Retenues sur salaire : 9 février 2023 Cour d’appel de Poitiers RG n° 21/00049

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Retenues sur salaire : 9 février 2023 Cour d’appel de Poitiers RG n° 21/00049

PC/PR

ARRET N° 80

N° RG 21/00049

N° Portalis DBV5-V-B7F-GFD3

[K]

C/

S.A.R.L. EXTENSION HABITAT

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE POITIERS

Chambre sociale

ARRÊT DU 09 FEVRIER 2023

Décision déférée à la Cour : Jugement du 07 décembre 2020 rendu par le Conseil de Prud’hommes de La ROCHE-SUR-YON

APPELANT :

Monsieur [L] [K]

Né le 31 janvier 1963 à [Localité 4] (60)

[Adresse 3]

[Localité 2]

Ayant pour avocat Me Alexandra DUPUY de la SELARL DUPUY ALEXANDRA, avocat au barreau de LA ROCHELLE-ROCHEFORT

INTIMÉE :

S.A.R.L. EXTENSION HABITAT

N° SIRET : 800 639 403

[Adresse 5]

[Adresse 5]

[Localité 1]

Ayant pour avocat postulant Me Jérôme CLERC de la SELARL LEXAVOUE POITIERS-ORLEANS, avocat au barreau de POITIERS

Ayant pour avocat plaidant Me Lionel HEBERT, avocat au barreau de RENNES

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l’article 945-1 du Code de Procédure Civile, les conseils des parties ne s’y étant pas opposés, l’affaire a été débattue le 12 octobre 2022, en audience publique, devant :

Monsieur Patrick CASTAGNÉ, Président

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Monsieur Patrick CASTAGNÉ, Président

Madame Marie-Hélène DIXIMIER, Présidente

Madame Valérie COLLET, Conseiller

GREFFIER, lors des débats : Madame Patricia RIVIÈRE

ARRÊT :

– CONTRADICTOIRE

– Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile que l’arrêt serait rendu le 15 décembre 2022. A cette date, le délibéré a été prorogé au 9 février 2023.

– Signé par Monsieur Patrick CASTAGNÉ, Président, et par Madame Patricia RIVIÈRE, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DU LITIGE :

M. [L] [K] a été engagé le 1er octobre 2001 en qualité de VRP exclusif par la S.A. Exthome, société faisant partie du groupe Filloneau, fabricant et commercialisant des vérandas auprès de particuliers, dans le cadre d’un contrat à durée indéterminée à temps complet, sur un secteur géographique couvrant les départements 79 et 85, moyennant une rémunération constituée par une commission sur tous les encaissements hors-taxes provenant des commandes prises par lui, avec avance sur commission en fonction du chiffre d’affaires mensuel hors-taxes résultant des commandes prises pendant le mois de référence.

Le contrat de travail a été transféré à la société Extension Habitat à compter du 31 décembre 2013.

M. [K] a fait l’objet, à compter du 2 janvier 2018 d’arrêts de travail pour maladie, à l’issue desquels, le 4 juin 2018, le médecin du travail a établi, dans le cadre d’une visite de reprise, un avis d’inaptitude ainsi rédigé : M. [K] est inapte à reprendre son poste de commercial. Il est inapte à reprendre dans l’entreprise Extension Habitat ou entreprise Fillonneau. Il serait apte à un poste de vendeur en sédentaire ou tout poste de type administratif dans toute autre entreprise qu’Extension Habitat ou Fillonneau. Je ne propose pas de recherche de reclassement au sein de cette entreprise.’

M. [K] s’est vu notifier son licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement par LRAR du 4 juillet 2018.

Imputant son inaptitude à une situation de harcèlement moral au long cours de la part de sa hiérarchie, M. [K] a, par acte reçu le 3 juillet 2019, saisi le conseil de prud’hommes de la Roche sur Yon d’une action en annulation d’un avertissement notifié le 15 novembre 2017, en paiement de rappel de salaires et dommages-intérêts pour rétention abusive de rémunération, en constatation de la situation de harcèlement moral dont il a été victime et indemnisation du préjudice en résultant et en prononcé de la nullité de son licenciement avec toutes conséquences indemnitaires que de droit.

