaient hautes et qu’il n’y avait pas de banderoles de son côté (pièce 10 de l’intimée).

L’absence de barrière, feux ou autre mesure de sécurité lors du passage du train à 8 h 30 est corroborée par les déclarations de M. [Y] [S], agriculteur, qui s’est signalé aux agents SNCF et qui a été entendu par le dirigeant d’enquête et le représentant de la société Colas Rail (pièce 16 de l’intimée).

S’agissant d’une part d’un courrier relatant les constatations de son auteur et d’autre part de déclarations recueillies au cours de l’enquête, les dispositions de l’article 202 du code de procédure civile ne sont pas applicables.

Enfin il ressort de la pièce 37 produite par l’intimée que lors de la première desserte du matin, le train 534061 ne s’est arrêté que 1 mn 24 sec, ce qui apparaît insuffisant pour que M. [M] ait eu le temps de mettre en place des banderoles des deux côtés du passage à niveau, l’arrêt de 11h06 ayant quant à lui duré 6 mn 16 sec (pièce 11 de l’intimée).

Aucun élément ne permet de dire que les constatations opérées par les agents de la société SNCF Réseau s’inscrivent dans le conflit qui existe entre deux sociétés concurrentes, SNCF et Colas Rail, dès lors qu’elles sont objectives et qu’elles sont corroborées par des tiers s’agissant de l’incident du matin.

M. [E] [O], responsable de la cellule sécurité ferroviaire de la société Colas Rail, relate que le contrôleur sécurité au sol (CSS) de la société, qui s’était déplacé sur les lieux après la signalisation de l’incident, lui a relaté que l’agent au sol (AGS, soit M. [M]) « a déjà légèrement changé sa version. Dans la 2ième version, l’agent au sol indique qu’il avait placé une banderole d’un côté et qu’il voulait protéger physiquement l’autre côté « avec les bras ». Le CSS lui indique que ce n’est pas bon. L’AGS changera de version en indiquant que les deux côtés étaient protégés. » Il relate que M. [M] a été immédiatement suspendu et que le conducteur du train a été suspendu le lendemain et relate que « le conducteur nous indique de lui-même que la protection n’avait pas été faite lors de la desserte de 07h31 et qu’elle avait été faite par les agents SNCF lors de la desserte de 10h40. » (pièce 20 de l’intimée).

M. [X], conducteur du train, a relaté dans le rapport produit en pièce 34 par l’appelant, uniquement les conditions de la deuxième desserte du train : « à l’arrivée au droit de la pancarte PN7 aux alentours de 11 heures, l’agent est descendu faire la protection avec une banderole d’un côté et lui de l’autre. 2 agents SNCF étaient déjà sur place lors de notre arrivée. Des échanges de paroles ont eu lieu entre l’agent de desserte et ces 2 agents. Ils ont aussi fermé la barrière. Une fois la protection en place, réception de l’ordre de franchir le PN pour le dégager et remettre les installations en place. »

Il ressort du compte-rendu d’entretien du 27 septembre 2016 rédigé par M. [N] et M. [K], du département sécurité ferroviaire, que M. [M] a déclaré avoir mis en place deux banderoles lors de la première desserte et avoir mis, lors de la deuxième desserte, une banderole d’un côté tandis que les agents de maintenance (SNCF) abaissaient la barrière de l’autre côté. M. [X], conducteur du train, leur avait quant à lui déclaré que lors de la première desserte vers 8h30, les dispositifs de protection n’avaient pas été mis en place et que lors de la deuxième desserte, ce sont les agents de maintenance qui ont mis la banderole d’un côté et abaissé manuellement la barrière de l’autre côté. M. [X] a confirmé ses déclarations à M. [M] par téléphone et M. [M] a maintenu sa position, estimant que quelqu’un avait dû demander au conducteur de donner cette version (pièce 12 de l’intimée).

L’analyse de la situation opérée par M. [P], agent SNCF coordinateur du secteur ferroviaire de la fédération générale des transports CFTC n’est pas probante dès lors qu’il n’a pas assisté aux faits et qu’il commente tant les attitudes et déclarations de chacun, notamment ce qu’ont relaté les témoins (pièce 40 de l’appelant).

La preuve est rapportée, au regard de l’ensemble de ces éléments, que M. [M] n’a pas mis en place les mesures de protection adéquates pour sécuriser le passage des trains dont il assurait l’accompagnement le 22 septembre 2016 au niveau du PN7, tant lors du premier passage à 8 h 30 que lors du second passage à 11 h 06.

Ces faits constituent un manquement grave aux règles de sécurité, qui ne saurait être excusé par un rythme de travail insupportable alors que l’incident est survenu le 22 septembre 2016 et que c’est au mois d’avril 2016 que M. [M] avait travaillé sans discontinuer sur une longue période. M. [M] ne peut non plus se décharger de sa propre responsabilité en invoquant celle du conducteur du train.

Les fait commis par M. [M] constituent une violation des obligations résultant du contrat de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise et justifie son départ immédiat.

Il convient en conséquence de confirmer la décision de première instance en ce qu’elle a dit que le licenciement de M. [M] repose sur une faute grave et qu’elle l’a débouté de ses demandes en paiement d’une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, d’une indemnité conventionnelle de licenciement, d’une indemnité compensatrice de préavis et des congés payés afférents.

Sur les demandes accessoires

La décision de première instance sera confirmée en ses dispositions relatives aux dépens et à l’article 700 du code de procédure civile.

M. [M], qui succombe pour l’essentiel en ses prétentions, sera condamné aux dépens de l’instance d’appel.

Compte tenu du sens de la décision et de la situation économique respective des parties, M. [M] et la société Colas Rail seront déboutés de leurs demandes formées au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement, par arrêt mis à disposition au greffe, contradictoire et en dernier ressort,

Confirme le jugement rendu le 21 juillet 2020 par le conseil de prud’hommes de Saint-Germain-en-Laye sauf en ce qu’il a débouté M. [L] [M] de sa demande en paiement des salaires correspondant aux 26 et 27 septembre 2016,

Statuant de nouveau sur le chef infirmé et y ajoutant,

Condamne la société Colas Rail à payer à M. [L] [M] la somme de 175 euros au titre des salaires des 26 et 27 septembre 2016,

Condamne M. [L] [M] aux dépens de l’appel,

Déboute M. [L] [M] et la société Colas Rail de leurs demandes formées au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Arrêt prononcé publiquement à la date indiquée par mise à disposition au greffe de la cour d’appel, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile et signé par Mme Catherine Bolteau-Serre, président, et par Mme Domitille Gosselin, greffier, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier, Le président,

 


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