Retenues sur salaire : 9 juin 2022 Cour d’appel de Lyon RG n° 20/03072

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Retenues sur salaire : 9 juin 2022 Cour d’appel de Lyon RG n° 20/03072

AFFAIRE PRUD’HOMALE

RAPPORTEUR

N° RG 20/03072 – N° Portalis DBVX-V-B7E-M7YX

S.E.L.A.R.L. VILLA-FLOREK

C/

[N]

APPEL D’UNE DÉCISION DU :

Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de MONTBRISON

du 19 Mars 2019

RG : 17/00149

COUR D’APPEL DE LYON

CHAMBRE SOCIALE C

ARRÊT DU 09 JUIN 2022

APPELANTE :

S.E.L.A.R.L. VILLA-FLOREK représentée par Me [K] [U] ès-qualités de liquidateur judiciaire de la société LA BEAUVAISIENNE NEGOCE

[Adresse 1]

[Adresse 1]

[Localité 2]

non représentée

INTIMÉ :

[R] [N]

né le 03 Février 1985 à [Localité 10]

[Adresse 7]

[Localité 4]

représenté par Me Julien MALLON de la SCP BONIFACE-HORDOT-FUMAT-MALLON, avocat au barreau de SAINT-ETIENNE

PARTIE INTERVENANTES :

Association UNEDIC DELEGATION AGS CGEA DE CHALON SUR SAONE

[Adresse 5]

[Localité 6]

représentée par Me Cécile ZOTTA de la SCP J.C. DESSEIGNE ET C. ZOTTA, avocat au barreau de LYON

Association UNEDIC DELEGATION AGS CGEA DE RENNES

[Adresse 3]

[Adresse 8]

[Localité 9]

représentée par Me Cécile ZOTTA de la SCP J.C. DESSEIGNE ET C. ZOTTA, avocat au barreau de LYON

DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 03 Mars 2022

Présidée par Bénédicte LECHARNY, Conseiller magistrat rapporteur, (sans opposition des parties dûment avisées) qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré, assistée pendant les débats de Elsa SANCHEZ, Greffier.

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

– Nathalie PALLE, président

– Bénédicte LECHARNY, conseiller

– Thierry GAUTHIER, conseiller

ARRÊT : CONTRADICTOIRE

Prononcé publiquement le 09 Juin 2022 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;

Signé par Nathalie PALLE, Président et par Elsa SANCHEZ, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

********************

FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

M. [R] [N] (le salarié) a été engagé par la société Beauvaisienne Négoce (la société) en qualité de responsable commercial de secteur, catégorie agent de maîtrise, niveau IV, échelon 2, de la convention collective nationale des commerces de gros, de l’habillement, de la mercerie, de la chaussure et du jouet, à compter du 17 août 2015, dans le cadre d’un contrat de travail à durée indéterminée.

Le 25 avril 2017, la société a convoqué le salarié à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 20 mars 2018 et lui a notifié, dans l’attente de cet entretien, une dispense d’activité rémunérée, prolongée « jusqu’à nouvel ordre » par lettre remise en main propre le 9 mai 2017.

Elle lui a notifié, le 6 juin 2017, son « licenciement pour insuffisance professionnelle, pour cause réelle et sérieuse ».

Saisi à l’initiative du salarié, le conseil de prud’hommes de Montbrison, en sa formation paritaire, a, par jugement du 19 mars 2019 :

– dit que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse,

– condamné la société à payer au salarié les sommes suivantes :

25 317 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– débouté le salarié du surplus de ses demandes,

– débouté la société de sa demande reconventionnelle sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamné la société aux dépens de l’instance.

Par une déclaration du 3 avril 2019, la société a relevé appel partiel du jugement en ce qu’il a dit que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse et l’a condamnée à payer au salarié la somme de 25 317 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et celle de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Par jugement du 10 septembre 2019, le tribunal de commerce de Tours a ouvert une procédure de liquidation judiciaire convertie en liquidation judiciaire le 8 octobre 2019, la selarl Villa-Florek, en la personne de Maître [K] [U], étant désigné en qualité de liquidateur judiciaire de la société (le liquidateur judiciaire).

Par ordonnance du 25 février 2020, le magistrat chargé de la mise en état a ordonné la radiation du rôle de la cour de l’affaire et a dit qu’elle pourrait être rétablie sur justificatif de la mise en cause des organes de la procédure ou de la situation de la société.