Par jugement du 7 décembre 2020, le conseil de prud’hommes de la Roche sur Yon a :

– dit que l’avertissement notifié à M. [K] le 15 novembre 2017 est justifié et débouté M. [K] de sa demande d’annulation de la sanction et de sa demande en dommages-intérêts en réparation de son préjudice moral,

– pris acte de la régularisation intervenue en cours de procédure des 300 € brut,

– dit que la retenue de 1 246 € opérée sur la rémunération de M. [K] pour le mois de novembre 2107 état justifiée,

– débouté M. [K] de sa demande de versement de rappels de salaire, de congés payés et de dommages-intérêts pour rétention abusive de rémunération,

– dit que M. [K] n’a pas été victime de harcèlement moral de la part de sa hiérarchie,

– débouté M. [K] de sa demande de dommages-intérêts pour harcèlement moral,

– dit que le licenciement pour inaptitude est bien fondé,

– débouté M. [K] de sa demande d’indemnité compensatrice de préavis, de congés payés afférents et d’indemnité spécifique pour licenciement nul,

– condamné M. [K] à 500 € au titre de l’article 700 du C.P.C.,

– condamné M. [K] aux dépens,

– débouté M. [K] de l’ensemble de ses autres demandes.

M. [K] a interjeté appel de cette décision selon déclaration transmise au greffe de la cour le 6 janvier 2021.

La clôture de l’instruction a été prononcée par ordonnance du magistrat de la mise en état en date du 14 septembre 2022.

Au terme de ses dernières conclusions remises et notifiées le 5 avril 2021, auxquelles il convient à ce stade de se référer pour l’exposé détaillé des éléments de droit et de fait, M. [K] demande à la cour, réformant le jugement entrepris et statuant à nouveau :

– d’annuler l’avertissement notifié le 15 novembre 2017 et de condamner la société Extérieur Habitat à lui payer la somme de 2 000 € à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice moral,

– de condamner la société Extention Habitat à lui payer les sommes de 1 246,00 € au titre des rappels de salaire et 124,60 € au titre des congés payés y afférents, outre 1 000 € à titre de dommages-intérêts pour rétention abusive de rémunération,

– de condamner la société Extention Habitat à lui payer la somme de 20 000 € à titre de dommages-intérêts pour harcèlement moral,

– de déclarer son licenciement pour inaptitude nul et de condamner la société Extention Habitat à lui payer les sommes de 9 499,65 € au titre de l’indemnité compensatrice de préavis, 949,97 € au titre des congés payés y afférents et 18 999,30 € au titre de l’indemnité spécifique pour licenciement nul,

– de condamner la société Extention Habitat à lui payer les sommes de 2 000 € et 3 000 € au titre des frais irrépétibles exposés respectivement en première instance et en cause d’appel, outre les dépens,

– d’assortir l’ensemble des condamnations des intérêts de droit à compter du jour de la demande.

Dans ses dernières conclusions remises et notifiées le 11 mai 2021, auxquelles il convient également de se référer pour l’exposé détaillé des éléments de droit et de fait, la S.A.R.L. Extension-Habitat demande à la cour de confirmer le jugement entrepris et de condamner M. [K] à lui payer la somme de 2 000 € en application de l’article 700 du C.P.C., outre les entiers dépens.

MOTIFS

I – Sur la demande en annulation de l’avertissement du 15 novembre 2017 et sur la demande indemnitaire subséquente :

M. [K] s’est vu notifier un avertissement par LRAR du 15 novembre 2017 ainsi rédigée :

Ce courrier fait suite à notre rendez-vous du 6 novembre 2017 dans mon bureau et en présence de M. [T], votre chef des ventes.

Nous avons souhaité faire un point de votre activité sur l’exercice en cours car nous observons un niveau de chiffre d’affaires particulièrement inquiétant depuis quelques mois.

Déjà en 2016 nous avions constaté une baisse de CA. Nous l’avions évoqué lors d’un échange en début d’année en vous demandant de revenir à des niveaux nettement plus significatifs dès 2017.

Pourtant sur ces derniers mois, vous êtes sur une moyenne mensuelle de 27K€. C’est très faible. Vous êtes même sur une tendance inférieure à 2016.

Vous vous rendez compte qu’aujourd’hui vous allez réaliser le pire chiffre d’affaires de l’ensemble de l’équipe sur l’année 2017 en étant au siège de l’entreprise et avec le plus beau showroom de l’ensemble du réseau.

Pour situer votre niveau de performance nous vous rappelons que vous avez réalisé en 2014 un CA de 725 K€ et en 2015 un CA de 734 K €.

Nous vous avons fait remarquer également votre manque de présence au showroom. Très souvent, malgré un agenda vide de rendez-vous, vous n’assurez pas de permanences. Que faites-vous, où êtes-vous’

Vous n’avez pas apporté de justifications sur ce point.

Nous savons que votre statut de VRP vous laisse une large autonomie d’organisation. Toutefois vous devez pouvoir justifier à tout moment de votre activité auprès de la direction.

Il y a un mois nous vous avons demandé de régler un problème d’avenant avec le client [V]. Après 15 jours d’attente, vous n’aviez toujours pas pris rendez-vous avec le client. [I] [U] vous a alors averti par mail puis par SMS d’un rendez-vous qu’il venait de fixer à la société avec le client. Il a pensé que vous pourriez profiter de ce rendez-vous pour gérer cet avenant. Vous n’êtes pas venu et vous n’avez même pas pris le soin de lui répondre; là encore où étiez-vous ‘

Tous ces éléments nous font douter sérieusement de votre implication et cela nous inquiète au plus haut point. Nous ne pouvons pas voir le secteur autour de l’entreprise péricliter par un manque de travail et d’implication de votre part.

Compte-tenu de ces éléments, nous vous notifions un avertissement.

Après rappel du droit positif en matière de contrôle juridictionnel de la régularité et de la proportionnalité d’un avertissement, M. [K] demande à la cour d’annuler l’avertissement qui lui a été notifié le 15 novembre 2017 en exposant :

– qu’il conteste la véracité des griefs articulés dans le courrier de notification de l’avertissement,

– qu’embauché en 2001 il n’avait jusqu’alors fait l’objet durant l’intégralité de sa relation de travail d’aucune sanction ni remontrance de la part de son employeur,

– que l’employeur ne fournit aucune élément de nature à prouver la réalité des griefs formulés, fondant sa sanction sur ses propres allégations.

– que la notification d’un avertissement manifestement illégitime au terme d’une relation de travail de plus de 16 ans exempte de tout incident lui a nécessairement causé un préjudice moral important.

La S.A.R.L. Extension-Habitat conclut à la confirmation de la décision entreprise en soutenant, en substance :

– qu’elle justifie l’existence des faits reprochés à M. [K] par la production des états du chiffre d’affaires réalisé par M. [K] de 2011 à 2017 (pièce 2) et d’un mail du client mentionné dans la lettre d’avertissement (pièce 10).

Sur ce,

Il doit être rappelé :

– que constitue une sanction toute mesure, autre que les observations verbales, prise par l’employeur à la suite d’un agissement du salarié considéré par lui comme fautif, que cette mesure soit de nature à affecter immédiatement ou non la présence du salarié dans l’entreprise, sa fonction, sa carrière ou sa rémunération (article L1331-1 du code du travail),

– qu’un avertissement, sanction disciplinaire, est une remontrance écrite, mettant en exergue une faute mineure commise par le salarié et l’invitant à modifier son comportement, qu’il n’impose pas à l’employeur de convoquer au préalable le salarié pour recueillir ses explications et qu’il n’a aucune conséquence directe sur sa fonction ou sa rémunération,

– qu’en cas de contestation, l’employeur doit fournir au juge les éléments retenus pour prendre la sanction, qu’au vu de ces éléments et de ceux qui sont fournis par le salarié à l’appui de ses allégations, le juge forme sa conviction, après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles et que si un doute subsiste, il profite au salarié (article L1333-1 du code du travail) .