L’affaire a été réinscrite le 3 juin 2020 après mise en cause par le salarié du liquidateur judiciaire et de l’Unedic, délégation AGS CGEA de Chalon-sur-Saône.

L’Unedic, délégation AGS CGEA de Rennes, est intervenue volontairement à la procédure.

Par conclusions auxquelles il convient de se reporter pour l’exposé détaillé de ses moyens, le salarié demande à la cour de :

– confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a condamné la société à lui verser la somme de 25 317 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, outre 2 500 euros au titre de l’article 700 code de procédure civile,

– réformer le jugement entrepris pour le surplus et, statuant à nouveau,

– dire et juger nulle et en tout état de cause inopposable au salarié la convention de forfait jours stipulée au contrat de travail,

En conséquence,

– fixer sa créance au passif de la société aux sommes suivantes :

25 317 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

49 553,04 euros à titre de rappel de salaires, se décomposant ainsi :

7 267,50 euros à titre de rappel d’heures supplémentaires pour 2015,

667,52 euros à titre d’indemnisation du repos compensateur non pris pour 2015,

19 984 euros à titre de rappel d’heures supplémentaires pour 2016,

9 986,72 euros à titre d’indemnisation du repos compensateur non pris pour 2016,

9 457 euros à titre de rappel d’heures supplémentaires pour 2017,

2 190,30 euros à titre d’indemnisation du repos compensateur non pris pour 2017,

3 670,85 euros au titre des congés payés afférents aux heures supplémentaires réalisées mais non payées,

10 000 euros à titre de rappel de la part variable de son salaire,

2 271,50 euros au titre des salaires abusivement retenus dans l’établissement du solde de tout compte,

5 000 euros au titre de l’article 700 code de procédure civile,

– condamner la société aux dépens de l’instance, dont droit de recouvrement direct au profit de la SCP Boniface-Hordot-Fumat-Mallon, avocats, sur son affirmation de droit, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

Par conclusions auxquelles il convient de se reporter pour l’exposé détaillé de ses moyens, les délégations AGS CGEA de Chalon-sur-Saône et de Rennes, demandent à la cour de :

En l’état,

– dire et juger irrecevables, les demandes formulées par le salarié,

Subsidiairement,

– mettre hors de cause le CGEA de Chalon-sur-Saône,

– dire et juger recevable et bien fondée l’intervention volontaire du CGEA de Rennes,

– confirmer purement et simplement le jugement entrepris en ce qu’il a débouté le salarié de ses demandes :

à titre d’heures supplémentaires et de repos compensateur,

de congés payés sur heures supplémentaires,

à titre de part variable,

à titre de solde de tout compte,

– statuer ce qu’il appartiendra quant au licenciement intervenu,

Subsidiairement,

– infirmer le jugement entrepris quant au quantum des dommages-intérêts et les réduire au quantum du préjudice effectivement démontré par le salarié,

En tout état de cause,

– dire et juger que l’article 700 du code de procédure civile n’est pas garanti par l’AGS,

– dire et juger que l’AGS ne devra procéder à l’avance des créances visées aux articles L3253-6 et L. 3253-8 et suivants du code du travail que dans les termes et les conditions résultant des dispositions des articles L. 3253-15, L. 3253-17, L. 3253-19, L. 3253-20 et L. 3253-21 du code du travail,

– dire et juger que l’obligation du CGEA de faire l’avance de la somme à laquelle serait évalué le montant total des créances garanties, compte tenu du plafond applicable, ne pourra s’exécuter que sur présentation d’un relevé par le mandataire judiciaire et justification par celui-ci de l’absence de fonds disponibles entre ses mains pour procéder à leur paiement,

– les mettre hors dépens.

Le liquidateur judiciaire n’a pas constitué avocat.

L’ordonnance de clôture est intervenue le 8 février 2022.

MOTIFS DE LA DÉCISION

1. Sur la mise hors de cause du CGEA de Chalon-sur-Saône et l’intervention volontaire du CGEA de Rennes

Le CGEA de Chalon-sur-Saône a été appelé en la cause par le salarié alors que le CGEA compétent en l’espèce est celui de [Localité 9], lequel intervient volontairement à l’instance.

Aussi convient-il de mettre hors de cause le CGEA de Chalon-sur-Saône et de recevoir celui de [Localité 9] en son intervention volontaire.