En l’espèce, l’avertissement notifié le 15 novembre 2017 (pièce 8-1 de l’appelant) vise trois griefs :

– une chute importante du chiffre d’affaires généré par le salarié sur les derniers mois,

– un manque de présence au siège de l’entreprise et l’absence de tenue de permanences,

– un défaut de règlement d’une difficulté relative à la conclusion d’un avenant avec un client ([V]).

Si les deux derniers griefs ne sont étayés par aucun élément objectif et vérifiable, contemporain à la date de notification de l’avertissement (agenda du salarié non produit, attestations [T], [E] et [D], pièces 12, 25 et 26, imprécises et sans aucune indication temporelle), le grief tiré d’une chute du chiffre d’affaires généré par M. [K] est établi au regard de la pièce 2 de l’intimée (état du chiffre d’affaires réalisé par M. [K] de 2011 à 2017) tant en résultats annuels (725 280 € en 2014, 734 951 € en 2015, 494 103 € en 2016, 505 589 € en 2017) que sur les six mois précédant la notification de l’avertissement, soit période comprise entre mai et octobre, (chiffre d’affaires 2016 : 259 719 €, chiffre d’affaires 2017 : 172 662 €) et justifie à lui seul compte-tenu de l’importance de la baisse de productivité (sur laquelle M. [K] ne fournit aucune explication) la délivrance d’un avertissement.

Le jugement déféré sera en conséquence confirmé en ce qu’il a débouté M. [K] de sa demande d’annulation de l’avertissement notifié le 15 novembre 2017 et de sa demande indemnitaire subséquente en réparation de préjudice moral.

II – Sur la demande en paiement de rappel de rémunération et la demande indemnitaire subséquente pour rétention abusive de rémunération :

Après rappel du droit positif relativement à la prohibition des sanctions pécuniaires et à l’indemnisation du salarié en cas de rétention abusive de rémunération, M. [K] soutient :

– qu’il a été victime de plusieurs retenues sur salaire constitutives de sanctions pécuniaires, soit :

> une retenue de 300 € sur ses commissions prétendument motivée par son manque d’aisance avec le matériel informatique (retenue en attente régul Extrabat, mentionnée sur son bulletin de salaire d’avril 2017, pièce 6),

> retenue de 1 246 € au titre d’une soi-disant régularisation sur son bulletin de salaire de novembre 2017 (pièce 7) dont il n’est justifié ni de la légitimité ni de l’origine,

– que si la société Extension Habitat a reconnu devoir la somme de 300 € brut et l’a réglée à la suite de la saisine du conseil de prud’hommes, la retenue de 1 246 € n’a pas été régularisée et relève de sanctions pécuniaires prohibées et injustifiées,

– que la rétention abusive d’une somme de plus de 1 500 € lui a nécessairement causé un préjudice tant moral que financier.

La S.A.R.L. Extension Habitat conclut au débouté de M. [K] en exposant :

– que la retenue de 1 246 € mentionnée sur son bulletin de salaire de novembre 2017 au titre du dossier [N] ne constitue pas une sanction financière mais une reprise d’avance sur commission expressément prévue au contrat de travail dont l’article IX ‘conditions de rémunération’ stipule que l’avance sur commission versée au salarié est reprise en cas d’annulation de la commande ou d’erreur de chiffrage imputable au commercial, privant l’entreprise de sa marge normale,

– que M. [K] a commis dans ce dossier des erreurs de chiffrage (notamment de maçonnerie), non contestées, dont elle a dû subir les conséquences en étant contrainte d’honorer la commande vis-à-vis du client et de lui consentir des avoirs, ainsi que l’établissent les pièces 4 (chiffrage de la maçonnerie par M. [K], 5 : chiffrage réel de la maçonnerie par la société Malvaud Construction, 6 : mail de la société Fillonneau au client en date du 7 décembre 2017, 7 : avenant du 7 décembre 2017 avec avoir, 8 : commentaires du client sur les prestations réalisées).

Sur ce,

Constitue une sanction pécuniaire prohibée par l’article L1331-2 du code du travail toute retenue sur salaire opérée en raison d’une faute du salarié et qui ne correspond pas à une période d’inactivité.

Le contrat de travail stipule en son article IX (conditions de rémunération) alinéa 10 que la non possibilité de l’annulation d’un bon de commande pour lequel une erreur de chiffrage a eu lieu de la part du représentant aura pour conséquence l’exécution obligée de la commande, sans commission pour le représentant.

Cette clause institue une sanction pécuniaire prohibée, sanctionnant le comportement fautif du salarié, de sorte qu’il convient, réformant le jugement entrepris, de condamner la S.A.R.L. Extension Habitat à payer à M. [K] les sommes de 1 246 € brut au titre de la commission due sur le chantier litigieux et de 124,60 € brut au titre des congés payés y afférents, augmentée des intérêts au taux légal à compter de la réception de la convocation de l’employeur devant le bureau de conciliation.

L’application d’une sanction pécuniaire illicite, par son caractère vexatoire et humiliant, a causé au salarié un préjudice moral qui sera compensé par l’octroi d’une indemnité de 300 € qui produira intérêts au taux légal à compter du prononcé de la présente décision.

III – Sur la demande indemnitaire au titre du harcèlement moral :

Il doit être rappelé :

– que le harcèlement moral est constitué, indépendamment de l’intention de son auteur, dès lors que sont caractérisés des agissements répétés ayant pour effet une dégradation des conditions de travail susceptibles de porter atteinte aux droits et à la dignité du salarié, d’altérer sa santé ou de compromettre son avenir professionnel (article L1152-1 du code du travail),

– que le harcèlement moral est caractérisé par la constatation de ses conséquences telles que légalement définies, peu important l’intention (malveillante ou non) de son auteur,

– que, dès lors que le salarié concerné présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement (article L1154-1 du code du travail),

– que pour se prononcer sur l’existence d’un harcèlement moral, il appartient au juge d’examiner l’ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d’apprécier si le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement au sens de l’article L. 1152-1 du code du travail,

– que dans l’affirmative, il revient au juge d’apprécier si l’employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement,

– que peuvent caractériser un harcèlement moral les méthodes de gestion mises en oeuvre par un supérieur hiérarchique dès lors qu’elles se manifestent pour un salarié déterminé par des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet d’entraîner une dégradation des conditions de travail susceptibles de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

En l’espèce, M. [K] exposant que se superposent aux dispositions relatives au harcèlement moral l’obligation de bonne foi telle que définie à l’article L1222-1 du code du travail et l’obligation de sécurité prévue par l’article L4121-1 du même code, fait valoir :

– que sur la fin de la relation de travail, il a été soumis à une forte pression manégériale, la société lui adressant, dans un court laps de temps, un avertissement et un courrier recommandés de ‘mise au point’ sans qu’aucune sanction disciplinaire soit prise à son encontre, faisant état d’un certain nombre de griefs à l’appui desquels l’employeur n’apporte aucun élément de preuve, qu’il s’est vu reprocher verbalement par son employeur son état de santé, qu’il en résulte un comportement managérial dénigrant, humiliant et violent, concomitant à un travail d’isolement manifeste du salarié,

– que par ailleurs, l’employeur a pratiqué des retenues pécuniaires injustifiées, de 300 € pour un prétendu manque d’aisance avec le matériel informatique de 1 246 € au titre d’une soi disant régularisation,

– que ces agissements ont eu un impact considérable sur sa santé physique et morale, le médecin du travail, relevé par le médecin du travail référent.

Au soutien de ses prétentions, il verse aux débats :

– le courrier de notification d’avertissement du 15 novembre 2017 (cf. ci-dessus),

– un courrier dit de ‘mise au point’ du 4 décembre 2017 :

Nous souhaitons porter à votre connaissance des faits graves intervenus depuis notre dernier entretien :