2. Sur la recevabilité des demandes du salarié

Le CGEA de Rennes soulève l’irrecevabilité des demandes de condamnation du salarié, aux motifs qu’en application des articles L. 625-1 et suivants du code de commerce, les mandataires judiciaires doivent être appelés en la cause si tel n’est pas le cas, et que toute demande de condamnation de société en liquidation judiciaire est irrecevable.

Or, force est de constater, d’une part, que le salarié a appelé en la cause de liquidateur judiciaire, d’autre part, qu’il sollicite, non pas la condamnation de la société, mais la fixation au passif de la liquidation judiciaire des sommes dont il se dit créancier.

Aussi convient-il de rejeter la fin de non-recevoir soulevée par le CGEA de Rennes.

3. Sur les demandes relatives à l’exécution du contrat de travail

3.1. Sur la demande de rappels de salaire au titre des heures supplémentaires

Le salarié estime que la convention de forfait en jours insérée dans son contrat de travail doit être annulée dès lors que l’accord collectif du 6 juillet 2010 sur lequel elle se fonde ne permet pas à l’employeur de s’assurer que la charge de travail du salarié est compatible avec le respect des temps de repos quotidien et hebdomadaire et qu’aucun dispositif ne permet à l’employeur de remédier en temps utile à une charge de travail éventuellement incompatible avec une durée raisonnable de travail. Il estime que cette convention lui est, en tout état de cause, inopposable, dans la mesure où les stipulations du contrat de travail ne pallient pas cette carence de l’accord et que l’entretien individuel annuel prévu, tant dans l’accord que dans son contrat de travail, n’a jamais été réalisé. Il soutient avoir effectué, en 2015, 2016 et 2017, de nombreuses heures supplémentaires au-delà de 35 heures, non payées.

Le CGEA de Rennes soutient que la convention de forfait en jours est parfaitement valable, les critiques du salarié n’étant que de pure forme. Il fait observer, au surplus, que le salarié ne justifie aucunement des heures supplémentaires dont il invoque l’exécution, son calcul étant établi unilatéralement et n’étant corroboré par aucun élément sérieux.

Sur ce,

Le droit à la santé et au repos est au nombre des exigences constitutionnelles.

Toute convention de forfait en jours doit être prévue par un accord collectif dont les stipulations assurent la garantie du respect de durées raisonnables de travail ainsi que des repos, journaliers et hebdomadaires.

Selon l’article L. 3121-43, 2°, du code du travail dans sa rédaction modifiée par la loi n° 2008-789 du 20 août 2008, applicable au litige, peuvent conclure une convention de forfait en jours sur l’année, dans la limite de la durée annuelle de travail fixée par l’accord collectif prévu à l’article L. 3121-39 : les salariés dont la durée du temps de travail ne peut être prédéterminée et qui disposent d’une réelle autonomie dans l’organisation de leur emploi du temps pour l’exercice des responsabilités qui leur sont confiées.

Encore, selon l’article L. 3121-64, II, 1° et 2°, dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, l’accord autorisant la conclusion de conventions individuelles de forfait en jours détermine :

1° Les modalités selon lesquelles l’employeur assure l’évaluation et le suivi régulier de la charge de travail du salarié ;

2° Les modalités selon lesquelles l’employeur et le salarié communiquent périodiquement sur la charge de travail du salarié, sur l’articulation entre son activité professionnelle et sa vie personnelle, sur sa rémunération ainsi que sur l’organisation du travail dans l’entreprise.

Et selon l’article L. 3121-65, I, dans sa rédaction issue de la même loi, à défaut de stipulations conventionnelles prévues aux 1° et 2° du II de l’article précité, une convention individuelle de forfait en jours peut être valablement conclue sous réserve du respect des dispositions suivantes :

1° L’employeur établit un document de contrôle faisant apparaître le nombre et la date des journées ou demi-journées travaillées. Sous la responsabilité de l’employeur, ce document peut être renseigné par le salarié ;

2° L’employeur s’assure que la charge de travail du salarié est compatible avec le respect des temps de repos quotidiens et hebdomadaires ;

3° L’employeur organise une fois par an un entretien avec le salarié pour évoquer sa charge de travail, qui doit être raisonnable, l’organisation de son travail, l’articulation entre son activité professionnelle et sa vie personnelle ainsi que sa rémunération.

L’article 12, III, de la loi du 8 août 2016 applicable à compter du 9 août 2016 dispose que l’exécution d’une convention individuelle de forfait en jours conclue sur le fondement d’une convention ou d’un accord de branche ou d’un accord d’entreprise ou d’établissement qui, à la date de publication de la présente loi, n’est pas conforme aux 1° à 3° du II de l’article L. 3121-64 du code du travail peut être poursuivie, sous réserve que l’employeur respecte l’article L. 3121-65 du même code. Sous ces mêmes réserves, l’accord collectif précité peut également servir de fondement à la conclusion de nouvelles conventions individuelles de forfait.

En l’espèce, l’accord collectif du 6 juillet 2010 relatif à la mise en place du forfait annuel en jours se borne à prévoir, pour les salariés soumis à une convention de forfait annuel en jours, que « le temps de travail des salariés fait l’objet d’un décompte annuel en jours de travail effectif et leur temps de travail sera organisé par la détermination d’un nombre de jours travaillés dans l’année », que « le nombre de jours de repos sera déterminé en fonction du nombre de jours effectivement travaillés dans l’année », que « le respect des dispositions contractuelles et légales concernant notamment le nombre de jours travaillés et le respect des dispositions relatives au repos quotidien et hebdomadaire, sera suivi au moyen d’un système déclaratif, chaque salarié concerné remplissant le formulaire mis à sa disposition à cet effet, par la société, et mentionnant les jours travaillés les jours non travaillés », que « chaque année, l’employeur doit organiser avec chaque salarié titulaire d’une convention de forfait annuel en jours un entretien individuel portant sur la charge de travail du salarié, l’organisation du travail dans l’entreprise, l’articulation entre l’activité et la vie personnelle et familiale » du salarié.

Ces dispositions, en ce qu’elles ne prévoient pas de suivi effectif et régulier par la hiérarchie des états récapitulatifs de temps travaillé transmis, permettant à l’employeur de remédier en temps utile à une charge de travail éventuellement incompatible avec une durée raisonnable, ne sont pas de nature à garantir que l’amplitude et la charge de travail restent raisonnables et à assurer une bonne répartition, dans le temps, du travail du salarié.

Or, aucune pièce du dossier ne permet de s’assurer que l’employeur a respecté les dispositions de l’article L. 3121-65 du code du travail et notamment qu’il a organisé une fois par an un entretien avec le salarié pour évoquer sa charge de travail, l’organisation de son travail, l’articulation entre son activité professionnelle et sa vie personnelle ainsi que sa rémunération.

Il en résulte que la convention de forfait en jours insérée dans le contrat de travail est inopposable au salarié, de sorte que ce dernier est en droit de solliciter le règlement de ses heures supplémentaires.

Selon l’article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, l’employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l’appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d’enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.

Il résulte des dispositions de l’article précité et de celles des articles L. 3171-2, alinéa 1er, et L. 3171-3 du code du travail, qu’en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l’ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l’une et l’autre des parties, dans l’hypothèse où il retient l’existence d’heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l’importance de celles-ci et fixe les créances salariales s’y rapportant.

En l’espèce, le salarié produit à l’appui de ses demandes des relevés trimestriels des heures supplémentaires qu’il prétend avoir effectuées entre le 31 août 2015 et la date de son licenciement, mentionnant, pour chaque jour, ses rendez-vous professionnels et le nombre d’heures travaillées, et détaillant, par semaine civile, le total des heures de travail effectuées et le nombre d’heures majorées à 25 et 50%.

Ces éléments sont suffisamment précis quant aux heures supplémentaires qu’il prétend avoir accomplies et il appartient dès lors à l’employeur de fournir les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié.

Or, le liquidateur judiciaire, qui n’a pas constitué avocat, ne produit strictement aucune pièce à cette fin.

Il s’ensuit, en l’absence de toute preuve contraire, que les éléments produits par le salarié apportent la preuve de la réalisation de nombreuses heures supplémentaires.

Aussi convient-il, par infirmation du jugement déféré, de fixer au passif de la liquidation judiciaire la créance du salarié au titre des heures supplémentaires ainsi qu’il suit :

7 267,50 euros à titre de rappel d’heures supplémentaires pour 2015,

19 984 euros à titre de rappel d’heures supplémentaires pour 2016,

9 457 euros à titre de rappel d’heures supplémentaires pour 2017,

outre 3 670,85 euros au titre des congés payés afférents.

3.2. Sur l’indemnité pour la contrepartie obligatoire en repos

En application de l’article L. 3121-11 du contrat de travail dans sa rédaction applicable du 22 août 2008 au 10 août 2016, et de l’article L. 3121-30 dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, des heures supplémentaires peuvent être accomplies dans la limite d’un contingent annuel et les heures effectuées au-delà de ce contingent annuel ouvrent droit à une contrepartie obligatoire sous forme de repos.