Client [V] : Nous avons déjà évoqué ce dossier dans notre précédent courrier. Cette fois nous y revenons sous un autre aspect (Nous vous rappelons que c’est une commande de 64 K €, signée le 15/12/2015 et que nous allons poser en janvier 2018). Les clients régulièrement mais plus particulièrement ces derniers temps ont cherché à vous joindre mais sans jamais pouvoir vous avoir au téléphone. Ils souhaitent être accompagnés dans leur projet. C’est d’ailleurs ce que vous leur avez proposé lors de la vente. Aujourd’hui ils veulent compléter leur commande par des volets mais nous ont demandé d’avoir un autre interlocuteur car il était ‘hors de question de faire affaire avec vous’. J’ai pris personnellement contact avec eux pour comprendre leur position. Ils m’ont fait part de leur déception d’avoir traité avec vous et du peu d’intérêt que vous avez porté à leur dossier. Je rapporte ici leurs propos ‘nos amis nous avaient dit qu’il fallait se méfier de M. [S] et de ses méthodes de vente. Nous avons malgré tout signé avec lui car nous faisons confiance à l’entreprise Fillonneau. Nous ne pouvons pas vous laisser traiter les clients de cette manière surtout pour les dossiers aussi importants. Nous sommes une entreprise sérieuse qui tient ses engagements. Nous ne pouvons pas vous laisser détériorer impunément notre image.

Client [X]-[N] : commande du 31/08/2017 pour un montant de 37 K €. Là encore vos promesses lors de la vente ne sont pas tenues et ce client vous reproche un total manque de suivi et d’accompagnement. A chaque fois la même chose. Vous ignorez totalement les appels des clients laissant les autres collaborateurs de l’entreprise gérer l’après-vente et particulièrement le contrat Zen. Aujourd’hui la relation avec ce client devient très tendue et il est fort probable que nous soyons obligés d’annuler cette commande. Au-delà de l’impact financier c’est une nouvelle fois catastrophique pour l’image de l’entreprise. Je vous laisse prendre connaissance du mail envoyé par le client le 27 novembre dernier. Vous comprendrez par vous-même les conséquences de votre attitude.

Prospect Papillon : ce client nous a relancé par mail le 26 novembre avec le message suivant : ‘Bonjour, nous avons rencontré M. [K] il y a plus d’un mois, nous lui avons envoyé nos plans de maison. Depuis nous sommes sans nouvelles. Pouvez-vous nous renseigner’ ..’ C’est incompréhensible. Vous manquez de chiffre d’affaires (cf. courrier précédent) et vous vous permettez de ne pas répondre à un projet client. Nous avons encore de la chance que ce dernier nous relance. Vous avez répondu à votre chef des ventes que vous n’arriviez pas à ouvrier les pièces jointes du mail du client et que vous aviez cherché à le joindre à plusieurs reprises sans succès (argument à chaque fois repris lorsque vous cherchez à vous justifier). Votre responsable vous a alors demandé de lui montrer le mail du client et il a ouvert sans aucun problème les pièces jointes. Là encore vous avez cherché une échappatoire à votre incompétence et à votre laxisme.

Comment vous faire confiance aujourd’hui ‘ Les clients attendent beaucoup mieux de notre entreprise et vous êtes incapable de faire des efforts pour vous mettre au niveau. Je ne prends là que les trois derniers dossiers du moment mais vous êtes plus que coutumier du fait. Vous vous étonnez de la baisse de votre chiffre d’affaires. Les raisons sont peut-être à chercher de votre côté et de l’image déplorable que vous véhiculez sur votre secteur.

Quoi qu’il en soit, nous ne pouvons pas vous laisser continuer à dégrader l’activité et l’image de l’entreprise. Il y a URGENCE à agir de votre côté comme du nôtre.

– le bulletin de paie d’avril 2017 (pièce 6) mentionnant une retenue de 300 € brut ‘en attente régularisation Extrabat’,

– le bulletin de salaire de novembre 2017 (pièce 7) mentionnant une retenue de 1 246 € brut à titre de ‘régularisation trop-perçu sur dossier [N]’,

– un courrier du médecin du travail à son médecin traitant du 12 mars 2018 (pièce 2-1) cher confrère Je vois ce jour en visite votre patient M. [K] qui est en arrêt et qui travaille dans le groupe Fillonneau Vérandas. Il me paraît difficile qu’il reprenne un jour dans cette entreprise vu le contexte. L’idéal serait une rupture à l’amiable. M. [K] consulte une avocate mercredi et j’envoie un courrier dans ce sens à l’employeur. J’espère un bon dénouement courant avril. Peut-on prolonger l’arrêt ‘