L’article D 3121-14-1 précise en son premier alinéa que le contingent annuel d’heures supplémentaires prévu à l’article L.3121-11 est fixé à 220 heures par salarié.

Le salarié qui n’a pas été en mesure de faire valoir son droit à repos compensateur du fait de son employeur peut demander à celui-ci réparation du préjudice subi par l’octroi d’une indemnité qui ne peut être inférieure à la somme de l’indemnité du repos compensateur et de l’indemnité compensatrice de congés payés y afférents.

En l’espèce, le salarié a réalisé :

au titre de l’année 2015 : 32 heures au-delà du contingent annuel,

au titre de l’année 2016 : 478,75 heures au-delà du contingent annuel,

au titre de l’année 2017 : 105 heures au-delà du contingent annuel.

En conséquence, infirmant le jugement déféré, la cour fixe la créance du salarié au passif de la liquidation judiciaire, au titre de l’indemnité pour la contrepartie obligatoire en repos, à la somme de 12’844,54 euros.

3.3. Sur la demande de rappel de salaire au titre de la part variable

Le salarié sollicite le versement d’une somme de 10’000 euros à titre de rappel de part variable, faisant valoir, d’une part, que le contrat de travail prévoit que « la rémunération est décomposée en une part fixe et une part variable en fonction d’objectifs déterminés avec [le salarié] et qui fera l’objet d’un avenant » et, d’autre part, que dans le cadre de son recrutement, la description du poste précisait une partie variable de 5 000 euros.

Les premiers juges l’ont débouté de sa demande en relevant que les bulletins de salaire de juillet et décembre 2016 font apparaître le paiement de primes pour un montant de 3 870,69 euros en sus des 35’000 euros annuels.

En cause d’appel, le salarié se contente d’affirmer qu’il n’a pas perçu la part variable à laquelle il pouvait prétendre mais s’abstient de produire les bulletins de salaire visés par le conseil de prud’hommes et ne s’explique pas sur la correspondance qu’il pourrait y avoir entre ces « primes » et la part variable prévue au contrat.

Aussi convient-il de confirmer le jugement déféré en ce qu’il l’a débouté de sa demande de ce chef.

3.4. Sur la retenue sur salaire

Le salarié conteste une retenue de 2271,50 euros opérée sur son reçu pour solde de tout compte.

Ce document mentionne en effet une retenue financière pour « absence pour entrée/sortie », sans autre précision.

Le liquidateur judiciaire, qui n’a pas constitué avocat en cause d’appel, n’apporte aucun éclairage sur le motif de cette retenue. Aussi convient-il de faire droit à la demande du salarié et de fixer au passif de la liquidation judiciaire sa créance à hauteur de la somme de 2 271,50 euros.

Le jugement est infirmé sur ce point.

4. Sur la rupture du contrat de travail

4.1. Sur le caractère réel et sérieux du licenciement

Selon l’article L. 1235-1 du code du travail, en cas de litige relatif au licenciement, le juge, à qui il appartient d’apprécier la régularité de la procédure et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l’employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties, au besoin après toutes mesures d’instruction qu’il estime utiles ; si un doute subsiste, il profite au salarié.

Ainsi, l’administration de la preuve en ce qui concerne le caractère réel et sérieux des motifs du licenciement n’incombe pas spécialement à l’une ou l’autre des parties, l’employeur devant toutefois fonder le licenciement sur des faits précis et matériellement vérifiables, qu’il doit reprendre dans la lettre de licenciement prévue par l’article L. 1232-6 du code du travail, cette lettre fixant les limites du litige.

L’insuffisance professionnelle se définit comme l’incapacité objective et durable d’un salarié à accomplir correctement la prestation de travail pour laquelle il est employé. Si l’employeur est juge des aptitudes professionnelles de son salarié et de son adaptation à l’emploi et si l’insuffisance professionnelle peut constituer une cause réelle et sérieuse de licenciement, elle doit être caractérisée par des faits précis, objectifs et matériellement vérifiables, ayant des répercussions sur la marche ou le fonctionnement de l’entreprise et imputables au seul salarié.

En l’espèce, il ressort de la lettre de licenciement, dont la longueur ne permet pas qu’elle soit reprise dans son intégralité, que l’employeur reproche au salarié une « constante baisse » de son chiffre d’affaires et une perte de clients.