– un courrier adressé le 12 mars 2018 par le médecin du travail à l’employeur (pièce 2-2) : J’ai vu ce jour à son initiative votre salarié M. [K] en arrêt depuis le 2 janvier. Il me fait part de difficultés dans son travail qui le mettent à ce jour en souffrance. Une séparation à l’amiable pourrait s’avérer utile…

Si aucun élément objectif et vérifiable ne vient confirmer la matérialité même (contestée) de l’allégation selon laquelle l’employeur aurait reproché à M. [K] son état de santé à compter du 2 janvier 2018, les autres faits invoqués par le salarié (forte pression managériale se traduisant par deux courriers, dont un avertissement, établis dans des termes comminatoires, retenues sur rémunération) sont établis et pris dans leur ensemble laissent présumer l’existence d’une situation de harcèlement moral.

Il appartient donc à l’employeur de prouver que les agissements invoqués par M. [K] ne sont pas constitutifs d’un harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

A cet égard, la S.A.R.L. Extension-Habitat soutient :

– que l’existence des faits reprochés à M. [K] tant dans la lettre d’avertissement du 15 novembre que dans le courrier du 4 décembre 2017 est justifiée et que c’est de manière outrancière que M. [K] invoque le caractère éminemment violent et brutal de telles correspondances dans un délai aussi court,

– que la retenue de 1 246 € opérée en novembre 2017 constitue une simple reprise d’avance sur commission dont le principe et les hypothèses sont expressément prévus dans le contrat de travail,

– que le médecin du travail n’a fait que reprendre les propos tenus par M. [K] ,

– qu’en réalité, M. [K] n’a pu ou n’a pas voulu réagir face au constat de la chute catastrophique de ses résultats commerciaux alors qu’elle espérait qu’il pourrait rétablir la situation après avoir été alerté sur ses difficultés.

Elle verse aux débats :

– les pièces déjà analysées dans le cadre de la contestation de l’avertissement du 15 novembre 2017,

– s’agissant du dossier [X] [N] : un mail des époux [X] du 26 novembre 2017 (pièce 3) critiquant, en substance et de manière virulente, les erreurs de mesures, métrage et d’estimation de coût de M. [K], l’impossibilité de le contacter, le chiffrage établi par M. [K] (8 670,48 € TTC, pièce 4) et le chiffrage réel (13 512,88 € TTC, pièce 5), l’avoir de 3 153,37 € TTC consenti au client (pièce 7), évaluation du client, (on aurait eu un commercial convenable jamais il n’y aurait eu un mauvais démarrage, pièce 8) ,

– quinze mails de relance adressés courant 2017 à M. [K] pour contacter des clients en demande d’informations, assurer le suivi de dossiers et transmettre diverses pièces (pièce 11),

– mail des époux [C] (pièce 9) : nous avons rencontré M. [K] il y a plus d’un mois, nous lui avons envoyé nos plans de maison. Depuis nous sommes sans nouvelles, pouvez-vous nous renseigner ‘,

– mail de M. [V] du 3 décembre 2017 (pièce 10) : nous souhaitons avoir un nouveau interlocuteur concernant notre projet,

– copie des entretiens individuels annuels des 15 janvier 2016 et 19 juillet 2017 (pièces 13 et 14) mettant en exergue s’agissant des objectifs prioritaires le suivi de dossiers,

– attestation de M. [T] (pièce 25) : régulièrement ses clients se plaignaient de ne jamais être rappelés même après plusieurs messages sur son téléphone,

– attestation de M. [E], directeur technique : les clients m’ont souvent remonté l’information qu’une fois que la vente était signée, ils n’avaient plus de nouvelles de sa part, malgré les messages laissés sur son répondeur.

L’employeur justifie ainsi, par des éléments constituant des indices précis, détaillés et concordants, des griefs articulés tant dans la lettre de notification d’avertissement du 15 novembre 2017 que dans le courrier de ‘mise au point’ du 4 décembre 2017 qui prenait en compte des éléments nouveaux apparus postérieurement, en termes de chute du chiffre d’affaires réalisé par M. [K] et de défaillance dans le suivi des dossiers, ces courriers devant être analysés comme participant d’un exercice légitime et mesuré du pouvoir disciplinaire, au regard de l’accumulation des incidents dans un court laps de temps.