Or, les premiers juges ont exactement relevé, d’une part, que l’insuffisance de résultats n’est pas suffisante pour caractériser une insuffisance professionnelle, d’autre part, qu’aucune alerte sur ses résultats n’a été faite préalablement au salarié et, enfin, que l’employeur ne produit aucun élément à l’appui de la lettre de licenciement concernant la perte de chiffre d’affaires et la perte de clients.

En cause d’appel, l’employeur qui n’est pas représenté n’apporte aucun élément nouveau pour justifier du bien-fondé du licenciement. Aussi convient-il de confirmer le jugement déféré en ce qu’il a jugé le licenciement sans cause réelle sérieuse.

4.2. Sur l’indemnité pour licenciement abusif

L’intimé est en droit de solliciter des dommages-intérêts sur le fondement des dispositions de l’article L. 1235-5 du code du travail, dans sa rédaction applicable à l’espèce, selon lesquelles le salarié ayant eu une ancienneté inférieure à deux ans (pour avoir été embauché le 17 août 2015 et licencié avec effet au 6 août 2017) peut prétendre, en cas de licenciement abusif, à une indemnité correspondant au préjudice subi.

Compte tenu notamment des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée au salarié, de son âge au jour de son licenciement, de son ancienneté à cette même date, de sa capacité à trouver un nouvel emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle et des conséquences de ce licenciement à son égard, tels que ces éléments résultent des pièces et des explications fournies, il convient de lui allouer une somme de 18 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement abusif.

Le jugement déféré est donc confirmé sur le principe d’une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse mais infirmé sur le montant de celle-ci.

5. Sur les demandes accessoires

Il y a lieu de déclarer le présent arrêt opposable à l’Unedic, délégation AGS CGEA de Rennes, qui sera tenue dans les limites de ses obligations légales résultant des dispositions des articles L. 3253-15 et suivants du code du travail.

Le liquidateur judiciaire, partie perdante, est tenu aux dépens de première instance et d’appel qui seront tirés en frais privilégiés de liquidation judiciaire.

Il convient en outre de fixer au passif de la liquidation judiciaire la somme de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles engagés par le salarié en première instance et en appel.

PAR CES MOTIFS

La cour,

statuant en dernier ressort, par arrêt contradictoire et mis à disposition au greffe,

Confirme le jugement déféré en ce qu’il a :

dit que le licenciement de M. [R] [N] est sans cause réelle et sérieuse,

débouté M. [R] [N] de sa demande de rappel de salaire au titre de la part variable,

débouté la société la société Beauvaisienne Négoce de sa demande sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

L’infirme pour le surplus,

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

MET hors de cause l’Unedic, délégation AGS CGEA de Chalon-sur-Saône,

REÇOIT l’Unedic, délégation AGS CGEA de Rennes, en son intervention volontaire,

REJETTE la fin de non-recevoir soulevée par l’Unedic, délégation AGS CGEA de Rennes,

FIXE au passif de la liquidation judiciaire de la société Beauvaisienne Négoce la créance de M. [R] [N] ainsi qu’il suit :

7 267,50 euros à titre de rappel d’heures supplémentaires pour 2015,

19 984 euros à titre de rappel d’heures supplémentaires pour 2016,

9 457 euros à titre de rappel d’heures supplémentaires pour 2017,

3 670,85 euros au titre des congés payés afférents,

12’844,54 euros au titre de l’indemnité pour la contrepartie obligatoire en repos,

2 271,50 euros à titre de retenue sur salaire injustifiée,

18 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement abusif,

3 000 euros au titre des frais irrépétibles que M. [N] a dû engager tant en première instance qu’en appel,

DÉCLARE le présent arrêt opposable à l’Unedic, délégation AGS CGEA de Rennes, qui sera tenue dans les limites de ses obligations légales résultant des dispositions des articles L. 3253-15 et suivants du code du travail et sur présentation d’un relevé par le mandataire judiciaire et justification par celui-ci de l’absence de fonds disponibles entre ses mains pour procéder à leur paiement,

CONDAMNE la selarl Villa-Florek, en la personne de Maître [K] [U], ès-qualités de liquidateur judiciaire de la société Beauvaisienne Négoce, aux dépens de première instance et d’appel qui seront tirés en frais privilégiés de liquidation judiciaire et qui pourront être recouvrés par la SCP Boniface-Hordot-Fumat-Mallon,avocats, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

LA GREFFIÈRELA PRÉSIDENTE

 


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