Si la retenue d’une somme de 1 4326 € a été ci-dessus considérée comme une sanction pécuniaire prohibée, cette seule circonstance est insuffisante à caractériser une situation de harcèlement moral qui suppose la démonstration d’agissements répétés, étant observé qu’aucun élément ne permet de considérer que la retenue de 300 € opérée en avril 2017 et par la suite régularisée constituait également une sanction pécuniaire.

Par ailleurs, aucun élément du dossier n’établit qu’antérieurement à l’arrêt de travail du 2 janvier 2018, l’employeur a eu connaissance d’un état de souffrance au travail de son salarié, alors même que dans la dernière évaluation annuelle de juillet 2017 ce dernier émettait un avis positif sur ses conditions de travail (moyens matériels, ambiance dans le service, qualité des relations avec les autres services, disponibilité de son responsable et degré de satisfaction globale), sans évoquer une quelconque pression managériale en termes de rendement ou de suivi de dossiers, étant en outre considéré que les courriers du médecin du travail versés aux débats se limitent à cet égard à reprendre les déclarations de M. [K].

Il convient dans ces conditions de considérer que les éléments constitutifs de la situation de harcèlement moral alléguée par M. [K] ne sont pas réunis non plus qu’un manquement de l’employeur à ses obligations de sécurité et d’exécution loyale du contrat de travail.

Le jugement déféré sera en conséquence confirmé en ce qu’il a débouté M. [K] de la demande indemnitaire par lui formée de ce chef.

IV – Sur la contestation du licenciement :

En l’absence de caractérisation d’une situation de harcèlement moral en lien de causalité avec l’inaptitude ayant motivé le licenciement litigieux, le jugement déféré sera confirmé en ce qu’il a débouté M. [K] des demandes par lui formées tendant au prononcé de la nullité du licenciement et au paiement d’indemnité compensatrice de préavis, d’indemnité de congés payés sur préavis et de dommages-intérêts pour licenciement nul.

V – Sur les demandes accessoires :

L’équité ne commande pas de faire application de l’article 700 du C.P.C. en faveur de l’une quelconque des parties, s’agissant tant des frais irrépétibles exposés en première instance (le jugement déféré étant réformé en ce qu’il a condamné M. [K] au paiement d’une indemnité de procédure de 500 €) que de ceux exposés en cause d’appel.

La S.A.R.L. Extension Habitat sera condamnée aux dépens de première instance (le jugement déféré étant réformé en ce qu’il a condamné M. [K] aux dépens de première instance) et d’appel.

PAR CES MOTIFS,

LA COUR,

Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort :

Vu le jugement du conseil de prud’hommes de la Roche-sur-Yon en date du 7 décembre 2020,

Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions à l’exception de celles statuant sur la demande en paiement de rappel de rémunération et dommages-intérêts subséquents, sur l’application de l’article 700 du C.P.C. et sur les dépens,

Statuant à nouveau de ce chefs :

– Condamne la S.A.R.L. Extension Habitat à payer à M. [K] les sommes de 1 246 € brut à titre de rappel de rémunération (retenue opérée sur le bulletin de salaire de novembre 2017), de 124,60 € brut au titre des congés payés y afférents (augmentées des intérêts au taux légal à compter de la réception par l’employeur de la convocation devant le bureau de conciliation) et de 300 € à titre de dommages-intérêts pour rétention abusive de rémunération (augmentée des intérêts au taux légal à compter du prononcé de la présente décision),

– Dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du C.P.C. en faveur de l’une quelconque des parties en première instance,

– Condamne la S.A.R.L. Extension Habitat aux dépens de première instance,

Ajoutant au jugement déféré :

– Dit n’y avoir lieu à application de l’article 700du C.P.C. en faveur de ‘une quelconque des parties, s’agissant des frais irrépétibles exposés en cause d’appel,

– Condamne la S.A.R.L. Extension Habitat aux dépens d’appel.

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,

 


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